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Le Batman Qui Rit – Les Infectés

Après les évènements de Batman Metal qui introduisait « le Batman Qui Rit », nouvel antagoniste qui a eu droit à sa propre série dans un premier volume du même titre (sympathique mais inégal), voici un second tome (même s’il n’est officiellement pas numéroté) qui poursuit les aventures de la créature cauchemardesque née de la fusion de Batman et du Joker. Les Infectés se déroule également en parallèle des quatre premiers tomes de New Justice (elle-même née des cendres de Batman Metal et introduite dans le one-shot très dispensable No Justice). Toutes ces histoires convergent vers un autre volume unique (et « tournant fatidique » comme le stipule l’éditeur) : Justice League – Doom War. Compliqué ? Oui et non, car il y a encore Death Metal et foule de séries annexes qui vont suivre fin 2020 et tout au long de l’année prochaine ! Mais retour sur Le Batman Qui Rit – Les Infectés, cette fois écrit par Joshua Williamson (Flash Rebirth), qui succède à l’inénarrable Scott Snyder. Que vaut ce nouveau récit ? Peut-il se lire indépendamment du reste ? Doit-on lire le tome précédent pour comprendre celui-ci ? Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Rescapé de l’affrontement final entre la Justice League et les Chevaliers corrompus du Multivers Noir, le Batman Qui Rit rassemble depuis les éléments d’un plan machiavélique visant à s’emparer de notre dimension. Utilisant les pouvoirs du Multivers noir, il parvient à corrompre six héros de la Terre qu’il ne va pas tarder à opposer aux deux plus grands protecteurs du monde : Superman et Batman !

[Histoire]
(Précédemment : le Batman Qui Rit s’était allié au Grim Knight, un Batman hyper violent utilisant des armes à feu provenant d’une Terre parallèle afin de combattre Bruce Wayne/Batman. Ce dernier s’entoura de Gordon et son fils pour s’en sortir. Après sa victoire, le Chevalier Noir enferma le Batman Qui Rit dans un lieu secret. Mais celui-ci avait réussi a infecté Gordon à l’insu de tous…)

Gordon demande l’aide de Superman en complément de celle de Batman. Un enfant a été enlevé et le coupable serait… « le Superman Qui Rit ». Le Batman Qui Rit a en effet réussi à concevoir une autre mutation cauchemardesque chez un super-héros. Mais ce n’est pas un homme d’acier infecté que croise le binôme de justiciers, c’est… Shazam ! Le super-héros le plus fort du monde est lui aussi devenu entité démoniaque sous l’égide du Batman Qui Rit !

En réalité, Gordon est corrompu par le métal Noir du Batman Qui Rit et œuvre en secret pour ce dernier. Lui et Shazam font partie des deux nouveaux infectés sur les six annoncés. Qui sont les quatre autres ?

Pour le découvrir, le Chevalier Noir propose à Superman de faire croire que le Kryptonien est manipulé par le Batman Qui Rit. Un plan très risqué…

[Critique]
Près de 300 pages d’histoire, onze chapitres provenant de sept séries différentes ou de chapitres spéciaux (incluant principalement Batman/Superman #1-5, reprenant l’arc Who are the Secret Six ? en VO et plusieurs interludes qu’on détaille plus loin), des collectifs d’auteurs et de dessinateurs, un récit enrichissant une grande saga complexe et semi-indigeste (Batman Metal)… voilà qui n’est pas censé être « accessible » de prime abord ! Malgré tout le bagage DC Comics plus ou moins récent à connaître idéalement pour se plonger dans cette histoire, on est surpris par la facilité narrative et les rappels — même très sommaires, comme les origines de l’homme chauve-souris et l’homme d’acier — qui parsèment le livre et permettent une lecture, in fine, plutôt abordable (à un ou deux épisodes près).

La narration est assez prévisible : on découvre au fur et à mesure qui sont les fameux héros devenus infectés, comment ils l’ont été et leur affrontement contre le Chevalier Noir épaulé du Kryptonien. Le tout, sous l’égide du fameux Batman Qui Rit. Action et dépaysement sont donc au rendez-vous dans une plongée vers différents héros de DC Comics (on est très loin d’être sur un comic ethnocentré sur Batman ou son ennemi qui rit !).

Concrètement, cela se traduit ainsi : après deux chapitres de la série Batman/Superman, les interludes se suivent. Les Infectés : Le Roi Shazam (écrit par Sina Grace et dessiné par Joe Bennett) montre évidemment le nouveau « Dark » Shazam. Les Infectés : Black Adam (Paul Jenkins/Inaki Miranda) la même chose au Kahndak face au célèbre antagoniste avec une incursion géo-politique un peu sommaire mais plaisante. Les Infectés : Le Commissaire (Paul Jenkins/Jack Herbert) se concentre bien sûr sur Gordon qui… libère tous les prisonniers d’Arkham. L’occasion de croiser Batgirl et de retrouver une certaine noirceur et ambiance polar voire hard-boiled de toute beauté (graphique et scénaristique).

Attention, quelques révélations sur lesdits infectés sont dans ce paragraphe et le suivant, difficile de ne pas les mentionner dans le cadre de cette critique. Après le troisième chapitre de Batman/Superman, place donc à de nouveaux interludes. Les Infectés : Le Scarabée (Dennis Hopeless Hallum/Freddie E. Williams II) met en avant un Blue Beetle corrompu, dans un récit court et simpliste mais à l’aspect graphique quasi horrifique, notamment lors de superbes planches où le bleu du scarabée affronte les tons orangés multiples du spectre ardent, ennemi de feu et de flammes. Les Infectés : La Faucheuse (Zoë Quinn/Brent Peeples) place Donna Troy, guerrière amazone et chef des Titans (alias Wonder Girl et Troia), au centre de la narration ; elle sera, sans surprise, infectée. Il s’agit de l’épisode le moins accessible à cause de la foule de justiciers d’une part, de l’ensemble un peu confus d’autre part et le tout servi par des dessins relativement moyens… Le quatrième chapitre de B/S lance le dernier acte de l’aventure (où l’on découvre, entre autres, le cinquième infecté qui, curieusement, n’a pas droit à son propre récit annexe). De belles séquences d’action et un assemblage de pièces de puzzle y sont les bienvenus. Vient l’ultime interlude via Les Infectés : Supergirl (Robert Venditti/Laura Braga — relativement long car il s’agit du chapitre annual #2) et, enfin, la conclusion de l’histoire avec le cinquième épisode de Batman/Superman. Ouf !

La singularité du titre réside dans plusieurs éléments : l’alliance entre Batman et Superman « à l’ancienne », juste tous les deux (la bande dessinée aurait clairement dû s’intituler Batman & Superman vs. les Infectés ou quelque chose du genre, pour être moins « trompeur » presque) ainsi que les six infectés qui ne sont pas des personnages particulièrement connus du grand public (Blue Beetle, Donna Troy…) ou dotés de super-pouvoirs (Gordon…). Autour d’eux gravite un Batman Qui Rit nettement plus en retrait que dans le tome précédent. Pas besoin de connaître d’ailleurs tout l’historique (de ce one-shot et des trois tomes de Batman Metal). La lecture est plutôt accessible comme on l’a vu mais difficile de savoir si un novice total y trouvera un intérêt tant la conclusion amène à se lancer dans la suite (Death Metal, prévu fin 2020).

On note justement de brèves allusions à Justice League – Doom War et Leviathan et le retour (le temps de quelques cases) de l’armure « Chappie », aka celle de Gordon dans la fin de série Batman du temps de Scott Snyder (La Relève). L’on comprend aussi, à peu près au milieu d’ouvrage, que le Batman Qui Rit affronte secrètement Lex Luthor, donnant envie de découvrir les autres titres liés à celui-ci (les quatre tomes de New Justice et le one-shot Doom War ,toujours — non lus par l’auteur de ces lignes à l’heure actuelle, la critique sera actualisée si besoin après).

Malgré tout, Les Infectés reste efficace dans son genre, servi par une toile narrative classique (des alliés deviennent des ennemis, les combats se succèdent, etc.) mais avec un traitement sympathique (le choix des protagonistes, leur petite histoire propre à chacun et ainsi de suite). On peut regretter le peu de place accordé au Batman Qui Rit (malgré le titre et la couverture du livre) mais on apprécie le fil rouge de l’amitié entre Batman et Superman, de même que leur interrogation face à leur morale et façon de faire (là aussi un petit côté déjà vu mais un brin modernisé).

Si les interludes sont clairement inégaux, ils ne perdent pas le lecteur en route et ne faiblissent pas le rythme de l’ensemble. Difficile d’être particulièrement enthousiaste tant on n’a pas trop l’impression « d’avancer » dans ce grand jeu métallique mais difficile aussi de ne pas être conquis par cette parenthèse appréciable, plutôt dédiée aux amoureux du binôme phare de DC Comics ! La première moitié de la BD est en tout cas très efficace, la seconde un peu moins…

La série principale (Batman/Superman) est dessinée par David Marquez, assisté d’Alejandro Sanchez à la colorisation. Si le style de l’artiste est moins atypique et reconnaissable que Jock (qui œuvrait en moyenne forme dans le volume précédent), Marquez n’a pas à rougir de son travail, bien au contraire ! Ses traits doux couplés à une colorisation ni trop criarde, ni trop réaliste, proposent une agréable vision très « comic-book » ! Voir les différentes illustrations de cette critique pour les apprécier. Les nombreux artistes qui diffèrent sur les interludes sont, à l’instar de leurs scénarios respectifs, également inégaux.

Comme toujours chez Urban Comics, une galerie de couvertures alternatives referme l’ouvrage. On en partage trois (toutes des variantes du premier chapitre de Batman/Superman) : celle de Clayton Crain (ci-dessous), peut-être plus « représentative » de l’histoire que celle choisie par l’éditeur, une double formant une jolie composition d’Alejandro Sanchez — qui aurait pu déboucher sur deux versions limitées en France par exemple — et une double éclatée de Nick Bradshaw, digne d’un poster horizontal délectable !

 

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 12 juin 2020.
Contient : Batman/Superman #1-5 + Black Adam: Year of The Villain #1 + The Infected: King Shazam + The Infected: Scarab + The Infected: Deathbringer + The Infected: The Commissioner + Supergirl Annual #2

Scénario : Joshua Williamson + collectif
Dessin : David Marquez + collectif
Couleurs : Alejandro Sanchez + collectif

Traduction : Mathieu Auverdin (Studio Makma)
Lettrage : MAKMA (Sabine Maddin, Michaël et Stphan Boschat)

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Le Batman Qui Rit

Batman & les Tortues Ninja [Tomes 1 & 2]

Fort du succès (surprise) des ventes des deux premiers tomes de Batman & les Tortues Ninja, Urban Comics les a réédités fin mai 2020 dans un volume en édition limitée, dans la collection DC Deluxe, agrémenté de nombreux bonus (près de 140 pages !). L’équivalent du tome 3 (Fusion), a également rejoint ce format avec une mise en vente deux semaines plus tard en juin 2020. En effet, Amère Pizza (le tome 1) et Venin sur l’Hudson (le 2) sont d’abord étrangement sortis (début 2017 puis fin 2018) dans la collection Urban Kids : un format souple et plus petit que les DC Deluxe (qui ne rendait pas forcément « honneur » au travail des artistes) et qui visait un public très jeune alors que de nombreux adolescents et adultes s’y retrouvaient aussi (d’autant plus surprenant que l’ensemble reste assez violent et comporte même quelques cases plutôt gores comme un corps décapité par exemple !). Critique donc de cette compilation de deux volumes grâce à cette réédition. Cowabunga !

    

(La couverture de gauche qui rassemble les deux tomes de droite — couvertures de leur ancienne collection.)

LIVRE I (anciennement Amère Pizza)

[Histoire]
Le clan des Foot, de terribles ninjas qui travaillent pour Shredder cambriolent des laboratoires scientifiques à Gotham City. Les Tortues Ninja et leur maîtres Splinter occupent les égouts de la ville pour tenter d’arrêter leur ennemi juré.

De son côté, Batman a vent de l’existence des tortues qu’il imagine être des mutants responsables des vols.

Killer Croc s’aventure aussi dans les égouts de la métropole pour désosser la Batmobile et revendre ses pièces !

Le Chevalier Noir va croiser le fer avec les célèbres Chevaliers d’écailles !

[Critique]
Cet improbable et génial crossover mêle habilement les genres et propose un parfait équilibre des meilleurs ingrédients d’un comic-book ! Le récit est extrêmement accessible, bien qu’il parlera évidemment davantage aux connaisseurs de l’univers de Batman et/ou de celui des fameuses Tortues. En effet, d’autres personnages populaires (en complément de ceux cités dans le résumé) s’ajoutent au fil des six chapitres : le Pingouin, Robin/Damian Wayne et Ra’s al Ghul (forcément, lui aussi étant ninja) côté Chevalier Noir, Splinter, Casey Jones et April O’Neil côté Chevaliers d’écailles. La galerie d’Arkham joue aussi un beau rôle, avec une forme étonnante et amusante vers la fin. Aussi bien le novice que le connaisseur sera agréablement servi !

L’histoire reste, in fine, assez simpliste : le monde des Tortues se retrouve dans celui de Batman (comme un multivers), les ninjas veulent retourner chez eux, Shredder a le pouvoir d’inverser leur mutagène pour les rendre animaux en restant à Gotham et, tant qu’à faire, autant bâtir un nouvel empire dans la ville de l’homme chauve-souris en s’alliant à un de ses pires ennemis : Ra’s al Ghul. L’exécution scénaristique est parfaite, elle enchaîne sans temps mort les séquences d’action et de réflexion. Les enjeux sont vite posés, quelques surprises sont bienvenues, on rigole (souvent), on s’émeut (un peu), on est divertit (tout le temps). Rien à redire. Pour l’anecdote, il est fait mention de L’An Zéro, ancrant donc la fiction dans l’univers New 52 et, surtout, la chronologie « récente » du Chevalier Noir (continuité logique puisque Damian Wayne est Robin ici).

Batman est autant mis en avant que les quatre tortues et leur maître. Chez ces derniers, on retrouve les figures classiques de leur caractère : Michelangelo apporte humour et légèreté, entre punchlines, situations absurdes et échanges amusants avec Alfred, Raphael reste fidèle à son côté taciturne, impulsif et plus sombre (donc proche de Batman), Donatello jubile devant les gadgets du justicier et son intelligence (on retrouve donc là aussi un côté similaire à Batman), Leonardo — curieusement un peu en retrait par rapport à ses camarades — et Splinter se partagent la tâche du mentor (une fois de plus, comme Batman envers Damian par exemple), de la stratégie des combats et rigueur des entraînements (et oui, encore une autre part du Chevalier Noir).

Le mélange fonctionne à merveille, on sent la folle passion qui anime autant James Tynion IV à l’écriture que Freddie E. Williams II aux dessins. Dans ce qui semble être un « rêve de fans » mutuel, chacun y propose un travail de qualité. Outre les dialogues ciselés et l’intrigue globale (qui apporte son lot d’originalité malgré son cheminement classique et un climax peut-être un brin expéditif), les planches sont un régal pour les rétines. Les affrontements sont extrêmement bien rendus, toutes les phases d’action sont fluides et violentes à la fois. Quand Williams II peut s’éclater sur une double page, il s’en donne à cœur joie, donnant lieu à des associations inédites et assez jouissives. On est séduite par les bandeaux de couleur des Tortues Ninja, chacun avec un style précis, le genre de détails plaisant. Les amateurs de véhicules et de tenues/costumes/armures de Batman seront aussi (sans doute) comblés.

L’artiste donne vie au monde très « fantastique » des Tortues mêlé à celui, plus terre-à-terre et « réaliste » de Batman avec un élégant style rendant crédible l’ensemble (bien que déjà favorisé par l’incursion d’un Killer Croc par exemple ou encore la thématique ninja, fortement présente à la base). Seul l’encrage un peu trop prononcé assombri parfois l’ensemble (c’est d’autant plus flagrant en voyant les crayonnés initiaux, fins et précis, du dessinateur dans les bonus en fin du recueil). Poses iconiques, premiers plans et corps mis davantage en relief, noirceur et jeux d’ombre pour quelques cases de toute beauté et, surtout, colorisation hors-pair — assurée par Jeremy Colwell — confèrent l’essence voire la quintessence d’un comic-book façon blockbuster. C’est beau, c’est vivant, c’est plein de tons différents, ça se lit d’une traite, c’est marquant, un véritable coup de cœur !

C’est donc (presque) un sans faute pour cette première « fusion » des deux univers de ces monuments de culture populaire. Une seule envie : en découvrir d’autres. Ça tombe bien, il en existe déjà deux suites !

LIVRE II (anciennement Venin sur l’Hudson)

[Histoire]
A New-York, dans le monde des Tortues cette fois, le quatuor combat toujours le clan Foot. Karai, imminente ninja (et fille adoptive de Shredder visiblement, avec qui elle est en conflit), s’allie plus ou moins aux Tortues Ninja.

A Gotham City, les assassins de la Ligue des Ombres veulent destituer Ra’s al Ghul — jugé trop faible après son alliance avec Shredder et sa défaite — et cherchent un puits de Lazare. Batman et Robin enquêtent et tombent sur… Bane.

De son côté, Donatello active la machine pour aller dans le monde du Chevalier Noir pour lui envoyer un message mais suite à une erreur, il s’y retrouve et Bane atterrit à New-York face au clan Foot !

[Critique]
Encore une réussite ! Peut-être un peu moins « plaisante » que la précédente histoire suite à un récit assez convenu et prévisible (et l’effet de surprise passé). Toutefois, le divertissement est toujours assuré, jouissant d’un excellent rythme (à nouveau), de dessins agréables et du plaisir de retrouver deux univers bien distincts pour un rendu « cool ». Cette fois (toujours en complément de ceux déjà cités dans le résumé), ce sont Batgirl et Nightwing qu’on voit un peu plus côté mythologie de Batman et les fameux Bebop et Rocksteady côté monde des Tortues.

Niveau humour, on peut toujours compter sur Michelangelo mais aussi… Damian Wayne. Involontairement, ce dernier créé plusieurs situations cocasses (sans surprise, son arrogance face aux Tortues fait des étincelles, particulièrement contre Raphael). Le trio des mentors fonctionne bien, à savoir Splinter, Leonardo et Batman qui sévissent ensemble brièvement.

L’anti-héros Bane est limite le personnage principal du récit avec Donatello (!). La stature imposante de Bane propose une alternative nettement plus dangereuse et inquiétante que dans l’histoire précédente (même si, bien sûr, on sait qu’il perdra à la fin). Les mondes sont d’ailleurs inversés : après la visite des Tortues Ninja à Gotham City, c’est désormais Batman et Robin qui se retrouvent dans le New-York des chevaliers d’écaille. Simple mais efficace.

Au milieu du récit se déroule un combat spectaculaire et grandiloquent, pendant presque un chapitre entier. Si là aussi on y retrouve une certaine violence et lisibilité graphique hors-pair, on déplore un petit peu les enjeux qui restent (dès le début de l’histoire) d’un extrême classicisme. A savoir Bane qui devient surpuissant, lève son armée et veut « gouverner » sa nouvelle cité. Cela fonctionne toujours mais perd un peu du charme de la découverte et surtout d’originalité. Néanmoins, la culpabilité (et mise en avant) de Donatello, responsable du fiasco, apparaît comme un fil narrative très secondaire appréciable.

Le travail graphique reste identique au précédent, avec encore plus de pages éclatées et parfois même au format vertical ! Donc il faut tourner le livre pour en apprécier certaines mises en scène singulière du genre. Outre les illustrations de cette chronique, trois planches sont proposées en fin d’article pour apprécier la mise en page et le rendu saisissant de certaines scènes.

En synthèse, les fans des deux univers seront comblés à nouveau quoiqu’il arrive. C’est toujours aussi prenant bien qu’un peu plus convenu, on s’étonne aussi (quand on connaît les Tortues Ninja) de voir Leonardo un peu sous-exploité, cela sera peut-être corrigé dans le tome suivant (Fusion). Dans tous les cas, on reste sur un « blockbuster comic-book » qui ravira les passionnés.

Conclusion de l’ensemble

Sans surprise, le mix de deux univers comics incontournables est à découvrir si on les aime déjà séparément. Si on ne connaît que l’un ou l’autre, on ne sera pas perdu mais pas sûr d’être entièrement conquis (chaque monde reste assez survolé finalement). Néanmoins pour le prix et la qualité il serait dommage de passer à côté de cette pépite soignée. Pas besoin d’ajouter d’autres arguments, les critiques viennent de les mentionner.

Parmi la tonne de bonus additionnel, on retient des notes d’intentions de James Tynion IV, qui évoquait pour le premier récit l’absence logique du Joker pour ne pas parasiter Shredder, l’influence des travaux de Frank Miller (qu’on peine à retrouver dans le résultat final) et en filigrane une certaine frustration du format mini-série obligeant à aller très vite et se cantonner à six chapitres uniquement. Freddie E. Williams II commente ensuite ses croquis et designs puis une impressionnante galerie de couvertures classiques et alternatives ferme la section de bonus. On y retrouve celles de Kevin Eastman, l’un des deux créateurs des Tortues Ninja (avec Peter Laird), avec son style atypique et anguleux.

Seul problème de cette compilation : quasiment introuvable peu de temps après sa sortie ! Impossible d’envisager un nouveau tirage — pire : pourquoi avoir imprimé une édition si limitée ? Seulement 2.000 exemplaires ont été mis en vente (là où le premier tome de l’édition précédente s’est écoulé à… près de 20.000 exemplaires). Le marché des comics reste un secteur de niche. Les volumes « simples » des Tortues Ninja (chez Hi Comics — qu’on recommande fortement) s’écoulent à peine à 1.000 exemplaires (il en faudrait 1.500 idéalement pour sécuriser et pérenniser et rythme de sortie de la série). Les Batman sont la locomotive d’Urban Comics (avec Watchmen et Harley Quinn visiblement), la première réunion pour ce crossover improbable a eu bonne presse ET bonne vente. Difficile de comprendre un tirage si peu élevé là où 5.000 exemplaires semblait plus juste et équilibré sans pris de risque pour le titre. C’est pour cela qu’il semble inimaginable de ne pas envisager une réimpression vu le succès. Ou, à minima, une édition sans les bonus, un chouilla moins onéreuse (22,50€ par exemple) dans ce format similaire, pour s’ajuster parfaitement à la suite (Fusion donc) et ne pas frustrer les collectionneurs et potentiels nouveaux venus.

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 29 mai 2020

Scénario : James Tynion IV
Dessin : Freddie E. Williams IV
Couleur : Jeremy Colwell

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : Cromatik Ltée

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Batman – Année 100

Volume unique se déroulant dans un avenir lointain hypothétique (et non canonique, donc un elseworld), que vaut Année 100, sorte de réponse futuriste au célèbre Année Un ?

(Couverture d’Urban Comics à gauche et de l’ancienne édition de Panini Comics à droite)

 

[Histoire]
En 2039 à Gotham City, un agent fédéral est assassiné. Les soupçons se portent vers le Batman. Une vieille légende urbaine qui semble bien réelle…

Jim Gordon, petit-fils du célèbre commissaire, enquête dans un monde où la corruption est partout et où l’intimité n’existe plus du tout.

Bienvenue dans le futur.

[Critique]
Récompensé par deux prestigieux Eisner Award en 2007 (meilleure mini-série et meilleur scénariste/artiste), Année 100 est pourtant loin d’être une réussite à tous points de vue, au contraire ! Le récit écrit et dessiné par Paul Pope n’est guère passionnant. S’il veut rendre hommage à Année Un en proposant une aventure située un siècle après l’apparition du Chevalier Noir (1939), on déplore aussi bien son intrigue globale que ses illustrations…

Ces dernières sont la grosse part d’ombre de la bande dessinée : Pope a un style très particulier (il revendique dans ses influences Hergé, Hugo Pratt ou Jack Kirby pour les plus connus d’entre eux et « les films muets de Fritz Lang combinés avec le meilleur du cinéma d’action de Hong-Kong pour [faire sa version dystopique et] une bonne histoire de super-héros ») à la limite d’un certain surréalisme séquentiel, avec notamment des visages aux bouches et lèvres gonflées, conférant un aspect grotesque, quasiment batracien et presque difforme à l’ensemble. Les expressions faciales sont donc, au choix selon sa subjectivité sur ce sujet, un des gros points forts d’Année 100 ou son plus gros point faible (le second pour l’auteur de ces lignes) — les quelques exemples de cet article devraient convaincre (ou rebuter) les curieux.

 

S’il y a bien quelques passages où cet aspect graphique trouve une certaine démesure intéressante, il est difficile de l’apprécier sur plus de 250 pages. Cet univers visuel, épuré à merveille par les teintes sombres et parfois psychédéliques de José Villarrubia, ne laisse pas indifférent et si l’on ne l’apprécie pas, il sera compliqué d’aimer Année 100. Bien difficile en effet de dissocier les dessins pour se concentrer sur le scénario tant ce dernier n’est pas (non plus) à la hauteur.

Son histoire manque d’épaisseur à tous niveaux et ses personnages génèrent peu d’empathie, à part Gordon. L’ensemble est un peu confus, on ne sait pas qu’on se situe en 2039 si on se contente de lire uniquement les planches et non les résumés et annexes autour. On ne comprend pas non plus (dans l’immédiat) que Gordon est le petit-fils de celui qu’on connaît par exemple. Ce manque de contextualisation n’est pas forcément grave (au contraire, on se plaît au début à être volontairement un peu perdu). Malheureusement, au fil que l’enquête avance (avec un très bon rythme, on ne s’ennuie pas un instant), on se demande s’il va y a avoir un nouvel évènement (autre que celui de départ) plus palpitant. Pas vraiment, hélas… Qui plus est, les connexions à la mythologie de l’homme chauve-souris sont assez pauvres et si on espère tout au long de la lecture trouver une certaine surprise en fin d’ouvrage, il n’en sera (presque) rien.

Dans tout ce qu’il y avait à exploiter dans un futur lointain, Pope préfère ne plus laisser son lecteur en terrain familier, ce qui est une bonne chose évidemment, mais n’arrive pas non plus à s’en émanciper totalement avec des choses absurdes (des équivalents de personnages sont calqués sur Robin/Nightwing, Oracle et Gordon est le sosie de… Gordon…). C’est dommage, il pouvait repartir à zéro mais préfère livrer une citée peu moderne, où les influences de Wayne (ou Luthor pourquoi pas) semblent avoir disparues. Aucun héritage à ce qu’on connaît habituellement ne se distingue réellement. En 2039, à part quelques équivalents de drones et d’une forte présence des informations numériques, on n’a pas l’impression d’être si éloigné de notre monde actuel.

Là aussi c’est un contre-pied plus ou moins agaçant : la (non) originalité de ce futur inédit  réside dans une vision qui se refuse à assumer un tournant science-fiction plus prononcé ou une critique sociale et politique plus subtile et intelligible (le lourd héritage de The Dark Knight Returns et Batman Beyond est très ancré, délicat de s’en dissocier). Frank Miller a d’ailleurs dit à Paul Pope « Mince, moi qui croyais avoir bien amoché le bonhomme… tu ne l’as pas ménagé non plus ! ». Il est vrai que le justicier se fait dégommer tout le long, est blessé, essoufflé et ainsi de suite, le rendant très humain, mais cela ne suffit pas.

Reconnaissons un gros point fort de l’ouvrage en plus de son rythme endiablé : l’identité de nouveau Batman, conservant son masque quasiment tout le long et entraînant, de facto, une envie chez le lecteur de savoir qui se cache derrière. Son costume très artisanal renvoie aussi à ses premiers pas (dans Année Un une fois de plus ou en 1939 justement) et son masque (ainsi que sa fameuse bouche) presque à Adam West dans la série des années 1960. Quand il porte ses fausses dents pointues, l’aura monstrueuse de l’homme chauve-souris est accentuée et les quelques scènes d’action et de poursuite sont réussies.

Hélas, ces quelques éléments ne sauvent pas l’ensemble (sauf si, encore une fois et on le répète, vous êtes conquis par l’univers visuel atypique) et l’on est décontenancé par sa courte durée tant on a l’impression d’être dans l’introduction d’un nouveau monde qui ne demande qu’à être exploré plus longuement…

La première édition française de Panini Comics ne contenait qu’Année 100 sans aucun travail éditorial autour (comme souvent chez cet éditeur), Urban Comics l’a complété de trois autres récits signés Pope dans sa réédition en 2016. Batman Berlin (1997), L’ado acolyte (2005) et Nez Cassé (2000) s’ajoutent donc à l’ouvrage et permet ainsi — pour les fans de l’artiste — d’avoir tous ses travaux sur le Chevalier Noir par Pope en un seul volume, une aubaine donc. On retient surtout le premier, se déroulant en 1939 avec un Batman juif sous l’occupation nazie ! Cette fois, le trait de l’artiste sied mieux à l’œuvre, rappelant les premières ébauches de Bill Finger à l’époque. S’il y a (avait) un elseworld à explorer, c’est (c’était) celui-ci… Le deuxième s’attarde sur Robin et le Joker, le troisième est en noir et blanc (probablement dans les compilations Black & White sorties en France aussi depuis) et reste anecdotique. Des remarques et croquis de l’auteur/dessinateur concluent le volume (dont on préfère presque les trois bouts d’histoires bonus que la principale).

En synthèse, l’approche graphique si singulière de Paul Pope — avec son style inimitable qui séduit ou rebute d’emblée — sort le lecteur d’une potentielle zone de confort (ce qui est toujours bien) mais délivre une histoire peu originale malgré l’étendu des possibles (elseworld, futur lointain…).

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 3 juin 2016

Scénario et dessin : Paul Pope
Couleurs : José Villarrubia

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