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Harley Quinn & les Sirènes de Gotham

Harley Quinn & les Sirènes de Gotham compile les dix premiers épisodes de la série (VO) Gotham City Sirens (qui en compta 26 au total), créée en 2009 par le scénariste Paul Dini (Mad Love, Paul Dini présente Batman) et le dessinateur (et parfois auteur) Guillem March (Catwoman, Joker Infinite…). Ce récit (complet au demeurant) a été publié en janvier 2020 chez Urban Comics, puis est ressorti dans un format souple un brin raccourci (deux épisodes en moins, conservant malgré tout un côté complet) en été 2021, lors d’une opération estivale à petit prix de l’éditeur (4,90 € !). Il se déroule juste après Le cœur de Silence (alias Paul Dini présente Batman – Tome 2 – dont ces Sirènes de Gotham sont quasiment un opus « 2.5 »).

 

[Résumé de l’éditeur]
Splendides, envoûtantes et dangereuses. Catwoman, Poison Ivy et Harley Quinn en ont assez de suivre les ordres, et elles sont prêtes à s’emparer d’une Gotham qui leur tend les bras depuis la disparition du Chevalier Noir, perdu dans les méandres du temps. C’est l’occasion pour elle de faire cause commune… mais pour combien de temps ?

[Début de l’histoire]
Catwoman se bat avec un malfrat de troisième zone vaguement dangereux mais ses récents problèmes au cœur la rendent très vulnérables. Secourue par Poison Ivy, cette dernière propose de cohabiter chez elle, ou plutôt chez le Sphinx dont elle squatte la résidence avec Harley Quinn.

Les trois femmes décident d’aménager ensemble et former une alliance éphémère. Quinn disparaît rapidement, obligeant Ivy et Catwoman à enquêter…

[Critique]
Les six premiers épisodes de ces Sirènes de Gotham (le « vrai » titre VO de la série, y avoir accoler Harley Quinn en prime n’est qu’un argument commercial, elle n’est pas davantage mise en avant que Catwoman ou Ivy) forment un ensemble très sympathique, qui fait la part belle à ce trio féminin d’antagonistes. Paul Dini y poursuit complètement ce qu’il avait instauré dans ces deux premiers tomes de Paul Dini présente Batman (La mort en cette cité puis Le cœur de Silence). Ainsi, l’histoire débute avec une Selina Kyle encore à peine remise de son opération au cœur et un Bruce Wayne qui n’est autre que Tommy Eliott (Silence) !

On peut arriver à comprendre tout ça si on n’est pas coutumier des précédents travaux de Dini mais c’est un peu rude, d’autant qu’étonnamment Urban Comics ne propose pas un accompagnement éditorial en avant-propos pour contextualiser la situation (le vrai Bruce Wayne a disparu, Dick le remplace en tant que Batman, Silence se fait passer pour Wayne, Damian apparaît pour ses premiers pas en tant que Robin, le Sphinx est un détective privé et non un criminel, etc.) – c’est d’autant plus surprenant que les Paul Dini présente Batman avaient déjà été publiés depuis plusieurs années par l’éditeur.

Passons. Dini reprend donc quelques éléments de son précédent run : on y croise le courtier, la charpentière et deux autres femmes « fortes » comme Zatanna (sur laquelle l’auteur avait excellé) et même Talia al Ghul. De quoi avoir une bande dessinée qui met (enfin) en avant des figures féminines plus ou moins familières pour une association séduisante (dans les deux sens) et qui fonctionne à peu près. En vrac (dans les six premiers chapitres donc) : le trio aménage ensemble puis Ivy et Catwoman se lance à la poursuite du kidnappeur d’Harley. Les choses se compliquent quand le Joker, très jaloux de l’émancipation récente d’Harley (personnage créé par Paul Dini justement, dans la série animée de 1992 et qu’il avait repris, entre autres, dans le chouette Mad Love), se met aussi en quête pour retrouver son amante.

Si Batman (Dick Grayson) apparaît furtivement, l’autre personnage majeur de ce volume est Le Sphinx ! Edward Nigma s’est repenti et reconverti en privé et aide ses alliées, à commencer par Catwoman avec qui il a toujours eu une relation particulière (Catwoman à Rome, Batman/Catwoman…). En résulte un titre où ces quatre habituels « vilain/es » gravitent dans Gotham. On apprécie surtout l’écriture sur Quinn, attachante et un peu perdue et Poison Ivy, qui n’en oublie pas ses convictions et son alliance « pragmatique » (elle n’estime pas que Selina et Harley sont ses amies mais uniquement des collègues).

Graphiquement, Guillem March s’en donne à cœur joie, rendant sexy chacune des sirènes, sans être jamais réellement vulgaire mais parfois trop gratuitement sans réel intérêt (il s’empirera – ou s’améliorera, c’est selon – quand il reprendra la série Catwoman version New52/Renaissance quelques années plus tard) – cf. quelques illustrations de cette critique ou la toute dernière image en bas en VO, admirez le fessier de Selina, la pose suggestive de Pamela (on vous épargne une personnage très très secondaire en string apparent et bas résilles déchirés apparents sans raisons logiques). Il officie sur ces six premiers chapitres (les meilleurs, nommés Union, Conversation entre filles, L’énigme du siècle ! (écrit par Scott Lobdell), Rencard, Le monstre du passé et Le dernier gag) et contribue à la lecture agréable de l’ensemble qui devrait ravir les fans d’Harley Quinn, Poison Ivy, Catwoman et/ou Le Sphinx, sans trop de difficultés.

Jose Villarrubia colorise avec toute une gamme riche et variée propre aux productions du genre, accentuant un côté « mainstream » bienvenu avec parfois Tomeu Morey ou March lui-même en remplacement. Si le titre est globalement accessible (passé le statu quo de départ singulier) et la lecture sympathique, l’ensemble est/sera vite oublié et, de facto, ne vaut peut-être pas les vingt-quatre euros demandés… On conseille davantage la version en bon plan qui se trouve régulièrement en occasion au prix initial voire moins cher (donc entre trois et cinq euros).

Dans cette version (ainsi que la normale), on a droit aux chapitres #7 et #8, le premier (Histoire de fêtes) est centré sur Quinn qui retrouve sa famille (dessiné par David Lopez – dans un style visuel moins abouti que March), le second (Vengeance verte) sur Ivy à son tour kidnappée (écrit et dessiné par March). En revanche, l’édition souple à bas prix ne contient pas les épisodes #9-10 (Les pièces du puzzle et Choisir son camp – Andres Guinaldo au dessin), tous deux se suivent et remettent le Sphinx au premier plan pour aider les Sirènes de Gotham à découvrir et déjouer un ennemi de troisième zone. Vous l’aurez compris, ces autres parties sont moins passionnantes.

En somme, Harley Quinn & les Sirènes de Gotham est une aventure suffisante pour les aficionados des trois anti-héroïnes ou même du Sphinx. Ceux souhaitant voir la suite de Paul Dini présente Batman devraient aussi y trouver leur compte. Sans jamais être trop « girly » (dans le sens péjoratif du terme) ni trop tomber dans le « male gaze », la fiction est sympathique avec un ou deux retournements de situation peu prévisible mais rendant l’ensemble moins épique que prévu. Dommage qu’Urban ne propose pas la suite même si les dix épisodes s’auto-suffisent.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 janvier 2020.
Contient : Gotham City Sirens #1-10 (#1-8 pour la version souple)
Nombre de pages : 256

Scénario : Paul Dini, Scott Lobdell, Guillem March
Dessin : Guillem March, David Lopez, Raul Fernandez
Encrage : Guillem March, Alvaro Lopez, Raul Fernandez
Couleur : José Villarrubia, Guillem March, Tomeu Morey, Ian Hannin

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Moscow Eye

Acheter sur amazon.frHarley Quinn & les Sirènes de Gotham (24€)


Injustice – Ground Zero

Après les cinq années se déroulant avant le jeu vidéo Injustice et narrées dans les cinq intégrales éponymes (cf. index), DC Comics n’a étonnamment pas publié les évènements du jeu sous forme d’adaptation pure et dure mais dans une série qui les raconte du point de vue d’Harley Quinn – un des personnages les plus intéressants de cette saga. Le point de départ est louable mais est-ce que ça tient la route ? Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Au cours de sa carrière de criminelle, Harley Quinn a toujours vécu dans l’ombre de son amant, Monsieur J. Mais quand le Joker décide de s’en prendre à Superman, le poussant à commettre l’impensable et à s’autoproclamer souverain implacable de la Terre, ç’en est trop pour elle. Elle rejoint alors la résistance aux côtés de héros menés par Batman, que sa présence plaise ou non. Pour la première fois de sa vie, l’ancienne psychiatre vit pour elle-même et ses propres idéaux moraux.

[Début de l’histoire]
Harley Quinn
raconte ce qu’il s’est passé au cours des cinq dernières années jusqu’à ce que d’autres super-héros provenant de Terre-Un débarquent dans son monde (Terre-Unie). Harley appelle leur dimension « pancake ». Mais ces « doubles » de Batman, Green Arrow, Green Lantern, Wonder Woman, Aquaman… sont aussi accompagnés du Joker ! De quoi perturber son ancienne muse qui s’en était émanciper… Harley venait justement de prendre la tête du clan du Joker.

Chez les soutiens de Superman, Hawkgirl et , (ou plutôt Yellow Lantern) capturent le Batman de Terre-Un. Le Chevalier Noir de Terre-Unie, lui, explique les raisons de la venue de ses coéquipiers : leur ADN permet d’ouvrir un compartiment secret de la Batcave cachant… de la kryptonite ! Les justiciers pourront aussi compter sur l’aide précieuse de Lex Luthor, infiltré dans les rangs de l’Homme d’Acier mais œuvrant pour la résistance depuis des lustres.

[Critique]
Si on a joué à Injustice, il n’est clairement pas nécessaire de lire ce Ground Zero (sauf pour les amoureux d’Harley Quinn)… En effet, les évènements du jeu apparaissent ici au second plan de façon brouillonne racontée par une Harley beaucoup trop bavarde. L’ensemble est même assez pénible à lire, on se « force » un peu pour voir si des éléments vont être un peu plus intéressants parfois ou si des connexions avec le jeu éponyme seront plus pertinentes (certaines sont les mêmes mot pour mot). Tout cela n’arrive hélas pas beaucoup…

C’est dommage car toute l’histoire principale d’Injustice (le jeu vidéo) aurait mérité une version papier – à défaut pour les non-connaisseurs, un déroulé très complet et illustré est disponible dans cet article. L’idée de ne pas effectuer un banal copié/collé dans Ground Zero est plutôt bienvenue mais un point de vue de citoyens ou journalistes aurait probablement été plus haletant (un peu comme l’avait fait le concurrent Marvel durant Civil War avec l’excellente série Front Line dans le tome 4) – un reproche déjà établi pour la série mère.

Dans Ground Zero, une intégrale qui regroupe deux anciens tomes simples, la première partie montre Harley en chef de gangs de fans du Joker. Ces « criminels » sont un peu trop facilement dévoués à la cause de leur nouvelle patronne tout en refusant d’être un peu trop méchants… L’avantage est que ça n’en fait pas trop de la chair à canon, sans pour autant les caractériser de façon prononcée et, donc, d’arriver à s’attacher à eux. Forcément, quand le Joker d’une autre dimension débarque, Harley vacille…

Autour d’elle, l’on suit les principaux chapitres du jeu vidéo : l’arrivée d’une partie de la Justice League dans ce monde renommée Terre-Unie, les confrontations diverses contre les soutiens à Superman, incluant de temps en temps les doubles des héros et ainsi de suite. Tout se suit sans réelle fluidité ou compréhension (si on n’a pas joué au jeu), l’écriture n’est pas assez soignée sur cet aspect. Sur d’autres… c’est l’inverse : Harley parle tout le temps. Quasiment pas une case sans qu’on sache ce qu’elle pense, voit ce qu’elle dit ou parfois les deux à la fois et plusieurs fois par case. Même ses fans risquent d’être un peu fatigués par ces bavardages incessants et malheureusement pas très passionnants (même si on s’interroge sur la personne à qui elle s’adresse qui sera révélée à la toute fin).

Il faut dire que c’est Christopher Sebela qui assure le scénario. Cet auteur (principalement connu pour Crowded et Blue Beetle) n’ayant pas du tout participé à la précédente série, il succède donc au brillant Tom Taylor qui avait passé le relai à Brian Buccellato – qui fut parfois moins subtil que son collègue dans sa gestion des dialogues ou des émotions mais cela restait hautement qualitatif malgré tout. Buccellato est tout de même crédité pour « l’intrigue » (impossible de savoir concrètement son travail sur le titre).

Sebela explore donc un monde par l’intermédiaire d’Harley Quinn et ce n’est étonnamment guère stimulant. Pas totalement désagréable mais pas non plus très agréable. Ce récit passant après un titre qui fut extrêmement brillant par bien des aspects, on est forcément plus exigeant et en attente de mériter mieux que ce qui nous est servi. On a aussi du mal à croire en la puissance d’Harley (bien aidé par ses pilules magiques) qui arrive à combattre Bane et Killer Croc sans trop de difficultés, par exemple.

La première moitié du livre couvre un gros tiers du jeu mais montre 80 % de Harley (les deux premiers chapitres sont interminables), la seconde moitié est mieux équilibré entre l’ensemble des protagonistes de DC et Harley, même s’il y a un sentiment d’accélération soudaine dans la dernière ligne droite.

Visuellement, à l’instar de la série-mère, ce n’est pas brillant non plus. Plusieurs artistes se succèdent, certains déjà connus dans la saga : Tom Derenick, Pop Mhan, Derlis Santacruz, Marco Santucci, Daniel Sampere, Jheremy Raapack et Miguel Mendonca. Rien de très éblouissant, rien non plus de trop honteux : les protagonistes sont reconnaissables grâce à leur costume surtout, quelques visages moyens ici et là ou des détails manquants dans les décor…

En synthèse, on peut complètement faire l’impasse sur Injustice – Ground Zero, si vraiment le lecteur ne connaît pas le déroulé du jeu vidéo, autant qu’il lise cet article ou regarde des vidéos des cinématiques (incluses dans le lien) et économise ainsi 24 euros.

À noter que cette dernière intégrale regroupe donc les deux tomes simples de la précédente édition. Retrouvez l’index de toute la saga Injustice sur cette page.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 16 septembre 2022.
Contient : Injustice Ground Zero #1-12
Nombre de pages : 280

Scénario : Christopher Sebela, Brian Buccellato (intrigue)
Dessin : Collectif (voir critique)
Encrage : Collectif
Couleur : J. Nanjan, Rex Lokus, Mark Roberts

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : MAKMA (Stephan Boschat, Sabine Maddin)

Acheter sur amazon.fr : Injustice – Ground Zero [intégrale] (24 €)

 


Batman – White Knight • Harley Quinn

Nouvelle incursion dans le MurphyVerse, c’est-à-dire l’univers de Batman en marge de la continuité classique et débuté dans l’excellent titre White Knight. Après la suite moins réussie, Curse of the White Knight, et avant le prochain volet intitulé Beyond the White Knight, découverte du volume sobrement nommé Harley Quinn qui, comme son nom l’indique, propose un segment sur l’ancienne compagne du Joker. Que vaut ce troisième jalon dans l’univers White Knight ?
MàJ : deux mois après la sortie, donc en décembre 2021, une version noir et blanc est publiée par Urban Comics, limitée à 3.000 exemplaires.

[Résumé de l’éditeur]
Bruce Wayne est toujours enfermé en prison, payant pour ses exactions envers la ville de Gotham et tentant de se racheter aux yeux de ses anciens alliés. Mais il a à présent noué une relation de plus en plus forte avec son ancienne ennemie, l’ex-compagne de Jack Napier, Harleen Quinzel. Jeune maman, celle-ci est contactée par le GCPD pour l’épauler sur une affaire qui va faire remonter à la surface les souvenirs encore vivaces de son passé de criminelle.

[Histoire]
Harleen Quinzel raconte à ses deux jeunes jumeaux comment elle a rencontré et aimé leur père, Jack Napier. Les deux se sont trouvés bien avant d’être Harley Queen et le Joker…

Dans Gotham City, un tueur en série s’en prend à d’anciennes vedettes de cinéma et peint leur cadavre en noir et blanc. Duke Thomas et le GCPD/GTO (dirigé par Renee Montoya) ont besoin d’Harleen en tant que consultante afin de comprendre qui se cacher derrière ses crimes. Le Joker étant mort depuis deux ans, la piste de Neo-Joker (la rivale d’Harley) semble prometteuse.

Pendant ce temps, Bruce Wayne, toujours en prison, soutient son amie Harleen comme il le peut et leur relation prend un nouveau tournant…

[Critique]
Batman – White Knigt • Harley Queen
(BWKHQ) se déroule deux ans après Curse of the White Knight et en est clairement la suite, même si elle est centrée sur Harleen. Tous les évènements des deux précédents volumes sont à connaître avant d’entamer la lecture de celui-ci. En synthèse : difficile de s’attaquer au comic-book indépendamment sans connaître l’univers White Knight, qu’a créé dans le titre éponyme Sean Murphy (qu’il a écrit et dessiné). Il participe à l’écriture de « l’histoire » (comprendre la trame narrative globale) avec sa femme, l’auteure Katana Collins, qui signe intégralement le scénario. Murphy dessine uniquement les couvertures des chapitres et délaisse à Matteo Scalera l’entièreté des six épisodes que forme ce BWKHQ. Cette « nouvelle » équipe artistique assure brillamment cette relève temporaire, ajoutant même certaines qualités graphiques absentes de la série-mère (on y reviendra).

Ce tome « 2.5 » est incontestablement une réussite (non sans défauts, comme souvent, mais clairement on retient volontiers davantage le positif que le négatif). Tout d’abord il y a le plaisir de renouer avec le MurphyVerse et découvrir cette extension inédite qui fait avancer les choses et se concentre sur plusieurs personnages secondaires en plus d’Harleen. C’est une excellente chose. Ainsi, on revoit la Neo-Joker, curieusement absente dans le tome précédent, et on s’attarde enfin davantage sur la relation entre Bruce et Harleen (un des points forts du volume précédent également qu’on aurait aimé plus fouillé, c’est chose faite – toute en délicatesse).

Impossible de ne pas s’attacher à cette itération de Quinn, davantage apaisée que l’image iconique qu’on se fait d’elle. La jeune femme est dépassée par son rôle de mère, levant quelques tabous et assumant même la difficulté du quotidien voire du bonheur d’avoir des enfants ! Entre le deuil de Jack (qu’elle a tué à la fin de Curse…), la romance platonique avec Bruce (aka « Oncle Bruce » pour ses jumeaux) en prison et sa curieuse rédemption dans le GCPD, l’écriture d’Harleen est extrêmement soignée et réussie. Ses fidèles hyènes servent le récit à plusieurs reprises et, de facto, sont également attachantes.

Entre un certain humanisme qui se dégage de l’ensemble (le discours de Bruce – dans les flashs-back ou au présent – n’a jamais été aussi enthousiaste pour tirer les gens vers le haut, ça fait du bien !) et deux thématiques universelles, le deuil et l’amour, délicatement travaillées sans tomber dans le pathos ou le cliché, BWKHQ gagne à être lu tant il propose un voyage élégant et parfois surprenant. Le lecteur revisite en effet quelques morceaux de la mythologie de Batman, comme Robin/Jason Todd battu par le Joker (on ignore si dans cet univers le Clown est allé jusqu’à tuer le second Robin – à priori non). Todd devenu Red Hood puis… directeur de prison ! Le personnage est malheureusement survolé, on le voit à peine. Tout comme Ivy (et l’anecdotique figuration du Chapelier Fou), parmi les célébrités de la galerie d’alliés ou d’ennemis du Chevalier Noir qui n’avaient pas encore eu droit à leur traitement dans White Knight.

Néanmoins, on se régale de voir  Simon Trent « en chair et en os en bande dessinée ». Qui ça ? Simon Trent, le fameux acteur qui joue « le Fantôme Gris » (The Gray Ghost), introduit dans le formidable épisode Le Plastiqueur fou dans Batman, la série animée (S01E18). Trent avait brièvement l’honneur de rejoindre les comics comme professeur à la Gotham Academy (dans la série du même nom) mais cette fois l’hommage est plus puissant. Quelle belle idée ! Elle fait complètement sens dans le déroulé de l’enquête – des meurtres de l’Age d’or du cinéma à Gotham – et permet de séduire aussi bien les fans de Batman que les nouveaux venus. Pour l’anecdote, c’est Adam West (incarnant Batman à la télé dans les années 1960) qui doublait Trent dans l’unique épisode de la série d’animation, c’était l’obligation souhaitée par la production. Bref, la mise en abîme et l’hommage se répercutent enfin élégamment en comics !

Comme évoqué, il y a pourtant quelques éléments un peu moyens dans le récit. Des nouveaux personnages pas vraiment mémorables, un peu cliché… Incluant Hector Quimby, très présent et volontairement suspect. La motivation des « méchants » et leurs identités sont elles-aussi passables (on les découvre assez tôt). Dommage de ne pas avoir pioché dans des têtes connues pour dynamiser une fois de plus les versions « différentes » de la continuité classique de Batman. On retombe donc dans un travers classique d’ennemis interchangeables et vite oubliables ; malheureusement… Cela ne marquera donc pas le titre mais ce n’est pas grave cette fois car on retient ce qu’il y a autour. Ainsi, on peut dresser un parrallèle intéressant avec un autre comic-book récent : Joker/Harley : crime sanity. Dans ce dernier, la proposition graphique prenait le pas sur l’écriture et l’enquête en elle-même avec Harleen profileuse. Ici, l’ex compagne du Clown est dans un rôle assez similaire mais c’est son évolution qui prend le dessus, son attachement, l’empathie grâce au talent de Katana Collins (couplé au travail du dessinateur Matteo Scalera et la colorisation de Dave Stewart, évidemment), romancière qui signe sa première BD ici. Pour chipoter, on peut pointer du doigt l’étrange « facilité » avec laquelle Harleen est acceptée et intégrée au GCPD, comme si elle n’avait jamais été réellement une criminelle plus tôt (c’est « un peu » le cas)…

C’est ce qu’explique Katana Collins en avant-propos pour justifier l’orientation polar psychologique et un mystère basé sur les relations humaines. « A l’époque on regardait la série Mindhunter, et c’est un peu comme ça qu’est née Harley la détective. […] Harely n’a jamais su qui elle était, elle oscille toujours entre de nombreuses personnalités, entre être une docteurs ou un arlequin. Maintenant c’est une mère. Elle peur s’adapter à tout. » Il était important qu’elle et Jack « ne se rencontreraient pas à Arkham. Ils ne se sont pas rencontrés en tant que le Joker et Harley, mais comme Jack et Harleen. » « Le cœur de l’histoire, ce sont les gens. C’est un mélange d’interactions humaines et d’émotions » ajoute Matteo Scalera, grand fan de Sean Murphy et ami proche du dessinateur. Scalera a essayé d’utiliser les angles de vue de Sean Murphy, combinés à son propre style.

Une formule gagnante tant les planches et les traits globaux rappellent en effet ceux de Murphy – gardant ainsi une certaine cohérence graphique dans l’univers – tout en proposant une touche plus « douce », moins rugueuse et « carrée/virile » de son maître. Cela ajoute indéniablement cette humanité évoquée plusieurs fois. Difficile de la retranscrire, c’est à la fois du ressenti (donc de la subjectivité) et du factuel (objectivité), observée entre autres par davantage de scènes « du quotidien » mixée à des émotions sur des visages peut-être plus expressifs que dans WK et CotWK. Scalera est le dessinateur de l’excellente série Black Science (disponible aussi chez Urban Comics), si le style vous a séduit, foncez dessus (ou, à l’inverse, si vous le connaissez et appréciez déjà, vous apprécierez son incursion batmanesque) !

On retrouve des allusions/hommages au film Batman de Burton (entre autres lors de la « création » de Napier en Joker) et des découpages pleine page qui sont un régal pour les yeux. La même équipe artistique avait signé un chapitre inédit dans Harley Quinn Black + White + Red (presque entièrement en noir et blanc, avec des touches écarlates). Cet épisode est inclus en fin d’ouvrage, se déroulant un peu plus tard que l’histoire principale, c’est donc un complément pertinent. Croquis, couvertures alternatives… sont au programme (habituel) des bonus de l’édition. L’ouvrage sort aussi en noir et blanc, à l’instar de ses deux prédécesseurs, en édition limitée.

Batman – White Knight • Harley Quinn poursuit la revisitation visionnaire du Chevalier Noir sous le prisme d’une Harley Quinn complètement différente de son image habituelle et c’est un vrai plaisir à lire ! Le livre rejoint même les coups de cœur du site et devient un indispensable pour tous les fans de la muse du Joker.

[A propos]
Publié en France chez Urban Comics le 29 octobre 2021.

Contient Batman: White Knight presents Harley Quinn #1-6 + Harley Quinn : Black + White + Red #6

Histoire : Katana Collins, Sean Murphy
Scénario : Katana Collins
Dessin : Matteo Scalera
Couleur : Dave Stewart

Traduction : Benjamin Rivière et Julien Di Giacomo
Lettrage : MAKMA (Sabine Maddin et Stephan Boschat), Moscow Eye

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