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Batman : Detective – Tome 4 : Un cœur hideux

Après deux tomes très moyens (Mythologie et Médiéval) et un troisième plus réussi mais inégal (De sang-froid), Urban Comics nous propose un opus en demi-teinte : une couverture un brin mensongère (c’est Double-Face qui au cœur de l’ouvrage et non le Joker), plusieurs histoires indépendantes (dont une non publiée dans Batman Bimestriel et donc inédite jusqu’à présent) et une composition étrange… Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Alors que Mister Freeze déchainait des vagues de froid sur Gotham pour récupérer sa femme, Nora, Batman finit par réussir à le neutraliser et le remettre à sa place : l’Asile d’Arkham. Mais dans l’ombre, une nouvelle menace grandit. Harvey Dent joue à Pile ou Face avec le destin des citoyens de Gotham, et créé une secte pour mener la ville à sa perte…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de décrire davantage, mieux vaut se tourner vers la critique ci-après pour découvrir chaque segment narratif proposé…

[Critique]
Difficile de comprendre la logique de composition de cet avant-dernier tome de la série Batman : Detective. Un cœur hideux se divise de la façon suivante : Prologue (Detective Comics Annual #2), Survivor – très proche du titre d’un arc du tome précédent – en deux chapitres (Detective Comics #1018-1019), Un cœur hideux en trois épisodes (Detective Comics #1020-1022), interrompu après seulement un épisode par un interlude (le Detective Comics Annual #3 – qui n’a strictement rien à voir avec le reste de l’histoire) et, enfin, Prélude à Joker War découpé sobrement en quatre parties (Detective Comics #1023-1026) dont la première moitié fait suite à Un cœur hideux. Quel bazar !

Il convient donc de décrire chacune de ces quatre histoires – dont la dernière se déroule quasiment sur trois axes distincts – afin de mieux cerner l’ouvrage et comprendre de quoi il en retourne. Tout est à nouveau écrit par le scénariste Peter Tomasi, à moitié coincé entre les obligations éditoriales (de Joker War) et son run qu’il tente tant bien que mal de rendre indépendant entre chaque volume, cassant à la fois un rythme déjà décousu mais permettant de ne pas « tout lire » et ne garder que le meilleur. Problème : à part l’histoire avec Freeze dans le volet précédent, il n’y a pas grand chose à sauver au global. C’est un peu pareil ici, les complétistes apprécieront les connexions à Joker War mais regretteront le passage à la caisse onéreux pour lire uniquement cela – on en reparlera.

Dans Prologue, l’auteur nous emmène en Grèce où Bruce Wayne/Batman retrouve… le Faucheur ! Le charismatique ennemi instauré dans Year Two / Année Deux semble en effet de retour. Travis Moore et Max Raynor croquent cette enquête pleine d’action avec une certaine élégance et une production relativement mainstream. Visuellement, c’est donc agréable. Scénaristiquement c’est plus délicat : l’identité de ce nouveau faucheur est connecté au précédent mais avec une création propre à la fiction donc un élément sorti de nulle part… De quoi user d’un élément retcon (continuité rétroactive – insérer un personnage ou autre dans une suite d’histoire en faisant croire qu’il était là depuis le début).

Ce n’est pas forcément gênant en soi mais ici c’est très frustrant car Prologue ne débouche sur rien d’autre que l’introduction de ce « nouvel » antagoniste. Batman ne l’arrête pas et on ne le revoie plus du tout ensuite (dans le tome) alors qu’il a été présenté en ouverture du livre. De même que Sophia Zervas, visiblement ancienne relation de Bruce Wayne, qui apparaît comme si le lecteur la connaissait de longue date (alors qu’elle a été créée pour cet épisode) puis est mise en retrait… Là aussi c’est dommage, à moins que tous deux (Sophia et le Faucheur) reviennent ultérieurement ? Seul le fameux « dossier noir » – carnet où Batman consignes ses aventures non résolues, relevant d’intrigues surnaturelles ou étranges, conçu par Grant Morrison dans sa saga – reviendra dans le tome suivant. Dans tous les cas, cet épisode n’a pas vraiment sa place ici, complètement indépendant du reste et n’apportant rien à l’opus en lui-même…

Survivor (plus justement nommé Hiver mortel dans Batman Bimestriel) est probablement le pire segment du livre voire de la série. On y suit un viking (!) puis une secte parlant islandais et adorant une sorte de Dieu démoniaque, qui se matérialisera à Gotham sous une forme de créature géante. Les dessins de Scott Godlewski ne sauvent pas la bande dessinée, assez plate et improbable. Batman affronte l’ensemble et on enchaîne sans rien retenir de ce court récit si ce n’est la solitude du milliardaire devant compenser avec l’absence d’Alfred – tué en parallèle dans l’autre série Batman, dans le douzième et dernier tome de Batman Rebirth. Là aussi, on est surpris du manque de contextualisation d’Urban Comics car dans l’histoire précédente (Prologue), Alfred était bien présent (normal, elle a été publiée avant… mais il faut le savoir !). Il est nécessaire d’attendre l’interlude quelques pages plus tard, consacrés à Alfred, pour comprendre ce qu’il s’est passé.

C’est en effet le chapitre Detective Comics Annual #3, jamais publié auparavant, qui donne la part belle au célèbre majordome. Pas de sanglots ou tristesse aisément mise en scène mais un épisode hommage pas trop mal où Bruce Wayne rencontre l’agent Marigold Sinclair, ancienne co-équipière d’Alfred. On navigue dans le passé avec un Pennyworth en action et dans le présent avec une mission s’y connectant où le Chevalier Noir en costume prend le relai. Si le chapitre ne révolutionne pas la mythologie de Batman (ou d’Alfred), il propose une parenthèse sympathique – agréablement croquée par Sumit Kumar puis une courte seconde par Eduardo Risso (Cité Brisée…), étonnamment pas crédité – et délicatement émouvante sans tomber dans le pathos. En revanche, on s’étonne de la voir proposée au beau milieu des trois chapitres d’Un cœur hideux centrés sur… Double-Face !

En effet, Tomasi reprend Harvey Dent pour une aventure en demi-teinte. On retrouve Double-Face toujours tiraillé entre sa personnalité maléfique et bienveillante, cette fois accompagné… d’une secte. L’ancien procureur semble être un gourou criminel avec plusieurs sbires à ses ordres. Au lieu d’avoir des hommes de main « classiques », Double-Face a réellement des malfrats adeptes d’une croyance « au nom de nous deux » (forcément), formant un tout unique. Un délire assez ridicule (même après les vikings chamaniques) qui n’a pas vraiment sa place dans l’aventure…

Le scénario gagne en intérêt essentiellement dans sa conclusion, quand il est connecté à un autre titre du même scénariste (Batman & Robin – Tome 5 avec la tentative de suicide de Dent) et, surtout, quand on comprend que le Joker a mis une puce dans le cerveau de Dent grâce à Strange, ouvrant l’ensemble sur les prémices de Joker War. Graphiquement, c’est Brad Walker qui officie sur Un cœur hideux, livrant de belles propositions avec, entre autres, un visage de Double-Face proprement… hideux. C’est ce qu’on retient surtout du titre : les dessins et sa fin…

Dans la première partie de Prélude à Joker War, on suit le Clown Prince du Crime ouvrir la tombe de Lincoln March, célèbre ergot de la Cour des Hiboux. En même temps, Batman poursuit son enquête sur L’Église des Deux (initiée par Double-Face) et, après avoir croisé Hugo Strange et le Chapelier Fou, il renoue avec Harvey Dent, porteur de l’armure robotique de Batman, à l’époque où c’était Gordon qui l’endossait (cf. La Relève et ce costume high-tech surnommé Chappie).

La deuxième partie – intitulé Terrible symétrie dans la version kiosque mais pas dans la version librairie – montre tout ce beau monde s’affronter (les ergots, Batman, Double-Face en armure, etc.). Le Joker observe au loin, fier d’avoir utilisé plusieurs sérums (le sien, celui de la Cour des Hiboux…) pour concevoir ce « début de chaos ». Mais le plus intéressant reste la conclusion de l’arc sur Dent qui arrive à terme après cinq épisodes donc, lui rendant une humanité intéressante. C’est à nouveau Brad Walker qui dessine ces deux épisodes, offrant une homogénéité graphique à tout l’arc sur Dent, mais très inégal côté écriture…

Vient ensuite la troisième partie de Prélude à Joker War (nommée L’attaque des entreprises Wayne dans Batman Bimestriel) où Batwoman est propulsée au cœur du récit dans « la zone de guerre » de Gotham créée par le Joker. Comment ? Pourquoi ? On ne le saura pas vraiment… Il semble y avoir une ellipse temporelle avec plusieurs éléments qui échappent au lecteur. Ce qui n’est malheureusement pas anormal car l’entièreté de la saga Joker War a été éparpillée dans plusieurs titres (magazines et librairies). Une mise à jour d’un article récapitulatif sera proposé prochainement sur ce site afin de ne pas s’y perdre… Sans surprise, le titre renvoie aussi au dernier volume de Batman Detective Comics qui avait montré la séparation de Batwoman et du Chevalier Noir.

Enfin, dans la quatrième et dernière partie de Prélude à Joker War, le Chevalier Noir affronte Killer Croc et plusieurs de ses complices : des anciens humains transformés en animaux. L’ensemble est censé se conclure dans le cinquième et dernier tome de Batman : Detective. On ne voit pas non plus trop le rapport avec Joker War (pour cause, le titre de cet épisode était simplement Monstres humains dans le magazine et n’avait pas de mention à ladite guerre du Joker). Kenneth Rocafort impose un style différent de ses prédécesseurs pour ces deux derniers chapitres. Des traits plus aérés, davantage de détails dans les décors, visages et costumes, conférant à l’ensemble un style riche et agréable, bénéficiant d’une parfaite colorisation (de Dan Brown – succédant au célèbre Brad Anderson, habitué de l’industrie pour des titres blockbusters), équilibrant suffisamment de tonalités austères et « réalistes » mais avec assez d’envolées chromatiques propres à l’ADN « comic book ». Une réussite visuelle appréciable.

Un cœur hideux est donc fortement inégal ! En lisant à la suite le tome précédent et celui-ci, on se dit qu’il aurait été plus judicieux de les diviser autrement. D’abord l’histoire de Mr Freeze/Nora dans un tome à part (le troisième par exemple), ensuite un tome un peu « fourre-tout » contenant les épisodes indépendants (et passables) de De sang-froid et du présent quatrième volet (à l’instar du sixième opus de la série Batman), enfin un tome centré sur Double-Face et ouvrant sur Joker War aurait mieux découper la narration (pourquoi pas proposer un tome zéro à cette série d’ailleurs).

Bref à ce stade, un lecteur qui ne suivrait « que » Batman : Detective doit être complètement désarçonné devant tous ces récits qui partent dans tous les sens, introduisent des personnages avant de les faire disparaître, mêlent plusieurs intrigues qui n’ont rien à voir entre elles, montrent de « vieux » récits indépendants, etc. Heureusement, il ne reste plus qu’un ultime volume pour clore ce run de Tomasi, peu intéressant jusqu’à présent… Il est assez décevant de voir le prestigieux titre Detective Comics et son millième numéro dans tout ça, c’était l’occasion en or de proposer un titre culte et mémorable, c’est tout l’inverse qui s’est produit… Lot de consolation avec les couvertures alternatives en fin d’ouvrage et notamment celles de Lee Bermejo.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 22 janvier 2021.
Contient : Detective Comics #1018-1026 + Detective Comics Annual #2-3

Scénario : Peter Tomasi (Brad Walker est mentionné dans la version librairie mais c’est une erreur)
Dessin : Brad Walker, Travis Moore, Max Raynor, Scott Godlewski, Sumit Kumar, Kenneth Rocafort (non mentionné dans la version librairie, là aussi une erreur), Eduardo Risso (idem)
Encrage : Andrew Hennessy, Scott Godlewski, Travis Moore, Max Raynor, Sumit Kumar
Couleur : Brad Anderson, David Baron, Tamra Bonvillain, Nick Filardi, Romulo Fajardo Jr.

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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Batman : Detective – Tome 3 : De sang-froid

Après deux tomes très moyens (Mythologie et Médiéval), la série Batman : Detective repart à la hausse grâce à ce troisième volet qui place Mr Freeze au centre de son récit ! Mais attention, la composition de l’épais comic (quatre histoires répartis en dix chapitres !) ne permet pas de hisser la fiction dans les coups de cœur. Explications.

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir protégé Gotham de l’énigmatique Chevalier d’Arkham, et son armée de fantassins fanatiques, le Chevalier Noir pensait avoir gagné un peu de répit. C’était sans compter sur ses adversaires de toujours. Alors que Deadshot s’en prend à Lucius Fox et Bruce Wayne en personne, Mr Freeze tente de réveiller sa femme Nora de sa stase glaciaire…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, le résumé de l’éditeur suffit.

[Critique]
Comme certains comics, De sang-froid se compose de plusieurs histoires (qui se suivent plus ou moins), chacune ayant ses qualités et défauts, la plus importante étant celle éponyme sur Freeze. En résulte donc un tome fortement inégal mais globalement plaisant ! Dans Salutations à Gotham (un chapitre), le Chevalier Noir retrouve le Joker dans un parc d’attraction (à côté de la rivière Bolland, hommage au dessinateur de Killing Joke – que ce court segment tente vaguement de moderniser).

Le Clown tient en joue plusieurs visiteurs mais sans que cela ne soit une réelle menace pour le Chevalier Noir. Anecdotique au possible malgré les chouettes dessins de Doug Mahnke, l’épisode prend de l’intérêt dans sa conclusion – déconnectée du reste – dans laquelle Lex Luthor propose un sérum à Mr Freeze pour que ce dernier ramène à la vie sa femme, immobilisée dans la glace.

Dans Survivor (trois chapitres), Bruce Wayne embarque dans un avion pour parler business avec notamment Lucius Fox et plusieurs hommes d’affaires. Deadshot a été chargé de faire tomber l’avion qui s’échoue sur une île dans le Pacifique (on ne sait d’ailleurs pas pourquoi ni par qui Deadshot est missionné…). Encore une fois, malgré quelques planches sympathiques (signées Christian Duce cette fois), l’histoire n’est pas très mémorable pour ne pas dire absurde.

Bruce tombe en effet sur deux anciens naufragés établis sur l’île (deux soldats ennemis devenus amis) puis se confectionne un costume artisanal de Batman afin d’aller délivrer les passagers du crash retenus prisonniers par Deadshot. Tout le monde remarque bien sûr l’absence de Bruce Wayne mais personne ne fait le lien avec la présence hasardeuse de l’homme chauve-souris dans cet endroit perdu… À nouveau, le plus important se déroule en fin de chaque épisode lorsqu’on se recentre sur Freeze.

C’est justement De sang-froid (cinq chapitres) qui est ensuite proposé (et donne donc son titre à l’ouvrage). On y retrouve l’histoire « habituelle » de Victor Fries, à savoir sa quête de ramener à la vie sa femme plongée dans le coma et cryogénisée. Une trame éculée et magnifiée dans plusieurs comics bien sûr (Batman Arkham – Mister Freeze – bientôt chroniqué –, La Nuit des Hiboux…) mais aussi et surtout dans le célèbre dessin animé de 1992, ainsi que le DLC du jeu vidéo mésestimé Arkham Origins.

On oublie volontairement l’adaptation à l’écran en 1997 dans Batman & Robin, où Freeze était campé par un Arnold Schwarzenegger en roue libre. Pour la suite de cette critique, il convient de dévoiler quelques éléments importants de la narration. Passez au neuvième paragraphe si besoin, c’est-à-dire celui après les deux blocs de lecture entre les deux prochaines images ci-après (Batman puis Batman en armure) et ne descendez pas tout en bas de la critique pour voir les différentes illustrations – arrêtez vous à celle de Deadshot en pleine page.

Ce qui donne l’originalité au titre est que justement Nora revient – pour une fois – à la vie ! Et si cela était déjà arrivé par le passé (impossible de retrouver dans quel comic), ici la jeune épouse se démarque en… empruntant une voie criminelle avec délectation. Mieux : elle se fiche carrément de Fries, le haïssant pour son côté paternaliste pénible et sa personnalité romantique agaçante. Cette approche plus féministe, inédite et surprenante, fait sérieusement du bien ! En découle de bonnes choses : la complicité du couple avant l’émancipation de Nora, le binôme Batman/Freeze pour tenter de réparer les morceaux, etc. Auparavant, c’était l’avancée méthodique et précise de Fries qui passionnait. Son sang-froid (sans mauvais jeu de mots) pour élaborer son expérience puis l’exécution de celle-ci fonctionnait remarquablement.

Dans un second temps, c’est la naissance d’une nouvelle antagoniste qui est plaisante à suivre. Bien que Nora rappelle évidemment son mari mais aussi Captain Cold (forcément), son fort caractère et son retour à la vie peuvent donner de belles opportunités. On se plaît à imaginer une cohésion avec Poison Ivy par exemple ou d’autres figures féminines de la mythologie de Batman. Mais ce sera pour la prochaine fois, Nora peut désormais vivre de nouvelles aventures et on verra ce qui lui est réservé dans un autre titre (ou d’ici la fin de la série peut-être ?). On apprécie aussi la « tragédie inversée » en conclusion, entre Batman et Freeze (difficile d’en dire davantage sans divulgâcher) même si on aurait apprécié un peu plus d’enrichissement à cette histoire avec un ou deux épisodes complémentaires.

En somme si les morceaux de conclusions des récits précédents (sur Freeze) avaient été rassemblés et proposés en guise d’introduction à ces cinq chapitres de De sang-froid (sans rien d’autre ensuite), on aurait clairement eu un coup de cœur pour un album composé de cinq à six chapitres. Malheureusement, ce qu’il y a avant casse cet ensemble, ajoutant des longueurs et histoires inutiles, c’est bien dommage… Néanmoins le voyage graphique vaut globalement le coup pour l’entièreté du livre, c’est toujours ça de gagné aussi.

Peter Tomasi écrit (à nouveau) l’intégralité de l’ensemble à l’exception de l’ultime chapitre, Orphelins, composé par Tom Taylor, auteur prolifique souvent inspiré (DCEASED, Injustice…) mais parfois en petit forme (le récent La Dernière Sentinelle). Dessiné par Fernando Blanco, on y suit une courte enquête de Bruce Wayne dans un orphelinat à son nom où un enfant a fugué. Le milliardaire officie en civil d’un côté puis en costume avec Damian/Robin en soirée. Efficace et un brin émouvant, le récit a une double connotation non spécifiée par l’éditeur.

En effet, à ce moment là, Bruce est évidemment orphelin de ses parents mais également de son majordome, Alfred (qui trouve la mort dans le douzième et dernier tome de Batman Rebirth, tué par Bane). Curieusement, durant les histoires précédentes, il y avait des mentions et rappels discrets en bas de cases et planches pour dire que l’histoire se déroulait avant le chapitre Batman #77 ou le dernier tome de Batman Rebirth. Ainsi, ceux qui connaissaient la fin tragique d’Alfred pouvaient comprendre pourquoi il était en vie ici, à l’inverse, ceux qui ne le savaient pas n’ont probablement pas saisi l’intérêt (à raison) de ces mentions.

De sang-froid relève donc la barre (ce n’était pas très difficile) mais propose un tome décousu où se mêlent trop d’histoires peu connectées. On retient surtout celle sur Mr Freeze et sa nouvelle expérience, plutôt originale, palpitante et apportant une semi-nouveauté qui – on l’espère – ne sera pas abandonné par la suite, auquel cas il y aurait eu peu de sens de nous montrer cela. Visuellement, ce troisième opus (sur cinq) tient la route, offrant quelques séquences épiques et une action globalement lisible (parfois un peu figée et sans grands enjeux dramatiques).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 21 août 2020.
Contient : Detective Comics #1008-1017

Scénario : Peter Tomasi, Tom Taylor
Dessin : Doug Mahnke, Christian Duce, José Luis, Fernando Blanco
Encrage : Jaime Mendoza, Christian Duce, Keith Champagne, Christian Alamy, Mark Irwin, Matt Santorelli, Tyler Kirkham, Fernando Blanco
Couleur : David Baron, Luis Guerreo, John Kalisz

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)

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Batman – One Dark Knight

Un récit complet en trois chapitres, un dessinateur talentueux (Jock) qui s’essaie pour la première fois à l’écriture, une fiction dense et rythmée… One Dark Knight est proposé dans le DC Black Label, permettant aux non initiés de s’emparer de cette nouvelle œuvre sur Batman tout en ne l’inscrivant pas forcément dans la chronologie officielle du Chevalier Noir. Mais ce one-shot (prévu le 28 octobre prochain) vaut-il le coup ? Le voyage graphique assurément, le scénario nettement moins. Explications.

[Résumé de l’éditeur]
C’était le genre de mission que Batman avait mené des centaines de fois : escorter la police de Gotham tandis qu’elle transférait le criminel connu sous le nom d’E.M.P. dans la prison de Blackgate. Les pouvoirs électriques du méta-humain représentaient une menace certaine, mais la situation semblait sous contrôle. Jusqu’à ce que tout dérape. À présent les rues chaudes de la ville ont sombré dans l’obscurité la plus totale, toutes les lumières se sont éteintes, la police est aux abois et le Chevalier Noir doit se frayer un chemin au cœur du pénitencier le plus dangereux au monde. Sans compter qu’à Blackgate, chaque recoin cache une nouvelle surprise, et l’aube ne semble pas près de poindre…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, le résumé de l’éditeur suffit.

[Critique]
Une nuit. C’est la durée qui s’écoule pour cette aventure de Batman, habilement rythmée grâce à ce resserrage temporel relativement court. Au cours des trois épisodes s’étalant sur cent cinquante pages environ (Un été en ville, Choisir les pistes, On ne peut pas fuir éternellement), le Chevalier Noir doit assurer la protection d’un ennemi inédit : Edward M. Pressler. Initiales : E.M.P., comme pour EletroMagnetic Pulse, soit une Impulsion Électromagnétique en français (IEM) – les fans de Matrix connaissent probablement bien. Un criminel conçu spécialement pour la BD au nom sans grande subtilité puisque ce cher Edward a le même « pouvoir » que ce que son acronyme laisse penser. Ainsi, l’homme méta-humain peut absorber l’électricité autour de lui et donc en priver les citoyens (et par extension les bâtiments, la logistique routière…).

Cela permet à l’auteur-dessinateur de proposer son road trip Gothamien dans un noir quasi-total (rappelant brièvement aussi bien le fameux black-out de L’An Zéro fomenté par le Sphinx que le transfert du Joker dans le film The Dark Knight – dont le titre du comic ici rend peut-être hommage, jouant sur le terme Night (nuit) / Knight (chevalier), à nouveau sans grande subtilité mais ce n’est pas très important). Durant cette course effrénée, le justicier escorte son prisonnier sans artifice, sans véhicule, à mains nues (en le portant !), nouant une semi-complicité avec lui. On y retrouve l’ADN du Batman moderne de ces dernières décennies : un justicier seul aux commandes (vaguement épaulé par Gordon et Alfred – ce dernier vite en retrait faute d’électricité et donc de communication), une approche violente mais toujours une empathie pour la personne qu’il protège, en l’occurrence ici un criminel qui peut difficilement contrôler ses pouvoirs.

Jock rend un puissant hommage à la métropole du Chevalier Noir. Rarement Gotham City n’aurait été aussi magnifiée pour être le terrain de jeu – le temps d’une nuit donc – pour la mission de Batman. Ruelles, ponts, immeubles, égouts… la dimension urbaine est au premier plan tout du long, sans pour autant y apporter une touche de fantaisie, du registre merveilleux ou gothique ; c’est-à-dire qu’il pourrait s’agir de New-York ou n’importe quelle autre ville des États-Unis que ça n’aurait pas changé grand chose, in fine, graphiquement parlant – mais ce n’est clairement pas grave.

Si le récit tient la route, on ne peut s’empêcher d’y trouver quelques facilités narratives et des segments qui empêchent One Dark Knight de devenir au mieux incontournable (comme ce fut le cas récemment pour Imposter par exemple), au pire un coup de cœur. En effet, l’auteur dessinateur se défend de piocher dans la grande galerie des prestigieux ennemis de l’homme chauve-souris en proposant donc ce fameux Edward/EMP à qui on ne s’attache pas vraiment malgré la tragédie vécue par ce dernier et les conséquences qui connecteront d’autres personnages secondaires à son histoire.

Jock fait juste apparaître Killer Croc quelques temps et on se dit qu’avec son style graphique (on y reviendra), on aurait tellement aimé le voir animer des figures emblématiques qui se seraient complètement prêtés aussi au jeu de cette histoire (Edward n’est pas forcément interchangeable avec son pouvoir mais n’importe quel vilain aurait pu faire sauter des générateurs et plonger Gotham dans le noir et le chaos). Jock (Mark Wilson de son vrai nom) s’essaie pour la première fois au rôle de scénariste et si globalement tout fonctionne (le rythme comme déjà dit, les dialogues, la compréhension générale de l’œuvre…), on est quand même un peu déçu de ne pas y trouver un élément qui aurait propulsé le titre comme une lecture indispensable.

On est donc mitigé par le scénario, assez convenu (un évènement dans la conclusion relance un peu l’intrigue même si on pouvait le prévoir aisément) et pas très marquant… Heureusement, il y a l’alléchante patte visuelle qui est un régal pour les amateurs de Jock ! Il avait illustré Sombre Reflet, Le Batman Qui Rit et de nombreuses couvertures (notamment pour la série All Star Batman, où il signait aussi quelques planches pour le deuxième tome), le hissant parmi les artistes se démarquant des productions habituelles des comics grâce à son travail si particulier – le plus abouti ici (cf. les nombreuses images de cette critiques). Parmi ses réussites, citons le superbe Green Arrow – Année Un et la série The Losers.

Son style singulier enchaîne les traits anguleux (rappelant un peu ceux de Sean Murphy, cf. White Knight), un découpage fluide et une brutalité graphique jouant sur le sombre avec quelques tonalités chromatiques détonantes (évoquant cette fois Andrea Sorrentino, cf. Imposter cité plus haut). Les deux tiers du titre se déroulent quasiment « dans le noir », chaque brève source lumineuse ou effusion de sang fait mouche ! On perçoit quelques hommages à Frank Miller également. Les dessins (encrage et colorisation inclus – tous assurés par Jock) sont donc sans surprise LE point fort de l’ouvrage. Et clairement pour dix sept euros il serait dommage de se priver !

One Dark Knight ne parvient donc pas à se hisser comme un récit complet incontournable mais reste une balade visuelle irréprochable, emmenée par des planches atypiques, où se mêlent ombres et noirceur nocturne avec de fulgurances éphémères écarlates ou solaires. De ce contraste de l’ambiance froide globale, légèrement bleutée, résulte une élégante bande dessinée à la trame (narrative) agréable mais oubliable. Le livre se referme sur les traditionnelles couvertures alternatives, on aurait aimé quelques mots de l’auteur ou des travaux de recherche et étapes de travail, pourtant présents dans l’édition VO. En somme, si vous êtes fan de l’univers de Jock ou si les illustrations présentes dans cette chronique vous séduisent, aucun doute que vous allez apprécier, si vous êtes plus exigeants sur l’écriture ou espériez un titre qui fera date, vous risquez d’être déçus…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 28 octobre 2022.
Contient : Batman : One Dark Knight #1-3

Scénario et dessin (et encrage/couleur) : Jock

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Éric Montésinos

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