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La vie après la mort (Life after Death) + Devinette • Batman Universe #5-7

En parallèle du run de Grant Morrison et des séries sur lesquelles il officiait, les aventures autour de Batman (Dick Grayson) se poursuivaient sous la plume et les pinceaux de Tony S. Daniel. Après La lutte pour la cape (Battle for the Cowl), le segment dispensable de Judd Winick (Des ombres envahissantes), place à La vie après la mort (Life after Death), un récit en six chapitres (Batman #692 à #697), ainsi qu’à Devinette (Riddle me this), en deux épisodes (Batman #698-699). Ces deux histoires ont été compilées en version librairie aux US (couverture à gauche ci-dessous) et ont été publiées en France dans le magazine Batman Universe #5 à #7 durant le premier semestre 2011. Urban Comics ne les a pas reproposées jusqu’à présent.

[Début de l’histoire]
Batman (Dick) enquête sur les meurtres des « Faux visages », des hommes de main muets et masqués. Le Chevalier Noir soupçonne Black Mask d’être à leur tête mais pense aussi qu’il peut y avoir un lien avec les Falcone.

Dans l’ombre, Hugo Strange, le Dr Death, Frayeur et, justement, Black Mask montent une organisation, le « Ministère de la Science »…

[Critique]
La vie après la mort reprend ce qu’avait instauré Tony S. Daniel dans La lutte pour la cape et, de façon moins prononcée, Des ombres envahissantes (écrit par son confrère Judd Winick). Le long fil rouge (étalé sur six chapitres) mêle aussi bien les « premiers pas » de Dick en Batman qu’un vaste groupe d’ennemis où se télescopent Black Mask, le Pingouin, Hugo Strange, Dr Death, Le Faucheur, l’énigmatique Frayeur/Linda et les mystérieux « Faux visages » ! En plus de ce groupuscule, des alliés comme Catwoman, Huntress et Jeremiah Arkham semblent connectés à des personnes du clan Falcone (tout Un Long Halloween est d’ailleurs résumé durant plusieurs cases). Oracle, Damian/Robin et Alfred sont aussi de la partie.

Clairement, l’histoire est un peu complexe, l’ensemble assez dense et trop de protagonistes interviennent (sans oublier quelques flash-backs, incluant même… des nazis). Le lecteur sera probablement un peu perdu parfois mais l’ensemble reste assez passionnant avec un bon équilibre des genres et des séquences d’action et d’exposition. Mieux : un rebondissement de situation pas forcément prévisible est assez savoureux. Le scénario est riche et bien construit, Tony S. Daniel livre un récit plutôt original qu’il dessine avec un certain talent, notamment sur des pleines pages ou double planches. On découvre aussi les prémices de Catgirl (Kitrina Falcone) même si elle sera peu exploitée ensuite…

Les traits de Daniel, couplés à l’encrage et la colorisation de Sandu Florea et la colorisation de Ian Hannin ajoutent une dimension aussi sombre que riche en couleurs par moment. La cohérence graphique est une force du titre, lui conférant un plaisir visuel là aussi appréciable. Les deux épisodes de Devinette (critique dans le paragraphe suivant) sont en revanche dessinés par Guillem March (Harley Quinn et les Sirènes de Gotham, Catwoman…). Pas trop éloigné du style de Daniel, March livre un travail tout à fait correct aussi, un brin moins élégant mais globalement satisfaisant et une approche visuelle tout aussi « mainstream », comprendre efficace pour le genre.

Sans surprise, Devinette (Riddle me this) replace le Sphinx au centre de la fiction, en coopération avec Dick/Batman dans une enquête et série de meurtres atypiques. De quoi retrouver le célèbre criminel repenti depuis quelques temps en détective privé (cf. Paul Dini présente Batman) et découvrir un nouvel ennemi, Blackspell (oubliable, malheureusement), ainsi que Firefly en personnage secondaire. Tony Daniel propose une conclusion sur le Riddler qui sème le doute quant à la véracité de son amnésie (comme expliqué dans la critique précitée : Nygma avait découvert l’identité de Batman dans Silence puis avait enchaîné plusieurs évènements importants avant d’être dans le coma et perdre une partie de sa mémoire, cf. le bloc Aftermath de la biographie du Riddler sur Wiki (en anglais)). Le vilain reviendra dans la fin du run de Daniel, Eye of the Beholder, inédit en France (cf. bloc de texte suivant).

La vie après la mort n’est pas forcément le titre le plus mémorable de l’artiste mais il n’a pas à rougir de certaines de ses autres production (notamment toute la période Detective Comics de l’ère Renaissance/New 52). En lisant cet arc (après La lutte pour la cape et avant Devinette), cela forme un tout relativement appréciable ! Trois ombres au tableau. Premièrement, le segment entre les deux premiers opus (Des ombres envahissantes) n’est pas inclus dedans (car écrit par Winick) et sa conclusion ouverte (sur l’enquête de Batman sur les Grayson) n’aura jamais de résolution… Deuxièmement, Urban Comics n’a jamais réédité ces titres qui le mériteraient, surtout en comparaison avec certains titres actuels assez moyens voire médiocres.

Troisièmement, le dernier opus, Eye of the Beholder (qu’on pourrait traduire par L’Œil du Spectateur/de l’Observateur ou Question de perception), n’a pas non plus eu droit à une version française, même à l’époque de Panini Comics. Il contient la dernière ligne droite de la série Batman avant le relaunch DC (#704-707, que Daniel écrit et dessine, #710-712, dont il signe uniquement le scénario, les illustrations, moins belles, sont de Steve Scott). En toute logique, tous ces épisodes devraient être dans les derniers volumes Batman Chronicles, des années 2010 et 2011 (la collection s’arrêtera juste avant le relaunch DC de 2011, donc avant la gamme Renaissance/New52) – mais pas avant un paquet d’années vu le rythme de parution de cette série d’intégrales. Néanmoins, Eye of the Beholder (qui met en avant le père de Ra’s al Ghul et Peacock dans sa première partie, Double-Face, le Sphinx et « sa fille » (Enigma), Catgirl… dans sa seconde) n’est pas terrible selon diverses critiques.

Le run de Tony S. Daniel (écriture et dessin) mettant en avant Dick Grayson dans la peau de Batman.
Les deux premiers ont été publiés en France dans les magazines Batman Universe de Panini Comics en 2010 et 2011.
Le troisième et dernier (Eye of the Beholder) est complètement inédit chez nous.

[À propos]
Publié chez Panini Comics dans Batman Universe #5-7 en février, avril et juin 2011.
Contient : Batman #692-699

Scénario : Tony S. Daniel
Dessin : Tony S. Daniel, Guillem March
Encrage : Sandu Florea, Norm Rapmund, Tony S. Daniel
Couleur : Ian Hannin, Tomeu Morey

Traduction : Khaled Tadil
Lettrage : Christophe Semal

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La lutte pour la cape / Battle for the Cowl • Batman Universe #1-2

Battle for the Cowl est le titre (VO) d’un event se déroulant peu après la mort (supposée) de Batman à la fin de Final Crisis et (à peu près) pile entre la première et la deuxième intégrale de Grant Morrison présente Batman (cf. index). C’est aussi le nom de la série principale (en trois chapitres), écrite et dessinée par Tony Daniel, qui montre comment Dick Grayson endosse le costume (et donc la cape) de son ancien mentor pour le remplacer.

Aux États-Unis, il y a eu plusieurs épisodes gravitant autour (on en reparlera) et en France on a pu découvrir ces trois chapitres corrélés à un quatrième (de la série classique de la continuité Batman) – annoncé comme un épilogue – sous le titre La lutte pour la cape. Ils furent publiés dans les deux premiers numéros de Batman Universe, édités par Panini Comics à l’époque (juin et août 2010). Urban Comics ne les a pas reproposés jusqu’à présent.

 

En haut, les couvertures en français des deux numéros qui ont publié La lutte pour la cape
et la version librairie US qui compile la série. En bas, les trois numéros US en single issues.

[Début de l’histoire]
Gotham City est en plein chaos. Les criminels ont pris conscience que Batman avait disparu et sèment la destruction et la violence dans la ville. Le GCPD est dépassé et les alliés du Chevalier Noir peinent à s’en sortir.

Dick Grayson refuse de prendre la cape de son mentor. Tim Drake est hésitant. Alfred, dernière boussole morale, essaie de convaincre les fils de Bruce Wayne de la nécessité de perdurer la croisade du justicier…

Profitant de la catastrophe, Black Mask accroit sa mainmise sur Gotham City, tandis qu’un mystérieux personnage revêt un costume proche de celui de Batman mais aux méthodes bien plus radicales…

[Critique]
Voilà un récit très bien rythmé, avec un départ ultra efficace puis une suite (et conclusion) un peu en dessous mais qui reste globalement très satisfaisante, aussi bien graphiquement que scénaristiquement. Pour cause : Batman est donc mort (en réalité a été propulsé dans le passé, cf. Grant Morrison présente Batman – Intégrale 3) et Dick Grayson/Nightwing ne veut pas reprendre le rôle du justicier. Tim Drake hésite aussi et un usurpateur du Chevalier Noir aux méthodes bien plus violentes s’en accapare. Il s’agit bien sûr de Jason Todd (cela est vite révélé et, de toute façon, une évidence pour quiconque connaît un peu l’univers de Batman).

Il faut dire qu’on n’a pas le temps de se poser (ni le lecteur, ni le citoyen fictif de Gotham) : la ville est à feu et à sang, les criminels ont compris que Batman n’intervenait plus et s’en donnent à cœur joie. Black Mask en profite pour délivrer d’autres fous et les force à travailler pour lui façon Suicide Squad (implant mortel en eux qui explose s’ils désobéissent). Double-Face et le Pingouin augmentent aussi leur différents traffic. De cet état des lieux très « urbain » et, surtout, passionnant débute cette fameuse « lutte pour la cape » interne, au gré des combats et séquences d’action très bien emmenées.

Tony Daniel (la série Detective Comics période Renaissance/New 52, Justice League vs. Suicide Squad…), à l’écriture (et aussi au dessin) maîtrise parfaitement son sujet. Le titre n’est d’ailleurs pas pour les nouveaux venus, compte tenu du contexte et des nombreux protagonistes (incluant Damian). On apprécie le rôle non négligeable d’Alfred dans cette histoire où, effectivement, le quatrième chapitre sert véritablement d’épilogue (les trois principaux auraient laissé un goût d’inachevé). À noter que Judd Winick (Under the Red Hood…) s’occupe du dernier épisode sans dénaturer le style de Daniel.

Quelques défauts toutefois dans la seconde moitié où les malfrats de Gotham passent au second plan voire disparaissent (ils reviendront dans la suite directe, Des ombres envahissantes, au détriment d’enchaînements et combats entre Todd et les différents Robin. Une partie plus faible qui enlève la dimension chaotique globale (géographique) qui prédominait, un peu dommage.

Néanmoins, les fans des trois Robin y trouveront leur compte, Dick en premier mais aussi Tim et bien sûr Jason ; tous trois apparaissent plutôt équitablement avec des moments intéressants. Damian est également présent, ajoutant un peu d’humour dans un contexte assez austère. L’idylle naissante entre Drake et L’Écuyer est également une bonne chose prometteuse mais, malheureusement, vite esquivée par la suite. C’est le point faible de cette lutte pour la cape : les quatre chapitres auraient gagné à être étendus à six pour mieux développer les relations et la montée en puissance du Réseau (nom donné à tous les alliés de Batman) et bien sûr la relève par Dick.

Visuellement, tout est superbe, Tony Daniel livre des planches aérées, dynamiques et iconiques. On identifie sans mal les protagonistes (bien aidés par les costumes), les traits sont fins, élégants, les héroïnes parfois sexualisées mais sans tomber dans la vulgarité. Ed Benes gère le dernier chapitre dans un style proche de celui de Daniel, conservant ainsi une homogénéité bienvenu. Bref c’est un joli voyage graphique et très divertissant. On le conseille donc aisément si vous arrivez à le trouver d’occasion !

En France, La lutte pour la cape a été disponible dans les deux premiers opus du magazine Batman Universe (juin et août 2010).  Étonnamment, Urban Comics ne l’a jamais reproposé, soit en marge du run de Grant Morrison, soit en épilogue de Final Crisis, soit – tout simplement – en récit complet sur Nightwing ou sur « les Robin ». Aucun doute que cela fonctionnerait ! Peut-être que ce titre sera dans le (potentiel) Batman Chronicles 2009 (année de publication du chapitre #687 de la série Batman qui aurait peu d’intérêt sans les trois précédents connectés) ?

Aux États-Unis, Battle for the Cowl s’est poursuivi dans d’autres one-shots ou mini-séries créés pour l’occasion : Gotham Gazette (Batman Dead ? #1 et Batman Alive ? #1) – la version US contient d’ailleurs ces deux épisodes spéciaux –, Man-Bat, Arkham Asylum, Commissioner Gordon, The Network, Oracle : The Cure, Azrael : Death’s Dark Knight… Tous ces autres récits n’ont pas été publiés chez nous, mais celui qu’on a eu et chroniqué dans ici se suffit à lui-même (couplé à sa suite assez directe, à découvrir dans cet autre article).

[À propos]
Publié chez Panini Comics dans Batman Universe #1-2 en juin et août 2010.
Contient : Batman – Battle for the Cowl #1-3 + Batman #687

Scénario : Tony S. Daniel, Judd Winick
Dessin : Tony S. Daniel, Ed Benes
Encrage : Sandu Florea, Rob Hunter
Couleur : Ian Hannin, Jo Smith

Traduction : Khaled Tadil
Lettrage : Christophe Semal

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Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 2/4

Après une première intégrale assez inégale voire laborieuse dans sa dernière ligne droite, la saga de Grant Morrison opère un tournant en reléguant Batman/Bruce au second plan et en misant sur les (nouvelles) aventures de Dick et Damian, alias les nouveaux Batman et Robin ! Ce deuxième opus regroupe différents tomes simples de la précédente édition : les 3 et 6 (à l’exception de deux chapitres de ce dernier rappatriés dans la troisième intégrale), centrés sur Batman et Robin donc (couvertures jaunes et oranges ci-dessous) et le premier tiers du tome 4 (Le dossier noir).

[Résumé de l’éditeur]
Bruce Wayne est mort ! Gotham ne peut rester sans protection et c’est à Dick Grayson et Damian Wayne de reprendre le flambeau sous les masques de Batman et Robin ! Leur baptême du feu ne se fera pas sans heurts et ils devront bien vite affronter les menaces du Professeur Pyg, du Red Hood et d’un Bruce Wayne zombie !

[Début de l’histoire]
Juste avant sa supposée mort par Darkseid (cf. fin de Final Crisis), Batman est emprisonné dans une étrange machine. Durant ces « jours avant Oméga », le justicier revoie tout son passé, de ses premiers pas en tant qu’homme chauve-souris jusqu’à aujourd’hui. Mais d’étranges évènements lui font comprendre qu’il ne fait que « rêver »…

Après s’être sorti de ce périple et avoir vaincu Darkseid, le Chevalier Noir est renvoyé dans le passé, amnésique… Pour pallier l’absence de Batman dans le présent, Dick Grayson endosse la cape de son mentor et Damian Wayne devient officiellement le nouveau Robin !

[Critique]
Comme pour l’intégrale précédente, celle-ci compile six histoires issues des anciennes éditions et réparties ainsi : Le dossier noir – Acte I : La pièce manquante, Nouveaux masques, Au cœur des ténèbres, Le dossier noir – Acte II : Le batman, la mort et le temps, Batman contre Robin et Que meurent Batman et Robin. L’accent est donc mis sur ce fameux Dossier noir (on verra de quoi il en retourne plus loin) et les aventures des nouveaux Batman et Robin, à savoir Dick Grayson et Damian Wayne !

À noter, une certaine réorganisation entre les anciens tomes simples (qui proposaient les mêmes récits mais dans un ordre différent, incluant même des planches de Final Crisis qui contextualisait la fausse mort de Batman et son retour – une autre saga également écrite par Morrison) et celui de cette intégrale, afin d’avoir une lecture globale davantage cohérente. En effet, on reprend directement là où s’était arrêtée l’intégrale précédente, avec Batman qui sort de l’eau après le crash de l’hélicoptère.

Dès son retour, c’est une plongée dans son inconscient qui surgit à nouveau mais cette fois de façon plus limpide : on revoit les moments forts du Chevalier Noir de ses origines jusqu’à aujourd’hui. Tout ceci correspond à l’arc Le dossier noir – Acte I : La pièce manquante, étalé sur quatre chapitres (Batman #682-683 puis #701-702). Dans sa dernière ligne droite, on retrouve à nouveau les évènements de Final Crisis et donc la mort (apparente) de Batman par Darkseid (en réalité propulsé dans le passé et amnésique – la « suite » de ses aventures est à découvrir dès le début de la troisième intégrale – on ne reverra quasiment plus Batman/Bruce ici).

Ces quatre épisodes sont réjouissants et devraient ravir n’importe quel fan de Batman ! Malgré quelques passages brumeux (la fission avec Le Grumeau), la compréhension au fil de l’eau d’une torture mentale qui raconte donc toute la mythologie de Batman est savoureuse – même si celle-ci incorpore quelques éléments factices – autant tout narrer chronologiquement et avec précision et « réalité » pour être plus efficace. Pas de quoi bouder son plaisir néanmoins, cette semi-aventure est un régal pour les puristes qui se délecteront de toutes les références proposées par Grant Morrison, mais aussi pour les novices qui bâtiront ainsi une cartographie, plus ou moins complète, de l’histoire du Chevalier Noir de ses origines à nos jours.

On rappelle que l’auteur écossais souhaite procéder à une sorte d’unification de toutes les aventures passés de tous les Âges des publications des comics pour les rendre cohérentes. Ce « tout » apparaît ici d’une façon plus soutenue et paradoxalement plus claire, ne s’attardant pas sur des personnages inutiles et dont on se moque. C’est peut-être ce qu’il « manquait » au tome précédent, ou plutôt ce qui aurait été plus habile de mettre en premier afin de ne pas perdre le lectorat. Ici, le nouveau venu peut être confus par moment mais ce sera plutôt rare et, dans tous les cas, pas très grave.

Les mentions à des alliés, ennemis, situations, lieux et moments « cultes » du justicier sont tellement nombreuses que l’éditeur en dévoile et décrypte une bonne partie après les épisodes (sur trois pages !). La seule contextualisation peut-être plus importante est liée aux évènements de Final Crisis qui s’imbriquent dans la narration (dans laquelle Morrison convoque aussi des éléments du Quatrième Monde de Jack Kirby).

En synthèse, cette longue introduction est une réussite et happe immédiatement. Notons qu’appeler ça Le Dossier Noir est presque une erreur car c’est corrélé au nom d’un dossier éponyme tenu par Batman qui condense ses aventures loufoques et délirantes publiées durant les années 1950. Ce qui sera précisément au cœur de l’intégrale suivante et… qui était en fait la composition principale de la précédente édition simple – qui regroupait donc ce Dossier Noir et cette aventure de quatre chapitres (ainsi qu’un autre). Cela faisait donc un peu sens mais ce n’est pas le cas dans le cadre de cette intégrale mais ce n’est pas très important.

Toute cette « pièce manquante » est dessiné par Tony Daniel, déjà à l’œuvre d’une bonne partie de l’intégrale précédente ainsi que Lee Garbett. Les deux artistes arrivent à composer une dense fresque élégante et graphiquement aboutie (colorisée par Ian Hannin et Guy Major). Un résultat très mainstream et propre mais totalement efficace et on n’en demande pas davantage pour ce segment atypique de 95 pages au total qui se conclut sur un Wayne de dos se réveillant dans une grotte (durant… la préhistoire – cela aussi sera à suivre dans l’intégrale suivante !).

Passé ce premier acte (c’est le cas de le dire), place à une équipe inédite : Dick et Damian en Batman et Robin ! Si la transition de Damian en Robin est ultra soudaine (il n’était pas encore réellement intégré dans la Bat-Famille, il était même retourné chez sa mère Talia et revient comme un cheveu sur la soupe), celle de Dick en Batman n’est pas totalement inédite. Le jeune prodige historique avait déjà revêtu la cape de son mentor après les évènements de Knightfall dans (le très sympathique) récit complet Le Fils Prodigue.

Aparté : lors de la publication du tome simple en 2012, Urban Comics contextualisait en avant-propos ces sujets et donnait les titres en VO (Prodigal en l’occurrence, mais aussi Battle for the Cow qui servait de transition pour Dick en parallèle du run de Morrison – prochainement chroniqué). Pour la réédition de 2018 en intégrale, Urban s’est contenté du strict minimum côté travail éditorial car le texte est identique à celui de la précédente édition. C’est dommage car entretemps l’éditeur a bien publié Knightfall et Prodigal ! Il suffisait donc de citer leurs titres traduits (et éventuellement les collections dont ils font partie). Ce n’est pas très grave en soi mais pourrait mal accompagner un lecteur novice.

La série (re)prend un rythme plus conventionnel (et agréable) avec les aventures de Dick et Damian. Même si elles arrivent sans être réellement introduites, on retrouve une dynamique plaisante où le binôme s’essaie tant bien que mal à cacher et compenser la disparition de Bruce et donc du « vrai » Batman. En résulte une salve de quinze épisodes de la série intitulée sobrement en VO Batman and Robin contenant trois arcs déjà précités : Nouveaux Masques (six chapitres), Au cœur des ténèbres, Batman contre Robin et Que meurent Batman et Robin (tous trois composés de trois épisodes chacun). Un chapitre de la série Batman (le #700) intervient après la seconde histoire – on y reviendra.

Dans Nouveaux Masques, Dick et Damian apprennent à travailler ensemble. Le caractère fougueux, intrépide (et insupportable) de Damian, offrent un humour bienvenu dans un run assez « austère », couplé à la bonhomie habituelle de Dick, cela fait presque du bien de « souffler » et d’avoir enfin un peu de légèreté après les précédentes histoires. La première moitié met en avant le professeur Pyg, créé spécialement pour l’occasion (en vrai, on l’avait déjà aperçu dans Batman #666, c’est à dire dans l’itération futuriste sur Damian, cf. Bethléem dans le tome précédent). Damian (qui est fait prisonnier) et Dick (qui a du mal à diriger son nouveau jeune allié) s’offrent une quête effrénée pour sauver toutes les proies de Pyg.

On assiste donc aux premiers pas de cet antagoniste particulièrement glauque, apparu ensuite dans d’autres aventures en comics bien sûr, mais aussi transposé dans différentes adaptations : le jeu vidéo Arkham Knight et la série Gotham entre autres. La seconde moitié ajoute Red Hood dans la partie dans une vendetta elle aussi sanglante et un Jason Todd violent et sans concession, même si un peu méconnaissable (on doute d’ailleurs un petit peu si c’est vraiment lui ou un usurpateur).

L’épopée n’est pas que narrative, elle est aussi visuelle ! Franck Quitely gère les trois premiers épisodes avec son style si atypique (et clivant). Ses traits granuleux, ses détails étranges qui sont censés ajouter du réalisme mais ne font que paradoxalement s’en éloigner. C’est un artiste singulier dont la patte tranche avec le reste des productions du genre (il s’est associé à plusieurs reprises avec Grand Morrison car, en dehors de Batman, on lui/leur doit les superbes All-Star Superman et les New X-Men). Cela tombe bien Philip Tan s’occupe des trois derniers chapitres de Nouveaux Masques avec une approche plus convenue mais néanmoins superbe. On oscille entre du David Finch, Andy Kubert et d’autres dessinateurs de renom du même genre (qui signeront quelques planches plus loin). Il est même étonnant que Tan n’ait pas eu davantage de titres chez DC par la suite, incluant Batman, tant son art épouse à merveille les situations d’action et la beauté des personnages ! Plutôt discret, il a tout de même été quelques arcs de Spawn, Green Lantern, X-Men et… Suicide Squad Rebirth !

Au cœur des ténèbres se déroule à Londres où Dick/Batman retrouve L’Écuyer (puis Le Chevalier – tous deux venant du Club des Héros, cf. tome précédent). Ils affrontent de mystérieux ennemis complètement oubliables mais, surtout, utilisent un puits de Lazare afin de ressusciter Bruce ! Cela fonctionne mais il semblerait qu’il ne s’agissait pas du vrai Bruce, celui revenu à la vie étant quasiment un zombie… Leur route croise aussi celle de Batwoman, présente « comme par hasard » (probablement pas mais ça manque cruellement de contextualisation) et Damian est en convalescence à Gotham.

C’est un récit un peu faiblard à la narration peu limpide, encore une fois, avec des improbabilités (Batwoman préfère mourir et revenir ensuite à la vie grâce à la source de Lazare), un retour express à Gotham, un corps d’un Bruce/Batman qui n’était pas le sien, etc. Les dessins de Cameron Stewart sauvent plutôt l’ensemble ainsi qu’un peu d’humour. À noter aussi jusqu’à présent sur les trois dessinateurs, la colorisation impeccable d’Alex Sinclair, comme souvent, remplacé par Tony Avina sur les deux derniers épisodes. Avina est moins doué et pas aidé par le style lisse et impersonnel de Stewart, manquant de relief, d’émotions et de lisibilité.

Le Batman, la Mort et le Temps est un épisode particulier, il est plus long que la normale (une trentaine de pages) et a carrément cinq dessinateurs prestigieux (Tony Daniel, Frank Quitely, Scott Kolins, Andy Kubert et David Finch). Pourquoi ? Car il s’agit du 700ème chapitre (!) de la série Batman. Morrison en assure bien sûr le scénario et propose une affaire à résoudre à travers trois Batmen : Bruce Wayne, Dick Grayson et le Damian Wayne du futur (aperçu dans Bethléem dans l’intégrale précédente). Le fil rouge entre chaque Batman est un mystérieux carnet, appartenant au Joker avec le dynamique duo qui peut brièvement voyager dans le temps (même si ce n’est pas du tout exploité). Malgré les chouettes dessins, ça ne raconte rien de très palpitant (c’est même peu compréhensible voire inintéressant) entre une machine à générer « ce qui aurait pu être » et autres changements d’époque, corrélés à un professeur (Carter Nichols – vieux personnage de DC) qui les aide à voyager dans le temps.

Les dernières planches rendent hommage à quatre Batmen du futur : Terry McGinnis (Batman : La Relève), Batman 3.000 (alias Brane, issu d’une création de Joe Greene et Dick Sprang en 1944 dans Batman #26), Brane Taylor de l’an 3.051 (autre création de Dick Sprang avec Bill Finger cette fois, dans Batman #67 en 1951 – Brane étant la contraction de Bruce et Wayne pour ces deux Batmen atypiques) et, enfin, Batman Un Million, créé par… Grant Morrison (dans DC One Million en 1998). Il s’agit d’un Batman de l’An 85.298, justicier anonyme et orphelin. Encore une fois, le scénariste écossais s’amuse à piocher dans un bestiaire sympathique et quasiment méconnu (à l’exception de McGinnis) mais ça ne sert pas à grand chose. À voir comme un hommage éphémère et appuyer la théorie que Batman et Robin résiste(ront) à l’épreuve du temps quoiqu’il arrive (ce qui cohérent pour un futur proche mais pour 853 siècles plus tard, c’est un peu ridicule…).

Retour à la série (et aux aventures) de Batman et Robin dans… Batman contre Robin, en trois épisodes. Un peu de contextualisation est de mise (absente du volume) : cette suite se déroule en parallèle de l’autre série écrite par Morrison : Le retour de Bruce Wayne, qui est incluse dans l’intégrale suivante. Il y a donc quelques connexions avec des ancêtres de Bruce Wayne qui donneraient des indices quant au voyage dans le temps de Wayne. Une théorie soutenue par Tim Drake à plusieurs reprises mais… sans qu’on voit Drake, ce sont Damian et Dick qui parlent de lui (on ignore donc ce que fait et comment va Tim…).

Par ailleurs on retrouve le personnage cagoulé et élégant d’Oberon Sexton, ultra énigmatique après ses premières apparitions un peu plus tôt dans la fiction. Son identité est révélée à la toute fin et… c’est une sacrée surprise (qu’on ne dévoilera pas mais qui semble en opposition totale avec l’ADN initiale du personnage qui se cache sous ce masque) !

Au demeurant, Batman contre Robin porte bien son titre : Damian est contrôlé à distance par Talia et Deathstroke afin de tuer Dick ! En complément, des pistes mènent à Barbatos, ancien Dieu chauve-souris maléfique, accentuant l’idée que Bruce est réellement dans le passé. Les différents évènements du présent sont donc terriblement palpitants bien qu’un peu décousus. D’un côté le retour imminent de Bruce Wayne, d’un autre l’évolution de Damian – nettement plus empathique qu’auparavant voire touchant.

En complément et en vrac : Dick, qui campe un Batman complexe avec un héritage lourd à porter, sans oublier les machinations de Talia, du tueur aux dominos (apparu en semi fil rouge depuis le début de l’ouvrage) et le fameux Gant Noir, organisation criminelle gérée par Hurt dans le précédent volet et qui semble toujours active. L’ensemble est dessiné par Andy Clarke et Sinclair revient pour les couleurs. Clarke s’approprie avec brio le style de Quitely, conférant une belle cohérence graphique dédiée à ce nouveau dynamique duo !

 

En dernière ligne droite, Que meurent Batman et Robin (trois épisodes) remet le Joker au premier plan ainsi que Hurt qui se fait passer pour… Thomas Wayne. Encore une fois (et malheureusement), la lecture est difficile, on nage entre illusions, psyché et réalité sans qu’on comprenne très bien l’ensemble. On salue en revanche l’assemblement de multiples pièces narratives contribuant au puzzle (non) linéaire et complexe de Morrison. Ainsi Pyg et d’autres sont confrontés dans une résolution à peu près cohérente mais sincèrement ardue.

Il manque une fluidité dans les dialogues, dans l’exposition et dans la globalité du récit pour mieux le saisir. C’est un parti pris clivant, à nouveau, qui ravit probablement une frange de fans contents de sortir un peu des sentiers éculés autour de l’homme chauve-souris mais qui délaisse ceux qui souhaitent suivre une fiction certes exigeante mais à minima intelligible. C’est cette fois Frazer Irving qui gère les dessins et la colorisation et… c’est très, très particulier (cf. image ci-dessous). Entre le cel shading bas de gamme d’un jeu vidéo ou bien une peinture à l’eau étrange… C’est parfois hideux (les gros plans sur les visages notamment) mais respecte bien la vision psychédélique de la fiction d’une certaine façon !

À noter que l’intégrale (tous comme les éditions précédentes) regorgent de bonus (plus de 50 pages !) compilant annotations de Morrison pour aider ses dessinateurs, croquis préparatoires, travaux de recherches, couvertures alternatives… bref un régal pour les amateurs et un ouvrage conséquent (568 pages !) pour 30 € seulement. À ce prix là, aucune raison de passer outre, surtout qu’on est « presque » (on insiste sur les guillemets) sur un livre qui pourrait se lire de façon indépendante sans avoir besoin de connaître le précédent et pouvant se contenter de cette fin ouverte.

Malgré ses quelques faiblesses d’écritures et ses dessins inégaux, cette deuxième intégrale est parmi les coups de cœur du site, ne serait-ce que pour la dynamique entre Dick et Damian, l’originalité de la situation globale, la première partie dans la psyché de Batman passionnante et – reconnaissons-le – parce qu’il faut bien qu’il y ait un segment du run de Morrison dans cette rubrique. L’auteur a eu le mérite d’innover même si – on radote – son parti pris est déroutant et clivant, bardé de références obscures et souvent peu pertinentes, cela changeait (surtout à l’époque) drastiquement de ce qu’on observait jusqu’à présent.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 août 2018.
Contient : Batman #682-683, #700-702, Batman and Robin #1-15
Nombre de pages : 568

Scénario : Grant Morrison
Dessin : collectif (voir article)
Encrage : collectif
Couleur : collectif

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray

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