Archives de l’auteur : Comics Batman

Bat-Man – First Knight

Un titre audacieux proposé par le Black Label, véritable coup de cœur de cette rentrée ! Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
1939, le fascisme monte au lendemain de la Grande Dépression, alors qu’un Batman débutant arpente les rues de Gotham. Enquêtant sur une série de crimes, Batman réalise que chacun de ses suspects est en réalité mort et enterré. Avec pour seul allié James Gordon, enquêteur au GCPD, le Chevalier Noir va devoir lever le voile sur ces « criminels réanimés » et trouver le moyen de les arrête…

Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, le résumé de l’éditeur suffit amplement.

[Critique]
Encore des premiers pas de Batman ? Certes, mais cette fois complètement ancrés à la fin des années 1930 tandis que la Seconde Guerre Mondiale débute en Europe ! Les allusions à la traque des juifs, aux nazis et à Hitler sont légion. Sujet casse-gueule ? Certainement. Mais le scénariste Dan Jurgens s’en sort très bien (il était pourtant responsable de l’affreux Heure Zéro – Crise Temporelle il y a 30 ans !), sans jamais tomber dans le pathos ou la « facilité narrative ». Dans ce contexte très dramatique et réaliste de Grande Dépression (et de persécution des juifs) qui touche Gotham, le seul faux pas (éventuel) est cette idée d’utiliser une sorte de venin pour rendre des morts en vie comme des brutes zombies… Alors que de simples criminels/hommes de main du mystérieux antagoniste mystérieux suffisait à rendre l’ensemble tout à fait plausible.

Toutefois, ne boudons pas notre plaisir, suivre un Wayne solitaire (mais pas taciturne, au contraire, il est presque solaire !), convaincu des bienfaits de sa croisade, encore peu expérimenté et en quête d’alliés (il comprend vite qu’il n’y arrivera pas tout seul), couplé à un Gordon impérial dans cette itération austère et inédite se révèle passionnant ! On y côtoie même un peu du Hollywood de l’époque, de quelques sujets tabous et de la corruption grandissante. Impossible aussi de ne pas penser (si on l’a vu peu avant) à la nouvelle série d’animation Batman Caped Crusader, qui lorgne vers la même période et ambiance.

En trois longs épisodes (s’étalant sur 150 pages environ), on suit une enquête peut-être balisée mais efficace – ce n’est pas le plus important. Le grand soin accordé tant à l’écriture des personnages qu’à leur habillage graphique permet de fermer les yeux aisément sur les faiblesses qui apparaissent ici et là (dont ces fameux « morts vivants », montrés toutefois très rapidement, permettant à la fiction de ne pas changer de registre en cours de route, ce qui est toujours appréciable). Sans surprise, on aimerait en voir davantage dans cette nouvelle adaptation : les ennemis habituels du Chevalier Noir, ses autres alliés, son absence de haute technologie compensé par quelque chose (ici sa Batmobile est une banale voiture sombre), etc.

À cela, quelques réflexions sociétales font mouche, le cadre contextuel peu évident reste « juste » et la crédibilité de l’ensemble surprend (mis à part – peut-être – cette fameuse séquence d’une chaise électrique) mais… ce sont ces éléments du « merveilleux » qui confèrent toujours une aura si particulière au médium. Ici on est donc un brin entre l’ultra-réalisme (qui aurait peut-être été trop ascétique ou, à l’inverse, aurait permis à First Knight d’être un indispensable – il est un coup de cœur par défaut, ce qui reste déjà très honorifique !) et ce léger pas de côté improbable qui fonctionne parfaitement dans la bande dessinée néanmoins.

Surtout, il y a le talent évident et incroyable de Mike Perkins dessinateur et encreur, couplé à celui d’un autre Mike, Spicer, pour la mise en couleur. Les cases ajoutent cette dimension « réaliste » et humaine, dans une veine polar et pulp irréprochable. L’impression, aussi, de lire un titre indépendant tant il sort des sentiers battus des découpages et styles graphiques habituels. Comme toujours, en fonction de vos exigences, Bat-Man – First Knight pourra vous sembler à côté de la plaque parfois ou, à l’inverse, vous séduire totalement.

Peut-être que certains auraient préféré une dimension politique et historique encore plus prononcée mais l’équilibre trouvé par l’auteur est relativement « juste » pour ajouter ce côté « divertissant » bienvenu. Un texte en fin d’ouvrage sur le Batman « vintage » et les illustrations alternatives complètent ce titre qu’on recommande donc chaudement pour cette rentrée 2024 ! Urban aura presque pu sortir trois éditions pour avoir les trois couvertures de base (voir-ci dessous) mais leur choix reste parfaitement compréhensible et très bien.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 30 août 2024.
Contient : The Bat-Man – First Knight #1-3
Nombre de pages : 168

Scénario : Dan Jurgens
Dessin & Encrage : Mike Perkins
Couleur : Mike Spicer

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Éric Montésinos

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Justice League vs. Godzilla vs. Kong

Tout est dans le titre ! Découverte d’une bande dessinée qui assume totalement son côté blockbuster et fun !

[Résumé de l’éditeur]
L’univers DC est sur le point d’être bouleversé lorsque la Légion Fatale * ouvre un portail vers une autre dimension, libérant les monstres les plus féroces du multivers. Godzilla, le roi des monstres, a émergé des profondeurs de Metropolis, interrompant la demande de mariage de Superman à Lois Lane. King Kong affronte, quant à lui, les plus grands héros du monde sur son territoire, Skull Island. La Ligue de Justice pourra-t-elle renvoyer ces créatures dans leur propre dimension avant qu’il ne soit trop tard ?

* (nommée par erreur du Destin sur le site de l’éditeur)

Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, le résumé de l’éditeur suffit amplement.

[Critique]
Des rencontres improbables entre les héros de DC Comics et d’autres créatures iconiques, il y en a eu plusieurs (Aliens et Predator par exemple, on en reparlera), l’an dernier il y avait même eu une version jurassique de la Justice League (le bien nommé mais très moyen Jurassic League). Cette fois, c’est à la fois Godzilla mais aussi les monstres de cet univers partagé que vont affronter les justiciers, sans oublier le singe géant Kong ! À l’image des films de la franchise (voir affiches plus bas), on retrouve un côté complètement blockbuster assumé, sans prétention et avec un bon gros « plaisir coupable » !

Il faut dire que le récit ne nous propose pas qu’un seul antagoniste, il y a la Légion Fatale tout d’abord, emmenée par Lex Luthor et Black Manta en particulier, à l’origine indirecte de la venue des créatures géantes (la faute revient à… Toyman). Un autre groupuscule bien connu des fans de DC (et de Batman) va aussi s’emparer d’un élément en particulier pour une lutte finale explosive. Au-delà de ces vagues d’ennemis, on prend plaisir à suivre les différentes troupes à Gotham City, Central City et d’autres lieux habituels des super-héros pour combattre ces créatures dantesques. Mention spéciale à l’Atlantide et à la collaboration intensive de la Bat-Famille à Gotham !

Si le scénario de Brian Buccellato (Injustice – Année trois à cinq) n’est pas très fin, il se démarque quand il laisse Green Arrow et Supergirl explorer Skull Island et découvrir un potentiel allié de taille ! Mais qui dit singe géant, dit aussi… Gorilla Grodd, forcément. Les Titans et le Green Lantern Corps ne seront pas de trop pour venir en aide à la Justice League, plutôt dépassée par les évènements, d’autant que Superman est rapidement dans un sale état. Ne gâchons pas le plaisir de la découverte du reste. Les sept épisodes se lisent admirablement bien, c’est rythmé, dynamique, sans temps, bien équilibré sur ses presque 210 pages – sauf dans sa conclusion (celle-ci est ultra abrupte, une rapidité d’exécution qui dénoté avec le reste, comme s’il manquait quelques planches ou un huitième épisode, bizarre…).

Néanmoins, le fameux « divertissement » est là (surtout si, évidemment, vous êtes fan de Godzilla et Kong). Certaines planches sont impressionnantes (dont la toute dernière de cette critique, ne descendez pas jusqu’au bout pour ne pas gâcher l’éventuelle surprise – il y a un texte avant au cas où). Christian Duce (habitué à de courts segments à droite à gauche sur plusieurs titres Batman) œuvre sur la majorité du titre, parfois aidé par Tom Derenick (Justice League Rebirth…) – mis en couleur par Luis Guerrero. Les artistes arrivent parfaitement à montrer le gigantisme de la chose, la hauteur de simples humains et le charisme des monstres autant que leurs héros.

Qui aurait cru voir cela un jour ?! Clairement, l’idée d’un long-métrage surréaliste entre ces deux univers serait un régal même si ça n’arrivera jamais. On pourrait presque manger du pop corn en lisant ce comic… et d’une certaine façon, on ne demandait pas plus que ça, c’est suffisamment original et sympathique pour passer un bon moment et de loin une des lectures DC récentes les plus chouettes de ces derniers mois (ce qui en dit long sur la qualité des autres !). En somme, vous savez à peu près ce qu’il vous attend en lisant ce genre de choses et… c’est à peu près ce que ça donnera.

À noter un texte de Jérôme Wicky en fin d’ouvrage qui revient sur les autres affrontements entre les super-héros de DC et Kaijû de la pop culture avec différentes couvertures illustratives. On est plus dubitatif sur sa traduction d’un grognement de Lex Luthor en celui de Prunelle de Gaston Lagaffe

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 19 août 2024.
Contient : Justice League vs. Godzilla vs. Kong #1-7
Nombre de pages : 240

Scénario : Brian Buccellato
Dessin & encrage : Christian Duce (chapitres 1-7), Tom Derenick (chapitres 4-7)
Couleur : Luis Guerrero
Illustration des couvertures : Drew Johnson & Romulo Fajardo Jr.

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Makma (Gaël Legeard)

Acheter sur amazon.frJustice League vs. Godzilla vs. Kong (25 €)







Attention, l’image ci-dessous dévoile un des derniers combats de l’histoire.

Joker – L’Homme qui cessa de rire

On avait quitté le Joker il y a pile deux ans, à la fin du troisième et dernier tome de Joker Infinite (réédité pour l’occasion en une seule intégrale le 19 août 2024). Il est de retour dans L’homme qui cessa de rire, en vente depuis le 30 août 2024, suite qui peut se lire comme un récit complet. Long, inégal, parfois surprenant et appréciable, parfois décevant et pénible, découverte et critique d’un titre à la couverture séduisante (mais éloignée du contenu graphique et scénaristique).

[Résumé de l’éditeur]
Quand le chat n’est pas là, les souris dansent… L’absence du Joker à Gotham a laissé le terrain libre à ses plus fidèles rivaux, qui n’ont pas tardé à se partager le pouvoir sur les bas-fonds de la ville. Double-face, le Pingouin, le Sphinx ou encore Black Mask, aucun n’était préparé au retour du Prince Clown du Crime, et encore moins à sa vendetta. S’il ne peut pas reprendre Gotham, il prendra le contrôle des États-Unis !

[Contextualisation et introduction par Jérôme Wicky (traducteur habituel chez Urban mais qui n’a pas travaillé sur ce titre)]
Attention aux révélations des différents titres de l’ère Infinite ! Néanmoins ce texte revient très justement sur ce qu’il faut se remémorer.

Joker : l’éternel retour
Cet album nous présente le retour du Joker à Gotham, son territoire de prédilection. Mais où était-il passé depuis quelque temps ? Voici quelques clés pour s’y retrouver.

Commençons par BATMAN – JOKER WAR (collection DC Rebirth), série de trois albums [1] relatant le dernier grand coup du Clown Prince du Crime. Longtemps, le Joker a connu l’identité secrète de Batman, mais il préférait feindre l’ignorance pour obéir à sa propre fantaisie. Lorsque l’identité de Superman est révélée publiquement, le tueur livide change de paradigme et met à exécution un plan machiavélique pour s’emparer de la fortune de Bruce Wayne, alter ego de son meilleur ennemi. Le Joker peut ainsi armer et financer ses fans, de plus en plus nombreux. Ils se surnomment « les Clowns » et plongent Gotham dans une guerre civile. La saga s’achève par une confrontation entre le Joker et son ancienne amante et alliée, Harley Quinn, passée depuis du côté des anges. Harley lui tire une balle dans l’œil, mais le Joker survit et parvient à s’échapper.

[1] Voir les critiques sur ce site. L’on apprécie les deux premiers opus (tome 1 et tome 2 donc – ils n’ont pas de titres précis) et nettement moins le dernier (tome 3).

L’ombre du Joker plane sur BATMAN INFINITE (4 tomes, collection DC Infinite) [2], mais il n’y apparaît pas vraiment. On lui fait porter le chapeau d’un nouveau crime abominable, surnommé le « Jour An » par la presse: 500 pensionnaires de l’Institut Arkham pour malades mentaux (que le Joker a longtemps fréquenté) sont gazés par la fameuse toxine du Joker. Parmi les victimes figurent le célèbre colosse de Santa Prisca, Bane et Bily Sampson, membre d’une famille de richissimes cannibales texans, rejeton impie de Dallas et de Massacre à la Tronçonneuse.

[2] Là aussi, voir les critiques sur le site de cette série inégale. Les trois premiers volets se suivent (Lâches par essence, État de terreur (1ère partie), État de terreur (2ème partie), le quatrième est presque complètement indépendant (Abyss).

Le « Jour A» est la goutte d’eau qui incite l’opinion publique et les autorités, déjà éprouvées par la « guerre du Joker », à opter pour une politique sécuritaire s’opposant aux super-héros. Cette politique sera mise en œuvre par l’industriel Simon Saint, avec l’assentiment du maire Nakano, via son projet « Magistrat », et la création de cyborgs Peacekeepers voués à remplacer et à traquer la Bat-famille. Il sera plus tard révélé que Saint était associé à l’Épouvantail, ennemi de Batman passionné par l’étude de la peur. Le Chevalier Noir et ses amis triompheront de ces embûches et la situation reviendra à la normale. Pour autant, le Joker continue de manquer à l’appel.

On découvrira le fin mot de l’histoire dans JOKER INFINITE  (3 tomes, collection DC Infinite) [3]. Le Joker, qui porte désormais un œil de verre rouge suite à la blessure par arme à feu infligée par Harley, se cache au Bélize, dans une maison luxueuse fournie par « Le Réseau », société secrète offrant de tels services aux grands criminels. En guise de représailles au « Jour A », qu’il est censé avoir initié, sa planque est prise d’assaut par plusieurs ennemis : la famille Sampson, dont le patriarche veut le dévorer ; Vengeance, un clone féminin de Bane créé par le Réseau à la demande du gouvernement de Santa Prisca ; et enfin l’ex-commissaire Gordon, commandité par Cressida, fille d’un ancien membre de la Cour des Hiboux tombé en disgrâce. Ainsi débute une traque qui mènera Gordon aux trousses du Joker, de Majorque au Texas, en passant par Paris.

[3] Une fois de plus, les critiques sont disponibles pour les trois opus : La chasse au clown, Le faiseur de monstres et Du clown au menu. Comme dit en haut de cette page et curieusement omis dans ce texte de la part de l’éditeur, ces trois volumes ont été réédités en une seule intégrale (couverture à gauche – disponible pour 40 €) sortie une semaine avant Joker – L’homme qui cessa de rire. De quoi être ambigu sur le sujet et écouler les derniers stocks des tomes simples ? Bizarre… Quoiqu’il en soit, cette traque du Joker est globalement conseillée, surtout ses débuts et certains points de sa dernière ligne droite et malgré un ensemble qualitatif et graphique parfois hétérogène.

On découvre alors que Bane a feint sa propre mort et que, dans l’ombre, il a tiré les ficelles afin de provoquer le « Jour A » et faire accuser le Joker. Cressida, dont il a fait son bras droit, souhaitait également exposer au grand jour les exactions de la Cour des Hiboux et du Réseau pour venger son père et les mettre hors d’état de nuire. Elle sera finalement exécutée par le Joker, mais Gordon jurera de poursuivre son œuvre avec l’aide de son vieil ami, Harvey Bullock.

Depuis, on a revu le Joker dans l’actuelle série Batman écrite par Chip ZDARSKY, BATMAN DARK CITY. Les événements du présent album se déroulent parallèlement au tome 3 de cette série [4], dans lequel Batman se retourne contre sa Bat-famille, infligeant notamment à Jason Todd un traitement débilitant en le soumettant à une peur intense à chaque pic d’adrénaline.

L’un des thèmes récurrents de BATMAN DARK CITY est le dédoublement de Batman… et celui du Joker, qui y apparaît sous diverses formes, multipliant les personnalités. JOKER – L’HOMME QUI A CESSÉ DE RIRE s’inscrit dans la même thématique, comme vous le constaterez dès la fin du premier chapitre. Deux Jokers pour le prix d’un ? Attention, il y a de quoi s’y perdre !

[4] Pas besoin de renvoyer vers toutes les critiques de Dark City et cette mention au troisième tome ne sert qu’à justifier une seule planche en fin d’ouvrage de L’homme qui a cessé de rire (à propos de Red Hood) et, éventuellement et indirectement pourquoi Batman est peu présent.

[Début de l’histoire]
Le Joker
est de retour à Gotham, face aux bandes de Double-Face, du Sphinx et de Black Mask. Il préfère ne pas les affronter mais tue quelques prisonniers dont un homme sous une cagoule.

Cet homme survit pourtant et s’avère être le parfait sosie du Joker ! À moins qu’il s’agisse de l’originel ? Qui est ce double ?

L’autre Clown Prince du Crime décide de s’attaquer à… Lost Angeles. Tandis que le « second » Joker tâche de redevenir le pire criminel dans Gotham.

Pour Red Hood, l’occasion est trop belle pour enfin se venger de son ennemi juré !

[Critique]
Que c’est long ! Douze interminables chapitres (et leurs back-ups), sans compter les deux épisodes de Knight Terrors à la fin du livre de presque 500 pages ! Est-ce que The Man Who Stopped Laughing (son titre VO) méritait autant de pages ? Certainement pas. Le récit écrit par Matthew Rosenberg (qui a signé quelques parties de Batman Detective Infinite et Joker Infinite, justement) se perd souvent dans des morceaux narratifs guère passionnants et parfois confus (on s’y perd – volontairement a priori – entre les deux Joker, pas forcément déplaisant mais un peu pénible sur la longueur) et est trop bavard, verbeux. Il accole (surtout dans sa première moitié) des bulles de pensées narratives en complément de séquences où l’on lit des dialogues. On se surprend à feuilleter les pages et lire d’abord l’un des textes puis le suivant, preuve qu’il y a un manque de fluidité et d’intelligibilité dans ce procédé faussement complexe et, in fine, un peu inutile…

Néanmoins, il y a de bonnes choses dans ce Joker – L’homme qui cessa de rire. Tout d’abord on retrouve le célèbre némesis de Batman complètement imprévisible et violent ! Car si le Joker est un « méchant » d’anthologie, ce qui le démarque dans bien des cas et sa cruauté et son côté inattendu. Il veut tuer un homme de main sur un coup de tête ? Un civil ? Un simple passant ? Un journaliste ? Allez c’est parti ! C’est fortement appréciable de revoir cette figure du Mal renouer avec cette véritable folie. Et, comme dit plus haut, vu qu’il y a deux Jokers on en a carrément deux fois plus ainsi !

En outre, le parcours croisé des deux Jokers (jusqu’à leur confrontation et l’explication finale) est plutôt haletant même s’il aurait pu être raccourci. L’un virevolte avec des personnages de seconde zone, l’autre s’allie avec Solomon Grundy et se tape avec Killer Croc. N’en dévoilons pas trop mais partez du principe que les figures emblématiques habituelles de la mythologie du Chevalier Noir, fièrement mises en avant dans le résumé de quatrième de couverture, n’apparaissent pas (à l’exception des trois nommés dans le début de l’histoire et de façon très éphémère). Il en est de même pour Batman, totalement absent de l’aventure. Seul Red Hood occupe une place de choix et, à ce sujet, ses fans devraient y trouver leur compte, tant la quête de vengeance de Jason Todd se poursuit encore de façon plus intense ici.

Malgré tout, Joker – L’homme qui cessa de rire déçoit dans sa conclusion sur « l’identité » du second Joker : une énième idée bordélique et improbable qui aura – peut-être – des répercussions dans la sacro-sainte continuité. Au moins il y a une explication, on craignait qu’il n’y ait rien du tout après tout ce temps passé à lire les déboires respectifs des Jokers et après un contenu fortement inégal. La faute aussi à un rythme de lecture complètement cassé par des back-ups inutiles. Chacun d’entre eux se déroule après un épisode et propose une petite histoire sur le Joker avec deux de ses hommes de main – qui meurent presque systématiquement. L’on y suit un Joker amoureux (de différentes femmes héroïnes !) ou partiellement démuni. C’est amusant au début, une fois, deux fois… avant d’être lassant et gâchant complètement l’harmonie scénaristique. Pire : l’on pouvait croire y déceler des explications sur le fameux double du Joker à plusieurs reprises (multivers ? clone ? sosie ?) mais il n’en est rien.

Un conseil donc : pourquoi pas lire tous ces back-ups avant ou après l’histoire principale ? Notons que le dernier est directement incrusté dans un chapitre, faisant office d’une bande dessinée lue par un enfant puis par le Joker (mais, encore une fois, ça n’a aucun impact sur l’œuvre globale). En lisant « à la suite » les simples douze épisodes de L’homme qui cessa de rire, on devrait les apprécier davantage. Mais est-ce que cela vaut 40 € ? Honnêtement non… Débat toujours délicat (et subjectif) que celui du rapport à l’argent par rapport à la qualité d’un livre (et son nombre de pages parfois).

Heureusement, les dessins de Carmine Di Giandomenico (vu et apprécié dans Batman – The Knight), mis en couleur par Arif Prianto, offrent une solide proposition graphique (et complètement homogène tout au long de la fiction – un sacré point fort !) qui épouse plutôt bien le récit quand celui-ci est dans ses meilleurs segments. Il y a de l’action, du mystère, de l’humour (noir), des choses relativement singulières (le Joker à Los Angeles !), des personnages secondaires plutôt inhabituels (Kate Spencer/Manhunter…) – cf. dernière image de cette critique, qui en dévoile un petit peu, attention donc si vous descendez pour les voir, un texte averti avant – et quelques autres bons éléments.

Malheureusement ils sont mal dosés, mal équilibrés et racontent, in fine, quelque chose de bordélique (à l’image du Joker), partiellement pertinent. Les back-ups sont majoritairement de Francesco Francavilla (Sombre Reflet, Joker Infinite…) aux dessins et à la colorisation (remplacé deux fois par Will Robson / Hi-Fi avec Ryan Cady à la co-écriture toujours avec Rosenberg) et offrent aussi de jolies séquences visuelles très psychédéliques mais, comme dit juste avant, sans grand intérêt en marge de l’arc principal.

En somme, si on avait juste eu les épisodes principaux sans rien d’autres pour 25 € environ (peut-être un peu plus ou un peu moins), on aurait conseillé Joker – L’homme qui cessa de rire. Pour 40 €, on a plutôt tendance à conseiller un emprunt en médiathèque, d’autant que si le titre « révolutionne » (toutes proportions gardées) le Joker, dans l’immédiat cela semble moins marquant (et prenant) que d’autres avant lui (incluant les plus clivants comme Trois Jokers – qui explorait aussi cette idée de plusieurs Jokers mais d’une façon totalement différente et pas forcément « bonne » pour autant). Ajoutons la très chouette galerie habituelle des couvertures alternatives en clôture du volume qui vaut aussi le coup.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 30 août 2024.
Contient : Joker The Man Who Stopped Laughing #1-12 + Knight Terrors : Joker #1-2
Nombre de pages : 488

Scénario : Matthew Rosenberg, Ryan Cady
Dessin & encrage : Carmine Di Giandomenico, Francesco Francavilla, Will Robson, Stefano Raffaele (Knight Terrors)
Couleur : Arif Prianto, Romulo Fajardo Jr., Nick Filardi, Hi-Fi

Traduction : Xavier Hanard
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Tess Brunet et Roy Lorine)

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Attention, l’image ci-dessous révèle certaines choses de la fin de l’histoire.