Archives de catégorie : Batman

Batman – The World

Annoncé en mai dernier afin de sortir simultanément dans le monde entier autour du 18 septembre 2021 (jour du fameux Batman Day – même si cette date ne correspond historiquement à rien de précis lié au Chevalier Noir), l’ambitieux Batman – The World est disponible en France. Dans ce comic, quatorze équipes créatives différentes provenant de quatorze pays différents œuvrent pour livrer une anthologie autour du célèbre Caped Crusader. Chaque équipe s’étale sur une dizaine de planches pour livrer sa version du détective.

Côté US, c’est le tandem Brian Azzarello/Lee Bermejo (Joker, Damned…) qui ouvre le bal et signe la couverture « classique » de l’œuvre. La France est représentée par Mathieu Gabella et Thierry Martin pour une histoire se déroulant au Louvre. Chaque pays bénéficie d’une couverture variante limitée, dessinée bien sûr par l’illustrateur qui s’occupe de son segment national. Projet atypique réussi ou pétard mouillé ? Décryptage.

Couverture classique (g.) et variante (dr.) signée par le français Thierry Martin, rendant bien sûr hommage à Année Un.

[Résumé de l’éditeur]
Le champ d’action de Batman ne se limite pas à Gotham City ! Le Chevalier Noir a juré de rendre la justice partout où l’on a besoin de lui, et ses enquêtes l’ont conduit plus d’une fois aux quatre coins de la planète. Retrouvez dans cet album des aventures du plus grand des super-héros sur tous les continents !

[Histoire — le nom du pays est en gras suivi du titre de chaque épisode en italique]
Aux États-Unis (Ville globale), Batman se rappelle ses nombreux combats. Il livre un message sur le Dark Web pour démotiver les criminels voulant venir à Gotham. En France (Paris), il poursuit Catwoman au Musée du Louvre. La féline veut-elle voler une œuvre d’art ? En vacances en Espagne (Fermé pour les vacances) sur les conseils d’Alfred, Bruce Wayne doit déconnecter et profiter des plaisirs simples de la vie, sans son costume. A Rome, en Italie (Ianus),  Batman affronte Cesare/Ianus, être tourné vers le passé et le futur, façon Janus, le Dieu romain aux deux visages. Bruce, de son côté, est en vacances avec Julie.

Espagne

Dans les Alpes Bavaroises, en Allemagne (Des lendemains qui chantent), le Joker convoque des activistes radicaux écolos pour tenter de le rejoindre. En République Tchèque (La messe rouge), Batman enquête sur plusieurs suicides. La piste le mène à Praque où un certain Koval semble pratiquer d’étranges expériences. A Moscou, en Russie (Mon Bat-Man) un dessinateur s’interroge tout au long de sa vie sur l’existence réelle de Batman, super-héros qu’il croque régulièrement… Le Chevalier Noir se rend à Ankara, en Turquie (Le Berceau), après des indices trouvés à Gotham suite à plusieurs meurtres commis par une mystérieuse organisation. Bruce cherche le fameux « Berceau de l’humanité » pour trouver des réponses… Le taux de criminalité est anormalement bas à Varsovie. Une personne semble indiquer à la police en temps réel ou en avance des crimes. Bruce se rend donc en Pologne (Défenseur de la ville) afin d’élucider ce mystère qui pourrait être utile à Gotham.

France

En voyage d’affaires au Mexique (Funérailles), Bruce pense apercevoir un appel à l’aide d’une jeune femme ; à moins qu’il ne s’agisse d’une légende locale ? Au Brésil (Où sont passés les héros ?), Batman enquête sur l’argent de la filiale de Wayne Enterprises qui disparaît sur place comme par magie. Il est accompagné de Lucius Fox. A WayneTech à Séoul, en Corée du Sud (Muninn), Batman endosse une nouvelle armure pour aider une employée à prouver l’innocence de quelqu’un de sa famille. En Chine (Batman et Panda Girl), Bruce déjeune dans un restaurant dont la serveur est fan de Batman. Enfin, au Japon (La valeur d’un héros), à l’ère Edo, la police poursuit un dessinateur qui croque un certain Batman et influe sur la population…

Chine

[Critique]
Sacré morceau que cette anthologie à la fois déroutante et passionnante. Comme souvent dans cet exercice de style, les points forts deviennent les points faibles de l’œuvre, forcément inégale et décousue. Explications.

Reprenons dans l’ordre chaque épisode pour en dresser une courte critique. Dans le premier chapitre, Lee Bermejo est en très grande forme et montre des Batman imposants/impuissants face au Pingouin, à Man-Bat, Bane, Poison Ivy, le Joker, etc. cet aspect graphique est le seul réel intérêt du titre qui introduit l’ensemble. L’épisode au Louvre est plutôt malin, inattendu et agréable, servi par une colorimétrie presque en niveaux de gris d’où s’échappent quelques couleurs de façon intelligente. L’histoire en Espagne est assez jolie, presque muette et « triste », on est proche d’une BD indé. Malheureusement, son dénouement (prévisible) montre une énième parenthèse sympathique mais bien trop courte. Le segment italien est oubliable et sans réel intérêt.

Brésil

La proposition germanique est très réussie, sur le fond et sur la forme. Le style léché et numérique est original et la thématique écologique un point de départ intéressant – incompréhensible d’avoir pris le Joker et non Poison Ivy pour cela, on attend toujours LE récit phare sur ce sujet d’actualité brulant avec la célèbre empoisonneuse. Une pique sur Trump et quelques dialogues savoureux servent l’ensemble, malgré une protagoniste dont on devine trop facilement l’évolution à cause d’un détail graphique évident. La parenthèse en République Tchèque est inintéressante au possible et très convenue. Heureusement, celle en Russie relève le niveau, faisant intervenir tout une longue vie d’un personnage croisant de multiples Batman et (un peu) de politique (mur soviétique, etc.). Assez touchant et bien fichu. Le segment en Turquie est lui aussi réjouissant, faisant enfin intervenir la Bat-Famille (même si uniquement « vocalement »), la Batmobile des films de Burton et des dessins plus proches des comics du haut du panier (allez, osons : le style est élégant mix de Sean Murphy et Jock). On peine d’ailleurs à trouver l’épisode « indépendant » tant il semble s’inscrire dans le run moderne du Chevalier Noir (!) et gagnerait à être enrichi – fort d’une connexion habile et intrigante avec un élément phare de la mythologie de Batman introduit ces dernières années. Le séjour en Pologne démarre bien mais se conclut abruptement pour être, in fine, anecdotique.

L’histoire au Mexique est, elle aussi, assez banale mais graphiquement superbe dans sa seconde partie. Quant à l’excursion brésilienne, c’est peut-être celle qui sort le plus le lecteur de sa « zone de confort » tant elle évoque les inégalités sociétales du pays sans qu’aucune solution, même super-héroïque, ne puisse résoudre quoique ce soit. Le détour à Séoul n’est pas très palpitant malgré sa proposition graphique sympathique. Idem pour la Chine, probablement l’écriture la plus pauvre de toute l’anthologie (le scénario est pourtant signé par deux personnes !), du niveau collège… Dommage car les dessins étaient plutôt originaux. La police d’écriture est modifiée pour ce chapitre, donnant l’aspect d’un scan-trad amateur mal travaillé… Bizarre. Enfin, le voyage au Pays du Soleil Levant qui achève ce fameux tour du monde est entièrement en noir et blanc, découpé comme un manga (mais se lit bien de gauche à droite) ; il rappelle clairement Batman Ninja pour une séquence courte et pas très originale…

Allemagne

Si l’intention de l’ensemble est tout à fait louable (mais aussi mercantile, inutile de se voiler la face), elle manque d’un fil rouge narratif solide qui lierait toutes ces petites histoires entre elles… Réduit à une dizaine de planches, l’exercice aurait été plus solide si chaque épisode s’était étalé sur une vingtaine de pages, le nombre « classiques » d’un chapitre de comic-book. Injecter une partie culturelle de chaque nation représentée est là aussi une idée plaisante mais qu’on survole, cadenassé par ces bribes narratives trop courtes pour s’en imprégner pleinement. Reste tout de même quelques jolies choses, les segments français, espagnols, allemands et turques, éventuellement brésiliens et russes et celui de l’introduction pour le plaisir des yeux (Lee Bermejo). Résultat : sept sur quatorze, soit la moitié de bons. Et donc la moitié de moins bons… Même si cela relève bien sûr de la subjectivité. Difficile donc de conseiller ou non l’achat de Batman – The World

Si l’ouvrage permet aux lecteurs de découvrir de nouveaux artistes et les suivre, ou bien de s’ouvrir à la culture (sommairement étalée) d’autres pays, alors le pari est gagné, car c’est aussi ça l’enjeu d’une certaine façon. Étonnamment pour la France, les biographies et bibliographies des deux artistes sont peu fournies (chaque épisode est introduit par une présentation de l’équipe créative derrière). On y apprend le parcours du scénariste Mathieu Gabella sans réellement évoquer ses œuvres phares, seule La Chute est mentionnée ! En quatrième de couverture, La Licorne était citée. On ajoute volontiers 3 souhaits, La Guerre des boutons et surtout Idoles. Idem pour le dessinateur Thierry Martin où l’on évoque principalement Dernier Souffle (déjà nommé au verso du livre) et un album à venir sur Mickey chez Glénat (il a déjà produit Mickey All Stars en 2019)… Un peu maigre alors qu’on pouvait ajouter, entre autres, son adaptation de Roman de Renart, sa série Myrmidon ou encore son travail sur l’actualité ou l’histoire. Il est aussi étonnant que DC Comics fit appel à ce duo relativement « peu connu » en France. Attention, cela n’est pas une critique négative – d’autant que leur chapitre fait partie du haut du panier de l’anthologie – mais quelques noms plus prestigieux auraient peut-être été un argument marketing plus solide. Peu importe, tant mieux pour ces deux artistes français d’avoir contribué à leur manière à enjoliver Batman et marquer l’histoire !

Italie

Voici les équipes artistiques complètes classées par pays puis scénariste, dessinateur et coloriste s’il y a (s’il n’y a pas c’est le dessinateur qui s’en est occupé) :
– États-Unis : Brian Azzarello, Lee Bermejo
– France : Mathieu Gabella, Thierry Martin
– Espagne : Paco Roca
– Italie : Alessandro Bilotta, Nicola Mari, Giovanna Niro
– Allemagne : Benjamin von Eckartsberg, Thomas von Kummant
– République Tchèque : Stepan Kopriva, Michael Suchanek
– Russie : Kirill Kutuzov & Egor Prutov, Natalia Zaidoya
– Turquie : Ertan Ergil, Ethem Onur Bilgiç
– Pologne : Tomasz Kolodziejczak, Piotr Kowalski, Brad Simpson
– Mexique : Alberto Chimal, Rulo Valdes
– Brésil : Carlos Estefan, Pedro Mauro, Fabi Marques
– Corée du Sud : Inpyo Jeon, Park Jaekwang & Junggi Kim, Park Jaekwang
– Chine : Xiaodong Xu & Xiaotong Lu, Kun Qiu, Nan Yi
– Japon : Okadaya Yuichi

France

[A propos]
Publié en France chez Urban Comics le 17 septembre 2021.

Scénario : collectif
Dessin : collectif

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : MAKMA (Sarah Grassart, Sabine Maddin, Gaël Legeard et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr :
Batman – The World
(édition classique – 18€)
Batman – The World
(édition variante limitée FR – 20€)

Chine

Corée du Sud
Pologne

Batman – White Knight • Harley Quinn

Nouvelle incursion dans le MurphyVerse, c’est-à-dire l’univers de Batman en marge de la continuité classique et débuté dans l’excellent titre White Knight. Après la suite moins réussie, Curse of the White Knight, et avant le prochain volet intitulé Beyond the White Knight, découverte du volume sobrement nommé Harley Quinn qui, comme son nom l’indique, propose un segment sur l’ancienne compagne du Joker. Que vaut ce troisième jalon dans l’univers White Knight ?
MàJ : deux mois après la sortie, donc en décembre 2021, une version noir et blanc est publiée par Urban Comics, limitée à 3.000 exemplaires.

[Résumé de l’éditeur]
Bruce Wayne est toujours enfermé en prison, payant pour ses exactions envers la ville de Gotham et tentant de se racheter aux yeux de ses anciens alliés. Mais il a à présent noué une relation de plus en plus forte avec son ancienne ennemie, l’ex-compagne de Jack Napier, Harleen Quinzel. Jeune maman, celle-ci est contactée par le GCPD pour l’épauler sur une affaire qui va faire remonter à la surface les souvenirs encore vivaces de son passé de criminelle.

[Histoire]
Harleen Quinzel raconte à ses deux jeunes jumeaux comment elle a rencontré et aimé leur père, Jack Napier. Les deux se sont trouvés bien avant d’être Harley Queen et le Joker…

Dans Gotham City, un tueur en série s’en prend à d’anciennes vedettes de cinéma et peint leur cadavre en noir et blanc. Duke Thomas et le GCPD/GTO (dirigé par Renee Montoya) ont besoin d’Harleen en tant que consultante afin de comprendre qui se cacher derrière ses crimes. Le Joker étant mort depuis deux ans, la piste de Neo-Joker (la rivale d’Harley) semble prometteuse.

Pendant ce temps, Bruce Wayne, toujours en prison, soutient son amie Harleen comme il le peut et leur relation prend un nouveau tournant…

[Critique]
Batman – White Knigt • Harley Queen
(BWKHQ) se déroule deux ans après Curse of the White Knight et en est clairement la suite, même si elle est centrée sur Harleen. Tous les évènements des deux précédents volumes sont à connaître avant d’entamer la lecture de celui-ci. En synthèse : difficile de s’attaquer au comic-book indépendamment sans connaître l’univers White Knight, qu’a créé dans le titre éponyme Sean Murphy (qu’il a écrit et dessiné). Il participe à l’écriture de « l’histoire » (comprendre la trame narrative globale) avec sa femme, l’auteure Katana Collins, qui signe intégralement le scénario. Murphy dessine uniquement les couvertures des chapitres et délaisse à Matteo Scalera l’entièreté des six épisodes que forme ce BWKHQ. Cette « nouvelle » équipe artistique assure brillamment cette relève temporaire, ajoutant même certaines qualités graphiques absentes de la série-mère (on y reviendra).

Ce tome « 2.5 » est incontestablement une réussite (non sans défauts, comme souvent, mais clairement on retient volontiers davantage le positif que le négatif). Tout d’abord il y a le plaisir de renouer avec le MurphyVerse et découvrir cette extension inédite qui fait avancer les choses et se concentre sur plusieurs personnages secondaires en plus d’Harleen. C’est une excellente chose. Ainsi, on revoit la Neo-Joker, curieusement absente dans le tome précédent, et on s’attarde enfin davantage sur la relation entre Bruce et Harleen (un des points forts du volume précédent également qu’on aurait aimé plus fouillé, c’est chose faite – toute en délicatesse).

Impossible de ne pas s’attacher à cette itération de Quinn, davantage apaisée que l’image iconique qu’on se fait d’elle. La jeune femme est dépassée par son rôle de mère, levant quelques tabous et assumant même la difficulté du quotidien voire du bonheur d’avoir des enfants ! Entre le deuil de Jack (qu’elle a tué à la fin de Curse…), la romance platonique avec Bruce (aka « Oncle Bruce » pour ses jumeaux) en prison et sa curieuse rédemption dans le GCPD, l’écriture d’Harleen est extrêmement soignée et réussie. Ses fidèles hyènes servent le récit à plusieurs reprises et, de facto, sont également attachantes.

Entre un certain humanisme qui se dégage de l’ensemble (le discours de Bruce – dans les flashs-back ou au présent – n’a jamais été aussi enthousiaste pour tirer les gens vers le haut, ça fait du bien !) et deux thématiques universelles, le deuil et l’amour, délicatement travaillées sans tomber dans le pathos ou le cliché, BWKHQ gagne à être lu tant il propose un voyage élégant et parfois surprenant. Le lecteur revisite en effet quelques morceaux de la mythologie de Batman, comme Robin/Jason Todd battu par le Joker (on ignore si dans cet univers le Clown est allé jusqu’à tuer le second Robin – à priori non). Todd devenu Red Hood puis… directeur de prison ! Le personnage est malheureusement survolé, on le voit à peine. Tout comme Ivy (et l’anecdotique figuration du Chapelier Fou), parmi les célébrités de la galerie d’alliés ou d’ennemis du Chevalier Noir qui n’avaient pas encore eu droit à leur traitement dans White Knight.

Néanmoins, on se régale de voir  Simon Trent « en chair et en os en bande dessinée ». Qui ça ? Simon Trent, le fameux acteur qui joue « le Fantôme Gris » (The Gray Ghost), introduit dans le formidable épisode Le Plastiqueur fou dans Batman, la série animée (S01E18). Trent avait brièvement l’honneur de rejoindre les comics comme professeur à la Gotham Academy (dans la série du même nom) mais cette fois l’hommage est plus puissant. Quelle belle idée ! Elle fait complètement sens dans le déroulé de l’enquête – des meurtres de l’Age d’or du cinéma à Gotham – et permet de séduire aussi bien les fans de Batman que les nouveaux venus. Pour l’anecdote, c’est Adam West (incarnant Batman à la télé dans les années 1960) qui doublait Trent dans l’unique épisode de la série d’animation, c’était l’obligation souhaitée par la production. Bref, la mise en abîme et l’hommage se répercutent enfin élégamment en comics !

Comme évoqué, il y a pourtant quelques éléments un peu moyens dans le récit. Des nouveaux personnages pas vraiment mémorables, un peu cliché… Incluant Hector Quimby, très présent et volontairement suspect. La motivation des « méchants » et leurs identités sont elles-aussi passables (on les découvre assez tôt). Dommage de ne pas avoir pioché dans des têtes connues pour dynamiser une fois de plus les versions « différentes » de la continuité classique de Batman. On retombe donc dans un travers classique d’ennemis interchangeables et vite oubliables ; malheureusement… Cela ne marquera donc pas le titre mais ce n’est pas grave cette fois car on retient ce qu’il y a autour. Ainsi, on peut dresser un parrallèle intéressant avec un autre comic-book récent : Joker/Harley : crime sanity. Dans ce dernier, la proposition graphique prenait le pas sur l’écriture et l’enquête en elle-même avec Harleen profileuse. Ici, l’ex compagne du Clown est dans un rôle assez similaire mais c’est son évolution qui prend le dessus, son attachement, l’empathie grâce au talent de Katana Collins (couplé au travail du dessinateur Matteo Scalera et la colorisation de Dave Stewart, évidemment), romancière qui signe sa première BD ici. Pour chipoter, on peut pointer du doigt l’étrange « facilité » avec laquelle Harleen est acceptée et intégrée au GCPD, comme si elle n’avait jamais été réellement une criminelle plus tôt (c’est « un peu » le cas)…

C’est ce qu’explique Katana Collins en avant-propos pour justifier l’orientation polar psychologique et un mystère basé sur les relations humaines. « A l’époque on regardait la série Mindhunter, et c’est un peu comme ça qu’est née Harley la détective. […] Harely n’a jamais su qui elle était, elle oscille toujours entre de nombreuses personnalités, entre être une docteurs ou un arlequin. Maintenant c’est une mère. Elle peur s’adapter à tout. » Il était important qu’elle et Jack « ne se rencontreraient pas à Arkham. Ils ne se sont pas rencontrés en tant que le Joker et Harley, mais comme Jack et Harleen. » « Le cœur de l’histoire, ce sont les gens. C’est un mélange d’interactions humaines et d’émotions » ajoute Matteo Scalera, grand fan de Sean Murphy et ami proche du dessinateur. Scalera a essayé d’utiliser les angles de vue de Sean Murphy, combinés à son propre style.

Une formule gagnante tant les planches et les traits globaux rappellent en effet ceux de Murphy – gardant ainsi une certaine cohérence graphique dans l’univers – tout en proposant une touche plus « douce », moins rugueuse et « carrée/virile » de son maître. Cela ajoute indéniablement cette humanité évoquée plusieurs fois. Difficile de la retranscrire, c’est à la fois du ressenti (donc de la subjectivité) et du factuel (objectivité), observée entre autres par davantage de scènes « du quotidien » mixée à des émotions sur des visages peut-être plus expressifs que dans WK et CotWK. Scalera est le dessinateur de l’excellente série Black Science (disponible aussi chez Urban Comics), si le style vous a séduit, foncez dessus (ou, à l’inverse, si vous le connaissez et appréciez déjà, vous apprécierez son incursion batmanesque) !

On retrouve des allusions/hommages au film Batman de Burton (entre autres lors de la « création » de Napier en Joker) et des découpages pleine page qui sont un régal pour les yeux. La même équipe artistique avait signé un chapitre inédit dans Harley Quinn Black + White + Red (presque entièrement en noir et blanc, avec des touches écarlates). Cet épisode est inclus en fin d’ouvrage, se déroulant un peu plus tard que l’histoire principale, c’est donc un complément pertinent. Croquis, couvertures alternatives… sont au programme (habituel) des bonus de l’édition. L’ouvrage sort aussi en noir et blanc, à l’instar de ses deux prédécesseurs, en édition limitée.

Batman – White Knight • Harley Quinn poursuit la revisitation visionnaire du Chevalier Noir sous le prisme d’une Harley Quinn complètement différente de son image habituelle et c’est un vrai plaisir à lire ! Le livre rejoint même les coups de cœur du site et devient un indispensable pour tous les fans de la muse du Joker.

[A propos]
Publié en France chez Urban Comics le 29 octobre 2021.

Contient Batman: White Knight presents Harley Quinn #1-6 + Harley Quinn : Black + White + Red #6

Histoire : Katana Collins, Sean Murphy
Scénario : Katana Collins
Dessin : Matteo Scalera
Couleur : Dave Stewart

Traduction : Benjamin Rivière et Julien Di Giacomo
Lettrage : MAKMA (Sabine Maddin et Stephan Boschat), Moscow Eye

Acheter sur amazon.fr :
Batman – White Knight • Harley Queen (édition classique – 18€)
Batman – White Knight • Harley Queen (édition noir et blanc limitée – 20€)

 

Batman Univers Hors-Série #5 – Batman et Manhunter (scénario de Archie Goodwin)

Au printemps 2017, Urban Comics publie le cinquième et dernier hors-série de son magazine Batman Univers. Celui-ci est entièrement consacré à un auteur, Archie Goodwin, qui signe tous les épisodes (parus dans les années 1970) dont certains mettent en avant Paul Kirk, alias le héros Manhunter (avec ou sans Batman).

Le numéro se compose en deux parties. La première, très oubliable et sans rapport avec Manhunter, montre trois aventures issues de Detective Comics dessinées par Jim Aparo (#437-438) puis Alex Toth (#442). La seconde, nettement meilleure, est tout simplement « la saga complète de Manhunter pour la première fois publiée en France dans son intégralité », c’est-à-dire six courts chapitres (back-up) puis un complet de Detective Comics (#443) et un épisode spécial final inédit ; toute cette saga est dessinée par Walter Simonson. Découverte et critique.

[Résumé de l’éditeur – correspondant uniquement à la seconde partie du magazine in fine]
Lorsque Paul Kirk, alias le Manhunter, ancien chasseur de gros gibiers et officier de renseignement, réussit à s’extirper des griffes d’une organisation fanatique appelée le Conseil, il voue sa vie à la démanteler. Avec Archie Goodwin au scénario de ce récit complet, le Manhunter, aidée dans sa tâche par une agente d’Interpôl, réussira-t-il à défaire cette organisation ?

[Histoire et critique | Première partie du magazine]
Dans Masque de la mort ! (Detective Comics #437), Batman enquête et poursuit un mystérieux assassin doté d’un masque issu d’une civilisation (fictive) d’Amérique du Sud et lui conférant une force surhumaine. Un monstre hante le manoir Wayne ! (Detective Comics #438) évoque, comme son titre l’indique, un certain « monstre » qui a agressé Alfred. Bruce doit donc laisser la police enquêter chez lui… Y aurait-il un lien avec Ra’s al Ghul dans tout ça ? Enfin, La mort rôde dans les cieux (Detective Comics #442 – déjà publié dans Batman Anthologie) emmène Batman à combattre des ennemis via… des avions !

Sans connexion entre eux, ces trois récits ne sont guère mémorables. On apprécie les deux premiers pour (re)voir le talent de Jim Aparo aux dessins mais c’est à peu près tout… Seuls les amateurs de l’artiste ou les complétistes (entres autres, de cette période du début de l’Âge de bronze des comics – avis aux nostalgiques également) peuvent y trouver un intérêt. Les titres induisent volontairement en erreur en imaginant des monstres, zombies ou autres créatures mystiques alors qu’il n’en est rien : cela est vite deviné et les effets tombent à l’eau direct… Publiés en 1973 et 1974, il y avait la contrainte de l’époque qui était de concevoir des histoires avec un début et une fin en quelques pages. C’est ce dont souffrent ces petites aventures, couplées à des ennemis éphémères, complètement anecdotiques et créés pour l’occasion. Ici, pas de traditionnels vilains de la prestigieuse galerie de la mythologie du Chevalier Noir, ce qui n’aide pas non plus à réellement apprécier ces courtes bandes dessinées… Si elles sont proposées dans ce numéro, c’est tout simplement car leurs back-ups (le petit complément de quelques pages à lire après), eux, se suivaient et formaient un arc narratif complet. On parle bien sûr de ceux sur Manhunter, à découvrir… tout de suite !

[Histoire et critique | Deuxième partie du magazine]
Christine Saint-Clair
, agent d’Interpol se rend au Népal à la recherche de Paul Kirk qui sévit dans les parages sous le nom de Manhunter. Ce dernier était mort il y a trente ans mais a ressurgi, tantôt comme un criminel, tantôt comme un sauveur… Comment expliquer ceci ? L’espionne le traque puis s’allie à lui en passant par la Tunisie et le Japon… L’organisation mystérieuse le Conseil tire les ficelles de cette machination implacable, basée sur des expériences scientifiques dangereuse de… clonage ! Complots, trahisons… Qui est réellement Manhunter ? Qui le poursuit et quel est le but du Conseil ?

Publiée en feuilleton dans les pages de Detective Comics entre 1973 et 1974, multi-récompensée et rééditée à plusieurs reprises, la saga Manhunter bénéficie enfin d’une édition française ! Entièrement écrite par Archie Goodwin et dessinée par Walter Simonson, elle comprend six courts chapitres (les back-ups de Detective Comics #437 à #442) intitulés L’affaire de l’Himalaya, Le dossier Manhunter, La résurrection de Paul Kirk, Rébellion, Cathédrale du péril, Duel avec le maître puis le chapitre complet Gotterdämmerung (Detective Comics #443) et enfin Le Chapitre Final, épisode inédit réalisé en 1999 par Simonson en solo peu après le décès de Goodwin, qui livre un récit muet « en hommage à son parolier disparu ».

S’étalant sur un peu plus de 90 pages au total, la saga Manhunter dévoile rapidement ce qui se trame : Kirk a été cryogénisé et cloné ! Un sujet rarissime pour l’époque, porté avec rigueur et sérieux tout le long de la fiction. Dans la première moitié de l’histoire (les six petits chapitres – durant lesquels Batman est absent) Il y a clairement un côté James Bond (armes, voyages à travers différents pays, organisations secrètes…) voire Black Widow (la tenue d’agent de Christine) et même – pour rester proche de Marvel – un aspect Wolverine avec son (anti)héros quasiment immortel et adepte de techniques de combat liées au Japon par exemple (les ninjas sont présents on va dire, tout comme ils le furent dans l’histoire de Batman).

Dans sa seconde moitié du récit, on retourne à Gotham City pour une nouvelle alliance, avec le Chevalier Noir bien sûr ainsi que quelques personnages secondaires rencontrés en amont. Il s’agit simplement de la conclusion de tout ce qu’on a vu avant. Bavarde, passionnante mais un brin confuse (cette narration toujours un peu lourde typiques des 1970’s), un peu épique, bref l’ensemble est inégal mais globalement positif. Les méthodes radicales de Kirk/Manhunter (il n’hésite pas à tuer) ne plaisent évidemment pas à Batman – tous deux vont devoir réviser leurs convictions. L’épisode s’arrête avec une fin soudaine et plutôt satisfaisante même si on aimerait savoir ce qu’il se déroule pour certains protagonistes ensuite…

… chose réparée plus de vingt-cinq après dans l’ultime chapitre L’épisode final, entièrement muet comme évoqué plus haut (ce qui n’est pas plus mal vu toute la masse de texte avalé avant, ça fait du bien). Efficace, davantage grandiloquent en terme d’action, plutôt solide et apportant une conclusion plus honorable bien que dispensable. Le style de Walter Simonson s’est par ailleurs modernisé (cf. image à la toute fin de la critique), rendant l’ensemble plus digeste.

En synthèse, cette saga de Manhunter est assez séduisante, elle est peut-être trop « vantée » en introduction, au risque de créer des attentes et donc générer des déceptions (Manhunter n’est pas le type le plus charismatique qui soit ni le plus original niveau look…) mais elle a le mérite de sortir des sentiers battus, aussi bien chez DC Comics que chez Batman – surtout pour l’époque ! Pour le prix du magazine, les curieux devraient s’y pencher ; saluons aussi l’effort de l’éditeur d’oser publier un titre comme celui-ci en France (d’où la version kiosque pour minimiser les risques).

[A propos]
Publié le 28 avril 2017 par Urban Comics.

Scénario : Archie Goodwin
Dessin : Jim Aparo, Alex Toth, Walter Simonson
Lettrage : Jim Aparo, Alex Toth,
Couleur : Non précisé, Klaus Janson

Traduction : Jean-Marc Laîné, Philippe Touboul
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray (Studio Myrtille), Stephan Boschat (Studio Makma)

Acheter sur amazon.fr : Batman Univers Hors-Série #5 – Batman et Manhunter