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Justice League Rebirth – Tomes 04 à 06

La série Justice League Rebirth (JLR) s’étale sur six tomes et fait suite au relaunch Rebirth effectué après la fin de la série Justice League de la période New 52 (Renaissance en VF). Les critiques sont regroupées en deux articles reprenant chacun trois volumes (soit une vingtaine de chapitres au total). La première partie est à retrouver ici, revenant sur donc sur les trois premiers opus, seul le troisième était un peu plus intéressant que les autres…

Ainsi, pour cette nouvelle chronique, on retrouve :
Tome 04 : Interminable [JLR #20-25]
Tome 05 : Héritage [JLR #26-31]
Tome 06 : Le procès de la Justice League [JLR #34-43]

(Les chapitres #32-33 sont dans Batman Metal – Tome 3.)

Tome 04 : Interminable [JLR #20-25]

[Résumé de l’éditeur]
La Ligue de Justice n’est plus. Manhattan est détruite. Et le responsable ne serait autre que… Flash ! Un adversaire mystérieux doté d’une arme surpuissante le prend pour cible et accuse le super-héros le plus rapide du monde d’être responsable de la mort de sa famille. Et à chaque fois que Flash entre en contact avec l’énergie de son arme, il est renvoyé dans le passé… Aidé de Batman, les deux justiciers réussiront-ils à résoudre ce mystère temporel ?

[Histoire]
Jessica Cruz, récente Green Lantern qui a rejoint la Justice League, poursuit sa relation avec Barry Allen, alias Flash. Mais quand leur déjeuner tourne mal et que Jessica trouve la mort dans une étrange temporalité, le bolide écarlate ne comprend plus ce qu’il se passe… Lui et le Chevalier Noir vont investiguer.

Une fois ce « problème » résolu, les membres de la Ligue poursuivent différentes missions contre divers ennemis et doivent pallier l’absence d’Aquaman…

[Critique]
Encore un tome très très moyen, décevant et sans enjeux réellement importants… Contrairement à ce que laisse entendre le résumé de l’éditeur (et la couverture du livre en quelque sorte), le récit Interminable ne dure que deux chapitres ! Tous deux écrits et dessinés par Bryan Hitch en petite forme. Suivent des histoires assez détachées et complètement oubliables. Un millier de petites choses n’a d’intérêt que dans sa poursuite d’intégration au sein de la Ligue pour Jessica, remplie de doutes et de peurs. D’ailleurs, l’ouvrage (la série ?) aurait pu s’appeler Jessica Cruz, la nouvelle Green Lantern & la Justice League !

Terreur, Fureur et Reborn (un épisode un brin plus long que les traditionnelles vingt pages des autres chapitres) se succèdent. Il est notamment fait mention de la destitution d’Aquaman dans son royaume (à lire dans Aquaman Rebirth – Tome 2), remplacé dans la Ligue par Mera visiblement (c’est tellement expéditif et mal écrit qu’on ne comprend pas très bien, comme d’habitude sur cette série). Seul Reborn apporte un peu plus d’engouement car il se connecte avec Molly, la jeune femme du troisième tome et avec les évènements qui s’y déroulaient (l’énorme bordel de course-poursuite à échelle temporelle un peu confuse mais malgré tout assez cool). Notons qu’une référence à une « épidémie » est évoquée, se déroulant dans la série Trinity, inédite en VF.

Néanmoins, cela ne sauve pas ce quatrième opus, complètement passable comme les deux premiers l’étaient déjà. Deux ou trois « fils rouges » se démarquent (les guillemets sont de mises) avec l’évolution de Jessica, certes sympathique mais sans non plus être originale ou très passionnante, son idylle avec Barry et – surtout ce sujet – le casse-tête cérébral avec l’échiquier où se situent les membres de la Ligue sur l’échelle du temps et – éventuellement – les conséquences de leurs actes chez les citoyens (un sujet souvent au dernier plan mais abordé discrètement ici et là, parfois mis en avant comme dans le deuxième volet).

Bryan Hitch ne s’occupe des dessins qu’au début avant de passer la main à Tom Derenick (Injustice), Ian Churchill et le Français Philippe Briones (Aquaman Rebirth justement) pour un résultat nettement plus convaincant qu’Hitch. Ce dernier prend également une pause côté scénario, Dan Abnett (Aquaman Rebirth toujours et l’excellente saga Annihilation chez Marvel), Tom DeFalco et Shea Fontana le rejoignent pour signer les autres épisodes après Interminable, Hitch revenant pour Reborn – laissant suggérer qu’il maîtrise un minimum ce qui semble être son intrigue générale… Les dessins sont globalement corrects, il y a toujours ce côté production mainstream colorée qui permet d’être un petit peu divertissant faute de mieux (même si ce n’est pas très bien écrit et peu palpitant, le rythme permet de ne pas trop s’ennuyer), c’est toujours ça de pris…

Tome 05 : Héritage [JLR #26-31]

[Résumé de l’éditeur]
Les membres de la Ligue de Justice sont morts… Et vingt-deux ans plus tard, la planète n’est plus qu’une terre désolée, sous le joug d’une déesse connue sous le nom de Souveraine. Mais les plus grands super-héros de la Terre ont laissé derrière eux une force capable de sauver le monde : leur héritage. Les enfants de la Ligue, eux-mêmes des héros à présent, doivent revenir dans le passé pour empêcher la déesse de tuer leurs parents respectifs et d’asseoir son règne. Mais l’identité de Souveraine risque de les surprendre et de remettre en cause leur quête.

[Histoire]
À New-York, une vingtaine d’années dans le futur, les futurs enfants de la Justice League combattent la mystérieuse Souveraine et son puissant homme de main : Aquaman, à moitié cybernétique ! Le groupe de jeunes justiciers est composé de Cube (fils de Victor/Cyborg), Hunter (fils de Diana/Wonder Woman rejeté par cette dernière et élevé par Clark/Superman), Serenity (fille de Mera et Arthur/Aquaman) ainsi que les trois frères et sœurs Nora (qui a le pouvoir de la Force Véloce), Jenny et Jason (tous deux des Green Lantern), fruits de l’union entre Barry/Flash et Jessica/Green Lantern.

En retournant dans le passé, les adolescents rencontrent leurs parents, à priori responsables de la situation apocalyptique qui règne dans le futur… Entre retrouvailles familiales se passant plus ou moins bien et investigation sur la menace, la Ligue de Justice à beaucoup à faire. Batman enquête de son côté mais le futur Aquaman se dresse sur son chemin…

[Critique]
ENFIN ! On n’y croyait plus… Enfin un volume séduisant, bien construit et original ! Certes, il n’était pas trop difficile de faire mieux que les précédents (et cela biaise peut-être la subjectivité d’appréciation quand on découvre toute cette série à la suite) mais tout de même. Si la conclusion n’avait pas été précipitée et « facile » le titre aurait même pu être dans les coups de cœur du site.

La force du récit, entièrement écrit par Bryan Hitch – bien plus inspiré que précédemment – réside sur les connexions humaines et familiales entre la fougue jeunesse et les (futures) responsabilités parentales de la Ligue. En résultent de très beaux moments, des échanges touchant entre chaque progéniture et son parent (d’adoption ou biologique). C’est en creusant dans cette sphère « intime » que cet Héritage délivre ses meilleures séquences. L’action n’est pas en reste (au début et à la fin notamment), avec des passages plutôt sanglants ou épiques. Le tout croqué par Fernando Pasarin (qui illustrait déjà le troisième tome – qui était le meilleur jusqu’à ce cinquième – tous deux pouvant se lire à la suite et sans le reste de la série d’ailleurs) et colorisé par Brad Anderson (valeur sûre dans le domaine, souvent à l’œuvre sur la précédente série Justice League).

En concevant cette sorte d’elseworld, Hitch réussit là où il échouait auparavant en donnant un peu de consistance à ses protagonistes, nouveaux ou anciens, tous attachants. Si l’ensemble reste rapidement exécuté (comme l’entièreté de Justice League Rebirth), l’auteur laisse tout de même ses personnages vivre, se poser et reposer (et le lecteur avec). Comme toujours, il y a un gros flou de compréhension quant à la nature « ténébreuse » de la fameuse Souveraine (dont l’identité n’est pas prévisible mais qui ne s’avère pas être une révélation « fracassante »). Tout se résout abruptement, comme toujours… L’évocation des pierres magiques et trois humains aidant à la concrétisation d’un plan temporel (découverts dans le troisième tome) est vite balayée aussi. Dommage.

Héritage se hisse donc à la première place des cinq volumes de Justice League Rebirth, grâce à son histoire plus soignée que d’habitude, les traits et découpages fluides de Pasarin (malgré des détails de bouches sur visage parfois grotesques – peut-être à cause des cinq différents encreurs qui opèrent sur les six chapitres !) et l’ensemble richement colorée. Sur la forme c’est quasiment un sans faute, sur le fond on regrette une conclusion un peu rapide (on apprécie aussi la petite vibe Terminator). À voir ce que réserve le sixième et dernier volet pour voir ce qu’on peut sauver ou lire indépendamment du reste sans être trop exigeant…


Tome 06 : Le procès de la Justice League
[JLR #34-43]

[Résumé de l’éditeur]
En pleine mission, la Ligue de Justice tente de libérer les victimes d’une prise d’otages mais commet une erreur qui aura de lourdes conséquences. Seuls responsables aux yeux de la justice américaine, les super-héros ne sont plus les bienvenus et sont appelés à comparaître, car il est temps de rendre des comptes. Et c’est à cet instant critique de remise en question qu’un ennemi redoutable entre en jeu, s’attaquant non pas à la Ligue mais à ses accusateurs et faisant des juges et des journalistes ses cibles principales…

[Histoire]
Simon Baz/Green Lantern doit secourir une galaxie entière à lui tout seul sans aide… Sur Terre, les autres membres de la Justice League déjouent une attaque terroriste au moment où les forces de l’ordre allaient intervenir. Mais cela cause la mort d’une femme religieuse, imputée à une action de Wonder Woman, le tout filmé et diffusé dans les médias…

Aquaman doit intervenir en urgence pour secourir des gens après un séisme suite à une mauvaise communication entre Batman (qui avait mal compris un nom) et Cyborg (qui relayait les informations).

L’opinion publique et le corps juridique remettent en question les agissements de la Ligue, encadrée par aucune personne identifiable ni de confiance. Si le Chevalier Noir apparaît comme le leader de l’équipe, le simple humain derrière le masque croule de fatigue et commet plusieurs erreurs, au point d’envisager de se retirer de l’équipe.

En parallèle, un nouvel ennemi se fait passer pour les membres de la Ligue tout en commettant des meurtres, n’aidant pas à renouer l’image populaire de la Ligue avec le public et les médias…

[Critique]
Surprise, Bryan Hitch a quitté la/sa série et est remplacé par Christopher Priest ! L’auteur de Deathstroke Rebirth (sept tomes) poursuit donc les aventures de la Justice League sous un prisme plus ou moins novateur. Ce sixième et dernier tome est composé de deux récits de cinq chapitres chacun, celui qui donne son titre à l’ouvrage, Le procès de la Justice League puis Justice Perdue. Néanmoins, les dix épisodes se suivent et forment un tout assez homogène d’un point de vue narratif. Trois axes se dégagent de l’ensemble avec plus ou moins de réussite intrinsèquement.

Tout d’abord, l’approche « politique et sociétale » de la Ligue de Justice est au cœur du titre. D’une manière générale, c’est un prisme extrêmement intéressant et risqué, tantôt audacieux et subtile, tantôt raté et ridicule. Ici, on est à cheval entre l’original et le décevant… Le procès en soi n’a pas vraiment lieu, il y a bien plusieurs interrogatoires par différents corps juridiques envers Superman et Cyborg notamment, beaucoup de questionnements entre les membres ou de réflexions à travers les médias et les réseaux sociaux mais pas de « révolution concrète » sur ce sujet. On ne va jamais jusqu’au bout de choses, on reste dans un cadre d’oralité sans impacts réels… Ce qui donne malheureusement une impression de survol. Ce n’est pas désagréable ni mal écrit mais ça méritait d’aller tellement plus loin !

Par exemple, le début de la fiction évoque des religieux extrémistes et la place de l’intervention des super-héros durant des attentats ; le milieu montre (maladroitement) une sorte de rapidité d’exécution à deux niveaux (les blancs/les noirs, les riches/les pauvres) et la fin aborde un conflit en Afrique entre réfugiés et monarques locaux (rappelant vaguement le travail du scénariste chez la concurrence avec Black Panther) avant de nommer carrément la Palestine et l’Israël. Plusieurs sujets extrêmement sensibles donc, au sein desquels l’auteur, comme ses protagonistes de papier, cède à une sorte de facilité évoquant tour à tour « la charte de la Ligue » (guidant les interventions ou non – mais jamais évoquée auparavant) et la nécessité de « ne pas s’en mêler ». En refusant de prendre réellement position et à force de vouloir rester accessible, ce sixième volet de Justice League Rebirth passe donc malheureusement à côté de ces thématiques ô combien clivantes mais parfois passionnantes et nécessaires dans une bande dessinée grand public (un peu comme l’a proposé Mark Waid en son temps). Dommage…

Ensuite, le deuxième axe du livre se concentre sur un nouvel ennemi, « le fan ». Ce dernier est banalement un « fan » de la Justice League mais aussi un ingénieur qui a œuvré à la construction de la Tour de Garde. Il connaît donc le lieu et ses secrets ; il a même espionné tous les super-héros, connaît leurs failles et les pousse à se remettre en question. Une fois de plus, l’idée de départ est bonne : s’appuyer sur les Hommes de l’ombre qui ont contribué à ériger le mythe des justiciers, littéralement. Cela permet aussi de savoir « comment » cette fameuse Tour fut bâtie. Hélas, tout tombe à plat : « le fan » met en déroute un par un tous les plus grands surhommes et Dieux de la Terre avec une facilité déconcertante ! Impensable…

Il semble aussi improbable que Cyborg (à minima) n’ait jamais détecté cet espionnage constant à travers l’assemblage informatique. L’identité de ce nouvel antagoniste est d’ailleurs complètement anecdotique et l’équipe ne sait pas comment s’en débarrasser. Il faudra compter sur… Deathstroke pour trouver une solution (radicale évidemment). Comme dit plus haut, Christopher Priest connaît bien le mercenaire (en plus de la série déjà évoquée, ajoutons le court récit complet DC Univers Rebirth Deathstroke). Deathstroke est assez présent en fin d’ouvrage (l’histoire est même connectée au premier tome de Deathstroke Rebirth), au même titre que… la Justice League of America ! C’est là que le lecteur peut s’y perdre un peu – et cela permet d’effectuer une transition vers le troisième et dernier axe narratif.

En effet, les évolutions des personnages sont évidemment très présentes et à suivre dans cet ultime tome, mieux équilibré que précédemment sur ce point. Jessica est un peu plus en retrait (son principal problème est un baiser volé à… Batman – sic), Aquaman a droit a un segment en particulier (avec toujours des mentions à sa série Aquaman Rebirth), corrélé à Batman, qui quitte sa fonction de leader au sein de la Ligue – passant le relai à Cyborg. Ce dernier a donc enfin une certaine mise en avant. Superman et Wonder Woman sont aussi au cœur du titre. Seuls Flash et Simon sont moins présents. C’est d’ailleurs un élément phare qui revient plusieurs fois : les justiciers qui sont à l’écart par rapport à d’autres, que ce soit au sein de la Ligue, dont la Trinité vole toujours la vedette ou dans les seconds rôles des justiciers moins connus. Là encore une piste inédite mais pas vraiment exploitée…

On arrive donc à la fameuse Justice League of America. Nom donné à une ligue souvent « annexe », qui gravite en marge de la Justice League plus classique (cf. le quatrième tome de Justice League par exemple). Ici, cette ligue a été conçue par Batman lui-même après l’affrontement entre la Justice League et la Suicide Squad (cf. le sympathique récit complet du même nom). Cette Ligue de Justice d’Amérique est souvent plus brutale que l’habituelle et n’hésite pas à solliciter des antagonistes. C’est le cas de celle-ci, regroupant Vixen, Ray, Atom, Black Canary, Frost (anciennement Killer Frost) et Lobo !

Mais pour le découvrir/comprendre, il fallait se tourner vers les magazines mensuels Suicide Squad Rebirth publiés à partir de 2017. Ceux-ci accueillaient différentes série de l’ère Rebirth comme Suicide Squad bien sûr, mais aussi Harley Quinn et Deathstroke (comme par hasard). Introduite en janvier 2018 dans le septième numéro (cf. couverture ci-dessous) avec différents épisodes dédiés à ces « nouveaux » protagonistes ainsi que la relance de la série Justice League of America (Rebirth, évidemment) – entièrement scénarisée par Steve Orlando – cette fameuse Ligue de Justice d’Amérique a bénéficié d’une publication jusqu’au numéro #15 de Suicide Squad Rebirth (le dernier de ce magazine), en septembre de la même année.

    

Ainsi, les dix-sept premiers chapitres furent étalés à travers neuf numéros et les suivants se sont retrouvés dans deux hors-séries de Justice League Rebirth – Récit Complet (les #10 et #12, cf. couvertures ci-dessus également). Frappe chirurgicale (novembre 2018) et À l’aube des temps (mars 2019) ont ainsi compilé respectivement les chapitres #18 à #21 (et l’annual) puis les #22 à #29 de la série (étant ainsi intégralement publiée en France – mais pas en librairie où elle a été divisée en six tomes aux États-Unis). On ne désespère pas de chroniquer cet ensemble à terme sur ce site ! Heureusement, pas besoin de lire tout cela en amont (même s’ils sont mentionnés dans la bande dessinée) pour comprendre à peu près le sixième tome de Justice League Rebirth même s’il subsiste un côté décousu et un éparpillement des nombreux intervenants…

Les neufs épisodes sont majoritairement dessinés par Pete Woods, qui livre des planches correctes, ni exceptionnelles, ni mauvaises. Il est malheureusement parfois remplacé par Philippe Briones, Marco Santucci et Ian Churchill, n’aidant pas à générer une cohérence graphique même si on ne s’y perd pas visuellement, malgré la grande galerie de personnages, surtout dans sa seconde partie. De nombreux titres, citations ou tweets parsèment les planches, ajoutant une inutilité verbale à l’ensemble déjà très bavard.

En brassant plusieurs sujets, de façon originale ou anodine, crédible ou décevante, habilement ou maladroitement, Le procès de la Justice League est donc complètement inégal. On peut saluer la proposition assez inédite dans le genre mais on peut tout autant déplorer le travail pas spécialement abouti. À moins d’une simple coïncidence, on sent aussi chez Priest une inspiration du côté du film Batman v Superman, que ce soit au niveau du conflit en Afrique, des échanges avec des avocats et juges, etc.

Idéalement il aurait fallu recentrer son titre uniquement sur l’aspect politique/sociétal, les conséquences des actes de la Ligue, leur « impunité » aux yeux de la loi des Humains et leur propre arbitrage au sein des conflits « réels » de notre monde. Le tout dessiné par un seul artiste et dans une fiction en un récit complet à part (ce qu’est de toute façon ce sixième et dernier volume de JLR). Hélas, le résultat mi-figue mi-raisin est trop bancal pour s’avérer audacieux ou indispensable…

[Conclusion de l’ensemble]
Si on peut d’entrée de jeu éliminer le quatrième tome, on apprécie tout de même le cinquième et plus ou moins le sixième. Mais le bilan sur l’entièreté de la série, soit six volumes, n’est pas terrible. On en conseille surtout deux (le troisième et le cinquième – formant un ensemble plus ou moins complet, écrit et dessiné par la même équipe artistique mais manquant d’une réelle conclusion puisque Hitch quitte sa série après) ; éventuellement le sixième et encore… Rien d’incontournable dans cette pauvre série Justice League Rebirth très malmenée (surtout dans ses deux premiers tomes et l’affreux quatrième) avec des facilités narratives, des intrigues non résolues, des complications inutiles, des incohérences brumeuses, des éléments incompréhensibles, de nombreux segments ennuyeux et inintéressants – à l’exception donc, du chouette cinquième opus, Héritage.

La « suite » de Justice League Rebirth n’est pas vraiment connectée à la série. Comme l’annonce l’éditeur à la fin de la version librairie du dernier tome (grouillant de jolies couvertures alternatives en guise de bonus), il faut se tourner vers le récit complet Justice League – No Justice qui fait à la fois suite à Batman Metal mais sert aussi de prologue à Justice League – New Justice (quatre tomes). Cette dernière étant à considérer comme « la » nouvelle série Justice League désormais – incluant le retour du Limier Martien, teasé dans Justice League Rebirth.

     

[À propos]
Sortie en France chez Urban Comics respectivement le 6 juillet et 9 novembre 2018 puis le 1er mars 2019.

Scénario : Bryan Hitch (t. 4 et 5), Christopher Priest (t. 6)
Dessin : Bryan Hitch (t. 4), Fernando Pasarin (t. 5), Pete Woods (t. 6), collectif
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif

Traduction : Edmond Tourriol
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Justice League Rebirth – Tomes 01 à 03

La série Justice League Rebirth (JLR) s’étale sur six tomes et fait suite au relaunch Rebirth (à lire dans DC Universe Rebirth) effectué après la fin de la série Justice League de la période New 52 (Renaissance en VF). Les critiques sont regroupées en deux articles reprenant chacun trois volumes (soit une vingtaine de chapitres au total par critique/lot de comics).

Ainsi, pour cette chronique, on retrouve :
Tome 01 : Les Machines du Chaos [JL Rebirth #1 puis JLR #1-5]
Tome 02 : État de Terreur [JLR #6-11]
Tome 03 : Intemporel [JLR #14-19]

(Les chapitres #12-13 sont dans le sympathique one-shot Justice League vs. Suicide Squad.)

Tome 01 : Les Machines du Chaos [JL Rebirth #1 puis JLR #1-5]
(G. : Couverture inédite pour le réseau GLBD (Groupement des Libraires de Bandes Dessinées))

[Résumé de l’éditeur]
À l’aube d’une nouvelle ère, les plus grands héros de la Terre restent unis contre l’adversité. Endeuillés par la perte de l’Homme d’Acier, ils continuent de défendre leur planète de ses pires dangers. Et pour ce faire, la Justice League accueille trois nouveaux membres dans son équipe, incluant un certain… Superman !

Qui est cet être venu d’un monde mort et peut-on seulement lui faire confiance ?

[Histoire]
En préambule : suite à ses nombreux combats et notamment récents affrontements contre Vandal Savage ainsi que ses contacts répétés avec la kryptonite, Superman a rendu l’âme (Superman – Requiem). Heureusement le Superman originel, plus expérimenté et aguerri que celui de la continuité Renaissance a trouvé refuge sur… la Terre de de cette continuité (à découvrir dans Superman – Lois & Clark). Simon Baz et Jessica Cruz sont deux nouveaux Green Lantern qui remplacent Hal Jordan au sein de la ligue.

Le Superman originel rejoint la Justice League de la continuité Renaissance. La ligue était en difficulté face à une menace extra-terrestre et cette arrivée est bienvenue. Plus tard, de nombreux séismes ont lieu partout dans le monde. Ces catastrophes à priori naturelles sont compliquées à gérer pour les justiciers. Pire : certains d’entre eux perdent leurs super-pouvoirs ! Des citoyens deviennent étrangement agressifs envers eux et… des monstres extra-terrestres envahissent la Terre.

[Critique]
Après un premier chapitre introductif très fade et convenu (sans surprise, l’équipe se reforme avec le « nouveau » Superman — pirouette scénaristique facile et d’une grande paresse intellectuelle), les cinq épisodes de la série ne relèvent pas plus que ça le niveau (d’écriture). La ligue affronte une nouvelle menace et, là aussi sans réelle surprise, s’en sort gagnante.

Tout s’enchaîne de façon fluide, le rythme est très bon (à l’exception de la conclusion abrupte), pas de temps mort, mais rien de non plus trop palpitant (en plus d’éléments parfois confus) car il manque une certaine alchimie motrice qui passionnerait davantage pour se prendre au jeu. Il y a un côté « déjà vu » dans cette aventure : aucune innovation, rien d’inédit. Il y avait pourtant le deuil de Superman à exploiter et, surtout, l’intégration de son remplaçant dans la ligue mais cela est juste survolé. Dommage.

Niveau dessins, Bryan Hitch est en petite forme sur son chapitre introductif mais heureusement Tony S. Daniel fait certaines merveilles sur les suivants (mais pas au mieux non plus par rapport à son talent). Traits fins, cadrages iconiques, découpages rythmés… on apprécie clairement ses planches, vivement colorées (par Tomeu Morey) et flashy. Le sens de la démesure explose tout le temps entre les catastrophes naturelles, les dimensions et espaces exploitées (sous l’eau, au cœur de la Terre, dans le ciel, en zone urbaine, rurale, et ainsi de suite).

L’ensemble s’étend souvent sur de superbes doubles-pages. Une sorte de « destruction porn » comparable à un film de Michael Bay ou Roland Emmerich (donc synonyme de « plaisir coupable » pour certains). Jesus Merino prend le relai aux pinceaux le temps un chapitre, lui aussi de bonne facture, dans un style proche de celui de Daniel (moins précis néanmoins), concevant une homogénéité correcte. Cette partie graphique est assurément la réussite du livre (mais cela n’est, hélas, pas suffisant à ce stade, même si on est peu exigeant).

Pas mal de bonus concluent l’ouvrage : de jolies couvertures alternatives, des sketchbooks (crayonnés en noir et blanc des planches) et même les design des personnages et leurs costumes.

Les Machines du Chaos forme donc une sorte d’introduction globale à la série à l’intérêt pour l’instant assez limité : l’arrivée du « nouveau » Superman (sans réel travail d’écriture poussé), les débuts prometteurs des deux nouveaux Green Lantern (les fans du Green Lantern Corps devraient apprécier, tant ce duo est mis en avant) et, peut-être, l’annonce d’un évènement dans lequel Wonder Woman aurait un rôle spécifique à jouer. Très accessible mais manquant cruellement d’originalité, bourrin et basé sur de l’action grandiloquente, ce premier tome peine à convaincre, sauf par par son esthétisme. Espérons du mieux pour la suite.

Tome 02 : État de Terreur [JLR #6-11]

[Résumé de l’éditeur]
Il existe des forces capables de manipuler l’esprit et de nous confronter à nos pires angoisses. Et quand celles-ci s’attaquent à la plus grande équipe de super-héros, c’est la Terre entière qui est en danger, poussant les membres de la Ligue de Justice à s’en prendre les uns aux autres.

Seuls des héros entraînés à contrôler leur peur pourront en venir à bout… Jessica Cruz et Simon Baz, les deux novices de l’équipe, parviendront-ils à repousser cette nouvelle menace ?

[Histoire]
Les missions et combats de la Ligue se poursuivent. En marge, Barry (Flash) et Jessica se rapprochent, Victor (Cyborg) et Simon deviennent amis, Clark (Superman) jongle avec sa vie de couple et ses nouvelles obligations.

Mais les justiciers ont un comportement bizarre, entre des peurs irrationnelles et de l’agressivité constante, plus personne ne semble être soi-même. Aquaman et Wonder Woman se dressent carrément contre les humains et leur gouvernement.

[Critique]
Ce deuxième tome se scinde en deux histoires : État de Terreur (deux chapitres) et Virus (quatre épisodes). La première est totalement ratée et expéditive. On ne sait pas pourquoi les justiciers tombent dans ce fameux état de terreur, on ne sait pas non plus comment ils en sortent. L’ensemble est d’une banalité confondante et vraiment moyenne. La seconde montre un virus (sic) qui prend possession des outils technologiques de Batman entre autres, et de l’anneau de Simon (Jessica s’est retirée rapidement de la Ligue). On y suit aussi la famille de Diane Palmer, unique femme qui trouva la mort suite aux évènements du volume précédent (étonnant de savoir qu’il n’y a eu qu’une seule victime !).

L’explication « rationnelle » est peu convaincante mais a le mérite de montrer une scène entre les justiciers et une famille ordinaire, presque le temps d’un chapitre rempli principalement de dialogues entre ces « petites gens » et les icônes héroïques. Malheureusement, l’écriture est toujours aussi faiblarde et les scènes d’action ou de démonstration se succèdent sans réel intérêt, à l’instar du premier volume.

Aux dessins, on retrouve Neil Edwards en majorité mais aussi Jesus Merino, Matthew Clark et Tom Derenick. L’ensemble est tout à fait correct, sans faire de merveilles non plus (faute parfois à un encrage trop prononcé et un manque de détails). On retrouve à nouveau un certain sens de la démesure. Le débat publique autour de la Ligue de Justice est de plus en plus présent et devrait, en toute logique, déboucher sur quelque chose mais à ce stade on ne sait toujours pas.

Ce deuxième tome ne fait toujours pas avancer l’histoire générale (ni l’intégration de Superman, quasiment absent tout le long mais un peu l’évolution des deux nouveaux Green Lantern) : on stagne plus ou moins, reste certes des dessins sympathiques mais il manque toujours un élément narratif palpitant pour s’y plonger plus efficacement. Le premier volume, déjà moyen, était quand même mieux (grâce à sa partie graphique). À noter que les deux chapitres suivant de la série sont complètement déconnectés et se déroule dans le sympathique titre Justice League vs. Suicide Squad, vendu (à raison) comme un one-shot.

Tome 03 : Intemporel [JLR #14-19]

[Résumé de l’éditeur]
Une armée d’extraterrestres vient d’attaquer la Terre. Seule la Ligue de Justice, dernier rempart de l’humanité, semble être en mesure de les arrêter, mais ses membres ont été disséminés dans le temps, à des moments clés de leur histoire.

Ainsi, Wonder Woman est transportée lors de la naissance des dieux de l’Olympe, tandis que Cyborg est envoyé au XXXIe siècle, et tous ont un âpre combat à livrer, car s’ils échouent, les super-héros pourraient bien n’avoir jamais existé…

[Histoire]
Après avoir été coincé sous terre quelques temps, la Ligue repart plus soudée que jamais. Mais quand les membres sont séparés dans le temps à divers moments clefs de l’Histoire, chacun doit découvrir comment se sortir de cette situation…

Superman est le premier affecté. Sa femme Lois et son fils Jon disparaissent mystérieusement alors qu’ils mettaient de l’essence dans leur voiture. Au moment où l’Homme d’Acier perçoit que quelque chose se trame, Batman le supplie de ne pas intervenir et lui faire confiance ! L’étrange jeune femme Molly (qui semble observer la race humaine depuis longtemps et se nomme « la gardienne ») permet de communiquer avec tous les héros entre toutes les époques et leur donne des consignes…

[Critique]
Clairement le meilleur tome jusqu’à présent. Très dense et confus mais tout de même assez passionnant. Passons sur le premier épisode, très bien écrit mais décevant dans sa conclusion. On apprécie les échanges entre Batman « contre » la Justice League et la crise d’identité de Superman (qui arrive bien tardivement). Assez référencée (Superman – Requiem, Justice League International – Tome 5 (La Tour de Babel), Justice League vs. Suicide Squad…) mais sans être compliquée, cette introduction intitulée Rassemblement, permet quasiment de repartir sur une base « vierge » des récits passés, comprendre qu’on pourrait donc lire ce troisième volet comme si… c’était le premier.

Les cinq chapitres suivants donnent leur titre à la bande dessinée. Dans Intemporel, la Justice League doit donc contrer des agents « intemporels » dirigés par une entité mystérieuse du nom de Tempus. La force du récit réside dans son éclatement géographique et temporel des membres de la Ligue. En plus de Wonder Woman et Cyborg décrits dans le résumé de l’éditeur, ajoutons Aquaman dans l’Atlantide antique, les deux Green Lantern dans un futur lointain (XXVIème siècle) avec d’autres Green Lantern, Flash à Central City juste avant son accident et la création de la force véloce.

Enfin, Batman et Superman font front commun dans le présent, aidés par trois énigmatiques personnes (Alexis, Jane et Vincent) croisées lors d’un affrontement face à Rao. Une histoire publiée dans la série Justice League of America – de Bryan Hitch également – publiée dans le magazine Justice League Univers #2 à #9 et poursuivi dans Justice Ligue Hors-Série #2 – Récit Complet (Ascension – contenant un arc principal publié à l’époque chez un autre éditeur puis dans le sixième et dernier tome de Justice League of America en librairie).

Il est question de pierres magiques, de flux temporels, de fin du monde… Comme dans les tomes précédents : c’est assez bordélique voire peu compréhensible par aspect mais on se plaît à découvrir cette situation pour une fois plutôt originale et atypique. Si la résolution manque cruellement de séquences épiques ou tragiques – avec une promesse pour la suite – l’ensemble tient la route grâce à son rythme assez haletant et les dessins de Fernando Pasarin. Les visages sont parfois grossiers mais, encore une fois, le sens de la démesure de certaines scènes et un découpage assez fluide rendent le tout bien agréable, avec une colorisation très riche et variée.

[Conclusion de l’ensemble]
Cette série Justice League Rebirth n’est donc pas terrible du tout (à l’exception de son troisième tome qui relève un peu le niveau). Si la partie graphique de l’ensemble est plutôt correcte, que l’alchimie au sein de la Ligue fonctionne (à partir du second opus) et que les intrigues sont bien rythmées, il manque une histoire consistante et passionnante. C’est assez mal écrit, tout s’enchaîne sans qu’on comprenne réellement grand chose, rien est développé de façon intelligible et intelligente. Cette impression de survol narratif et de fausse complexité génèrent une lecture paradoxalement simpliste et pénible. Dans l’immédiat on déconseille donc les deux premiers volumes et on laisse une option sur le troisième si la suite tient ses promesses… Pour rappel, l’entièreté de la série a été publiée en six tomes, rendez-vous prochainement pour la critique commune des tomes quatre, cinq et six !

[À propos]
Sortie en France chez Urban Comics respectivement le 9 juin et 10 novembre 2017, puis le 9 mars 2018.

Scénario : Bryan Hitch
Dessin : Bryan Hitch (t.1 et 3), Tony S. Daniel (t. 1), Jesus Merino (t. 1 et 2), Neils Edwards (t.2), Fernando Pasarin (t.3), collectif (t.2)
Encrage : collectif
Couleur : collectif

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The Batman’s Grave

[Résumé de l’éditeur]
Quand Batman découvre le lien caché entre l’assassinat d’un ancien inspecteur de la criminelle et celui d’un avocat véreux, c’est le début pour lui d’une traque sans relâche qui le mène vers un nouvel ennemi : Scorn. Ce dernier monte une armée de tueurs implacable à même de vaincre le Chevalier Noir, qui se trouve de son côté de plus en plus isolé. Bruce Wayne a peut-être enfin atteint sa limite.

[Histoire]
Dans un futur proche, Alfred nettoie religieusement les tombes de Thomas et Martha Wayne mais aussi celle de… Bruce Wayne.

Dans le présent, Batman découvre dans un appartement un cadavre fortement décomposé. La victime semblait être obsédée par le Chevalier Noir : le mur est tapissé de coupures de presse sur les exploits du justicier de ces cinq derniers années.

Batman retrouve sans trop de difficulté l’assassin, inconnu au bataillon, puis le livre à Gordon.

Pendant ce temps, au Manoir Wayne, Alfred a de plus en plus de mal à supporter la croisade et les convictions de son maître. Le majordome noie son spleen dans l’alcool régulièrement, sans que cela inquiète Bruce davantage.

Un second meurtre donne du fil à retordre à Batman, qui peine à comprendre les connexions entre les affaires et qui se cache derrière.

Vous vouliez installer des ordinateurs qui observent et écoutent les gens chez eux.
[…]
Évidemment.

[Critique]
Un peu plus de 300 pages, douze chapitres, un excellent rythme (le récit s’étale sur quelques jours à peine), de beaux dessins… voilà une lecture plutôt plaisante, parfois originale (on y reviendra), parfois convenue (idem). Au global, The Batman’s Grave est une aventure solitaire du justicier de bonne facture mais rien de révolutionnaire ici. Derrière le faussement prestigieux Black Label et le nom de Warren Ellis (cf. double paragraphe sur l’auteur en fin d’article), se cachent un titre un peu plus irrévérencieux que d’habitude par son sarcasme (Alfred un poil en roue libre) et ses planches (un brin sanglantes mais rarement choquantes) mais hélas sans grande envergure non plus. Explications.

Le plus gros point faible de l’histoire est son antagoniste ; ou plutôt les ennemis au sens large. Sans en dévoiler trop, le « méchant » (Scorn, manquant cruellement de charisme) et ses sbires sont une création pour le comic-book. Par conséquent, le pari est très risqué : introduire un nouveau personnage au sein de la prestigieuse galerie de vilains dans l’univers de Batman est toujours délicat et ce(s) protagoniste(s) résiste(nt) rarement au temps, à défaut de survivre à la fameuse « postérité ». On pense par exemple à Silence (Hush), brillamment introduit et exploité dans la bande dessinée culte du même titre mais qui, des années après, n’arrive plus à revenir avec les honneurs – Scorn n’est d’ailleurs pas sans rappeler Tommy Elliot par certains aspects.

Plus récemment (en France), on a pu redécouvrir le Faucheur, là aussi dans un titre plutôt bon (Année Deux) mais qui peine à s’inscrire dans la mythologie du Chevalier Noir, aussi bien dans d’autres comics que des supports différents. Bref, c’est aussi le cas pour Scorn, rapidement oublié, énième adversaire plus ou moins « miroir » de Batman, auquel s’ajoutent ses soldats, proches du look de Zsasz. On aurait pu remplacer tout ce monde par Double-Face, Bane et Jonathan Crane, tous trois correspondants à des ennemis croisés ici. C’est ce qui aurait pu permettre à The Batman’s Grave de s’ancrer davantage dans le monde du Chevalier Noir et, peut-être, devenir incontournable – s’il avait été couplé à une meilleure écriture de son antagoniste bien sûr.

Il y a pourtant de belles choses qui peuplent la narration et offrent des moments appréciables et de temps en temps singuliers. On pense en premier lieu à la relation très forte entre Alfred et Bruce. Tour à tour complices ou en profonds désaccords, les deux hommes servent le meilleur de The Batman’s Grave. On suit leurs échanges dans le quotidien à de nombreuses reprises avec une redoutable efficacité. A l’exception de Gordon, le célèbre majordome est d’ailleurs le seul allié de Bruce/Batman tout au long de la fiction (pas de Bat-Family ici donc, retour « à l’ancienne » avec le moins de personnages, ennemis ou alliés, familiers au possible).

On découvre un Alfred plus sarcastique que d’habitude. « Qu’est-ce que vous faîtes ici, d’ailleurs ? Vous travaillez toute la journée dans le manoir et vous passez vos nuits dans la cave. Comment est-ce possible ? » s’interroge Bruce. « En règle générale, je tiens le coup en me bourrant d’excellente cocaïne, monsieur. » répond son majordome avec son légendaire flegme britannique. Plus loin, quand son maître lui demande ce qu’il fait [quand Bruce Wayne n’est pas là], Alfred sourit et rétorque « vous n’avez jamais entendu parler du motard nu de Gotham ? ». Entre deux excursions nocturnes, Alfred propose aussi la série « Batman : The Office » puisque la majorité de ses enquêtes se déroulent, in fine, « devant des écrans comme des employés en open-space ». Outre ses petites répliques, l’homme de main n’hésite pas à utiliser la violence et adopter un comportement aussi radical et étonnant que celui de Batman de temps à autre.

Les fans de jeux vidéo apprécieront probablement l’aspect « enquête » mettant Batman à la place de la victime, recréant le décor virtuel de la scène de meurtre autour de lui, un peu comme dans Arkham Origins notamment (même si cela génère un côté confus de temps à autre). Comme évoqué, James Gordon est le second et unique allié du justicier tout le long de l’aventure. En résulte, là aussi, de beaux moments : quelques échanges bien imagés et une incroyable séquence de survie à l’asile d’Arkham. Les scènes d’action sont particulièrement bien découpées, très dynamiques, lisibles et fluides.

Le dessinateur Bryan Hitch prend son temps, gourmand en utilisation de cases ou pleine page pour croquer ses combats et sauvetages, dans un mutisme certain bienvenu et nécessaire. C’est là l’autre point fort du livre : les traits de Hitch (Justice League – Ascension, Justice League Rebirth…) servent à merveille les plans iconiques de la ville (principalement nocturnes) et, comme déjà dit, les affrontements. Bien aidé par la colorisation du fidèle Alex Sinclair, le dessinateur confère une fragilité physique très plausible à son héros, couplé à son évolution et son écriture de Warren Ellis – en très petite forme au demeurant, on ne reconnaît pas des masses « sa patte » et on était légitimement en droit d’attendre une narration plus qualitative. C’est du Ellis assez paresseux mais ça se lit bien et vite.

Alors, pétard mouillé ou non ? Difficile de trancher… si les dessins vous séduisent et sans être trop exigeant (le fameux prisme du divertissement honorable « sympa sans plus »), alors The Batman’s Grave devrait vous ravir. Si vous attendez un titre plus novateur dans sa forme ou son fond, surtout pour du Black Label, aucun doute que vous serez déçu… Complètement dispensable donc ; à découvrir principalement pour les planches de Hitch et à acheter en connaissance de cause des affaires sur Ellis (voir paragraphe ci-après l’image).

La fameuse tombe (Grave en VO) ouvre et ferme le livre de façon abrupte, sans forcément être mise davantage en avant. Un petit côté étrange donc (mensonger ?), de même que la couverture choisie par Urban Comics, certes assez élégante, mystérieuse et alléchante mais qui n’est pas très représentative de la BD et différente de celle du chapitre qui la propose à la base (contenant un gantelet de Batman autour d’une flaque de sang). Comme souvent chez Urban, des couvertures alternatives concluent le livre (avec deux biographies).

Ces trente dernières années, Warren Ellis a écrit divers épisodes de super-héros, aussi bien chez DC Comics/Vertigo (Batman, Justice League, Hellblazer/John Constantine…) que chez Marvel (Iron Man, Daredevil, Thor, X-Men, Ultimates…) mais ses travaux les plus marquants sont chez Wildstorm avec ses excellentes séries The Authority / Stormwatch (déjà avec Bryan Hytch) et Planetary par exemple. On lui doit également le chouette triptyque Black Summer, No Hero, Supergod (disponible en un seul volume en France). Son chef-d’œuvre est sans conteste Transmetropolitan (publié de 1997 à 2002 et toujours aussi puissant de nos jours) où l’auteur ne s’est fixé aucune limite dans sa critique de la société, son style d’écriture trash et ses scènes explicites. Pour les curieux, une partie de sa bibliographie (en anglais) est disponible ici. On note aussi son écriture sur des séries d’animations japonaises adaptant Marvel (!) : Iron Man, X-Men, Blade et Wolverine (disponibles en coffret DVD chez nous, on conseille surtout celle des X-Men, résultat hybride assez captivant entre les comics et les mangas).

Warren Ellis est plus discret depuis 2020 car il a été accusé par plusieurs dizaines de femmes d’avoir un comportement « toxique » et d’abuser de son influence pour coucher avec des personnes plus jeunes que lui (mais toujours majeures – rien de répréhensible aux yeux de la loi stricto sensu mais moralement très limite). Ces accusations n’ont pas entaché la fin de son travail sur The Batman’s Grave au moment de sa publication (elles sont survenues en juin 2020, peu avant la mise en vente du huitième chapitre, sur les douze prévus). L’histoire a été bien récapitulée sur comicsblog.fr avec les faits puis la réponse de l’intéressé (à chacun en son âme et conscience donc d’acheter, lire ou soutenir Warren Ellis désormais). C’est probablement à cause de cela qu’Urban Comics a peu communiqué sur la sortie de la bande dessinée, favorisant un certain mutisme plutôt qu’une publicité mi-prestigieuse (« L’auteur de Transmetropolitan sur du Batman ! ») mi-polémique, forcément.

[A propos]
Publié en France le 7 mai 2021 cher Urban Comics

Scénario : Warren Ellis
Dessin, encrage et couvertures : Bryan Hitch
Couleur : Alex Sinclair

Traduction : Laurent Queyssi
Lettrage : Moscow Eye

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