Archives de l’auteur : Comics Batman

Harleen

Volume unique édité sous le prestigieux DC Black Label, Harleen modernise les origines et l’histoire de la célèbre Harleen Quinzel, alias Harley Quinn. Critique d’une excellente œuvre, tant graphiquement que scénaristiquement.

[Histoire]
Durant quatre ans, la Dr. Harleen Quinzel a étudié la psychologie criminelle et s’est entretenue avec plusieurs prisonniers. Elle expose sa thèse devant un comité scientifique de Gotham City, composé entre autres de Lucius Fox. Selon la psychiatre, en analysant et comparant les détenus de Blackgate et d’Arkham, l’on pourrait déceler les signes de détérioration de l’empathie chez les individus, ce qui mènerait à identifier de potentiels… psychopathes en devenir.

Son projet ne séduit pas et la jeune femme souffre en complément d’une mauvaise réputation où elle travaille, le centre pour l’étude de la psychologie criminelle de la ville.

Un soir dans une rue, elle croise le Joker qui l’épargne curieusement puis assiste, dans l’ombre et tétanisée, à l’affrontement sanglant entre le Clown du Crime et le Chevalier Noir.

Plus tard, Lucius Fox apprend à Harleen que Bruce Wayne souhaite financer ses travaux. Cette opportunité lui ouvre les portes de l’asile d’Arkham, dirigé par Hugo Strange. Elle y retrouve bien sûr le Joker…

[Critique]
Incontournable. Déjà culte. Immense claque que cette lecture — très dense et intelligente — couplée à l’élégance des dessins et planches d’un artiste accompli, le croate Stjepan Šejić. Il y a beaucoup à dire sur Harleen. Tout d’abord, il s’agit bien d’une vision (plus ou moins) novatrice de ses origines, encore plus sombre (et donc adulte) que l’excellent Mad Love qui lui arrive largement à la cheville voire le surpasse. Les deux sont complémentaires et essentiels pour les fans de la muse du Joker. On peut même qualifier Harleen de « version longue et non censurée » de Mad Love, aspect cartoony graphique en moins.

Ensuite, il n’est ici pas question de Harley Quinn mais réellement de Harleen Quinzel. On ne l’a jamais vue (jamais lue plutôt) ainsi, aussi longuement, avant sa bascule du côté séduisant du mal. Loin d’une excentrique insupportable et d’une naïveté confondante, on découvre une femme certes fragile mais posée, intelligente, vouée à guérir ses patients et sincèrement encline à rendre le monde meilleur. Cette personnalité ne disparaît au fur et à mesure de la lente transformation du médecin, bien au contraire. C’est d’ailleurs ce qui alimente des fantasmes d’une suite ou des retrouvailles avec Harleen/Harley. On est curieux de voir ce que cette itération pourrait devenir dans un autre tome, corrélée à la culpabilité de Bruce Wayne (ce dernier se sent responsable de ce qui lui est arrivé comme il a financé ses recherches).

Enfin, Harleen tombe évidemment sous le charme de Monsieur Jay mais de façon tout à fait plausible, brillamment retranscrite, pas à pas, case après case, toujours avec une cohérence et lenteur parfaitement dosée. Une certaine sensualité entoure d’ailleurs l’œuvre : entre un Joker à moitié androgyne (inspiré par David Bowie selon son créateur) et romantique, une tentation délicatement érotique entre le couple naissant (et même une autre entre Harleen et Ivy) ainsi qu’un parfum d’amour qui ne tombe jamais dans le pathos ni dans la vulgarité (les clichés sexistes sur Harley Quinn abondent dans beaucoup de ses apparitions, ce n’est pas le cas ici).

Ces trois aspects majeurs, (origines/passé de Harley Quinn, personnalité de Harleen, relation avec le Joker) déjà connus on le répète, sont habilement mélangés à des thématiques communes à l’univers de Batman mais rédigées avec brio : la justice, le pouvoir, la corruption, la sécurité, la politique… avec une sévère critique du lot. Il faut dire que Gotham City apparaît comme une ville peu rassurante et son protecteur justicier pas assez efficace. Le Dark Knight est peu présent dans Harleen mais toujours pour servir l’histoire, avec une aura puissante, mystérieuse et menaçante.

Ce n’est clairement pas lui le personnage principal ni un secondaire, d’autres tiennent davantage ce rôle, comme Double-Face (on en parle un peu plus loin). C’est l’une des forces du récit, s’attacher à la vision d’une citoyenne, d’une médecin, d’une jeune femme — bavarde avec le lecteur sans jamais être pénible. Le langage est d’ailleurs plutôt soutenu, parfois poétique et, comme dit en introduction, l’ensemble est particulièrement dense avec beaucoup de texte : narration par Harleen, dialogues ciselés, pensées personnelles et divagations nocturnes multiples…

« Le déséquilibre malsain de cette ville m’agite d’un spasme.
Un substrat cauchemardesque. »

Car la lente transformation de Harleen passe aussi par ses problèmes de sommeil (insomnies, cauchemars récurrents — sur lequels insiste bien l’auteur) et son addiction à la caféine. On nous martèle via le Joker que n’importe qui peut basculer dans la folie (comme dans le film The Dark Knight ou, dans une autre mesure, dans Killing Joke). Ce n’est qu’une question de temps avant que cela n’arrive à la jeune femme comme tout le monde le sait. Certes il n’y a rien de nouveau dans le fond si ce n’est son traitement et l’exécution de l’ensemble, aussi bien graphiquement que stylistiquement dans son écriture.

Une autre figure emblématique de la mythologie de Batman est mise en avant dans Harleen : Harvey Dent. On le croise avant son agression, on voit cette dernière à la télévision puis on le suit quand il se transforme en Double-Face, véritable antagoniste de la bande dessinée. Stjepan Šejić choisit de ne pas l’avoir rendu schizophrénique dès le début mais plutôt dotée d’une folie grandissante après son traumatisme. On soulignera tout de même qu’il ne croyait pas à l’idée de sauver les patients malades d’Arkham, comme en témoigne son échange vif avec Harleen. Tous deux évoluent, Harvey et Harley. Une lettre pour les séparer.

Pamela Isley, alias Poison Ivy, est aussi marquante dans ses quelques interactions avec Harleen, préambule de leur future idylle après l’émancipation de Quinn et du Joker, mais tout ceci est une autre histoire… On note aussi la présence de Killer Croc un peu plus prononcée que tous ses camarades vilains aperçus : le Pingouin et Bane par exemple. D’autres noms réjouiront les passionnés : James Gordon bien sûr, mais aussi Jack Ryder, Salvatore Maroni, Hugo Strange, Lucius Fox et ainsi de suite.

La mise en page de Šejić est un subtile mélange du format comic-book traditionnel et… presque de la bande dessinée franco-belge (le titre est très étiré horizontalement). Impossible de ne pas penser à la version de Marini, The Dark Prince Charming, quand on lit Harleen. Pour l’aspect graphique seulement bien sûr, le scénario étant nettement mieux écrit et palpitant ici. De ses traits doux et clairs, l’artiste envoûte son lecteur avec une mise en couleur énigmatique, mi-numérique (elle l’est), mi-aquarelle (elle donne cette impression), contribuant à cette étrange sensualité douce-amère qui se dégage du tout, froide et réaliste. Le style flamboyant, à cheval entre une plausibilité extrême dans ses scènes les plus violentes et d’un onirisme élégant pour ses cauchemars, peut diviser le lectorat. Si les quelques dessins illustrant cette critique vous plaisent, foncez ! On adore également les découpages en pleine pages, parfois singuliers, parfois convenus, toujours efficaces et en cohésion avec la narration.

Urban Comics propose une cinquantaine de pages bonus (le récit tient en 185 pages environ) avec, entre autres, les couvertures originelles et alternatives des trois chapitres. Une courte interview ouvre le livre également, on y apprend que l’artiste croate (également à l’œuvre sur le troisième tome d’Aquaman Rebirth) s’est inspiré du (très bon) film d’animation Batman – Assaut sur Arkham pour ses premiers jets. On perçoit aussi l’influence du Batman de Tim Burton : un personnage s’appelle Tim Bronson, les notions de danse au clair de lune sont souvent évoquées et d’autres allusions évidents qu’on ne révèlera pas ici parsèment la BD. Quelques pages nommées Un voyage dans la folie rassemblent les dessins et autres productions de Stjepan Šejić menant à l’aboutissement de Harleen, comme des extraits du chapitre #20 de la série Suicide Squad Rebirth (publié dans tome 4 en France). Certains croquis de recherches récentes laissent une voie ouverte pour une prolongation de l’univers crée par Sejic, avec par exemple Poison Ivy et Harley Quinn en binôme, on ne peut que souhaiter que cela voit le jour ! Une analyse sur le style du scénariste/dessinateur montre sa façon de travailler (le découpage des cases s’improvise au fil de l’eau à l’inverse des étapes de création classiques).

Harleen est donc déjà un indispensable, facile d’accès pour un néophyte et intelligemment fourni pour les connaisseurs. Exigeant également tant sur le fond (l’ensemble est très bavard, à l’image de son héroïne mais jamais ennuyant) que la forme. Il n’y a strictement aucun reproche à lui faire, si ce n’est l’éventuelle « non surprise » de ces origines car déjà connues mais davantage explorées et étendues ici. S’il concernait Batman, le livre rejoindrait la courte liste des comics incontournables sur le Chevalier Noir ; à défaut il rejoint les coups de cœur du site. S’il ne fallait lire qu’une chouette nouveauté en 2020 sur l’univers de Batman, ce serait celle-ci (pour l’instant en tout cas !).

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 12 juin 2020.

Scénario, dessin et couleur : Stjepan Šejić
Lettrage : Gabriela Downie

Traduction : Julien DiGiacomo
Lettrage : Moscow Eye

Acheter sur amazon.fr : Harleen

(Les trois couvertures de la version américaine.)

Batman – Last Knight on Earth

Dernière création du binôme Scott Snyder et Greg Capullo (à qui l’on doit tous les tomes de la série Batman de l’ère New 52 (Renaissance en VF)), Last Knight on Earth est un volume unique s’inspirant (selon sa quatrième de couverture) aussi bien de The Dark Knight Returns que de Mad Max. Que vaut ce one-shot ? Est-il accessible ? Critique.

[Histoire]
Bruce Wayne se réveille dans un asile. Alfred lui explique que cela fait vingt ans qu’il y est enfermé et fantasme d’être Batman ! Ses docteurs ont été transformés dans son imagination en ses pires ennemis.

Wayne parvient à s’échapper et découvre une Gotham City ravagée et… la tête du Joker, bien vivant et très bavard, dans un vase ! Tous deux s’aventurent dans la ville visiblement détruite par un certain Omega.

[Critique]
La folie. La folie (éventuelle) de Bruce Wayne et la folie (évidente) de Scott Snyder. On ressort un peu sonné (épuisé et perplexe) de cette lecture… Il faut dire que le scénariste, qui officie sur le personnage depuis 2011 à travers une dizaine de séries différentes et plus d’une trentaine de tomes, tous disponibles en France (1) — avec des hauts (rares — Sombre Reflet, La Cour des Hiboux, L’An Zéro, Batman Eternal) et des bas (beaucoup — presque tout le reste) — injecte dans son récit aussi bien de bonnes choses que des mauvaises. La folie des grandeurs…

Comme toujours, le début du comic-book est bien, vraiment bien. La présentation, les enjeux, le concept, l’originalité de l’ensemble… tout cela fonctionne parfaitement. Pour cause : entre un Batman potentiellement fou et une plongée apocalyptique accompagnée d’une tête décapitée d’un Joker bavard (!), l’auteur réussit à captiver son lecteur d’emblée. Il est d’ailleurs servi par de superbes planches comme nous le verrons plus loin.

Si le connaisseur de Batman et de l’univers DC ne sera pas trop perdu, il est évident qu’un néophyte va avoir du mal à capter toutes les allusions et connexions qui parsèment le récit. La plupart proviennent (comme toujours hélas) des propres travaux de Snyder. La fameuse (et surestimée) Cour des Hiboux et ses ergots ont une certaine importance, les divagations métalliques trouve un petit écho ici (avec peut-être une autre inspiration puisée dans Justice) et quelques personnages de DC Comics traversent l’aventure avec Batman.

Un Batman qui n’est évidemment pas fou mais qui cache un double (en)jeu. On ne révèlera pas le second, même s’il est assez prévisible et on évoque volontairement le premier (ce Bruce Wayne est un clone) car il est dévoilée dans l’introduction d’Urban Comics qui le mentionne : la machine pour créer des doubles de Bruce Wayne tous les 27 ans avait effectivement été évoquée dans le run de Snyder. Ce n’est pas très surprenant (on le sait rapidement dans la BD de toute façon) mais, in fine, pas très bien exploitée. La faute à Snyder qui, une fois les bases de son récit posées, se perd en explications confuses sur plein d’autres sujets plus ou moins pertinents (pour sa narration) mais malheureusement pas spécialement passionnants. Les délires intello et pénibles de l’artiste rappellent ses pires passages sur Batman Metal

Snyder refuse (à raison) le classicisme de l’univers de Batman (dont il est responsable des dernières bâtisses modernes — avec plus ou moins de succès mais une déconstruction inédite et parfois originale) mais s’engouffre dans une singularité de prime abord sympathique mais mal développée et ethnocentrée, inutilement bavarde (avec un fourre-tout agaçant : insistance sur Joe Chill, monstres et créatures bizarres, robots, gimmicks idiots renvoyant à ses anciennes œuvres comme la fameuse mouche liée au Joker…).

C’est là tout le problème majeur du titre : ce volume unique n’apporte finalement rien à la mythologie de l’homme chauve-souris et propose, tout au plus, un divertissement honorable (par ses dessins notamment) mais bien trop complexe pour assurer une balade agréable et mémorable. Des bonnes idées (scénaristiques et graphiques) il y en a, comme souvent chez Snyder, avec par exemple ce binôme surréaliste d’un Batman jeune épaulé par un Clown du Crime décapité et drôle ! Ou encore cet autre duo, composé d’un semi Épouvantail transporté par Bane (voir illustration en fin d’article, provenant d’une couverture et non d’une case attention). Passé cela, en mettant de côté des pistes narratives inabouties et quelques incohérences (ou situations mal expliquées, au choix), on se régale surtout avec le retour de l’équipe graphique qui a su faire des merveilles lors de la série Batman, ère New52.

Ainsi Greg Capullo rempile aux dessins pour une dernière (?) aventure, accompagné de Jonathan Glapion à l’encrage et Fco Plascencia à la colorisation. Capullo est en très grande forme (meilleure que sur Metal) où son trait limpide et clair assure de beaux visages (certains toujours plus ou moins ressemblant — l’homme démarque ses personnages notamment par des coupes de cheveux, crânes rasés et/ou barbes afin de mieux les dissocier) et des panoramas dantesques avec quelques scènes iconiques. Le tout avec une mise en couleur permettant de jolies scènes contemplatives, glauques ou d’action, toujours dans les tons parfaits qui vont avec, parfois flashy, parfois très sombre, etc. Renouant autant avec les orgies chromatiques et visuelles de Metal que de l’intimiste et minimaliste de Batman.

Des prestigieuses références citées en ouverture de l’article, donc en quatrième de couverture du livre, on ne retient pas (du tout) The Dark Knight Returns et sa dimension politique ni son futur proche et à peine Mad Max qui est juste effleuré (un univers post-apocalyptique et un très court passage dans le désert certes, mais ce n’est pas suffisant — bien loin de la sauvagerie ou de la survie proposée dans les quatre films). Par ses jolies planches et son concept, Last Knight on Earth séduit aisément mais sa lecture pénible et son faible intérêt (en one-shot ou en conclusion de tout l’éventail des créations de Snyder) ne permettent pas de réellement le conseiller. Mitigé donc… D’une certaine manière, on retrouve pêle-mêle la quintessence des écrits de Snyder en une seule fois dans cette ultime (?) croisade du Chevalier Noir, ce qui plaira donc à ses adorateurs tandis que ses détracteurs soupireront une fois de plus (comme l’auteur de ces lignes).

(1) : Sombre Reflet, la série Batman ère New52/Renaissance (9 tomes), Batman Eternal (6 tomes), Les Portes de Gotham, All-Star Batman ère Rebirth (3 tomes) avec une co-écriture pour le premier tome de cette période, Batman Metal (3 tomes) puis ses suites avec la Justice League (New Justice, 4 tomes), incluant le one-shot No Justice et enfin Le Batman qui rit (2 tomes).

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 5 juin 2020

Scénario : Scott Snyder
Dessin : Greg Capullo
Encrage : Jonathan Glapion
Couleur : Fco Plascencia
Traduction : Edmond Tourriol
Lettrage : MAKMA (Sarah Grassart et Stephen Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Batman – Last Knight on Earth

 

 

 

DCEASED – Unkillables

Après l’excellent one-shot DCEASED, l’histoire se poursuit dans cet Unkillables, spin-off qui met en avant le point de vue des antagonistes durant la propagation virus qui rendait cannibale le monde entier. Plus qu’une série dérivée, ces « increvables » sont clairement une suite, presque un tome « 1.5 » avant le second (cf. index), confirmé et dont les premiers chapitres devraient être publiés durant le second semestre 2020. Critique et explications.

[Histoire]
Durant les premiers jours de l’épidémie du virus d’Anti-vie, Red Hood (Jason Todd) part à la recherche (avec le chien Ace) des derniers membres de la Bat-Famille encore en vie à Gotham City : Gordon et Batgirl (Cassandra Cain). Alfred et Robin (Damian) étant à Metropolis.

Slade Wilson, alias Deathstroke rejoint sa fille Rose, alias Ravager. Le pouvoir auto-guérisseur de Deathstroke permet à ce dernier de ne pas se transformer en zombie. Le maître des miroirs (McCulloch) leur propose une alliance initiée par l’immortel Vandal Savage. Tous se retrouvent sur une île isolée. D’autres vilains survivants sont déjà sur place : Solomon Grundy, Creeper, Cheetah, Captain Cold, Lady Shiva (mère de Cassandra), Bane et Deadshot.

Combien de temps vont-ils tenir ?

[Critique]
En trois chapitres et environ 125 pages de bande dessinée, Unkillables propose une extension haletante et réussie de sa mini-série mère. Comme dit en introduction, on trouve ici bien plus qu’une série dérivée puisque après un premier épisode qui se déroule en parallèle de DCEASED, le second s’étend au-delà de la fin de DCEASED et propose donc une suite au titre initial. Une « autre suite » a depuis était confirmé : DCEASED 2 – Dead Planet (le premier chapitre est prévu pour juin 2020). Tom Taylor poursuit ici son univers alternatif séduisant en écrivant l’entièreté de l’ensemble.

L’intérêt d’Unkillables est double : retrouver ce côté « zombifié » de DC Comics et se concentrer sur des personnages secondaires (le tout avec une nouvelle approche graphique comme on le verra plus loin). Après les écrans, la menace se fait ici à travers les miroirs et fenêtres (difficile d’expliquer pourquoi sans divulgâcher) et de la Wonder Woman zombifiée, surpuissante (qui permet de voir ce qu’elle devient après la fin du volet précédent donc). On apprend aussi ce qu’il était advenu de Billy Batson (Shazam), tôt dans le récit d’une façon énigmatique avant d’être confirmé plus tard, peaufinant ainsi rétroactivement DCEASED.

Suivre les antagonistes est réjouissant car tout ce petit monde se retrouve bien vite coincé dans un orphelinat à Blüdhaven avec des enfants « innocents ». Seul Gordon garde une certaine autorité morale et paternelle, accompagné de… Slade Wilson ! On trouve un duo atypique et étonnant avec ces pères de famille âgés et endeuillés (James a perdu Barbara et Slade ses fils).

Quelques moments géniaux (drôles et décalés) parsèment le récit brillamment rythmé, comme Jason qui attache le cadavre du Joker sur la Batmobile pour le plaisir, l’arrivée de Wonder Woman zombie dans le repaire de Savage, Bane qui suggère à Gordon de l’arrêter (pour le mettre en prison), les cours de survie aux enfants (et leur délicieuse insolence) par des profs criminels, un running gag entre Cheetah et une gamine, les blagues plus ou moins inspirées des protagonistes et l’utilisation de Solomon Grundy, qui est déjà mort-vivant de toute façon.

Pour chipoter, on peut s’étonner que Bane soit associé au sous-titre « le muscle » alors qu’on aurait dû avoir « le muscle ET le cerveau ».

Graphiquement, Karl Mostert et son style particulier apportent une variante bienvenue, loin des dessins un peu plus « mainstream » de DCEASED. Proche de la patte de Franck Quitely (L’Autre Terre) et surtout de Juan Jose Ryp (le tome 7 de Batman & Robin entre autres), les traits de Mostert, en particulier les visages, peuvent ne pas convenir à tout le monde. Petits yeux, lèvres accentuées, grimaces parfois involontaires, on navigue entre des têtes à la limite de la caricature et des figurines de collection plus ou moins loupées.

Cela confère un aspect comique sans qu’on sache si c’est souhaité ou non. C’est le seul point noir de l’ouvrage car du reste, corps, costumes, décors, véhicules, scènes d’action… tout est très net, parfaitement lisible et enveloppé d’une colorisation peu criarde, presque aux tons pastel, habilement dosée en terme d’intensité en fonction des scènes — dont certaines particulièrement gores et violentes. Jouissif !

A l’instar « du tome précédent », tant celui-ci apparaît comme une suite donc, l’ensemble est un peu court et mériterait d’être (une fois de plus) enrichit longuement. L’impression de voir un épisode d’une série télé type The Walking Dead ou jouer à un jeu vidéo du même genre. En cela, Unkillables fonctionne parfaitement, son prix attractif (15,50€) permet de ne pas bouder son plaisir.

Par ailleurs, le titre réussit à surprendre, entre autres par un retournement de situation inattendu et bien fichu pour conclure l’histoire. Comme pour DCEASED, des couvertures alternatives ferment l’ouvrage, dont deux inspirées par des films (Ça, chapitre 2 et Full Metal Jacket). Aucun doute que le lecteur qui avait aimé DCEASED ne doit pas faire l’impasse sur Unkillables (à lire en deuxième, évidemment) !

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 10 juillet 2020.

Scénario : Tom Taylor
Dessin : Karl Mostert
Encrage :
Couleur :
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Cromatik Ltée – Ile Maurice

Acheter sur amazon.fr : DCEASED – Unkillables