Archives de catégorie : Batman

Batman – Créature de la nuit

Disponible en deux éditions, une couleur (19€) et une limitée en noir et blanc (29€), que valent les quatre chapitres de Batman – Créature de la nuit ? Attention il ne s’agit pas d’une aventure de l’homme chauve-souris mais d’un récit se déroulant « dans le monde réel » dans lequel le mythe du Chevalier Noir a une influence sur le protagoniste. Découverte de cette œuvre récente (débutée en 2018 et qui a mis deux ans à se terminer) signée Kurt Busiek au scénario (qui prolonge d’une certaine façon le travail qu’il avait déjà effectué sur l’excellent Superman – Identité Secrète) et John Paul Leon aux dessins et aux couleurs.

[Résumé de l’éditeur]
1968, Boston, dans le Massachusetts, le jeune Bruce Wainwright, homonyme du personnage de fiction « Bruce Wayne », voit ses parents brutalement abattus, comme un écho cruellement ironique au héros de bande dessinée Batman dont il est un avide lecteur. Désemparé, Bruce est désireux néanmoins de surmonter son trauma mais se voit poursuivi par une mystérieuse forme noire prenant vie. Un être d’ombre qui n’est pas loin de ressembler à… une chauve-souris humaine !

[Histoire]
En 1968, à Boston, Bruce Wainwright a huit ans et est fan de Batman, il surnomme d’ailleurs son oncle Alton Frederick « Alfred ». La nuit d’Halloween, les parents de Bruce se font tuer à leur domicile par des cambrioleurs. Le garçon s’en sort de justesse confiant à son témoignage au policier Gordon Hoover.

Le temps passe cruellement et les coupables ne sont toujours pas retrouvés. Bruce garde foi en la justice, grandit et souhaite « faire le bien ». Il peut compter sur l’aide de l’étrange créature mi-humaine mi-chauve-souris qu’il croise parfois dans la ville et qui s’en prend aux criminels.

[Critique]
Avant de rentrer dans les détails, il convient de dire que Créature de la nuit se découpe en quatre chapitres (« Je deviendrai… », Petit génie, Un croisé et Chevalier noir). Le premier, celui résumé doublement ci-dessus avec Bruce enfant, est le moins bon (mais obligatoire pour mieux saisir la suite, évidemment) et correspond donc à un quart de l’ouvrage. Ce sont les trois quarts restant qui méritent le détour puisqu’une ellipse temporelle est opérée. Ainsi, dès le deuxième épisode on trouve le protagoniste dans la fleur de l’âge : jeune homme brillant, intellectuellement et physiquement, aux grandes ressources monétaires, humble, bienveillant et motivé à changer à sa petite échelle le monde qui l’entoure. Il va par exemple aider une autre orpheline, nommée Robin (forcément). L’ombre de la chauve-souris géante plane toujours dans la ville, entre rencontres avec le jeune Bruce et complicité évidente entre les deux malgré un certain mutisme — voire identité secrète de Bruce ? On ne sait pas trop… C’est là tout l’autre fil narratif de la bande dessinée.

« Encore une chose qui ne se passe pas dans la vraie vie comme dans les comics. »

Le troisième chapitre se déroule à minima après 1989 (l’année n’est pas précisée) car il est fait mention du film Batman de Tim Burton, dont l’affiche trône fièrement dans le bureau de Bruce. Un long-métrage « absolument sinistre » selon Alfred quand il s’interroge sur « l’éternelle passion » de son neveu envers le Chevalier Noir. Les connexions à la mythologie de Dark Knight se trouvent également dans quelques planches ou cases de comics vintages que lit le héros ou qu’il s’imagine. Un frère jumeau mort-né est également évoqué, à l’instar de ce qu’on découvrait dans La Cour des Hiboux sans que cette piste ne soit plus jamais réellement explorée ailleurs, c’est donc le cas ici. Frère nommé Thomas (comme le « vrai père » de Bruce Wayne) et surnommé Tommy (comme Tommy Elliot, de Silence, ami d’enfance du milliardaire qui rêve de lui ressembler et fait même de la chirurgie esthétique pour). Un collègue de Bruce, nommé Eddie, est doué pour trouver des pistes s’il a des indices, est-ce un hommage à peine appuyé à Eddie Nygma ? Qu’on ne s’y trompe pas, ces allusions restent discrètes et éphémères, il ne faut pas s’attendre à en repérer à chaque planche (difficile de savoir si ça aurait rendu l’ensemble moins bon ou meilleur).

Deux narrateurs se succèdent alternativement au fil des planches : Bruce et Alfred (parfois rejoints par un troisième). Rappelant « presque » Année Un et son martèlement pensif entre Gordon et Wayne. L’évolution de Bruce est plutôt convenue (dans un premier temps), proche de son illustre aîné « de fiction » (beau garçon multipliant les conquêtes et réussite économique entre autres), on ignore en revanche s’il s’est imaginé une créature chauve-souris l’aidant lui et, surtout, aidant la ville ou bien… s’il s’agit de lui qui agirait sous un costume. A moins qu’il ne sombre dans la folie lentement mais sûrement ? Ou alors serait-ce l’équivalent d’un Man-Bat ?

Autre mystère : l’oncle Alfred. Il refuse de recevoir Bruce chez lui, ils ne se voient que dans des lieux publics, etc. On s’interroge très vite sur les véritables intentions du dernier chaînon familial de sang à l’apparence étrangement bienveillante. L’obsession pour Batman ne se corrèle étrangement pas à celle de ses ennemis (à l’exception de quelques cases sur la fin). Le Joker n’est donc pas mentionné, l’auteur avait pourtant quelques idées comme il l’expliquera dans sa préface. Une fois de plus, compliqué d’imaginer un résultat plus qualitatif avec ou sans une intervention plus solide du célèbre Clown ou d’un autre vilain emblématique.

C’est là tout le paradoxe de l’œuvre. C’est un bon comic-book, indéniablement (plus proche d’une bande dessinée « européenne » d’ailleurs (on en reparle plus loin)). Un drame à moitié polar avec quelques touches de surnaturelles. Une empathie aisée pour son protagoniste et les personnages secondaires qui gravitent autour de lui. Le « problème » est que ça n’a pas grand chose à voir avec une « vraie » aventure de Batman ; il ne faut donc pas s’attendre à en découvrir une. C’est peut-être ça qu’il faut anticiper/révéler avant d’acheter le livre (même si le résumé en quatrième de couverture le stipule aussi). Il est légitime de le préciser à nouveau afin de ne pas avoir de mauvaise surprise ou s’attendre à une immersion dans Gotham par exemple. Le suspense entretenu dès le début autour de l’aura mystérieuse de la chauve souris géante retombe un peu au fil de la progression avec une révélation malheureusement assez prévisible (surtout pour ceux habitués à ce genre de fiction), malgré quelques moments de confusion pas vraiment résolus mais plaisants quand même. L’exercice hors-norme reste quand même agréable (bien rythmé, bien écrit, bien dessiné).

Les fins connaisseurs des comics sur Batman ne pourront pas s’empêcher de penser au singulier Dark Night – Une histoire vraie, une plongée « dans notre monde » et surtout dans la vie de Paul Dini, scénariste du Caped Crusader et d’une agression dont il fut victime (d’où le titre). De la même façon, on se remémore C’est un oiseau, version similaire du présent comic mais sur l’homme d’acier au lieu de l’homme chauve-souris ou, bien sûr (et comme déjà cité) Superman – Identité Secrète, signé du même auteur Kurt Busiek et réédité le 4 septembre 2020 dans la collection DC Black Label à l’occasion de la sortie de Créature de la nuit (lui aussi sous ce même label), mis en vente le même jour.

Si le récit est « sombre » dès le début (le meurtre des parents), il prend une tournure « adulte » plus passionnante dès son chapitre suivant. Entre monde de l’entreprise, racisme américain « discret » des années 70’s… le tout servi par un dessin rappelant davantage la bande dessinée franco-belge ou les comics type polar, on sort clairement des habituels projets de l’industrie (ce qui était déjà évident en optant pour une histoire sur Batman sans Batman). On pense alors (pour la partie graphique) à la série culte Gotham Central par exemple, ancrant son récit dans une certaine ambiance froide, terne et réaliste. Le dessinateur et coloriste John Paul Leon a travaillé sur diverses séries, allant de RoboCop à Earth X (Marvel) en passant bien sûr par Batman. On a pu le voir à l’œuvre sur Terminal, deux chapitres publiés dans Detective Comics (période New 52) et Batman Saga qui sont justement compilés et proposés en noir et blanc et gratuitement chez vos libraires pour le Batman Day le 18 septembre prochain.

Créature de la nuit est donc un chouette drame urbain énigmatique à la touche graphique très travaillé, très agréable : on y trouve une certaine plausibilité élégante dans les morphologies, décors et visages. Plutôt touchant et palpitant, le livre est sans nul doute une réussite pour qui y cherche à la fois ce style de dessins et cette ambiance si particulière couplé à une narration rythmée et prenante. « Malheureusement » l’ensemble ne plonge pas le lecteur dans une « vraie » histoire de Batman et ce n’est pas ça qu’il faut espérer y trouver ici, on est davantage dans une sorte de bande dessinée indépendante prestigieuse, qui se sert du mythe du Chevalier Noir pour étoffer (brillamment) son récit. Avis aux amateurs donc…


[A propos]

Sortie le 4 septembre 2020 chez Urban Comics

Scénario : Kurt Busiek
Dessin et couleurs : John Paul Leon
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Moscow Eye

Acheter sur amazon.fr :
Batman – Créature de la nuit (édition normale 19€)
Batman – Créature de la nuit (édition limitée noir et blanc 29€)

 

Batman – Curse of the White Knight

Après l’excellent — et désormais culte et incontournable Batman – White Knight — Sean Murphy propose une seconde salve dans son univers détaché de la chronologie « officielle » de Batman (à l’instar de The Dark Knight Returns de Frank Miller qui a conçu au fil des années d’autres volumes pour étoffer également sa propre mythologie, avec des suites et séries annexes).

Cette nouvelle incursion sort dans quatre formats : d’abord le 02 octobre 2020 en version classique en couleurs (22,50€), dans le même format mais avec une couverture alternative spécialement pour les enseignes Fnac (25€), en version limitée en noir et blanc (29,00€)  comme ce fut le cas pour son prédécesseur puis le 20 novembre 2020 en version luxueuse (dans la nouvelle collection Urban Limited) agrandie (36 x 24 cm), encore plus limitée et numérotée de 1 à 1500 avec dos toilé, marquage à chaud et signet (59€ tout de même) !

Que vaut la malédiction (curse en VO) du fameux chevalier blanc ? Critique.


[En préambule si vous n’avez pas le temps de relire White Knight ou sa critique]

Quelques rappels nécessaire et révélations importantes : Harley Quinn (le « vrai » chevalier blanc de Gotham, c’était elle) a secrètement mis au point une pilule guérissant le Joker. Ce dernier est effectivement devenu sain et souhaitait changer la ville de Gotham en bien, sous son alias civil Jack Napier, aux côtés de son ancienne muse (redevenue Harleen Quinzel). Auparavant, le Clown du Crime, trop obsédé par Batman, n’avait même pas compris que son acolyte féminine de toujours (Harley Quinn donc) était partie et qu’une autre  l’avait remplacée : Marian Drews (une de ses anciennes otages). Furieuse de la tournure des évènements (la guérison de son amant), Marian se mue en néo-Joker, véritable nouvelle menace pour la cité.

Dans l’ombre, Jack Napier manipule tous les ennemis du Chevalier Noir afin d’arriver à ses fins politiques. Derrière son apparence « respectable », l’homme est resté menteur et manipulateur mais, cette fois, dans un but plutôt noble. N’est-ce pas ce que fait également Batman (devenu trop dangereux pour tout le monde et sombrant dans une violence hors-norme) ? Napier connaît d’ailleurs la véritable identité du justicier et lui apprend aussi que Jason Todd n’est pas mort…

En parallèle, Victor Fries (alias M. Freeze) ressuscite enfin sa compagne Nora. Le passé de la famille Freeze est lié à celui des Wayne à l’époque des nazis. Une situation explicitée partiellement mais qui renferme encore quelques mystères. La lettre posthume d’Alfred (mort après s’être sacrifié une ultime fois pour son maître) évoque justement des choses secrètes cachées dans le manoir (à la toute fin de l’ouvrage, sans que celles-ci soient dévoilées). Le GCPD s’est doté d’une nouvelle équipe puissante grâce au GTO, Groupe Tactique Opérationnel, initiée par Napier. Celle-ci se compose d’agents d’élites mais aussi des vigilantes de Gotham, comme Nigthwing et Batgirl. Une forme hybride entre forces de l’ordre et justiciers, équipés de la technologie de Batman incluant ses véhicules. Jack Napier redevient le Joker et retourne en prison, épousant Harleen au passage et faisant ses aveux à la police. De son côté,  le Chevalier Noir finit par révéler son identité à Gordon, confessant dans la foulée sa détresse entre son plaisir à faire du mal aux criminels et son envie de restaurer la confiance en son égard.

[Résumé de l’éditeur]
Le fléau Jack Napier est de nouveau derrière les barreaux, mais la sérénité est loin d’être de retour à Gotham, et encore moins au Manoir Wayne, où Bruce peine à retrouver équilibre et sérénité. Son pire ennemi n’a pas seulement ébranlé ses convictions et sa raison d’être, il a également durablement saccagé l’image de Batman et sa légitimité aux yeux des habitants de sa ville. La disparition d’Alfred n’est pas sans séquelle non plus, bien qu’elle laisse derrière lui un héritage inattendu : le journal d’Edmond Wayne daté de 1685, premier de sa lignée à s’être installé à Gotham et adversaire d’un certain Lafayette Arkham, dont les ossements ont été récemment découvert dans la cellule du Joker.

[Histoire]
1685. Manoir d’Arkham. Lord Wayne tue Lafayette Arkham. Ce dernier énonce une malédiction avant de trépasser…

Aujourd’hui. Asile d’Arkham. Le Joker s’échappe, prêt à retrouver son statut de criminel le plus puissant de Gotham et bien décidé à faire oublier son « alter ego » Jack Napier.

Batman et Gordon enquêtent et découvrent de vieux ossements dans une ancienne cellule de l’établissement (où était le Joker à une époque). S’agirait-il des os de Lafayette « Laffy » Arkham, dont la légende raconte qu’il était… un vampire ?

De son côté Bruce Wayne découvre le journal intime de son ancêtre Edmond Wayne, daté de 1685 (dans la cachette qu’évoquait Alfred dans sa lettre posthume).

En parallèle, Nightwing refuse que Batman dévoile son identité aux citoyens de Gotham mais le Chevalier Noir estime que c’est une décision juste et importante, reconnaissant que l’Initiative Napier a fait beaucoup de bien à la ville tout en mettant le justicier face à ses propres erreurs (tout en le « détruisant » intérieurement).

Plus loin dans la cité ténébreuse, Jean-Paul Valley, ancien soldat de l’armée souffre d’hallucinations et apprend qu’il a un cancer. Le Joker, connaisseur des secrets des ancêtres de Wayne ravive la flamme de l’épée et du combat d’Azraël, en la personne de Jean-Paul Valley justement, descendant d’un ennemi des Wayne.

Dans la foulée, le Clown sabote l’annonce de Gordon pour les municipales de Gotham et révèle au monde entier que Batgirl est en réalité Barbara, la propre fille du policier.

[Critique]
Le pari était risqué et il n’est pas vraiment réussi… Après la pépite White Knight, difficile de faire mieux évidemment et le résultat est (très) mitigé. Azraël et l’ancêtre de Bruce Wayne se connectent moyennement à la solide mythologie instaurée par Sean Murphy mais, heureusement, de bons éléments sauvent le reste et l’enrichissent. Explications.

L’univers de Batman, d’une manière générale, se marie moyennement avec les histoires de malédiction (un prétexte ici, il n’y en a pas vraiment), de secte (idem) ou d’ancêtres liés aux Wayne (on a du mal à se passionner pour cette extension d’antan — pas assez proche du présent du héros pour être appréciable, on en reparle plus loin). Ces nouveaux sujets tranchent donc assez radicalement avec le volet précédent — davantage urbain, porté sur le juridique, la morale, le psychisme… — et connotent difficilement avec l’univers du Chevalier Noir (comme souvent donc), en particulier celui mis en place par le scénariste et dessinateur Sean Murphy.

Ainsi, l’Ordre de St. Dumas et Jean-Paul Valley ont toujours été des éléments (crées dans l’indigeste mais culte saga Knightfall) à double tranchant (comme sa lame). D’un côté une psychologie intéressante pour l’être humain (il est quasiment bipolaire, ce qui est hélas peu exploité dans cette itération contemporaine) ainsi qu’une force hors du commun couplée à une panoplie esthétique variée et parfois appréciable quand il endosse le costume, ou plutôt l’armure de Batman (en résulte de savoureuses scènes de combat — ici et déjà à l’époque dans Knightfall). D’un autre côté un passif pénible, un brin lourdingue et surtout un aspect religieux trop prononcé, peu plausible et avec un intérêt limité, in fine.

Heureusement, il n’y a pas « que ça » dans Curse of the White Knight. En complément des dessins toujours aussi sublimes (on y reviendra), l’écriture et certaines situations restent passionnantes car si singulières et hors des sentiers battus. On pense en premier lieu à la relation mi-amicale, mi-amoureuse entre Batman et Harleen Quinzel ainsi que l’évolution de cette dernière. Elle était l’un des points forts du tome précédent, son rôle continue d’être soigné (dommage d’avoir mis sur la touche la néo-Joker même si elle est mentionnée au détour de quelques cases).

Autre suivi appréciable : l’avancement du GTO. Outre l’approche militaire et policière, c’est à nouveau Barbara/Batgirl qui fait l’objet d’une certaine attention ainsi que Renée Montoya, fraîchement promue à la tête des équipes (et dont le costume aux tons pourpres rappellent un peu Huntress — la policière se muera-t-elle en cette justicière dans une suite éventuelle ?). Dick/Nightwing est toujours un peu en retrait mais la fin du livre lui offre un joli échange/hommage. L’on suit évidemment à nouveau le Joker et par bribe Jack Napier — sans aucun doute les passages les plus réussis de l’œuvre. L’équilibre entre cette longue liste de protagonistes (et d’autres) reste idéal et le rythme plutôt soutenu malgré des passages pénibles (voir un peu plus loin). Le texte est dense mais accessible.

Un peu comme dans le tome précédent, Sean Murphy bouscule quelques statu quo de façon inédite : Harleen Quinzel est enceinte, l’identité de Batman est révélée à beaucoup de personnes (dont certaines auxquelles on n’aurait pas songé), celle de Batgirl à la population entière, Gordon démissionne du GCPD, de nouvelles morts dont certaines très osées surprennent et choquent le lecteur, etc. D’autres états des lieux sont plus convenus mais toujours plaisants à découvrir, comme le manoir Wayne qui est brûlé — souvent vu en films mais pas tant que ça en comics ! — ou encore la croisade multiple entre Jean-Paul et le Joker. On note aussi le mystérieux personnage de Ruth, véritable clone d’Amanda Waller, et d’un prêtre, lui aussi énigmatique même s’il fait un peu sens après quelques révélations tardives.

On l’a un peu évoqué, ce qui plombe le récit tient sur deux axes. Le premier correspond à tous les flashbacks de l’ancêtre de Bruce (Edmond Wayne) et cet improbable héritage pour ses descendants (il aurait inondé une partie de Gotham City pour moduler la ville à sa convenance) corrélé à son ennemi de toujours Bakkar (dont Jean-Paul Valley serait, évidemment, le légitime rejeton). Difficile de s’attacher à ces nouveaux personnages ou d’y trouver un intérêt. Seule la conclusion de l’histoire offre une nouvelle perspective et permet de relancer (plutôt efficacement) la narration avec (encore) un statu quo original. Bullock semble être une voix de la raison : « Des histoires de propriétés ? De sectes ? Un vampire qui s’appelle Laffy ? Sans parler de rosbifs et d’un mystère englouti à la Scooby-Doo daté de plus de trois cent piges. En quoi ça va nous aider à choper Azraël ? »

Le second « problème » est lié au premier puisqu’il s’agit de Jean-Paul Valley/Azraël qui est un choix peu cohérent par rapport à White Knight comme on l’a vu car il colle mal au registre initialement mis en place. Bane aurait eu sa place légitime pour le remplacer (il apparaît d’ailleurs pour l’occasion puisque le titre propose une certaine relecture, toute proportion gardée évidemment, de Knightfall, notamment avec la modernisation d’Azraël et de certains de ses costumes). Néanmoins, la présence d’Azraël face, entre autres, à Batman offre des scènes d’action spectaculaires : on ne boude pas son plaisir devant les combats, courses-poursuite et explosions dont la bande dessinée est friande. C’est réalisé avec brio, c’est très intense et réussi !

Une fois de plus, Sean Murphy parsème son histoire de quelques hommages et allusions aux autres œuvres cultes sur Batman, comme le fameux « stylo qui disparaît » issu du film The Dark Knight, ou le logo du Chevalier Noir issu du premier long-métrage de Tim Burton qui orne le tee-shirt… du Joker ! On retrouve aussi son amour pour les Batmobiles avec l’une d’entre elles mise en avant, « ça a toujours été ma préférée » stipule le super-héros/le scénariste. L’auteur égratigne (à nouveau) gentiment tout ce qui a souvent été un peu risible dans la mythologie de Batman, comme Gordon qui n’a jamais reconnu sa fille dans le costume de Barbara « à cause d’un stupide masque en cuir » [autour de ses yeux].

Un peu d’humour au détour de quelques vannes ou punchlines qui manquait peut-être auparavant est le bienvenu. Quelques étrangetés subsistent, comme le matériel informatique utilisé (disquettes et gros écrans d’ordinateurs) qui laisse penser que le récit n’est peut-être pas si « moderne » que cela malgré (dans le tome précédent) l’utilisation de smartphones et de vidéos virales. Une erreur de l’auteur ou une volonté d’être semi-vintage ou plus ou moins intemporel ? Toujours dans les incohérences ou fourvoiements, Batgirl se remet étonnamment vite d’une blessure profonde et on reste surpris d’un certain mutisme planant lors de séquences spécifiques…

Après six chapitres, s’intercale un interlude dessiné par Klaus Janson (encreur de la saga The Dark Knight Returns, donc Murphy reconnaît bien volontiers l’inspiration pour son propre travail, évoquant en Janson une de ses idoles) et intitulé Von Freeze. Prévu initialement pour s’intégrer dans le premier volume (dans lequel Freeze, son passé commun avec les Wayne et des nazis étaient mis en avant), il trouve une place ici plus ou moins bancale ; cassant l’immersion et le rythme du récit principal (en plus de ne pas du tout être dans le même style graphique) et, surtout, y semblant peu connecté suite aux raisons qu’on vient d’évoquer.

Malgré tout, l’épisode est plutôt réussi et s’ancre habilement avec l’Histoire de notre monde et celle, toujours, de cette « nouvelle » mythologie du Chevalier Noir remaniée par Murphy. Seule la fin raccroche fébrilement les wagons avec Curse…. Pourquoi pas inclure ce chapitre spécial dans les prochaines rééditions de White Knight tant il semble davantage y être destiné ? La postface de Murphy, datée de novembre 2019, explique que la famille de Janson a elle-même vécu la fuite de l’Allemagne, à l’instar de ce qu’on lit dans la fiction.

En conclusion, difficile de s’extasier devant Curse of the White Knight qui passe après « l’excellence » (voire le chef-d’œuvre) qu’était son prédécesseur. Le comic demeure intéressant dans l’ensemble car Sean Murphy continue de réinventer l’univers de Batman à sa sauce avec une certaine audace mixée à de jolies évolutions mais malheureusement avec un traitement narratif fortement inégal. Un tiers de l’ouvrage aurait mérité une approche plus terre-à-terre et dans un style plus connecté à ce qui faisait la qualité de White Knight. Cet écart va perdre une partie de son lectorat et surtout « l’aura » qui gravitait autour de cette nouvelle série — sans pour autant rappeler le fossé (immense) entre The Dark Knight Returns en son temps, qui rebâtissait lui aussi la mythologie du Chevalier Noir, et sa première suite catastrophique The Dark Knight Strikes Again.

Curse of the White Knight reste pertinent par certains aspects et il serait dommage de passer à côté, ne serait-ce que pour sa qualité graphique exceptionnelle : traits anguleux et design des personnages toujours aussi inédits, découpage endiablé et efficace (aussi bien dans les scènes d’action que dans celles plus calmes), colorisation peu criarde et élégante (à nouveau assurée par Matt Hollingsworth), etc. Malgré tout, il y a de fortes (mal)chances d’être déçu tant certaines pistes ne sont pas exploitées (quid des autres ennemis ?) et certaines choisies sont nazes (cf. quelques paragraphes plus haut). Encore une fois, le titre se suffit à lui-même mais appelle, sans surprise, à une suite (la fin joue sur un habile teaser).

Pour vulgariser, le comic pourrait se diviser en trois parties : une sur la partie « historique » de Gotham/ancêtre de Bruce (qu’on a donc peu aimé — mais évidemment si ça vous attire foncez, on rêve de voir Sean Murphy sur une œuvre de pirate par contre, il dessine merveilleusement bien ce style), une sur la « seconde partie » de l’arc urbain/juridique/vigilante (la meilleure) et une rassemblant les scènes de combat et affrontements, physiques ou en véhicules, parfois très sanglants et brutaux voire gores (très appréciable). On reste donc sur un quota qualitatif au-dessus de la moyenne. Un second tome qui fera sans aucun doute moins date que son aîné, au résultat en demi-teinte mais qu’on conseille tout de même, pour prolonger la découverte d’un univers atypique et solide.

Comme souvent chez Urban, de nombreuses pages bonus ferment la bande dessinée. Galerie de couvertures alternatives, planches crayonnés (donc noires et blanches), carnet graphique… s’étalent sur une quarantaine de pages. La version noir et blanc ne les comporte pas en revanche. Cette dernière apporte une vision différente, plus « noire », un côté polar et graphique élégant mais qui ne rend pas honneur au travail d’Hollingsworth pour toutes les scènes de combat, surtout celles avec la lame enflammée d’Azraël ou des explosions — les tons orangées sont sublimes. Cela reste évidemment un bel objet en attendant de jeter un œil sur l’autre édition, encore plus limitée (1500 exemplaires) et agrandie.

[A propos]
Le premier chapitre (sur huit sans compter l’interlude sur Freeze) avait été distribué en novembre 2019 au Comic Con à Paris la conférence d’Urban Comics/François Hercouët puis en juillet 2020 pour le Free Comics Book Day (initialement prévu en mai 2020).

Publié chez Urban Comics le 02 octobre 2020.

Scénario & dessin : Sean Murphy (+ Klaus Janson)
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : MAKMA (Sarah Grassart, Gaël Legeard et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr :
Batman – Curse of the White Knight [édition normale – 22,50€]
Batman – Curse of the White Knight [édition limitée noir et blanc – 29,00€]
Batman – Curse of the White Knight [édition limitée format deluxe – 59,00€]

Quelques couvertures alternatives (cliquez pour agrandir).

 

 

 

 

 

Joker – Fini de rire

Fini de rire propose deux récits autour du Joker : Sain d’esprit (en quatre chapitres formant une centaine de pages) qui, comme son nom l’indique, propose un Joker sain d’esprit, ainsi que L’avocat du diable, dans lequel Batman doit innocenter son pire ennemi et donc être « l’avocat du diable » (initialement publié en one-shot et se déroulant, lui aussi, sur une centaine de pages). Cette histoire avait déjà été publiée par Semic sous forme de hors-série en février 2000 (couverture de l’époque tout en bas de cette critique). L’éditeur précise en préambule : réalisés respectivement en 1994 et 1996, les deux récits présents dans cet album mettent en scène le Chevalier Noir face à son plus grand ennemi à deux moments de leur existence. Le premier revient sur les premières années et rencontres des deux adversaires, le second se situe au présent, alors que Batman fait équipe avec un nouveau Robin (nda : Timothy Drake) et que la précédente Batgirl est devenue Oracle après avoir été agressée par le Joker dans le fameux Killing Joke. (Re)découverte.

[Résumé de l’éditeur]
Le Joker est enfin parvenu à ses fins : il a tué Batman au cours d’un duel explosif ! Mais à présent que son plus cher ennemi n’est plus que lui reste-t-il à faire de ses journées ? Ainsi, l’ancien Clown Prince du Crime devient Joe Kerr, un simple citoyen de Gotham, et ne tarde pas à tomber amoureux. Mais l’ancien maniaque est-il véritablement devenu sain d’esprit ?

[Histoire : Sain d’esprit]
Le résumé juste au-dessus colle parfaitement au début du récit, il n’y a rien d’autre de particulier à évoquer, c’est amplement suffisant.

[Critique]
N’y allons pas par quatre chemins : Sain d’esprit a beau être « sympathique », il a plutôt mal vieilli… Faute à un scénario réitéré depuis en nettement meilleur (White Knight), à un rythme en demi-teinte (on s’attarde sur des choses peu intéressantes et on survole celles qui le sont) et éventuellement (pour certains) les dessins un peu « vintage » — que l’auteur de ces lignes a apprécié. Autre problème : de nombreuses références à des artistes ou acteurs humoristiques et… leur traduction (compliquée au demeurant, personne n’est à blâmer). Voici ce qu’on peut lire en début d’ouvrage de la bouche du Joker par exemple : « Je leur donne une petite pincée de Fernand Raynaud, un soupçon de Louis de Funès et je saupoudre d’un peu de Raymond Devos ». En version originelle, ce sont Lou Costello, Harry Langdon et Dennis Day qui sont mentionnés. Plus loin on retrouve « Harold Lloyd, Laurel & Hardy, Charlie (Chaplin), Martin & Lewis ». Des noms qui ne parleront évidemment pas à tout le monde… Si Louis de Funès, Laurel & Hardy ou encore Charlie Chaplin ont un côté intemporel et sont connus de la plupart des Français, pas sûr qu’un lectorat (surtout s’il est jeune) sache qui sont Harold Lloyd, Martin & Lewis ou même Fernand Raynaud et Raymond Devos — à partir des trentenaires peut-être ? Quels noms auraient été plus judicieux ? Des comiques contemporains ? Des Français ? Difficile de jauger mais force est de constater que toutes ces mentions cassent une immersion déjà difficile.

Côté traduction, si l’on accuse souvent (à raison) Panini Comics d’être mauvais sur ce point, on retrouve quelques expressions un peu étrange ici aussi. Comme par exemple un criminel qui s’exclame « Oh… Flûte de zut ! » en voyant Batman ! Ne pouvait-on pas traduire ça par un « Oh… Putain de merde ! » ou quelque chose du genre ? Personne ne dit « Flûte de zut ! », encore moins un malfrat. D’autant que le scénario évoquera plus tard un viol, entre autres thèmes plutôt « durs »… Pas besoin donc d’éviter un langage « adulte » ou une vulgarité évidente…

Passées ces quelques anecdotes, que vaut vraiment ce récit ? Comme plus ou moins dit, ce n’est pas excellent, ce n’est pas mauvais non plus. Ce n’est pas divulgâcher de confirmer que… Batman n’est pas mort. On s’en doute avant d’entamer le comic mais on le sait immédiatement dans la lecture puisque quelques cases après sa mort (supposée), son corps est retrouvé en vie par deux enfants qui le confient à une femme médecin (comme par hasard…). Quelques planches plus loin, c’est toute la convalescence de Bruce qui est mise en avant. Aucune surprise donc sur ce sujet et c’est dommage, il aurait sans doute fallu conserver un certain suspense et montrer davantage le quotidien de Gordon et Alfred sans leur ami/allié (c’est survolé quelques cases à peine… — même si elles sont belles).

« S’il n’y a pas de Batman à rendre dingue,
à quoi ça sert, d’être dingue ?

Je… Je crois que je vais vomir.
Je crois que je vais pleurer.

Mais je ne peux pas, le maquillage serait foutu.
Mais ce n’est pas du maquillage.
C’est moi ! »

Au cœur de l’ouvrage : la folie (ou non) du Joker. Si sa « guérison » est beaucoup trop soudaine — dès la mort de Batman il redevient presque normal — son état psychologique suivi au quotidien gomme un peu ce défaut. On constate évidemment que le Joker est toujours fou et qu’il se bat jour après jour pour que sa figure du Mal ne reprenne pas le dessus ; de quoi générer une certaine empathie pour le criminel !

Le traitement narratif demeure un peu bancal (comme dit, certaines choses vont trop vites, d’autres sont trop longues) mais il y a de jolis passages, comme une pleine planche dans les pensées torturées du Joker (cf. tout en bas de cette page). De même, on peut théoriser une énième fois si le Joker est fou « à cause » de Batman ou non. C’est tout ce segment qui aurait dû être enrichi, plus sombre et détaillé. En effet miroir, côté Bruce/Batman, on retrouve un homme aimant les choses « simples » et nouant une idylle intéressante avec Lynn (un personnage qu’on ne retrouvera plus du tout dans d’autres séries sur le Chevalier Noir, dommage).

Ainsi, les deux romances qui naviguent dans le livre, l’une entre Rebecca et Joseph/Joker, l’autre entre Lynn et Lazare/Bruce, auraient gagnées — elles aussi — à être explorée. C’est peut-être là LE défaut de Sain d’esprit, il est trop épuré de quelques épisodes bienvenus… Avec deux à huit chapitres complémentaires, le lecteur aurait été plongé plus longtemps et de façon plus palpitante dans ce statu quo inédit.

Le récit tient en effet en quatre chapitres (Batman : Legends of the Dark Knight #65-68)  : Emporté par le courant, Apprendre à nager, Remonter à la surface et Le déluge. Certaines incohérences et improbabilités sont jugées dans un premier temps comme de la paresse d’écriture avant de comprendre leurs justifications à posteriori (qu’on ne dévoilera pas ici). Même si certaines demeurent un peu « faciles ».

Difficile de s’extasier donc, tant il y a plusieurs petits éléments ici et là qui ne convaient pas totalement mais la bande dessinée conserve un certain charme, « vintage » dans ses dessins d’une part, assurés par Joe Staton (co-créteur de Huntress), et dans sa situation si singulière d’autre part, inédite pour l’époque, signée J.M. DeMatteis (Justice League International). En synthèse, Sain d’esprit a trouvé une quinzaine d’année après sa publication un héritier moderne plus abouti, fascinant et réussi dans l’œuvre qu’est White Knight.

[Histoire : L’avocat du diable]

Une série de timbres illustrés de célèbres comédiens décédés est en circulation. Le Joker s’insurge : il n’est pas représenté dessus ! Dans Gotham, certains habitants meurent empoisonnés après avoir léché ces timbre, leur visage restant figé du terrible rictus souriant du Clown du Crime.

Une opération signée le Joker pour Batman, Robin et le GCPD, qui arrivent à capturer le criminel fou lors d’une de ses attaques contre des employés postaux.

Problème : le Joker n’a aucun rapport avec l’empoisonnement des timbres !
Pire : les morts continuent malgré l’arrestation du célèbre criminel et la mise en retrait des timbres.

Le Joker est jugé pour ces meurtres qu’il n’a pas commis et condamné à la peine de mort. Il va être conduit pour la première en prison à Blackgate (et non à l’asile à Arkham).

Batman sait que son pire ennemi n’a pas commis ces meurtres.
Il va enquêter pour découvrir la vérité.
Pour « défendre » son pire cauchemar.
Il va devenir… l’avocat du diable.

[Critique]
Cette fois, c’est l’inverse, le script est particulièrement soigné, original et audacieux mais ce sont les dessins (plus particulièrement la colorisation — on y reviendra) qui gâchent un peu le tout. Néanmoins rien à redire côté écriture : la centaine de pages se lit très bien, c’est rythmé, avec un certain sens du suspense et un ensemble plutôt mystérieux. Batman qui doit prouver l’innocence de sa Némésis est stimulant comme jamais !

Les notions de justice et vengeance sont une fois de plus mises en avant dans un contexte de la mythologie du Dark Knight relativement spécifique. En effet, comme évoqué en début d’article, chez les Gordon, le traumatisme de Killing Joke est encore frais : Barbara (devenue Oracle) refuse ainsi d’aider ses alliés et Gordon ferme volontairement les yeux sur la « vérité » de l’affaire. On retrouve aussi un nouveau Robin, Timothy Drake, qui fait ses premières armes sur cette enquête peu banale et doit suivre les recommandations de son mentor.De son côté, le Clown du Crime est savamment retranscrit, tantôt drôle, tantôt colérique, faisant peur tour à tour pour diverses raisons. Incontournable pour les fans de l’ennemi emblématique.

Il est dommage de dévoiler (en dessin dans un premier temps) le coupable (un « inconnu » qui plus est) dès le début de l’histoire. Il aurait été intéressant de conserver son aura énigmatique plus longuement — ce qui, paradoxalement, est tout de même brillamment accompli mais on n’en dira pas plus plus. Nul doute qu’en utilisant la galerie de vilains emblématiques (comme le Pingouin, Double-Face et l’Homme-Mystère), le récit aurait pu se hisser parmi les titres cultes et « connus » du grand public au fil du temps. Gageons que cette réédition aide en ce sens.

Batman à Gordon :
– Il n’est pas coupable. Il n’a rien à voir avec les timbres empoisonnés, ni avec la tentative d’extorsion. […]
J’ai toujours cru que vous préfériez la justice à la loi. Le Joker risque la peine de mort pour un crime qu’il n’a pas commis.
Il l’a méritée une bonne centaine de fois. Cette fois-ci, il n’y coupera pas.
– Vous savez que ça ne fonctionne pas comme ça.
– Ouais. Mais ça devrait. Au moins cette fois.

L’avocat du diable est écrit par Chuck Dixon, scénariste fin connaisseur du Chevalier Noir qui a œuvré sur de nombreux titres comme les sagas Knightfall et No Man’s Land par exemple, ou encore les excellents Robin – Année Un et Batgirl – Année Un. Il est aussi le co-créateur de Bane. Une pointure donc, dont le texte passionne d’emblée.

C’est son fidèle compère Graham Nolan qui a la charge des dessins, lui aussi a travaillé sur Knightfall, entre autres. Si Nolan a un trait plutôt simple et précis, il perd en crédibilité dès que les visages sont en gros plans… Pire : la colorisation, visiblement effectuée avec les débuts du numérique, est particulièrement affreuse, surtout sur les visages à nouveau. Le comic serait très certainement meilleur en noir et blanc, lui conférant une ambiance plus sombre qui siérait à ravir au titre.

Ce récit a lui aussi trouvé une sorte d’héritier moderne dans l’excellent huitième tome de la série Batman Rebirth (Noces Noires) dans lequel (dans sa deuxième partie) Bruce Wayne fait partie des jurés d’un procès contre Mr. Freeze, arrêté par Batman. Wayne doit convaincre ses pairs que le Chevalier Noir ne représente pas la justice et « défendre » indirectement son ennemi !

[Conclusion de l’ensemble]
Malgré les défauts inhérents et évidents aux deux histoires, il serait dommage de passer à côté de Joker – Fini de rire pour plusieurs raisons. Son prix abordable tout d’abord (19€ les 200 pages), la singularité et l’originalité des deux titres ensuite (un Joker sain d’esprit puis un Joker à innocenter), le charme vintage des dessins enfin.

On ajoute bien volontiers que le titre est sans aucun doute incontournable pour les fans du Clown Prince du Crime (peut-être un peu moins pour les férus du Chevalier Noir uniquement, un peu en retrait). C’est aussi une curiosité intéressante pour ceux qui ont aimé les très contemporains White Knight et le second acte de Batman Rebirth – Noces Noires car on trouve, d’une certaine façon, dans Joker – Fini de rire les prémices de ces deux récits désormais cultes ! On recommande donc la découverte tout en ayant à l’esprit que ce n’est pas ça qui révolutionnera/a révolutionné l’industrie ou le personnage du Joker.

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 28 août 2020.

Scénario : J.M. DeMatteis (1), Chuck Dixon (2)
Dessin : Joe Staton (1), Graham Nolan (2)
Encrage : Steve Mitchell (1), Scott Hanna (2)
Couleur : Digital Chameleon (1), Pat Garrahy et Heroic Age (2)

(1) Sain d’esprit
(2) L’avocat du diable

Traduction : Jean-Marc Laîné
Lettrage : Cromatik Ltée – Île Maurice

Acheter sur amazon.fr : Joker – Fini de rire

Ci-dessus, la couverture de la précédente édition française (chez Semic) de L’avocat du diable, second segment de Fini de rire.