Batman Infinite – Tome 2 : État de terreur (1ère partie)

Suite de Joker War, Batman Infinite a démarré avec un premier tome de bonne facture, pas forcément révolutionnaire ou original sur le fond mais avec quelques nouveautés sympathiques (dont des nouveaux personnages) et, surtout, il était très séduisant sur la forme. État de terreur poursuit la série avec une intrigue étalée dans deux volumes. Découverte et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Gotham City est en passe d’instaurer la loi martiale ! Bien malgré lui, Batman a fait le jeu de l’Épouvantail qui, après un an de préparation, a déclenché une attaque coordonnée sur Gotham City en manipulant Simon Saint et Peacekeeper-01. Mais d’autres forces sont à l’œuvre avec l’émergence d’un Anti-Oracle qui diffuse des fake news sur tous les canaux et appelle les habitants de Gotham à céder à la terreur et à la violence dans les rues de la ville !

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, le résumé de l’éditeur et la critique ci-dessous suffisent.

[Critique]
La composition du tome est assez particulière. Pour faciliter la lecture, abordons-la dans l’ordre chronologique choisi par l’éditeur. État de terreur (1ère partie) s’ouvre sur un prologue dédié à Miracle Molly, introduite dans le tome précédent de Batman Infinite. Ainsi, Batman Secret Files : Miracle Molly #1 (son titre VO) s’étale sur une quarantaine de pages et montre le passé de Molly, alias Mary Kowalski. James Tynion IV signe évidemment le scénario de sa énième création (et il est bien plus inspiré que pour les origines de Punchline, cf. Joker War – Tome 2). Les dessins et l’encrage sont assurés par Dani, la couleur par Lee Loughridge. La partie graphique est clairement le point fort de ce segment, proche d’une bande dessinée franco-belge indépendante, bien loin des productions mainstreams et leur classicisme stylisé et chromatique (qui peut bien sûr être soigné et réussi).

Côté histoire, on navigue entre présent et flash-back. On comprend mieux la personnalité de Molly – plutôt attachante – et la voie que propose le collectif Unsanity : perte de mémoire de son « ancien moi » pour renaître dans sa forme la plus pure et complète de soi, transhumanisme assumé, corps organique et éventuellement électronique… Et bien sûr un mouvement plutôt anarchiste fondé sur l’émancipation du diktat de la société actuelle. Il y a, forcément, une résonance assez forte avec notre ère moderne (le récit est plus ou moins féministe aussi). Il n’y a strictement aucune allusion à Batman ou même à Gotham, on reste complètement en marge de l’intrigue principale. Cela n’entache pas le récit, découvrir Mary/Molly est très plaisant et enrichit rétroactivement le volume précédent (dans lequel cet épisode aurait eu davantage sa place qu’ici puisque Molly apparaît peu dans ce second volume).

Place après à Batman Fear State Alpha #1, cette fois dessiné et encré par Riccardo Federici, colorisé par Chris Sotomayor – on en reparle plus loin – et toujours écrit par Tynion IV. On revient en arrière (à nouveau) pour voir la première rencontre entre Simon Saint et Jonathan Crane, alors enfermé à Arkham. Un court passage qui lève brièvement le voile sur le plan de l’Épouvantail, établi longuement en amont, désireux de retrouver le matériel du Chapelier Fou et d’être directement nommé et reconnu pour le futur état (Futur State, tout le monde l’a ?) de peur qu’il souhaite bâtir, en connexion avec le réseau et l’argent de Saint. Le titre reprend ensuite où s’était achevé le premier tome. On retrouve donc Batman prisonnier de Crane, Harley à la recherche d’Ivy avec Molly, le Peacekeeper en fuite, Montoya en conflit avec le maire Nakano (qui a instauré le programme « Magistrat », laissant trop d’autorité à une entreprise privée pourvue d’une milice dangereuse) et Barbara qui assiste impuissante à un message diffusé partout provenant de… l’Oracle ! S’il ne s’agit bien sûr pas de la justicière, le discours alarme la population : Batman y est déclaré mort et l’annonce stipule qu’il ne faut pas croire le « Magistrat » ni le gouvernement et qu’il faut se préparer à la guerre !

Clairement le chapitre qui contextualise efficacement les enjeux et la situation actuelle si on avait oublié le tome précédent et qui fait avancer la narration de façon pertinente : Poison Ivy est de retour, l’Anti-Oracle est prometteur, quelques têtes connues (ré)apparaissent (Orphan, Spoiler, Catwoman et un mystérieux potentiel justicier – qui devrait être, en toute logique, le Batman noir issu de Futur State (pas encore lu par l’auteur de ces lignes)). Graphiquement, le ton est plus « doux », presque feutré grâce à une colorisation proche de pastelles voire carrément de crayons de couleurs. De quoi connoter fortement avec le précédent épisode ! Mais, une fois encore, ce n’est pas déplaisant, juste non homogène.

Retour à l’équipe artistique habituelle de la série Batman pour le chapitre #112 : Jorge Jimenez au dessin et à l’encrage, Tomeu Morey à la couleur. Un segment dans la droite lignée du précédent, qui poursuit ce qui a été entamé, avec une mise en avant de Simon Saint et, surtout, le retour du Chevalier Noir (pas besoin de le détailler davantage). Les planches sont toujours aussi élégantes, propulsant Queen Ivy et l’Épouvantail au rang des ennemis sublimés graphiquement et qui marqueront durablement la mythologie de Batman. L’illustration de couverture de ce deuxième tome provient d’ailleurs d’ailleurs d’un dessin pleine planche et non d’une couverture classique ou variante (cf. dernière image de cette critique).

Un autre Batman Secret Files s’ajoute aux épisodes, sur Peacekeeper-01 cette fois, toujours écrit par James Tynion IV mais avec Ed Brisson en complément. Dessin et encrage de Joshua Hixson, couleur de Roman Stevens. Comme pour Molly, on navigue entre le passé de Sean, son héritage paternel lourd à assumer, ses échecs pour redorer le blason familial, son sauvetage « héroïque » lors de l’attaque d’Arkham, son retour en Peacekeeper… et le présent où il est simplement en fuite, reprenant donc son statu quo à la fin de l’opus précédent. L’ensemble se lit bien, développe un personnage secondaire de prime abord sympathique et montre encore une nouvelle forme graphique (à la fois avantage et défaut de l’entièreté du livre – on y reviendra).

À nouveau l’équipe habituelle pour la suite (Batman #113 – nommé par erreur #109 dans la BD) puis une incursion chez Nightwing (#84), scénarisé par Tom Taylor (très bon auteur prolifique : DCEASED, Injustice, Suicide Squad Rénégat et, bien sûr, Nightwing Infinite). Les dessins sont cette fois assurés par Robbi Rodriguez et la couleur par Adriano Lucas. Nightwing rejoint Gotham suite à un message crypté d’Oracle mais, forcément, comme ça ne provient pas de Barbara, il s’agit d’un piège…

Heureusement, le célèbre side-kick retrouve son mentor. Si ce chapitre apporte un peu de légèreté (merci Dick), il reste pour l’instant au stade d’une parenthèse héroïque inachevée et prendra sens dans le prochain tome (qui contiendra les deux épisodes suivants de la série Nightwing). À noter que l’histoire se déroule peu après Nightwing Infinite – Tome 1 (pas encore chroniqué). Enfin, on retrouve un ultime chapitre de Batman (#114) en guise de conclusion de l’ouvrage, toujours aussi élégant et soigné dans sa partie graphique. L’action est omniprésente, extrêmement bien découpée et fluide. Les angles de vues et partis pris visuels sont un régal, très immersifs et cinématographiques.

En synthèse, ces sept épisodes ont été rassemblés sous le titre État de Terreur (et les sous-titres prologue puis chapitres 1 et 2, puis interlude (sur Peacekeeper-01) et à nouveau chapitres 3 à 5). L’ensemble tient évidemment la route, en droite lignée du tome précédent. Seule ombre au tableau : le rythme décousu, peu aidé par son introduction et son interlude qui cassent une certaine dynamique de récit, sans oublier l’armée de dessinateurs – tous talentueux – qui annulent également une certaine cohérence graphique qu’on constatait jusqu’au tome précédent (incluant les Joker War).

Néanmoins, le récit reste palpitant, l’Épouvantail est exploité différemment avec une approche très politique (rappelant le projet d’Ozymandias dans Watchmen !), la présence de fake news et la bascule vers une sécurité accrue et des milices robotiques omniprésentes rappellent à la fois notre ère moderne tout en flirtant habilement avec un brin de science-fiction (donc d’anticipation). La figure de l’homme chauve-souris continue d’évoluer bon gré mal gré grâce à son allié de fortune, Ghost-Maker – sur lequel on a bien du mal à se positionner : comme déjà évoqué dans d’autres critiques (du tome 3 de Joker War notamment), il est apparu soudainement, était soit-disant ancré dans la mythologie de Batman depuis des années puis est devenu le bras droit quasiment indispensable au justicier, permettant d’avancer aisément voire trop facilement parfois…

Si Harley Quinn était présente dans le volume précédent, elle fait ici un peu de figuration, aux côtés de Poison Ivy – superbement croqué par Jimenez. Même Molly apparaît peu, excepté l’épisode d’ouverture qui lui est consacré. C’est Barbara Gordon qui occupe une place plus prononcée au rayon des protagonistes féminines. Il faut dire qu’entre Batman, Ghost-Maker, Nightwing, l’Épouvantail, le Peacekeeper-01 (et un nouveau), Simon Saint et d’autres hommes, difficile de naviguer de façon équilibré. Mais le titre tient ses promesses et pourra surtout être jugé une fois cet arc terminé. Rendez-vous donc le 17 juin prochain pour la suite et fin de cet État de Terreur avec les épisodes complémentaires : la suite de la série Batman bien sûr (#115 à #117), celle de Nightwing (#85-86) et les deux récits complets Batman – Fear State – Omega #1 (Alpha/Omega, forcément…) et un autre Batman Secret Files : The Gardener #1.

Ce second volume de Batman Infinite ne déçoit pas, ne révolutionne pas forcément les comics sur Batman mais arrive paradoxalement à offrir quelque chose d’assez singulier, toujours passionnant et jouit d’excellents dessins et styles graphiques différents. Si l’intrigue principale avance « un peu », il faudra obligatoirement lire la suite avant d’émettre un jugement définitif (MàJ : l’ensemble vaut le coup si on accorde autant voire plus d’importance à l’aspect visuel – au niveau de l’histoire, malgré certains segments assez intéressants et inédits, l’ensemble reste sur quelque chose d’assez convenu et un peu expéditif dans sa dernière ligne droite, cf. critique du tome 3). Gotham y est toujours aussi séduisante, différente – plus colorée mais tout aussi anxiogène – à mi-chemin entre le rétro-futuriste et le steampunk. Une vision atypique qui apporte une satisfaction par rapport à l’urbanisme habituelle de la mégalopole.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 mars 2022.

Contient Batman Secret Files – Miracle Molly #1, Batman – Fear State – Alpha #1, Batman #112, Batman Secret Files – Peacekeeper-01 #1, Batman #113, Nightwing #84, Batman #114

Scénario : James Tynion IV + collectif (cf. critique)
Dessin & Encrage : Jorge Jimenez + collectif (cf. critique)
Couleurs : Tomeu Morey + collectif (cf. critique)

Traduction & Introduction : Jérôme Wicky & Thomas Davier
Lettrage : Makma

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Batman Infinite – Tome 1 : Lâches par essence (18€)




Batman Infinite – Tome 1 : Lâches par essence

La suite de Joker War est enfin arrivée ! À la fois « nouveau départ » et « continuité », que vaut Lâches par essence, premier tome de Batman Infinite, qui inaugure une pseudo nouvelle ère pour le Chevalier Noir, toujours scénarisée par James Tynion IV et dessinée par Jorge Jimenez ?

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir libéré Gotham de l’emprise du Joker et s’être confronté aux nouveaux venus Clownhunter et Ghost Maker, Batman pensait avoir repris les destinées de sa ville en main. Mais le nouveau maire Christopher Nakano, allié à l’industriel Simon Saint, est bien décidé à mettre en place et purger Gotham de ses justiciers masqués qu’il juge être à la source même de la criminalité qui ronge sa ville. Dépossédé de sa fortune, Bruce Wayne parviendra-t-il à mener seul sa croisade contre le crime ?

[Histoire]
Des toxines du Joker sont diffusés dans l’Asile d’Arkham, causant la mort de plusieurs personnes dont Bane (!) et un incendie dans le bâtiment. Cet attentat est nommé « Jour A ». L’Épouvantail, pourtant déclaré mort après cette attaque semble se cacher derrière elle, même si elle est imputée dans un premier temps au Clown Prince du Crime qui a disparu (depuis la fin du tome 2 de Joker War et dont la cavale est à découvrir dans Joker Infinite). Le nouveau maire de Gotham City, Christopher Nakano, ne veut plus que Batman et ses alliés s’occupent de la ville.

Heureusement, le Chevalier Noir peut compter sur l’aide de Ghost Maker, ancien antagoniste qui a rejoint sa croisade (cf. Joker War – Tome 3), Barbara Gordon qui reprend son poste d’Oracle et… Harley Quinn. La nouvelle fidèle alliée est par ailleurs à la recherche de Poison Ivy – dont l’ex petite-amie Bella arpente aussi la ville.

En parallèle, un groupe d’anarchistes nommés le collectif Unsanity et emmenés par l’énigmatique Wyze diffuse des informations pour les citoyens de Gotham. Bruce doit les infiltrer pour comprendre ce qu’ils trament réellement. Il fait la connaissance de Molly

Le mystérieux Simon Saint œuvre avec l’Épouvantail pour accentuer le climat anxiogène dans Gotham. Proche du maire Nakano, il le convainc d’accepter son programme Peacekeeper, milice composée à terme de cinq mercenaires, des hommes puissants et « réparés » avec des technologies avancées, leur conférant une force surhumaine.

[Critique]
Après les bons débuts de Joker War (tomes 1 et 2) puis une certaine déception dans sa « conclusion » (tome 3), ce premier volet de Batman Infinite fait du bien. Les guillemets sont de mises autour du terme « conclusion » car la courte série Joker War n’a jamais été pensée ainsi en VO, elle suivait tout simplement les derniers chapitres de l’ère Rebirth et, surtout, entamait un nouveau cycle. Cycle qu’Urban Comics avait choisi d’appeler Joker War et affublé du terme « série en cours » avant de rétropédaler et de l’achever en « série complète en trois tomes ». En effet, le troisième volume était à la fois une semi-conclusion des deux précédents, une bande dessinée de transition vers un autre arc narratif mais aussi et surtout une introduction multiple à d’autres évènements (avec Ghost Maker par exemple). La suite est à donc à retrouver dans ce premier tome de Batman Infinite.

Lâches par essence s’ouvre sur les quelques pages de Batman puisées dans Infinite Frontier #0. Des planches qui sont clairement le début de l’histoire. Infinite Frontier #0 est un long épisode s’attardant sur douze justiciers ou groupes de super-héros (Superman, Justice League, Green Lantern, Wonder Woman, etc.) inclut dans le récit complet DC Infinite Frontier (qui donne son nom à cette ère « Infinite ») même s’il n’y a absolument aucune obligation de l’avoir lu pour découvrir les séries Infinite (Batman Infinite, Detective Comics Infinite, Joker Infinite, Nightwing Infinite, Robin Infinite… parmi celles de la Bat-Famille). Il s’agit surtout de la continuité des titres qui existaient juste avant (en l’occurrence Batman Rebirth puis Joker War ici).

Dans ce volume, la galerie de personnages (de tous bords) est très dense ! Le scénariste James Tynion IV utilise ses valeurs sûres (Batman, Harley Quinn, Barbara/Oracle et l’Épouvantail en tête), ses créations récentes (Ghost Maker pour l’instant – Clownhunter devrait suivre sous peu) et ses nouvelles têtes : le maire Nakano, homme intègre menant une politique inédite, la pétillante Miracle Molly d’Unsanity (arborant quasiment le transhumanisme), Bella, l’ex de Poison Ivy qui semble avoir des pouvoirs similaires, le lugubre Simon Saint et son premier Peacekeeper. Des protagonistes qui parsèment le récit – très bien rythmé – avec un bon équilibre entre eux.

Si le titre suit un sentier narratif assez balisé (peu de surprises ou rebondissements), il séduit tout de même par ce renouveau moderne, cette approche encore plus urbaine qu’auparavant (Gotham ressemble à une ville futuriste bardée de néons, lorgnant vers des univers comme Cyberpunk 2077 par exemple, son architecture moins gothique est exploitée habilement de plusieurs façons) et politique. Pas de justiciers mais une milice armée et contrôlée par la mairie ? Ça sonne comme un déjà-vu (Batman – Tome 8 : La Relève notamment) mais ça continue de fonctionner car on sait que l’Épouvantail se cache derrière tout cela et prépare (forcément) quelque chose de plus grand (le fameux État de terreur, qui donne son titre aux tomes 2 et 3 de Batman Infinite et touche d’autres séries (Nightwing) tout en en créant de nouvelle (Fear State et quelques Secret Files sur les nouveaux personnages (Molly, Peacekeeper…)).

À l’instar des trois volumes de Joker War, le comic multiplie les genres avec brio : action, science-fiction, polar, fantastique, etc. La nouvelle dynamique instaurée par l’équipe d’alliés fonctionne plutôt bien : Batman, Ghost Maker et Harley Quinn, épaulés à distance par Oracle. Des nouvelles têtes, on retient surtout Molly, prometteuse sur le papier (une future collaboratrice de la Bat-Team ?) et le Peacekeeper (Sean Mahoney de sa véritable identité – qui peut avoir une évolution particulièrement intéressante si elle est soignée). L’introduction de l’ouvrage évoquait Future State qui montrait un avenir singulier pour Gotham, débouchant sur les conséquences des actes… apparemment narrés ici. Mais, une fois encore, nul besoin de connaître tout ce background et d’autres titres qu’on pourrait pensait liés (DC Infinite Frontier justement), ce Batman Infinite est clairement l’équivalent de Joker War – Tome 4. Difficile de démarrer les aventures de Batman directement avec ce tome, il est recommandé de passer par les trois précédents Joker War

Si Bruce Wayne a été dépossédé de sa fortune, comme cela a été martelé dans les résumés et au détour de quelques bulles, ça ne change pas grand chose à sa situation : il continue d’opérer depuis un repaire, a toujours quelques gadgets et véhicules, etc. Funfact : Molly se déplace avec lui en drone volant, rappelant énormément Watch Dogs : Legion pour les connaisseurs (encore un jeu vidéo !). Néanmoins, le Chevalier Noir ne peut plus compter sur l’aide du GCPD (Montoya succède à Gordon, absent du titre, occupé à courir après le Joker dans Joker Infinite) ni vraiment sur la confiance des citoyens envers lui – même si cela a peu d’impact concret sur le déroulé de la narration.

Outre l’écriture globalement efficace de James Tynion IV, aussi bien dans les dialogues – bien rythmés comme dit plus haut – que les situations (tour à tour sinistres, complexes, palpitantes), tout le titre doit son mérite (en grande partie) aux superbes dessins et colorisation du duo Jorge Jimenez et Tomeu Morey. Une équipe gagnante qui offre une richesse chromatique pour les protagonistes et les lieux avec une certaine élégance. Le nouveau look de l’Épouvantail (rappelant plus ou moins celui d’Arkham Asylum – encore un jeu vidéo, décidément !) est effrayant et singulier. La cybernétique entourant Peacekeeper est réaliste et séduisante (un côté Robocop, carrément cité dans la BD et dont on sent une certaine inspiration pour l’auteur). Le style atypique de Molly rend la jeune femme encore plus attachante. Les combats et apparitions de Batman sont sublimés comme toujours. Bref, c’est encore un sans faute sur la partie graphique, intégralement réalisée par le binôme.

Sans être révolutionnaire, Batman Infinite – Tome 1 : Lâches par essence est une belle promesse (comme l’était à l’époque Joker War par la même équipe créative/artistique). Des débuts encourageants et passionnants, pas forcément les plus originaux pour le fond de l’histoire mais qui fonctionnent tout de même par sa belle galerie de personnages (bons ou mauvais, anciens ou nouveaux). Une poursuite évidente de ce qu’a instauré Joker War et une bande dessinée particulièrement jolie, complétée par une galerie d’illustrations de couvertures alternatives et crayonnés de bonne facture.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 28 janvier 2022.

Contient Batman #106-111 + pages de Infinite Frontier #0

Scénario : James Tynion IV
Dessin & Encrage : Jorge Jimenez
Couleurs : Tomeu Morey

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Makma (Sarah Grassart, Gaël Legeard, Sabine Maddin et Stephan Boschat)

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Interview François Hercouët (Urban Comics) et Siegfried Würtz (« Qui est le Chevalier Noir ? »)

Pour la rédaction de l’article Pourquoi, 80 ans après sa création, Batman fascine toujours autant (pour le journal l’actu), je me suis entretenu avec François Hercouët, le directeur éditorial d’Urban Comics, et Siegfried Würtz, auteur du très bon livre Qui est le Chevalier Noir ? Batman à travers les âges (chez Third Éditions, cf. essais et encyclopédies sur Batman). Ces échanges ont eu lieu avant la sortie du film The Batman.

L’interview de François s’est déroulée par téléphone, permettant de rebondir sur ses réponses et amenant à suffisamment de matière pour la constitution du papier. Celle de Siegfried a été effectuée par échange mails, proposant là aussi beaucoup de texte. Étant limité au nombre de caractères dans le journal, les propos de Siegfried ont (malheureusement) été considérablement réduits, c’est pour cela qu’ils sont restitués ici. Ceux de François ont davantage été injectés dans l’article mais quelques passages m’ont semblé pertinents pour être également reproduits sur ce site – avec son aimable autorisation – mais sous une autre forme. Seuls les morceaux « inédits » sont donc présents ici (les autres, axés sur les éléments qui caractérisent Batman et le travail des auteurs de comics, ont été synthétisés dans l’article de l’actu).

Part. I • François Hercouët, le directeur éditorial d’Urban Comics

Durant la conversation, François a expliqué sa fonction et son rôle au sein d’Urban Comics, directeur éditorial mais aussi interlocuteur pour la communication, animateur d’une équipe éditoriale et évidemment lecteur assidu pour choisir ce qui va être publié en France. Il suit aussi attentivement la chaîne du livre (traduction, maquette, lettrage…). Il a lui-même détaillé tout ce travail dans sa première newsletter – qu’on recommande activement !

Quand on lui demande si DC Comics « impose » de publier certains titres en France, le passionné répond par la négative. « On travaille en bonne intelligence, on ne nous impose rien à part quelques impératifs sur des dates de sortie pour des lancements internationaux, comme pour Batman – The World [mis en vente en septembre 2021 simultanément partout dans le monde] ou Batman Imposter [sortie en relié fin février 2022, au plus proche des États-Unis et juste avant le film The Batman] ; des titres que nous comptions publier de toute façon. »

« On ne se justifie plus trop après dix ans, poursuit le passionné. On met en avant des noms d’auteurs aussi gros que celui de Batman [Grant Morrison présente Batman, Paul Dini présente Batman, etc.]. Au début, nous avions plusieurs discussions avec DC Comics pour justifier ce choix : l’importance dans la culture française des noms des artistes, surtout dans un milieu où les bandes dessinées franco-belges sont prédominantes sur le marché. »

Le saviez-vous ? Batman représente « seulement » 15% de la production d’Urban Comics ! « Je me suis amusé à faire le calcul, détaille François Hercouët, nous avons publié 173 albums différents de Batman depuis 2012, soit 1,5 Batman par mois. On nous reproche souvent de ne sortir QUE du Batman, alors qu’il ne constitue que 15% de nos titres en fait ! » Les meilleures ventes ? Les neuf albums de la série Batman de Scott Snyder et Greg Capullo. « On en a vendu plus de 500.000, dont 100.000 pour le premier tome », ajoute le directeur éditorial. Et cela ne concerne que les tirages classiques, pas les éditions spéciales ou opérations commerciales. Un exploit dans le milieu.

Quand on lui demande les trois titres qui représentent, selon lui, la quintessence” de Batman, François Hercouët n’hésite pas. « D’abord Année Un, forcément, indémodable. Ce n’est peut-être pas très original comme choix mais c’est un titre incontournable que j’affectionne beaucoup. Ensuite je dirais… White Knight. Même le “MurphyVerse” d’une manière générale. Il y a une sorte “d’adultisation” de Batman, la série animée, un univers riche et accessible. D’ailleurs, White Knight est devenu la nouvelle porte d’entrée pour découvrir Batman, il se vend mieux qu’Année Un ! Enfin, je ne dis pas ça pour faire de la promo, mais Batman Imposter rejoint cette sélection. Il y a une dimension psychologique forte, une certaine modernité et un art des dialogues très travaillé, j’ai adoré ! » On ne peut que le rejoindre sur cette sélection qui contient trois des neuf comics qu’on juge indispensables.

Si le marché des comics est en progression d’une manière générale (+ 20% visiblement), il reste un marché de niche. « Batman reste un point d’entrée de référence (avec Spider-Man), détaille Hercouët, et on en vend beaucoup, surtout quand il y a un film MAIS il ne faut pas penser que chaque spectateur devient lecteur de comics. Ce serait déjà bien si chaque spectateur devenait lecteur (rires) ! » Il est en effet illusoire de croire qu’à chaque film de super-héros, cela va augmenter considérablement les nouveaux lecteurs (qui se renouvellent, certes, mais pas forcément grâce aux films) et les pérenniser. « Toutefois, il faut nuancer : c’est le lecteur de BD franco-belge classiques qu’il faut amener à se tourner vers les comics, c’est pour cela que nous effectuons des promotions [les opérations estivales à 4,90€ par exemple mais aussi la future collection Nomad – non dévoilée au moment de l’interview]. » Un vieux débat qui permet de mieux comprendre la stratégie de l’éditeur, lucide sur la situation et motivé pour rendre accessible ses livres à un lectorat déjà existant (celui du franco-belge).

François a également eu la gentillesse de répondre à deux questions spécialement pour le site, notamment à propos de deux séries de comics Batman dont le statut était inconnu. Ainsi, Batman – The Dailies bénéficiera bien d’un troisième et dernier tome en 2023. « Le premier a très bien fonctionné, explique Hercouët, à la fois Madeleine de Proust et à la fois un objet singulier, proche d’un documentaire. Le second s’est vendu plus faiblement, on avait prévu le troisième et dernier dans la foulée mais ce sera finalement pour l’année prochaine. »

La série Batman – Arkham Knight est (sans surprise) définitivement abandonnée. « On a publié le premier tome au moment de la sortie du jeu vidéo [décembre 2015], ensuite on a eu un encombrement de planning, ça a été compliqué. Nous voulions proposé la suite avec un code de téléchargement du jeu mais ça n’a pas pu se faire et finalement on a abandonné. C’est l’un de nos rares loupés, j’en ai conscience, j’espère qu’on ne nous en voudra pas trop… ».

Immense merci aux équipes d’Urban Comics pour la mise en relation et bien sûr à François Hercouët pour son temps, sa disponibilité, sa réactivité et sa gentillesse !

(Dessin représentant François, signé par le célèbre Dustin Nguyen !)

Part. II • Siegfried Würtz, auteur de Qui est le Chevalier Noir ? (Third Éditions)

Pourquoi Batman continue de fasciner plus de 80 ans après sa naissance ?
Plusieurs facteurs expliquent cette fascination intacte (malgré des hauts et des bas). Déjà, Batman est l’un des premiers super-héros et a donc frappé les esprits avant l’explosion de la concurrence. En outre, il se fonde sur des archétypes fictionnels très populaires et efficaces. Mais surtout, Batman représente une forme d’idéal physique, mental et moral, au point que cet homme dénué de pouvoirs peut présider à la table des dieux, et se faire craindre et admirer par des êtres infiniment plus puissants que lui. Enfin, son histoire fait écho à notre peur la plus profonde, celle de la solitude, et montre comment une personne ayant traversé le pire peut convertir ses malheurs en force pour le monde entier. Son obscurité est ainsi aussi moderne que sa vocation est lumineuse. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que personne n’a retouché son origin story après 80 ans, parce que malgré le passage du temps et l’évolution du medium super-héroïque, elle continue de nous toucher.

Que peut apporter un nouveau film à l’icône ?
Toute réappropriation de Batman est intéressante parce que ceux qui tiennent à l’exploiter expriment souvent une résonance personnelle entre son parcours et leur monde intérieur. C’est aussi ce qui fait qu’après des milliers de comics et une dizaine de films, on est toujours aussi curieux d’une nouvelle incursion par un auteur doté d’une personnalité forte : on fait confiance à Matt Reeves et à son équipe pour donner forme à leur vision particulière de façon au moins authentique et originale.

Il y a énormément d’adaptations de Batman (cinéma, jeux vidéo, séries…) comment se démarquer du lot ?
Chaque medium vient avec ses propres contraintes mais aussi sa propre diversité formelle, et plus pragmatiquement, sa nécessité de se distinguer du reste pour éviter toute accusation de plagiat. Je pense donc que, spontanément, les autrices et auteurs de Batman dans ces différents arts ont conscience des écueils à éviter, de la nécessité de proposer quelque chose de neuf, et idéalement de personnel, parce que personne n’a tout à fait la même vision de Batman, les mêmes lectures, les mêmes sentiments vis-à-vis de lui, de ses aventures, de son combat et de sa vocation.

Quels comics représentent pour toi “la quintessence” de ce qu’est Batman ?
Ce que j’aime le mieux chez Batman, c’est qu’il soit un “signifiant mobile”, plus peut-être que n’importe quel autre super-héros ; dans le sens où on peut lui prêter de multiples significations sans trahir le personnage. Je défends donc l’idée qu’il n’a pas réellement de “quintessence”, ou alors dans des récits si classiques que je trouverais dommage de les recommander particulièrement. Cependant, je peux conseiller trois comics permettant de saisir synthétiquement une grande partie de la richesse du chevalier noir. The Dark Knight Returns de Frank Miller, Batman – Ego de Darwyn Cooke et, pour tricher un peu, les formidables anthologies Black and White. Chaque histoire courte est écrite par une équipe différente avec une liberté relativement absolue de trait et de ton, de sorte qu’en cent pages, on a pu appréhender Batman sous une dizaine de formes différentes, qui sont toutes Batman et n’ont pourtant rien à voir les unes avec les autres. [Le troisième et dernier tome des anthologies en noir et blanc est prévu en 2022.]

Est-ce que les comics Batman reflètent une part de notre société en puisant dans notre actualité/politique afin de raviver continuellement une flamme chez des lecteurs ? Ou, au contraire, la fiction s’en démarque pour être davantage dans la fantaisie” et rester intemporel ?
Cela dépend. Certains comics puisent dans notre actualité sociale et politique quand la force d’autres est de nous livrer une puissante fiction escapiste. Le pire, ce sont sans doute les comics exploitant mal l’une de ces deux ambitions, par exemple prétendant livrer un message politique fort si didactique et naïf, ou si noyé dans un event polycéphale, qu’ils auraient mieux fait de s’abstenir de se croire plus adultes et plus mûrs qu’ils ne le sont. On a ainsi eu bien des exemples dernièrement au cinéma de la promesse aguicheuse d’une méditation sociale et politique, plutôt bien menée d’abord, et finalement évincée pour rentrer dans le moule d’une formule hollywoodienne ne disant plus grand chose du monde réel, avec (à des degrés divers) The Batman, Captain America : Civil War, The Dark Knight Rises, Black Panther, Joker Pour revenir aux bandes dessinées, les meilleures fictions super-héroïques sont ainsi pour moi celles qui parviennent à assumer complètement la dimension indéniablement politique du super-héros tout en livrant (et même : pour livrer) une fiction forte.

Comment renouvelle-t-on Batman sans lasser son lectorat ?
En le confiant à des autrices et auteurs qui ont quelque chose à dire et/ou à raconter. Attention, ce n’est pas une recette pour vendre plus de Batman : on sait bien que le public n’est pas toujours friand de réinventions et préfèrera souvent un millième combat contre le Joker à quoi que ce soit d’un peu différent. Mais même ce marché peut être revitalisé par une réinvention piquante. C’est sans doute en partie ce qui explique la popularité du Black Label (dont je suis très friand) : donner carte blanche à des équipes pour travailler sur Batman dans un one-shot et hors continuité est sans doute l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse faire à Batman pour lui éviter l’arthrite à laquelle la continuité paraît parfois le condamner.

Merci à Siegfried Würtz pour sa grande réactivité et sa sympathie également ! On recommande son ouvrage, très complet et sourcé, qui balaye l’évolution de Batman à travers les âges (351 pages, 29,90€).