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Catwoman – Tome 1 : La règle du jeu

Début des critiques de la série Catwoman de l’ère New52 (Renaissance), dont les premiers chapitres ont « littéralement défrayé la chronique dans leur pays d’origine, informe l’éditeur en quatrième de couverture, en offrant au lecteur une version très explicite de la relation liant Selina au protecteur de Gotham ». En France, quasiment l’entièreté des 52 épisodes a été publié dans deux séries différentes : Catwoman (en 5 tomes) puis Catwoman Eternal (2 volumes). De quoi segmenter la fiction en trois petits « runs » (même si les deux premiers forment un « tout » très inégal) : un premier écrit par Judd Winick (tomes 1 et 2, qu’on conseille), un second par Ann Noccenti (tomes 3 à 5, catastrophique) et un troisième et dernier par Geneviève Valentine (Catwoman Eternal, proposition inédite et intéressante). Retour donc sur le premier tome de Catwoman, La règle du jeu, publié il y a quasiment dix ans : en juin 2012 !

[Résumé de l’éditeur]
Plus que le profit qu’elle en retire, rien n’excite plus Selina Kyle que la cambriole, ou l’art de dérober au nez des plus puissants leurs objets de valeur. Mais si elle n’hésite pas à utiliser ses charmes pour arriver à ses fins, tous n’y succombent pas, et Catwoman mettra, malgré elle, ses proches sous la coupe de nouveaux truands revanchards. Et cette fois, même sa relation intime avec le protecteur de Gotham ne pourra pas la tirer d’affaire.

[Début de l’histoire]
À force d’enchaîner les vols, Catwoman cumule un peu trop d’ennemis. Quand certains remontent sa trace et font exploser son appartement, Selina Kyle doit trouver un hébergement d’urgence et… de l’argent.

Si la jeune femme jongle entre ses sorties nocturnes et ses ébats charnels avec Batman, elle arrive tout de même à trouver quelques gros coups pour se refaire une santé financière.

Mais lorsqu’un drame surgit et que Catwoman vole davantage que prévu, elle se retrouve mêlée à plusieurs conflits, en plus d’être un peu perdu elle-même…

[Critique]
Voilà un titre qui, sans surprise, devrait ravir les fans de Catwoman (les autres pourront aisément passer leur chemin même si Batman y apparaît un petit peu). S’il n’y a pas – pour l’instant en tout cas – de gros fil rouge narratif avec des ennemis connus et/ou charismatiques (Allonge et L’Os dans l’immédiat – cf. deux dernières images de cette critique), on se plaît à suivre les états d’âmes de Selina, naviguant dangereusement entre plusieurs sphères et désarçonnée face à la violence de certaines personnes qu’elle a volées. Le « quotidien » de la féline est d’ailleurs ce qui est habilement mis en scène, page après page.

Un quotidien qui n’est pas de tout repos et enchaîne autant de phases d’action que de brèves contemplations Pas question ici de croquer des « tranches de vie » mélancoliques ou banales mais de suivre Selina dans tous ses états d’âmes. Quand elle se bat, quand elle gagne, quand elle perd, quand elle jubile, quand elle déprime, quand elle a envie de faire l’amour, et ainsi de suite. Et les conséquences de ses actes sont parfois dramatiques, ajoutant une couche de « mal-être » à la belle.

On l’évoquait dans l’introduction, le titre aurait « littéralement défrayé la chronique [aux États-Unis] » ! Pourquoi et qu’en est-il vraiment ? Et bien, Catwoman (la série autant que son héroïne) se montre parfois peu vêtue, très à l’aise avec sa sexualité ou, quand elle revêt son costume, diaboliquement sexy (sa combinaison moulante est du plus bel effet chromatique – on y reviendra). Il n’y a visiblement pas besoin de montrer « grand chose » pour heurter/choquer/surprendre/séduire le lectorat (on est loin de la polémique ridicule de Batman – Damned tout de même) car la protagoniste ne sera jamais dénudée entièrement, portera toujours de la lingerie, on ne verra jamais les tétons de sa poitrine, son sexe ou ses fesses.

Apparemment, la scène d’amour un peu « bestiale et sauvage » entre Batman et Catwoman (à la fin du premier chapitre) est celle qui a fait réagir. Pourtant, elle n’est jamais vulgaire, elle montre une relation intime entre deux adultes comme cela pourrait arriver à n’importe quel couple (sauf qu’eux portent des costumes, quoique… cela peut aussi arriver à n’importe quel couple !). Pas de quoi crier au loup donc même si on reconnaît et comprend le petit côté « subversif » que cela peut susciter : au lecteur de trancher s’il estime que cet aspect « sexy/sexué » de Selina fait partie de l’ADN du personnage ou si l’équipe artistique – composée de trois hommes – se vautre dans un sexisme un peu facile : des femmes en lingerie/tenues sexy, des poses subjectives, du sexe plus ou moins « gratuit » (mais qui sert, à notre sens, l’histoire), etc.

En complément, la fiction est assez brutale et très sanglante. Il y a l’habituelle violence inhérente au genre mais cette fois, elle est chargée en hémoglobine tout en étant assez graphique. Des personnages secondaires trépassent… Les effusions de sang ajoutent une touche « réaliste » dans une énième production mainstream qui souvent n’en ont pas, alors autant l’apprécier. Bref, du sexe et du sang, une formule épuisée mais gagnante ? Sur ce site, on trouve que oui ! Car avant tout, ce premier volume suit une héroïne en proie à quelques démons, particulièrement attachante – le point fort de l’œuvre. Selina est dépeinte comme une personne espiègle et fragile, séductrice oui mais sans tomber dans la facilité narrative ou visuelle.

La règle du jeu est en plus particulièrement accessible puisqu’il profitait du relaunch de l’époque (New 52) pour être une porte d’entrée pour un grand nombre de lecteurs, amateurs ou non de Catwoman. S’il ne révolutionne pas grand chose dans son histoire, le livre met en avant un personnage qui bénéficie d’un capital sympathie d’emblée et de ces quelques séquences « inédites » dans le média (sexe et sang donc, tout en restant relativement soft). Le comic n’oublie pas non plus d’avoir un peu d’humour (malgré l’ensemble assez sombre, in fine), assuré par Selina évidemment, dont le charisme sans faille permet une bonne lecture (si les nouveaux ennemis avaient été plus soignés, on aurait pu avoir un coup de cœur sur ce site). Sa relation avec Batman est à l’image de celle éculée : tantôt passionnelle, tantôt amoureuse, tantôt conflictuelle, toujours mystérieuse et élégante ! C’est aussi un des atouts du titre.

Du reste, les dessins de Guillem March (à l’œuvre dans Joker Infinite et diverses séries : Batman Detective Comics, Batman Rebirth…) couplés à la sublime colorisation de Tomeu Morey (vu récemment sur les Joker War et Batman Infinite – où March signe également certains épisodes) volent la vedette au scénario de Judd Winick (plus à l’aise dans les dialogues). Les traits sont fins, élégants, parfois réalistes, idéaux quand ils croquent le charme « physique » de Selina. Les reliefs sur la combinaison de cuir (ou latex) sont une merveille (inspirée par la version burtonienne de Michelle Pfeiffer dans Batman – Le Défi ?), sans lui conférer gratuitement des formes généreuses qui n’auraient eu aucun intérêt.

La jeune femme y apparaît plus vivante que jamais, expressive, sensuelle, charnelle… Les nombreuses scènes d’action sont lisibles, la lecture est fluide, passionnante aussi bien graphiquement que narrativement. Bref, on conseille cette première (et « nouvelle ») salve d’aventures de Catwoman qui, on le rappelle, va s’étaler sur cinq tomes au total (sept en comptant sa suite plus ou moins directe Catwoman Eternal). Une fiction où l’on découvre la vie mouvementée d’une « simple voleuse » à Gotham City avec un peu de mafia russe, de police corrompue et un ange gardien chauve-souris !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 8 juin 2012
Contient : Catwoman #1-6

Scénario : Judd Winick
Dessin : Guillem March
Couleur : Tomeu Morey

Lettrage : Thomas Davier
Traduction : Christophe Semal et Laurence Hingray

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Batman Infinite – Tome 3 : État de terreur (2ème partie)

La séduisante proposition graphique du tome précédent compensait quelques faiblesses narratives. En est-il de même pour cette suite et fin d’État de terreur ? Oui et non. Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Tandis que Poison Ivy développe un réseau de plantes dans les souterrains, Gotham City est rongée par la terreur. Dernier rempart contre ce système de peur permanente promu par Simon Saint, Batman et Miracle Molly poursuivent leur combat. De son côté, l’Épouvantail couve de sombres projets pour traumatiser encore davantage les Gothamiens…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, le résumé de l’éditeur et la critique ci-dessous suffisent.

[Critique]
À l’instar du volume précédent, une critique par ordre chronologique semble plus pertinent du fait de son éclatement entre les épisodes (sept au total), provenant de différentes séries (deux régulières et deux récits complets). Le premier chapitre, Batman #115 nous ramène dans la série mère initiale, toujours écrite pas James Tynion IV, dessinée et encrée par Bengal et Jorge Jimenez avec une fois de plus Tomeu Morey à la colorisation exceptionnelle, entre autres sur ses jeux de lumière.

On avance un peu plus dans un récit qui « stagnait » jusqu’à présent. Ici, on a Batman et Miracle Molly d’un côté, l’Épouvantail et Sean/Peacekeeper-01 d’un autre, le tout avec Saint qui veut la tête d’Ivy ! Simple mais efficace, sans trop d’éclat (l’action est rapide) et graphiquement Jimenez intervient peu, laissant à Bengal la majorité des planches, pour un résultat graphique un peu plus convenu, malheureusement… L’époque du No Man’s Land est mentionnée, inscrivant – s’il le fallait – cette ère Infinite dans la chronologie « officielle » du Chevalier Noir.

Place ensuite à Nightwing #85, qui remet en avant Dick et Barbara, alias Batgirl. Tom Taylor est toujours à l’écriture (très bon auteur prolifique : DCEASED, Injustice, Suicide Squad Rénégat et, bien sûr, Nightwing Infinite), sublimée par Robbi Rodriguez à l’encrage et au dessin, avec Adriano Lucas – pour un résultat incroyable, graphiquement élégant et au style singulier, une vraie merveille !

Augure est le nom de la femme qui a pris possession du réseau de l’Oracle pour diffuser de fausses informations. Pour en venir à bout, il faudra davantage qu’une destruction physique de matériel informatique. De quoi ouvrir une parenthèse sur le passé du binôme (avec une autre patte artistique – tout aussi réussie) et montrer quelques séquences d’action plus originales que celles de Batman. Si le récit tente une fausse surprise « choquante » (désamorcée en quatre planches mais de toute façon on n’y croyait pas), il ne commet pas d’impairs et conjugue tout ce qu’il faut pour être passionnant, autant dans les aventures de Batgirl que celles de Nighwting, de l’évolution des deux héros et dans l’entièreté de la fresque narrative de l’œuvre globale.

On enchaîne avec le Batman #116 où Jimenez opère cette fois seul aux dessins (tant mieux). L’action bat son plein avec plusieurs confrontations dont le retour de Ghost-Maker (qui reste toujours un deux ex machina…) en allié de Poison Ivy, une situation inattendue à propos de l’Épouvantail, un affrontement très brutal entre Batman et Peacekeeper-01, etc. Des séquences plutôt explosives donc, qui font avancer aussi bien l’histoire (vers une conclusion abrupte ?) que sceller le sort des protagonistes.

Heureusement, le style si atypique de Jimenez couplé à la colorisation sans faille de Morey continuent d’émerveiller tout l’univers de Tynion mis en place depuis le premier tome de Joker War (dont Batman Infinite est la suite directe). Entre les planches de la série Batman avec ce trio artistique et celles de Nightwing, c’est un régal pour les rétines ! On avait justement quitté Nightwing avant cet épisode, on le retrouve juste après – gommant déjà le problème de rythme du premier volet d’État de peur qui jonglait entre trop de récits plus ou moins indépendants, cassant l’immersion narrative – ce n’est donc pas le cas ici, arrivé à la moitié du livre.

Nightwing (#86) reprend pile où il s’était arrêté, avec Dick, Barbara et Tim. D’emblée une mention au back-up de Batman #116 est prononcée mais ce segment n’est pas inclut dans la BD, dommage… Nighwing, Batgirl, Red Robin, Orphan et Spoiler vont affronter Augure, ses robots et Simon Saint. Une conclusion assez convenue et expéditive mais qui reste correcte. En revanche, la série se vautre encore dans une fausse tragédie (on nous fait croire aux morts de certaines personnes – on n’y croit absolument pas – et c’est vite rétabli), pénible…

Reste la proposition graphique, toujours séduisante et le capital sympathie de Dick couplé à Barbara, le duo fonctionne très bien et est super attachant. La fin de l’épisode ouvre également sur une nouvelle antagoniste à suivre.

Dernier chapitre de Batman (#117), permettant de maintenir le rythme impeccable instauré dès le début dans le comic. Le fameux « État de terreur » prend fin, entre exécutions un brin rapides et quelques évènements inattendus, avec une certaine pointe de poésie… Une première conclusion mi-figue mi-raisin (la seconde, la « véritable », est à découvrir en toute fin d’ouvrage, dans Fear State Omega #1.), pour une histoire qui s’était trop attardée dans le premier volet puis s’est soudainement accélérée dans le second, avec parfois une impression de survol.

Si l’arc avec Ivy semble précipité, il trouvera une explication plus poussée juste après dans le chapitre Batman Secret Files – The Gardener #1 ; à ce stade, pour expliquer la métamorphose d’Ivy, il faut se tourner vers Tout le monde aime Ivy, le sixième tome de Batman Rebirth (!), et vers la série Catwoman dans… Batman Bimestriel #14 – tous deux cités par l’éditeur au détour d’un dialogue avec Harley Quinn. Un peu rapide pour tout saisir. Du côté de Batman et ses alliés, on retient un Chevalier Noir fougueux, moins désespéré qu’à une époque, interagissant astucieusement avec Molly, entre autres. La conclusion de l’ensemble est donc à découvrir après la critique des deux derniers épisodes qui complètent évidemment cette petite fresque chapeautée par James Tynion IV.

Le chapitre Batman Secret Files – The Gardener #1 est sobrement nommé Interlude dans l’édition française – avant l’ultime épisode. Nouveau style graphique, intégralement signé Christian Ward (dessin, encrage, couleur) qui dénote avec ce qui était montré jusqu’à présent tout en restant très soigné. Le découpage y est hors-norme, jouant entre les cases et les mises en scène des planches afin de constituer une lecture parfois labyrinthique ou décloisonnée (rappelant modestement Batman Imposter par exemple, avec la patte unique d’Andrea Sorrentino). Les palettes chromatiques, forcément majoritairement émeraudes, épousent à merveille les traits de l’artiste; mêlant végétation luxuriante et instants intimes feutrés.

On y découvre plus en détail le Dr Bella Garten, aperçue brièvement dans les volets précédents – introduite comme l’ex petite amie d’Ivy alors que cela n’avait jamais été évoqué auparavant. Un procédé scénaristique un peu facile donc, à la manière de Ghost-Maker, considéré comme un élément implanté dans l’univers de Batman depuis longtemps alors qu’on le découvre seulement aujourd’hui. Ce système d’écriture est appelé retcon pour retroactive continuity, soit la continuité rétroactive. Cela consiste à placer un nouvel élément narratif en l’implémentant a posteriori dans un texte/une œuvre, tout en faisant croire (à grands renforts de flash-backs montrant des scènes d’un autre point de vue) qu’il y est disséminé depuis longtemps, c’est-à-dire « défaire la continuité rétroactivement » pour constituer une nouvelle chronologie – Star Wars en est adepte.

L’occasion de mentionner Jason Woodrue, responsable de la transformation de Pamela Isley en Poison Ivy, un personnage (important dans l’histoire d’Ivy) déjà abordé dans Batman Arkham – Poison Ivy. Étonnamment, cet interlude vient complémenter efficacement cet autre comic centré sur l’Empoisonneuse puisque sa relation avec Woodrue était à peine montrée dedans. Le chapitre débouche sur la création d’une « germe contenant le meilleur de Pamela » (sic – utilisée dans l’épisode d’avant). C’est surtout l’évolution de Pam/Ivy qui est intéressante ici, sublimée par les jolies planches de Ward. Du reste, on s’étonne que ce segment n’ait pas été proposé plus tôt (en ouverture de ce troisième tome de Batman Infinite ou dans le deuxième, qui faisait la part belle à plein de récits annexes).

Enfin, Fear State Omega #1 vient fermer le titre – simplement renommé Conclusion dans l’album. Après Fear State Alpha #1 (dans l’opus précédent), cet Omega apporte une conclusion plus développée de toute cette ère étatique de peur. Écrit par James Tynion IV à nouveau mais dessiné par cinq artistes différents (!), l’ultime épisode permet d’achever aussi bien les deux volumes État de terreur que les trois de Batman Infinite puisque le premier (Lâches par essence) y était aussi connecté. On peut même inclure les trois tomes de Joker War, formant ainsi un run en six volets, en attendant la suite…

Il manque à cet état de peur, une dimension plus civile, à hauteur d’homme, comme l’on pouvait la suivre dans Joker War. Néanmoins cette conclusion permet à Batman de « respirer » et, surtout, de s’exprimer, lucide sur son utilité (de plus en plus restreinte) à Gotham et l’avenir de la ville avec ou sans lui. Une approche bienvenue après des épisodes plus ou moins bavards mais qui allaient à l’essentiel. Fear State Omega s’attarde aussi sur quelques têtes connues (Bao/Clown Hunter, Ghost-Maker, Peacekeeper-01…) ou en évoque d’autres le temps d’une ou deux cases (le Batman de Futur State, le collectif Unsanity, Amanda Waller, Catwoman…).

Ce balayage des protagonistes (hors Batman et Crane, les deux mis en avant ici), permet de terminer un long récit qui a offert de belles perspectives graphiques (son point fort), des situations excitantes (les manipulations multiples), de nouveaux personnages plutôt travaillés (Molly, Sean…) et de jolies parenthèses (le duo Nightwing/Batgirl). Malheureusement, le rythme un brin décousu entre les multiples séries et titres complets perd parfois un peu le lecteur, sans s’attarder suffisamment sur ce qui aurait été plus judicieux voire mérité (le parcours d’Ivy, Quinn quasiment absente, Saint expédié aussi, etc.). Une histoire qui, in fine, repart un peu à zéro et ouvre, une fois de plus, un nouveau segment narratif qui pourrait être audacieux et inédit (à suivre dans les cinq chapitres qui seront dans le tome 4 de Batman Infinite, prévu le 23 septembre, écrit et dessiné par une nouvelle équipe – Joshua Williamson et Jorge Molina au scénario, Mikel Janin (Batman Rebirth) au dessin).

Mais, comme toujours, c’est après quelques années qu’on se rendra compte si le récit est resté intemporel et fortement ancré dans la mythologie du Chevalier Noir. Dans l’immédiat, sans être un gros coup de cœur ni une déception ou un loupé, ces tomes 2 et 3 de Batman Infinite sont à savourer visuellement. À ce stade, on retrouve les mêmes critiques que les runs d’auteur précédents, Grant Morrison, Scott Snyder, Tom King et désormais James Tynion IV : chacun y livre un sentier parfois original, parfois convenu, souvent inégal mais proposant de belles choses, graphiquement et scénaristiquement. Chaque artiste a déjà marqué la mythologie de Batman, certains de façon clivante (Snyder), d’autres plus acclamés par un lectorat spécialiste (Morrison) ou néophyte (King). Une chose est sûre : les titres courts ou les récits complets marquent davantage l’Histoire, grâce à un accès plus aisé et un investissement économique (et de temps) moins élevé.

En synthèse, si vous avez aimé la fiction depuis Joker War, aucune raison de ne pas aller jusqu’à État de terreur. Si vous avez trouvé ça « sympa sans plus », inutile de poursuivre. Si vous accordez autant d’intérêt aux graphismes qu’au scénario alors vous serez séduits, sans aucun doute !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 juin 2022.

Contient : Batman #115-117, Nightwing #85-86, Batman Secret Files – The Gardener #1 et Fear State Omega #1.

Scénario : James Tynion IV + Tom Taylor
Dessin & Encrage : Jorge Jimenez + Robbi Rodriguez  + Christian Ward (+ collectif)
Couleurs : Tomeu Morey + Adriano Lucas + Christian Ward (+ collectif)

Traduction & Introduction : Jérôme Wicky & Thomas Davier
Lettrage : Makma (Sabine Maddin, Michaël Boschat et Gaël Legeard)

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Ci-dessous les six couvertures variantes de la série Batman qui constituaient un grande fresque une fois rassemblée.

Batman Infinite – Tome 2 : État de terreur (1ère partie)

Suite de Joker War, Batman Infinite a démarré avec un premier tome de bonne facture, pas forcément révolutionnaire ou original sur le fond mais avec quelques nouveautés sympathiques (dont des nouveaux personnages) et, surtout, il était très séduisant sur la forme. État de terreur poursuit la série avec une intrigue étalée dans deux volumes. Découverte et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Gotham City est en passe d’instaurer la loi martiale ! Bien malgré lui, Batman a fait le jeu de l’Épouvantail qui, après un an de préparation, a déclenché une attaque coordonnée sur Gotham City en manipulant Simon Saint et Peacekeeper-01. Mais d’autres forces sont à l’œuvre avec l’émergence d’un Anti-Oracle qui diffuse des fake news sur tous les canaux et appelle les habitants de Gotham à céder à la terreur et à la violence dans les rues de la ville !

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, le résumé de l’éditeur et la critique ci-dessous suffisent.

[Critique]
La composition du tome est assez particulière. Pour faciliter la lecture, abordons-la dans l’ordre chronologique choisi par l’éditeur. État de terreur (1ère partie) s’ouvre sur un prologue dédié à Miracle Molly, introduite dans le tome précédent de Batman Infinite. Ainsi, Batman Secret Files : Miracle Molly #1 (son titre VO) s’étale sur une quarantaine de pages et montre le passé de Molly, alias Mary Kowalski. James Tynion IV signe évidemment le scénario de sa énième création (et il est bien plus inspiré que pour les origines de Punchline, cf. Joker War – Tome 2). Les dessins et l’encrage sont assurés par Dani, la couleur par Lee Loughridge. La partie graphique est clairement le point fort de ce segment, proche d’une bande dessinée franco-belge indépendante, bien loin des productions mainstreams et leur classicisme stylisé et chromatique (qui peut bien sûr être soigné et réussi).

Côté histoire, on navigue entre présent et flash-back. On comprend mieux la personnalité de Molly – plutôt attachante – et la voie que propose le collectif Unsanity : perte de mémoire de son « ancien moi » pour renaître dans sa forme la plus pure et complète de soi, transhumanisme assumé, corps organique et éventuellement électronique… Et bien sûr un mouvement plutôt anarchiste fondé sur l’émancipation du diktat de la société actuelle. Il y a, forcément, une résonance assez forte avec notre ère moderne (le récit est plus ou moins féministe aussi). Il n’y a strictement aucune allusion à Batman ou même à Gotham, on reste complètement en marge de l’intrigue principale. Cela n’entache pas le récit, découvrir Mary/Molly est très plaisant et enrichit rétroactivement le volume précédent (dans lequel cet épisode aurait eu davantage sa place qu’ici puisque Molly apparaît peu dans ce second volume).

Place après à Batman Fear State Alpha #1, cette fois dessiné et encré par Riccardo Federici, colorisé par Chris Sotomayor – on en reparle plus loin – et toujours écrit par Tynion IV. On revient en arrière (à nouveau) pour voir la première rencontre entre Simon Saint et Jonathan Crane, alors enfermé à Arkham. Un court passage qui lève brièvement le voile sur le plan de l’Épouvantail, établi longuement en amont, désireux de retrouver le matériel du Chapelier Fou et d’être directement nommé et reconnu pour le futur état (Futur State, tout le monde l’a ?) de peur qu’il souhaite bâtir, en connexion avec le réseau et l’argent de Saint. Le titre reprend ensuite où s’était achevé le premier tome. On retrouve donc Batman prisonnier de Crane, Harley à la recherche d’Ivy avec Molly, le Peacekeeper en fuite, Montoya en conflit avec le maire Nakano (qui a instauré le programme « Magistrat », laissant trop d’autorité à une entreprise privée pourvue d’une milice dangereuse) et Barbara qui assiste impuissante à un message diffusé partout provenant de… l’Oracle ! S’il ne s’agit bien sûr pas de la justicière, le discours alarme la population : Batman y est déclaré mort et l’annonce stipule qu’il ne faut pas croire le « Magistrat » ni le gouvernement et qu’il faut se préparer à la guerre !

Clairement le chapitre qui contextualise efficacement les enjeux et la situation actuelle si on avait oublié le tome précédent et qui fait avancer la narration de façon pertinente : Poison Ivy est de retour, l’Anti-Oracle est prometteur, quelques têtes connues (ré)apparaissent (Orphan, Spoiler, Catwoman et un mystérieux potentiel justicier – qui devrait être, en toute logique, le Batman noir issu de Futur State (pas encore lu par l’auteur de ces lignes)). Graphiquement, le ton est plus « doux », presque feutré grâce à une colorisation proche de pastelles voire carrément de crayons de couleurs. De quoi connoter fortement avec le précédent épisode ! Mais, une fois encore, ce n’est pas déplaisant, juste non homogène.

Retour à l’équipe artistique habituelle de la série Batman pour le chapitre #112 : Jorge Jimenez au dessin et à l’encrage, Tomeu Morey à la couleur. Un segment dans la droite lignée du précédent, qui poursuit ce qui a été entamé, avec une mise en avant de Simon Saint et, surtout, le retour du Chevalier Noir (pas besoin de le détailler davantage). Les planches sont toujours aussi élégantes, propulsant Queen Ivy et l’Épouvantail au rang des ennemis sublimés graphiquement et qui marqueront durablement la mythologie de Batman. L’illustration de couverture de ce deuxième tome provient d’ailleurs d’ailleurs d’un dessin pleine planche et non d’une couverture classique ou variante (cf. dernière image de cette critique).

Un autre Batman Secret Files s’ajoute aux épisodes, sur Peacekeeper-01 cette fois, toujours écrit par James Tynion IV mais avec Ed Brisson en complément. Dessin et encrage de Joshua Hixson, couleur de Roman Stevens. Comme pour Molly, on navigue entre le passé de Sean, son héritage paternel lourd à assumer, ses échecs pour redorer le blason familial, son sauvetage « héroïque » lors de l’attaque d’Arkham, son retour en Peacekeeper… et le présent où il est simplement en fuite, reprenant donc son statu quo à la fin de l’opus précédent. L’ensemble se lit bien, développe un personnage secondaire de prime abord sympathique et montre encore une nouvelle forme graphique (à la fois avantage et défaut de l’entièreté du livre – on y reviendra).

À nouveau l’équipe habituelle pour la suite (Batman #113 – nommé par erreur #109 dans la BD) puis une incursion chez Nightwing (#84), scénarisé par Tom Taylor (très bon auteur prolifique : DCEASED, Injustice, Suicide Squad Rénégat et, bien sûr, Nightwing Infinite). Les dessins sont cette fois assurés par Robbi Rodriguez et la couleur par Adriano Lucas. Nightwing rejoint Gotham suite à un message crypté d’Oracle mais, forcément, comme ça ne provient pas de Barbara, il s’agit d’un piège…

Heureusement, le célèbre side-kick retrouve son mentor. Si ce chapitre apporte un peu de légèreté (merci Dick), il reste pour l’instant au stade d’une parenthèse héroïque inachevée et prendra sens dans le prochain tome (qui contiendra les deux épisodes suivants de la série Nightwing). À noter que l’histoire se déroule peu après Nightwing Infinite – Tome 1 (pas encore chroniqué). Enfin, on retrouve un ultime chapitre de Batman (#114) en guise de conclusion de l’ouvrage, toujours aussi élégant et soigné dans sa partie graphique. L’action est omniprésente, extrêmement bien découpée et fluide. Les angles de vues et partis pris visuels sont un régal, très immersifs et cinématographiques.

En synthèse, ces sept épisodes ont été rassemblés sous le titre État de Terreur (et les sous-titres prologue puis chapitres 1 et 2, puis interlude (sur Peacekeeper-01) et à nouveau chapitres 3 à 5). L’ensemble tient évidemment la route, en droite lignée du tome précédent. Seule ombre au tableau : le rythme décousu, peu aidé par son introduction et son interlude qui cassent une certaine dynamique de récit, sans oublier l’armée de dessinateurs – tous talentueux – qui annulent également une certaine cohérence graphique qu’on constatait jusqu’au tome précédent (incluant les Joker War).

Néanmoins, le récit reste palpitant, l’Épouvantail est exploité différemment avec une approche très politique (rappelant le projet d’Ozymandias dans Watchmen !), la présence de fake news et la bascule vers une sécurité accrue et des milices robotiques omniprésentes rappellent à la fois notre ère moderne tout en flirtant habilement avec un brin de science-fiction (donc d’anticipation). La figure de l’homme chauve-souris continue d’évoluer bon gré mal gré grâce à son allié de fortune, Ghost-Maker – sur lequel on a bien du mal à se positionner : comme déjà évoqué dans d’autres critiques (du tome 3 de Joker War notamment), il est apparu soudainement, était soit-disant ancré dans la mythologie de Batman depuis des années puis est devenu le bras droit quasiment indispensable au justicier, permettant d’avancer aisément voire trop facilement parfois…

Si Harley Quinn était présente dans le volume précédent, elle fait ici un peu de figuration, aux côtés de Poison Ivy – superbement croqué par Jimenez. Même Molly apparaît peu, excepté l’épisode d’ouverture qui lui est consacré. C’est Barbara Gordon qui occupe une place plus prononcée au rayon des protagonistes féminines. Il faut dire qu’entre Batman, Ghost-Maker, Nightwing, l’Épouvantail, le Peacekeeper-01 (et un nouveau), Simon Saint et d’autres hommes, difficile de naviguer de façon équilibré. Mais le titre tient ses promesses et pourra surtout être jugé une fois cet arc terminé. Rendez-vous donc le 17 juin prochain pour la suite et fin de cet État de Terreur avec les épisodes complémentaires : la suite de la série Batman bien sûr (#115 à #117), celle de Nightwing (#85-86) et les deux récits complets Batman – Fear State – Omega #1 (Alpha/Omega, forcément…) et un autre Batman Secret Files : The Gardener #1.

Ce second volume de Batman Infinite ne déçoit pas, ne révolutionne pas forcément les comics sur Batman mais arrive paradoxalement à offrir quelque chose d’assez singulier, toujours passionnant et jouit d’excellents dessins et styles graphiques différents. Si l’intrigue principale avance « un peu », il faudra obligatoirement lire la suite avant d’émettre un jugement définitif (MàJ : l’ensemble vaut le coup si on accorde autant voire plus d’importance à l’aspect visuel – au niveau de l’histoire, malgré certains segments assez intéressants et inédits, l’ensemble reste sur quelque chose d’assez convenu et un peu expéditif dans sa dernière ligne droite, cf. critique du tome 3). Gotham y est toujours aussi séduisante, différente – plus colorée mais tout aussi anxiogène – à mi-chemin entre le rétro-futuriste et le steampunk. Une vision atypique qui apporte une satisfaction par rapport à l’urbanisme habituelle de la mégalopole.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 mars 2022.

Contient Batman Secret Files – Miracle Molly #1, Batman – Fear State – Alpha #1, Batman #112, Batman Secret Files – Peacekeeper-01 #1, Batman #113, Nightwing #84, Batman #114

Scénario : James Tynion IV + collectif (cf. critique)
Dessin & Encrage : Jorge Jimenez + collectif (cf. critique)
Couleurs : Tomeu Morey + collectif (cf. critique)

Traduction & Introduction : Jérôme Wicky & Thomas Davier
Lettrage : Makma

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Batman Infinite – Tome 3 : État de terreur (2ème partie) (20€) – sortie prévue le 17 juin 2022
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