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Batman Detective Infinite – Tome 04 : La Tour d’Arkham | 2ème partie

Suite et fin de La Tour d’Arkham (cf. tome 3) mais aussi de l’entièreté de la série Batman Detective Infinite ; critique et bilan.

[Résumé de l’éditeur]
La tour d’Arkham a tenu ses promesses… pendant quelques jours seulement. Le Dr Wear et le mystérieux Dr Ocean commencent à perdre le contrôle de leurs patients – qui se trouvent être les plus violents meurtriers de Gotham – et des irruptions de violence spontanées éclatent. Qu’ils soient infiltrés à l’intérieur de la tour ou essayant de circonscrire le danger qu’elle représente à l’extérieur, la Bat-Famille a fort à faire pour tenter de percer les secrets de la tour, et d’éviter que sa folie ne se déverse sur la ville.

[Critique]
Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, c’est amplement suffisant. Ce quatrième et dernier opus compile d’ailleurs trois récits : la suite et fin de La Tour d’Arkham (six chapitres), Les Sept (trois épisodes) et House of Gotham (les back-ups poursuivant cet excellent récit entamé dans le tome précédent). La Tour d’Arkham occupe donc une place importante (aussi bien la fiction que le lieu en lui-même dans le livre) et permet de conclure plus ou moins correctement ce qui était annoncé depuis le deuxième opus. En synthèse : la machination orchestrée par Wear et son complice, le fameux Psycho Pirate, est déjouée par les alliés du Chevalier Noir.

On retrouve une narration assez convenue bien qu’elle continue de ne pas être chronologique avec une mise en avant agréable de la Bat-Famille infiltrée de différentes façons dans le fameux bâtiment. Quelques surprises sont au rendez-vous (difficile d’en dire davantage sans gâcher un peu l’immersion) mais la finalité revient toujours à l’éternel statu quo habituel, malgré l’absence de lieux emblématiques (le Manoir Wayne et l’Asile d’Arkham donc) ainsi que ce qui est plus ou moins bien exploré dans les séries Batman Infinite et Batman Detective Infinite depuis quelques temps : Wayne n’est plus milliardaire (mais ça ne change quasiment rien à ses aventures), Gotham tente toujours de se rétablir des milliers de problèmes inhérents à la ville (ses fous, ses meurtriers, ses attentats…). En soit c’est donc mi-figue, mi-raisin.

Mariko Tamari renoue avec ses bons éléments de l’opus précédent : une dimension chaotique et une place importante aux alliés de Batman. Les dialogues fonctionnent bien à défaut de l’intrigue globale toujours plus ou moins « classique » même si on apprécie, par exemple, le retour de l’Épouvantail et son fameux look si singulier de l’ère Infinite. Harley Quinn (on n’a toujours pas compris si c’était la vraie ou non) est présente aussi et ajoute une certaine légèreté bienvenue. Sur les quatre volumes, on conseillerait donc uniquement les deux derniers, formant un tout complet et globalement agréable (malgré la perception peut-être sévère de prime abord de la critique du volet précédent et de celui-ci ; tout n’est pas parfait mais en lecture « à la suite » c’est quand même pas trop mal avec un rythme prenant – mais attention, il faudra débourser 45 € mine de rien !).

Côté dessin, les premiers chapitres sont à nouveau de Max Raynor (deux épisodes) puis Amancay Nahuelpan (cinq chapitres). Ivan Reis s’occupe de la suite (cf. ci-après). L’ensemble est homogène visuellement même si moins soigné que le précédent volume (Reis y occupait une plus grande place) mais Nahuelpan n’a pas à rougir. La partie brutale et (souvent) épique fonctionne bien, que ce soit dans les combats, les chutes ou les poursuites. Quelques poses iconiques font mouche et la colorisation (Luis Gerrero puis Jordie Bellaire) apporte l’aspect « comic book » idéal.

Le titre Les Sept (co-écrit avec Nadia Shammas) place Le Sphinx comme nouvel antagoniste de cette enquête en trois chapitres plutôt intrigante et « indépendante » avant d’être connectée au récit sur la Tour d’Arkham. Une sorte de « seconde conclusion » pas inintéressante mais pas non plus flamboyante ou passionnante. On apprécie en revanche le côté détective de Batman et la présence de Bruce en civil plus prononcé même si l’ensemble est un peu rapide. Comme souvent, il subsiste aussi cette sensation de rester sur notre faim/fin : la fiction devrait amener à une suite (peut-être développée dans Batman Nocturne – premier tome prévu en juillet – mais il s’agira d’un tout autre run d’un nouvel auteur, Ram V, alors cela étonnerait). Quid des conséquences ? Quid de Nakano ? Quid du parasite et de quelques éléments soulevés au début de la série (le fameux parasite) ?

Reste une histoire joliment dessinée (par Ivan Reis, en grande forme – cf. image ci-dessous et, surtout, celles en seconde partie de la sélection sous la critique, les quatres avec Batman) qui devrait satisfaire les fans du Riddler et de Talia al Ghul, revenant éphémèrement aux côtés de Batman pour l’occasion qui, lui, tient à nouveau le premier rôle dans ce segment. On retrouve aussi Deb Donovan, la journaliste assez présente au début de la série. C’est un complément important qui a toute sa légitimité dans le volume même si la position atypique du Sphinx pourrait être tenue par quelqu’un d’autre. Lui aussi bénéficie d’un nouveau look pour le moins amusant.

À l’instar du volume précédent, c’est plutôt la suite (et fin) des back-ups (House of Gotham) qui est pertinente. On retrouve donc le jeune garçon (toujours sans prénom) dont les parents avaient été tués par le Joker « grandir » dans Gotham City. Cette fois, il croise Bane (durant la saga Knightfall) et doit survivre et s’émanciper à sa façon quand la ville est coupée de tous (durant No Man’s Land, évidemment) ; de quoi revisiter les temps forts de la chronologie de Batman en ajoutant d’autres ennemis plus ou moins secondaires (Killer Croc en tête mais d’autres apparaissent) et bien sûr certains alliés ou antagonistes mythique (Jean-Paul Valley, Huntress…). L’adolescent inconnu poursuit sa survie en comprenant mieux les méandres de la ville et son fol espoir d’être à l’équilibre entre le Bien et le Mal (bien sûr, c’est plus complexe que cela).

Les trois Robin (Dick, Jason et Tim) sont également présents, les échanges entre tout ce beau monde sont percutants, la fiction se permet même quelques retournements de situations pas trop prévisibles et seule sa fin un brin abrupte (mais également « forte ») peut décevoir. Comme on le soulignait dans la critique de la première partie, c’est un titre qui mériterait totalement une publication à part ; ce n’est peut-être pas assez « vendeur » pour de la librairie mais en terme de contenant on y retrouve un peu plus de 120 pages (soit… deux One Bad Day !) alors ce n’est pas inenvisageable (et rejoindrait instantanément les coups de cœur du site). À défaut d’être accessible dans un seul livre relié et non en complément d’une autre histoire, délicat de conseiller l’achat de deux volumes (soit 45 € tout de même) pour savourer « principalement » cette histoire connexe si le reste ne vous séduit pas…

Une fois de plus on apprécie fortement les sublimes couvertures des chapitres d’Irvin Rodriguez et cette folle impression de photo-réalisme (cf. première ligne ci-après). Malheureusement Urban en propose moins en fin d’ouvrage dans les traditionnels bonus, il y en a qu’une seule de Lee Bermejo par exemple (non proposée ci-dessous, il s’agit donc de trois VO inédites) – cliquez pour agrandir et sauvegarder si vous le souhaitez 😉
Ce curieux choix provient peut-être du coût de fabrication (et donc de vente) du livre qui aurait passé un palier de nombre de pages additionnelles et, de facto, un prix encore plus élevé…


[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 février 2024.
Contient : Detective Comics 1053-1061 + back-ups

Scénario : Mariko Tamaki, Nadia Shammas, Matthew Rosenberg
Dessin & encrage : Max Raynor, Amancay Nahuelpan, Ivan Reis, Fernando Blanco
Encrage additionnel : Danny Miki
Couleur : Luis Gerrero, Jordie Bellaire, Brad Anderson

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Michaël et Stephen Boschat)

Acheter sur amazon.frBatman Detective Infinite – Tome 04 : La Tour d’Arkham | 2ème partie (24 €)





(À noter que dessin a été repris pour la couverture de ce quatrième tome
(tout comme celle du troisième était déjà une image provenant de la série – et issue du deuxième volume).)

Batman Detective Infinite – Tome 03 : La Tour d’Arkham | 1ère partie

Après un premier tome sympathique mais inégal et un second étrangement découpé, la série Batman Detective Infinite entame sa dernière ligne droite en mettant la fameuse Tour d’Arkham au centre de son histoire et qui donne son titre aux deux derniers tomes.

[Résumé de l’éditeur]
L’asile d’Arkham est tombé et, avec lui, son histoire sombre et tordue. Mais pour le remplacer, une nouvelle institution – la tour d’Arkham – est érigée en plein cœur de Gotham sous l’impulsion du Dr. Wear. Celui-ci promet que ses méthodes et ses traitements pourront en finir une bonne fois pour toutes avec les comportements psychotiques et criminels qui rongent la cité maudite – des promesses accueillies avec la plus grande méfiance par la Bat-famille. Et avec Batman loin de la cité, ce sera à ses co-équipiers de démêler le vrai du faux, et d’agir avant que la situation ne devienne… explosive.

[Début de l’histoire]
Le Dr. Wear est proche d’obtenir des fonds financiers pour consolider son programme à la Tour d’Arkham. Il convoque le maire Nakano et l’élite de Gotham afin de prouver ses dires : le criminel Nero XIX (qui avait attaqué Nakano) semble guéri et montré à l’assemblée.

Wear travaille avec le Dr. Ocean et tous deux ont donc conçu un traitement qui stabilise voire guéri les problèmes mentaux de leurs patients. Le Dr. Meridian Chase, envoyée par Bruce Wayne a des doutes, ainsi que les alliés du Chevalier Noir qui s’infiltrent à l’intérieur de la Tour.

Dans un flash-forward, un peu plus de trois semaines après l’inauguration de la Tour, Wear est lancé à travers la fenêtre… Que s’est-il passé pour que tout dégénère ?

[Critique]
Les fondations de la Tour d’Arkham furent brièvement décrites dans le tome précédent et c’est son « exploitation » qui est conté ici. Le début est (comme souvent) réjouissant : le fameux Dr. Wear et son mystérieux acolyte le Dr. Ocean semblent avoir trouvé un remède miracle pérenne pour guérir les nombreux patients (on retrouve d’ailleurs quelques têtes connues comme Mr. Freeze parmi eux). Bien sûr il y aura une révélation (voir paragraphe suivant, passez à celui d’après (sous l’image) pour ne pas la connaître) qui gâchera un peu l’ensemble… Le lecteur n’est pas dupe mais apprécie le jeu temporel (la narration n’est pas linéaire) et les multiples protagonistes de la Bat-famille qui opèrent tour à tour à l’intérieur ou extérieur de la Tour : Nightwing, Batwoman, les « Batgirls » Orphan et Spoiler, Oracle, Huntress…

L’on se doute assez rapidement que Wear cache quelque chose de « mauvais » et la solution scénaristique trouvée est un peu facile (voire paresseuse). Il s’agit tout simplement du Psycho-Pirate qui manipule les esprits de tout ce beau monde mais qui – évidemment – ne peut les contenir éternellement. On retombe donc dans les travers éculés et aisées de l’hypnose mentale (quand ce n’est pas la magie) pour justifier l’injustifiable… C’est relativement cohérent au sein de l’univers DC bien sûr et même dans celui de Batman mais c’est dommage d’aboutir à cela. D’autant plus que cet antagoniste a effectué des choses bien plus « graves » et fut au cœur (par exemple) de Crisis on Infinite Earths, on a du mal à l’imaginer s’empêtrer dans le stratagème de Wear uniquement pour… gagner de l’argent !

Le but de Wear est (en effet) banalement de soutirer de l’argent à Nakano (vite en retrait après une interaction au début) avec cette manigance surréaliste. Pourquoi pas… à voir comment cela est exploité dans le quatrième et dernier tome, peut-être qu’il y a d’autres raisons plus intéressantes (spoiler/mise à jour : non). Toute cette partie est donc à la fois déceptive mais fait aussi sens, même si on pouvait s’attendre à quelque chose de plus stimulant et original. Néanmoins, la fiction se lit aisément et même avec un certain entrain, l’écriture est solide (dans le sens où on a envie de tourner les pages et voir ce qu’il se passe) et les dessins d’Ivan Reis très agréables (on y reviendra).

Attention, si Batman est présent sur la couverture (c’est d’ailleurs une image du second tome reprise et non une « vraie » couverture), il n’apparaît pas beaucoup dans ce tome. Ses alliés nous font comprendre qu’il s’est éclipsé (sans raisons réellement concrètes ou évoquées) – il faut se tourner vers le quatrième et dernier tome de Batman Infinite pour savoir pourquoi (en gros, Batman quitte Gotham pour prouver l’innocence de ses autres alliés (de Batman Inc.)). Il y a une brève mention de l’éditeur mais ce n’est pas forcément compréhensible pour les non connaisseurs.

C’est donc la Bat-famille qu’on suit, comme évoqué plus haut, est force est de constater que leur travail d’équipe et parfois complicité fonctionne très bien. Huntress est toujours présente, internée (plus ou moins) volontairement et toujours en proie à ses visions cauchemardesques. Cela permet de conserver une certaine homogénéité depuis sa première apparition dans le premier volume (et le fameux parasite toujours un peu évoqué). Il est plaisant également de (re)trouver Meridian Chase en comics, il s’agit évidemment de la transposition du célèbre rôle portée par Nicole Kidman dans Batman Forever. Ici, la médecin est bien plus intéressante et ne sert pas de faire-valoir romantique et sexuelle à Bruce (elle était déjà apparue dans quelques autres bandes dessinées mais de façon marginale).

Mariko Tamaki poursuit son run avec une proposition un brin original, met en avant davantage de seconds rôles que Batman (et c’est une bonne chose), beaucoup de figures féminines (c’est également un bon point) mais se loupe un peu dans l’intrigue globale et le côté, in fine, plutôt convenu par cet aspect. Elle peine à proposer des antagonistes forts malgré la menace réelle de la folie de l’ensemble. Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas non plus follement passionnant. Ça fait complètement le travail pour un « divertissement » et une lecture à peu près plaisante (bien aidé par la patte graphique impressionnante de l’ouvrage).

Le talentueux Ivan Reis (Aquaman, Green Lantern, Justice League…) tire la titre vers le haut grâce à son trait remarquable, fin et aéré. L’artiste propose autant de séquences d’action (parfois très brutales) que d’autres plus posées, très bien aidés par des jeux d’ombre et lumière qui collent bien au thème. Le célèbre Brad Anderson opère à la colorisation avec brio, donnant autant un aspect « comic book » que – parfois – des pleines planches ou poses iconiques dignes quasiment indépendantes. Le binôme (ou plutôt trinôme car Danny Miki gérait l’encrage) est remplacé par Max Raynor aux dessins et Luis Gerrero aux couleurs sur les deux derniers épisodes. Si l’ensemble est relativement correct, il confère une patte plus artificielle dans ses palettes chromatiques (cf. image ci-dessus et ci-après) et moins épique dans des séquences qui se veulent flamboyantes et dynamiques mais restent un peu statique. Un peu dommage…

En substance avoir un manoir d’Arkham (explosé dans le Jour-A – cf. Batman Infinite – Tome 1) ou une tour ne change pas grand chose à ce qu’on voit à l’intérieur : des cellules, des bureaux, des infirmiers, des patients/prisonniers, etc. Il y avait l’inédite verticalité à utiliser dans ce récit et ce n’est pas le cas, dommage… D’une manière générale (sur l’ère Infinite), à force d’enlever des éléments, personnages et lieux notables à la mythologie du Chevalier Noir, on se demande comment il va être réinventé ou revenir à quelque chose de plus « familier ». Alfred n’est plus, le manoir Wayne et l’asile d’Arkham non plus, la fortune de Bruce dilapidée, la plupart de ses ennemis se sont adoucis, les nouveaux personnages conçus (GhostMaker, ClownHunter, Punchline…) manquent de consistance, bref, c’est une étrange période pour le Chevalier Noir !

« Heureusement », la fin de l’ouvrage renferme des fragments d’un passé lointain sous forme d’une histoire (proposée en backs-up initialement), House of Gotham, qui suit un jeune garçon (son nom n’est jamais mentionné) dont les parents sont tués par le Joker avant que Batman n’intervienne. L’enfant vadrouille ensuite entre Arkham où il croise Gueule d’Argile, des orphelinats et devient même employé par Le Pingouin ! Tout en grandissant il cotoie plusieurs Robin (Dick puis Jason) et son récit (de 60 pages malgré tout !) se terminera lui aussi dans le prochain tome.

Ce segment (écrit par Matthew Rosenberg, dessiné par Fernando Blanco – au style détonnant avec le reste, bien plus sombre et proche d’une bande dessinée européenne) est limite meilleur que les six chapitres de l’histoire principale qui l’ont précédé ! On renoue avec la mythologie habituelle de Batman, avec ses célèbres vilains vraiment cruels et meurtriers, sa Gotham poisseuse et la trajectoire d’un innocent visé à être brisé. En attendant sa suite et fin, c’est peut-être quelque chose qui aurait mérité une publication « à part » (elle n’a rien à voir avec La Tour d’Arkham) à moins qu’elle soit choisie pour être le recueil en noir et blanc du mois Batman (septembre) tant ce titre semble acclamé. À suivre…

Un point important : les sublimes couvertures des chapitres d’Irvin Rodriguez valent le coup d’œil par leur impression de photo-réalisme. Sans oublier les habituelles et tout aussi magnifiques dans son style, de Lee Bermejo en fin d’ouvrage (ainsi que d’autres, Jorge Molina notamment – à l’occasion du chapitre #1050), cf. sélection ci-dessous – cliquez pour agrandir et sauvegarder si vous le souhaitez 😉

 

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 04 novembre 2022.
Contient : Detective Comics #1047-1052 + backs-up

Scénario : Mariko Tamaki, Matthew Rosenberg
Dessin : & encrage : Ivan Reis, Max Raynor, Fernando Blanco
Encrage additionnel : Danny Miki
Couleur : Brad Anderson, Luis Gerrero, Jordie Bellaire

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Michaël et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.frBatman Detective Infinite – Tome 03 : La Tour d’Arkham | 1ère partie (21 €)


 

Batman : Detective – Tome 4 : Un cœur hideux

Après deux tomes très moyens (Mythologie et Médiéval) et un troisième plus réussi mais inégal (De sang-froid), Urban Comics nous propose un opus en demi-teinte : une couverture un brin mensongère (c’est Double-Face qui au cœur de l’ouvrage et non le Joker), plusieurs histoires indépendantes (dont une non publiée dans Batman Bimestriel et donc inédite jusqu’à présent) et une composition étrange… Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Alors que Mister Freeze déchainait des vagues de froid sur Gotham pour récupérer sa femme, Nora, Batman finit par réussir à le neutraliser et le remettre à sa place : l’Asile d’Arkham. Mais dans l’ombre, une nouvelle menace grandit. Harvey Dent joue à Pile ou Face avec le destin des citoyens de Gotham, et créé une secte pour mener la ville à sa perte…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de décrire davantage, mieux vaut se tourner vers la critique ci-après pour découvrir chaque segment narratif proposé…

[Critique]
Difficile de comprendre la logique de composition de cet avant-dernier tome de la série Batman : Detective. Un cœur hideux se divise de la façon suivante : Prologue (Detective Comics Annual #2), Survivor – très proche du titre d’un arc du tome précédent – en deux chapitres (Detective Comics #1018-1019), Un cœur hideux en trois épisodes (Detective Comics #1020-1022), interrompu après seulement un épisode par un interlude (le Detective Comics Annual #3 – qui n’a strictement rien à voir avec le reste de l’histoire) et, enfin, Prélude à Joker War découpé sobrement en quatre parties (Detective Comics #1023-1026) dont la première moitié fait suite à Un cœur hideux. Quel bazar !

Il convient donc de décrire chacune de ces quatre histoires – dont la dernière se déroule quasiment sur trois axes distincts – afin de mieux cerner l’ouvrage et comprendre de quoi il en retourne. Tout est à nouveau écrit par le scénariste Peter Tomasi, à moitié coincé entre les obligations éditoriales (de Joker War) et son run qu’il tente tant bien que mal de rendre indépendant entre chaque volume, cassant à la fois un rythme déjà décousu mais permettant de ne pas « tout lire » et ne garder que le meilleur. Problème : à part l’histoire avec Freeze dans le volet précédent, il n’y a pas grand chose à sauver au global. C’est un peu pareil ici, les complétistes apprécieront les connexions à Joker War mais regretteront le passage à la caisse onéreux pour lire uniquement cela – on en reparlera.

Dans Prologue, l’auteur nous emmène en Grèce où Bruce Wayne/Batman retrouve… le Faucheur ! Le charismatique ennemi instauré dans Year Two / Année Deux semble en effet de retour. Travis Moore et Max Raynor croquent cette enquête pleine d’action avec une certaine élégance et une production relativement mainstream. Visuellement, c’est donc agréable. Scénaristiquement c’est plus délicat : l’identité de ce nouveau faucheur est connecté au précédent mais avec une création propre à la fiction donc un élément sorti de nulle part… De quoi user d’un élément retcon (continuité rétroactive – insérer un personnage ou autre dans une suite d’histoire en faisant croire qu’il était là depuis le début).

Ce n’est pas forcément gênant en soi mais ici c’est très frustrant car Prologue ne débouche sur rien d’autre que l’introduction de ce « nouvel » antagoniste. Batman ne l’arrête pas et on ne le revoie plus du tout ensuite (dans le tome) alors qu’il a été présenté en ouverture du livre. De même que Sophia Zervas, visiblement ancienne relation de Bruce Wayne, qui apparaît comme si le lecteur la connaissait de longue date (alors qu’elle a été créée pour cet épisode) puis est mise en retrait… Là aussi c’est dommage, à moins que tous deux (Sophia et le Faucheur) reviennent ultérieurement ? Seul le fameux « dossier noir » – carnet où Batman consignes ses aventures non résolues, relevant d’intrigues surnaturelles ou étranges, conçu par Grant Morrison dans sa saga – reviendra dans le tome suivant. Dans tous les cas, cet épisode n’a pas vraiment sa place ici, complètement indépendant du reste et n’apportant rien à l’opus en lui-même…

Survivor (plus justement nommé Hiver mortel dans Batman Bimestriel) est probablement le pire segment du livre voire de la série. On y suit un viking (!) puis une secte parlant islandais et adorant une sorte de Dieu démoniaque, qui se matérialisera à Gotham sous une forme de créature géante. Les dessins de Scott Godlewski ne sauvent pas la bande dessinée, assez plate et improbable. Batman affronte l’ensemble et on enchaîne sans rien retenir de ce court récit si ce n’est la solitude du milliardaire devant compenser avec l’absence d’Alfred – tué en parallèle dans l’autre série Batman, dans le douzième et dernier tome de Batman Rebirth. Là aussi, on est surpris du manque de contextualisation d’Urban Comics car dans l’histoire précédente (Prologue), Alfred était bien présent (normal, elle a été publiée avant… mais il faut le savoir !). Il est nécessaire d’attendre l’interlude quelques pages plus tard, consacrés à Alfred, pour comprendre ce qu’il s’est passé.

C’est en effet le chapitre Detective Comics Annual #3, jamais publié auparavant, qui donne la part belle au célèbre majordome. Pas de sanglots ou tristesse aisément mise en scène mais un épisode hommage pas trop mal où Bruce Wayne rencontre l’agent Marigold Sinclair, ancienne co-équipière d’Alfred. On navigue dans le passé avec un Pennyworth en action et dans le présent avec une mission s’y connectant où le Chevalier Noir en costume prend le relai. Si le chapitre ne révolutionne pas la mythologie de Batman (ou d’Alfred), il propose une parenthèse sympathique – agréablement croquée par Sumit Kumar puis une courte seconde par Eduardo Risso (Cité Brisée…), étonnamment pas crédité – et délicatement émouvante sans tomber dans le pathos. En revanche, on s’étonne de la voir proposée au beau milieu des trois chapitres d’Un cœur hideux centrés sur… Double-Face !

En effet, Tomasi reprend Harvey Dent pour une aventure en demi-teinte. On retrouve Double-Face toujours tiraillé entre sa personnalité maléfique et bienveillante, cette fois accompagné… d’une secte. L’ancien procureur semble être un gourou criminel avec plusieurs sbires à ses ordres. Au lieu d’avoir des hommes de main « classiques », Double-Face a réellement des malfrats adeptes d’une croyance « au nom de nous deux » (forcément), formant un tout unique. Un délire assez ridicule (même après les vikings chamaniques) qui n’a pas vraiment sa place dans l’aventure…

Le scénario gagne en intérêt essentiellement dans sa conclusion, quand il est connecté à un autre titre du même scénariste (Batman & Robin – Tome 5 avec la tentative de suicide de Dent) et, surtout, quand on comprend que le Joker a mis une puce dans le cerveau de Dent grâce à Strange, ouvrant l’ensemble sur les prémices de Joker War. Graphiquement, c’est Brad Walker qui officie sur Un cœur hideux, livrant de belles propositions avec, entre autres, un visage de Double-Face proprement… hideux. C’est ce qu’on retient surtout du titre : les dessins et sa fin…

Dans la première partie de Prélude à Joker War, on suit le Clown Prince du Crime ouvrir la tombe de Lincoln March, célèbre ergot de la Cour des Hiboux. En même temps, Batman poursuit son enquête sur L’Église des Deux (initiée par Double-Face) et, après avoir croisé Hugo Strange et le Chapelier Fou, il renoue avec Harvey Dent, porteur de l’armure robotique de Batman, à l’époque où c’était Gordon qui l’endossait (cf. La Relève et ce costume high-tech surnommé Chappie).

La deuxième partie – intitulé Terrible symétrie dans la version kiosque mais pas dans la version librairie – montre tout ce beau monde s’affronter (les ergots, Batman, Double-Face en armure, etc.). Le Joker observe au loin, fier d’avoir utilisé plusieurs sérums (le sien, celui de la Cour des Hiboux…) pour concevoir ce « début de chaos ». Mais le plus intéressant reste la conclusion de l’arc sur Dent qui arrive à terme après cinq épisodes donc, lui rendant une humanité intéressante. C’est à nouveau Brad Walker qui dessine ces deux épisodes, offrant une homogénéité graphique à tout l’arc sur Dent, mais très inégal côté écriture…

Vient ensuite la troisième partie de Prélude à Joker War (nommée L’attaque des entreprises Wayne dans Batman Bimestriel) où Batwoman est propulsée au cœur du récit dans « la zone de guerre » de Gotham créée par le Joker. Comment ? Pourquoi ? On ne le saura pas vraiment… Il semble y avoir une ellipse temporelle avec plusieurs éléments qui échappent au lecteur. Ce qui n’est malheureusement pas anormal car l’entièreté de la saga Joker War a été éparpillée dans plusieurs titres (magazines et librairies). Une mise à jour d’un article récapitulatif sera proposé prochainement sur ce site afin de ne pas s’y perdre… Sans surprise, le titre renvoie aussi au dernier volume de Batman Detective Comics qui avait montré la séparation de Batwoman et du Chevalier Noir.

Enfin, dans la quatrième et dernière partie de Prélude à Joker War, le Chevalier Noir affronte Killer Croc et plusieurs de ses complices : des anciens humains transformés en animaux. L’ensemble est censé se conclure dans le cinquième et dernier tome de Batman : Detective. On ne voit pas non plus trop le rapport avec Joker War (pour cause, le titre de cet épisode était simplement Monstres humains dans le magazine et n’avait pas de mention à ladite guerre du Joker). Kenneth Rocafort impose un style différent de ses prédécesseurs pour ces deux derniers chapitres. Des traits plus aérés, davantage de détails dans les décors, visages et costumes, conférant à l’ensemble un style riche et agréable, bénéficiant d’une parfaite colorisation (de Dan Brown – succédant au célèbre Brad Anderson, habitué de l’industrie pour des titres blockbusters), équilibrant suffisamment de tonalités austères et « réalistes » mais avec assez d’envolées chromatiques propres à l’ADN « comic book ». Une réussite visuelle appréciable.

Un cœur hideux est donc fortement inégal ! En lisant à la suite le tome précédent et celui-ci, on se dit qu’il aurait été plus judicieux de les diviser autrement. D’abord l’histoire de Mr Freeze/Nora dans un tome à part (le troisième par exemple), ensuite un tome un peu « fourre-tout » contenant les épisodes indépendants (et passables) de De sang-froid et du présent quatrième volet (à l’instar du sixième opus de la série Batman), enfin un tome centré sur Double-Face et ouvrant sur Joker War aurait mieux découper la narration (pourquoi pas proposer un tome zéro à cette série d’ailleurs).

Bref à ce stade, un lecteur qui ne suivrait « que » Batman : Detective doit être complètement désarçonné devant tous ces récits qui partent dans tous les sens, introduisent des personnages avant de les faire disparaître, mêlent plusieurs intrigues qui n’ont rien à voir entre elles, montrent de « vieux » récits indépendants, etc. Heureusement, il ne reste plus qu’un ultime volume pour clore ce run de Tomasi, peu intéressant jusqu’à présent… Il est assez décevant de voir le prestigieux titre Detective Comics et son millième numéro dans tout ça, c’était l’occasion en or de proposer un titre culte et mémorable, c’est tout l’inverse qui s’est produit… Lot de consolation avec les couvertures alternatives en fin d’ouvrage et notamment celles de Lee Bermejo.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 22 janvier 2021.
Contient : Detective Comics #1018-1026 + Detective Comics Annual #2-3

Scénario : Peter Tomasi (Brad Walker est mentionné dans la version librairie mais c’est une erreur)
Dessin : Brad Walker, Travis Moore, Max Raynor, Scott Godlewski, Sumit Kumar, Kenneth Rocafort (non mentionné dans la version librairie, là aussi une erreur), Eduardo Risso (idem)
Encrage : Andrew Hennessy, Scott Godlewski, Travis Moore, Max Raynor, Sumit Kumar
Couleur : Brad Anderson, David Baron, Tamra Bonvillain, Nick Filardi, Romulo Fajardo Jr.

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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