Archives de catégorie : Critique

Red Hood – Souriez !

[Résumé de l’éditeur]
Jason Todd est de retour à Gotham City et les problèmes de la ville le poussent à porter le masque à nouveau. La menace numéro un : une nouvelle drogue envahit la ville et son influence grandissante devient extrêmement problématique. Alors qu’il enquête sur l’origine de ce nouveau fléau, l’ancien Robin croisera inévitablement la route du Chevaler Noir. Red Hood et Batman arriveront-ils à unir leurs forces pour arrêter ce nouveau fléau ?

[Critique]
Voilà un excellent récit complet à mettre entre toutes les mains des passionnés de Jason Todd ou Red Hood ! Il aura fallu attendre autant d’années avant d’avoir un titre qui couvre très « justement » la relation conflictuelle entre Bruce/Jason (et mécaniquement Batman/Red Hood). C’est clairement la force de ce Souriez !, traduction de Cheer, le segment de la série Batman : Urban Legends dont est tiré le comic, probablement en « hommage » à l’un des premiers titres français de Killing Joke qui était également Souriez. Il faut dire que le Joker hante évidemment la fiction mais de façon sporadique ; on revoit des évènements d’Un Deuil dans la Famille, dessinés plus ou moins à l’identique ou sous un nouveau jour.

La bande dessinée alterne l’enquête du présent (qui est responsable de la circulation de la nouvelle drogue ?), les conflits intérieurs de Jason (a-t-il bien fait de tuer le père criminel d’un gosse qu’il va probablement rendre orphelin ?), ceux de Batman (son poids de la culpabilité et son échec avec le second Robin) et multiplie les flash-backs. On retrouve donc des scènes « déjà connues » (celles d’Un Deuil dans la Famille comme déjà évoqué) et d’autres inédites (les premiers pas de Jason, un conflit avec le Sphinx, etc.). Tout s’enchaîne remarquablement avec un rythme très prenant.

Red Hood – Souriez ! ne montre pas non plus un Jason Todd assagi et trop « gentil », il n’hésite pas à tuer, il se remet en question, il a toujours un côté impulsif, etc. Chip Zdarsky livre un travail de haute qualité qui manquait étonnamment depuis longtemps sur le célèbre antagoniste. Zdarsky (après son excellent run sur Daredevil) s’est emparé de Batman avec trois séries distincts. Batman : Urban Legends (cette critique donc), The Knight, contant les premières années de Batman (une semi réussite) et la nouvelle série Batman, intitulée Dark City en France (cf. le premier tome, Failsafe). En soignant l’écriture des personnages torturés mais aussi d’une intrigue globale plutôt satisfaisante, il hisse ce one-shot dans la catégorie coup de cœur du site !

L’aventure déçoit peut-être dans le choix de son ennemi principal, inconnu au bataillon se cachant derrière Mr. Freeze – il aurait été plus efficace de reprendre quelqu’un de la célèbre galerie de vilains ou alors de créer un « nouveau » méchant plus charismatique, dommage. Côté dessins, on retrouve Eddy Barrows qui avait signé les aventures de Nightwing (période Renaissance / New 52, cf. les critiques des volumes un à cinq). L’artiste a toujours du mal avec les visages non masqués en gros plan, souvent disgracieux… (cf. ci-dessous) mais le reste fonctionne du tonnerre ! Il y a des postures iconiques, un sentiment de vitesse lors des scènes de poursuite ou d’action, particulièrement dynamiques, une lisibilité générale dans la gestion de l’espace et ainsi de suite.

Quatre autres dessinateurs officient sur le titre (Marcus To, Jesus Merino, Diogenes Neves et Scott Eaton) mais la plupart se contentent des flash-backs, gardant ainsi une certaine homogénéité visuelle globale durant les six épisodes. Par ailleurs, un seul coloriste (Adriano Lucas) s’affaire à l’entièreté du titre, conservant là aussi une empreinte graphique et chromatique efficace donnant l’impression d’un « tout » commun et réussi. Attention, la couverture est une variante de la série Red Hood & the Outlaws (#27), de Yasmine Putri et ne reflète donc pas vraiment l’ouvrage (encore que…) mais attire évidemment l’œil. Ce n’est pas très important mais toujours bon à préciser.

En synthèse, Red Hood – Souriez ! est une proposition scénaristique (et graphique) intéressante, qui change un peu des histoires de l’univers de Batman tout en soulignant la relation conflictuelle mais passionnante entre Bruce/Batman et Jason/Red Hood. La promesse est tenue et l’ensemble tient bien la route à de micro-détails près. Même un lecteur non familier de Todd peut apprécier la fiction, probablement s’ouvrir aux autres récits sur lui ou, à minima, suivre une aventure auto-contenue et assez mature. On recommande donc chaudement !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 23 juin 2023.
Contient : Batman : Urban Legends #01-06 – Red Hood & Batman : Cheer

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Eddy Barrows et Marcus To, Jesus Merino, Diogenes Neves, Scott Eaton
Encrage : Eber Ferreira, Marcus To, Jesus Merino, Diogenes Neves, Scot Eaton, Julio Ferreira, Oclair Albert
Couleur : Adriano Lucas

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Cyril Bouquet

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Batman – One Bad Day : Bane

Cinquième opus (sur huit) de la gamme One Bad Day, on s’attarde aujourd’hui sur Bane, créé en 1993 par Chuck Dixon, Doug Moench et Graham Nolan dans La Revanche de Bane, prélude à la grande saga Knightfall. Le célèbre ennemi a bénéficié de plusieurs adaptations (films, dessins animés, jeux vidéo…) mais a surtout été popularisé auprès du « grand public » dans The Dark Knight Rises en 2012, incarné par Tom Hardy. Côté comics, il est apparu après Knightfall dans des rôles « secondaires » à droite à gauche mais occupait une place de premier choix dans le run Batman Rebirth.

[Résumé de l’éditeur]
Si Eduardo Dorrance doit sa stature colossale au venom, c’est également à ce stéroïde qu’il doit ses plus gros ennuis. Sevré depuis longtemps maintenant, Bane a définitivement raccroché son masque de criminel pour se parer de celui d’un catcheur sur le déclin. Aussi, quand il apprend qu’une nouvelle source de venom existe, il va tout faire pour la détruire, afin que personne ne soit victime du poison qui a ruiné sa vie.

[Critique]
Un One Bad Day très intéressant et dans le haut du panier qui sort un peu du lot grâce à sa structure assez singulière (qu’on sera obligé de révéler dans le paragraphe suivant, passez à celui d’après si jamais) ! Dans ce récit complet sur Bane, l’auteur Joshua Williamson propose un « futur proche » à priori alternatif. Comprendre que Bane est de nouveau lutteur/catcheur sans que son passif soit renié. Il est même reconnu comme celui « qui a tué Batman » (en plus de lui avoir brisé le dos des années plus tôt, cf. Knightfall) et vit comme dans un manoir (celui de Wayne ?). L’antagoniste est dépeint avec une certaine mélancolie qui colle étonnamment bien au personnage.

Divisée en trois chapitres, l’histoire use d’une introduction un peu déroutante avant d’enchaîner sur une aventure plus convenue en flash-back (plusieurs parsèment l’ouvrage) en binôme entre Bane et le Chevalier Noir face à un nouvel ennemi. Surtout (attention à la révélation), le titre illustre davantage un « One Good Day » plutôt qu’un « Bad Day ». C’est-à-dire que la fiction ne revient pas sur le jour où tout a basculé pour Bane (malgré des souvenirs récurrents de sa mère et son enfance) et qu’il a choisi « le mal » (la « promesse » non tenue de cette collection de toute façon) mais celui où il peut opter pour l’inverse : le moment où l’on décide de faire le bien. C’est un choix audacieux et qui se marie bien à l’évolution de Bane (même si on peut « déplorer » que, d’une manière générale, les méchants d’anthologie de DC Comics – voire de la culture populaire globale – ne restent jamais réellement « mauvais » et s’adoucissent avec le temps voire deviennent des alliés).

En résulte un parcours plutôt inédit, passionnant dans son introspection de la figure mythique de Bane, moins dans sa quête de recherche du venin (et non venom – le terme en VO – comme l’indique l’éditeur en quatrième de couverture). Les affrontements sont tantôt spectaculaires, tantôt expéditifs (avec deux nouveaux ennemis oubliables). Il y a donc une partie du livre assez convenue et moins originale qui contrebalance bonnes idées et l’écriture assez solide du protagoniste.

Heureusement, les dessins et l’encrage d’Howard Porter couplés à la colorisation de Tomeu Morey apportent une véritable identité visuelle alléchante à l’ensemble. Porter est pourtant capable du pire (Justice League – La Tour de Babel) comme du meilleur (DC Univers Rebirth – Le Badge) ; ce sont probablement les gammes chromatiques peu criardes et contrastées qui apportent la patte graphique efficace (Morey excelle dans le domaine, cf. ses nombreux travaux : les séries Dark City, Batman Infinite, Joker War ou encore Batman/Catwoman, Heroes in Crisis…).

Côté écriture, Williamson est un habitué de DC Comics. Il a signé toute la longue série Flash Rebirth (onze tomes !), incluant les segments que le bolide écarlate partage avec Batman, comme dans Le Badge et Le Prix par exemple. Il a aussi œuvré sur Batman (Batman Infinite – Tome 4 : Abyss, la série Robin Infinite, Shadow War, Le Batman Qui Rit – Les Infectés…) et divers titres qui regroupent plusieurs héros et antagonistes (Justice League vs. Suicide Squad, DC Infinite Frontier, Dark Crisis, Justice League – No Justice…). En somme, c’est un auteur accompli, plus ou moins architecte de l’ère DC Comics actuelle (Infinite) qui maîtrise très bien son univers et réussit habilement cet exercice sur Bane – ce qui le sort un peu de sa zone de confort.

On conseille donc cet One Bad Day – avec celui du Sphinx et de Freeze (et on met de côté ceux sur Double-Face et Le Pingouin). Reste l’éternelle équation subjective : est-ce qu’un récit de ce genre et d’une soixantaine de pages vaut 15 € ? C’est toujours difficile d’arbitrer, d’autant qu’une éventuelle compilation des trois One Bad Day recommandés (à ce stade) coûterait à peine quelques euros de plus (contre 45 € à date séparément)… Rendez-vous cet été pour les trois derniers : Catwoman, Ra’s al Ghul puis Gueule d’Argile.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 7 juillet 2023.
Contient : Batman : One Bad Day – Bane #1

Scénario : Joshua Williamson
Dessin : Howard Porter
Couleur : Tomeu Morey

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Studio Myrtille (Christophe Semal)

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Batman Beyond the White Knight

Nouveau chapitre du MurphyVerse après l’excellent premier volume (White Knight), sa suite un peu moins réussie mais tout de même solide (Curse of the White Knight) et une parenthèse centrée sur Harley Quinn (qui poursuivait malgré tout l’histoire principale et qui était très bien), Beyond the White Knight est enfin disponible en France ! Entre le titre (Beyond) et les couvertures, pas de doute, l’auteur/dessinateur Sean Murphy est allé pioché du côté de la série d’animation Batman Beyond (Batman, la relève). Découverte.

Comme à son habitude pour certaines grosses sorties, Urban Comics propose plusieurs versions de l’ouvrage.
Ici une classique (24 €), une réservée aux librairies Momie limitée à 499 exemplaires (26 €) et une en noir et blanc (29 €), limitée également.

[Introduction/contextualisation de l’éditeur – disponible en début du livre et sur leur site]
Le nouvel univers établi par Sean Murphy dans Batman – White Knight nous a permis de faire la connaissance de Jack Napier, une version du Joker soignée de ses névroses. Apparemment sain de corps et d’esprit, celui-ci se lance dans une carrière politique, et souhaite qu’à son image, la ville opère une mue salvatrice, grâce à « l’initiative Napier ». Mais la partie sombre du personnage ne tarde pas à refaire surface. Une dualité pleinement exploitée dans Batman – Curse of the White Knight, qui ne se contente pas de montrer un Joker faillible, mais s’intéresse également à la mythologie de Gotham et aux origines de la famille Wayne.

Sean Murphy laisse ensuite le soin à Katana Collins d’écrire le scénario et Matteo Scalera de réaliser les dessins de Batman – White Knight • Harley Quinn. Collins décide quant à elle de se focaliser sur un personnage féminin, souvent relégué au rang de partenaire : Harley Quinn. Femme forte, elle porte l’histoire à elle seule. Seule ? Plus tout à fait, car elle est désormais mère, elle a donné naissance aux jumeaux de Jack Napier : Jackie et Bryce.

Si le justicier masqué faisait preuve d’une violence exacerbée dans les trois premiers titres, comme pour contrebalancer le calme apparent du Joker, il semble avoir retrouvé une forme de sérénité après avoir passé une décennie en prison, suite à la révélation de sa double identité. En guise de peine, Bruce Wayne a légué sa fortune à la ville de Gotham, qui s’en est servi pour renforcer la sécurité de la ville. Le GTO, créé par Napier, a évolué jusqu’à devenir un système de surveillance oppressant et intrusif qui prive les habitants de leurs libertés. La police a ainsi la mainmise sur la ville et veille sur ses citoyens… ou plutôt les surveille.

[Résumé de l’éditeur]
Dix ans après que Gotham s’est interrogée sur l’efficacité réelle du Chevalier Noir, Derek Powers a pris le contrôle des actifs de la famille Wayne et utilise l’unité anti-terroriste de la ville pour protéger les citoyens… mais à quel prix ? Le justicier de Gotham est toujours en prison et, en son absence, c’est à Terry McGinnis de prendre la relève. Mais dans cette ville futuriste dystopique, seul le vrai Batman est conscient des dangers à venir…

[Début de l’histoire]
En explorant la Bat-Cave sur les ordres et conseils de Derek Powers, Terry McGinnis découvre et revêt un costume de Batman inédit et puissant.

En prison, Bruce Wayne apprend que sa fortune léguée à Gotham a permis à Powers d’établir un état policier avec, entre autres, une armée de Batmen suréquipés. Quand il découvre que Mc Ginnis est devenu le Chevalier Noir, l’ancien milliardaire s’évade pour régler ses comptes avec son ancien partenaire Powers et remettre de l’ordre aussi bien dans sa vie que dans sa ville.

De son côté, Harley Quinn a du mal à canaliser sa fille Jackie, au caractère et tempérament plus proche de son père…

Jason Todd est, lui aussi, en proie aux doutes et de moins en moins à l’aise avec son rôle de gardien de prison pour le GTO. Dick Grayson, dirigeant du GTO semble, lui, y trouver son compte.

[Critique]
Batman Beyond the White Knight (BBtWK)
est le moins bon tome des quatre de l’univers conçu par Sean Murphy. L’artiste poursuit son « adultisation » de ses souvenirs liés à Batman (film, séries d’animation, comics…) – pour reprendre les termes de François Hercouët (cf. interview du directeur éditorial d’Urban Comics) – mais livre un épisode où de nombreux éléments ne fonctionnent pas vraiment malgré la qualité des illustrations et quelques idées bienvenues, entre autres sur l’entourage et la famille du célèbre homme chauve-souris. Explications.

Les fans de Batman, la relève (Batman Beyond donc) devraient être plus ou moins conquis car ce nouvel opus de White Knight propose une place de choix à Terry McGinnis et Derek Powers (l’ennemi principal). Terry est malheureusement très secondaire dans la fiction (il est même curieux que la couverture – et même le titre – le montre autant), Powers est, en revanche, assez présent mais suit un sentier complètement balisé (d’abord présenté comme une sorte de bienfaiteur avant d’en découvrir la part sombre – sans aucune réelle surprise, qu’on connaisse ou non sa version originelle). McGinnis et Powers gravitent autour de Bruce Wayne, le roc et véritable personnage principal de cette itération (mais attention, le milliardaire repenti n’a, lui, pas grand chose à voir avec son pendant vieillissant de la série Batman Beyond, et cette fois c’est tant mieux).

Il faut dire que le gros travail d’écriture (plutôt soigné) autour de la figure paternaliste de Wayne est au cœur du récit. Ses erreurs du passé, sa volonté de corriger sans cesse ce qu’il estime avoir échoué, son ambiguïté autour de son individualisme et travail d’équipe, sa romance discrète avec Harley, sa soif de justice, sa « famille » d’alliés et ainsi de suite.

Sean Murphy n’a jamais été aussi bon lorsqu’il met en avant tous les paradoxes de ce bon vieux Bruce et son alter ego. Mention spéciale à son « héritage » non pas financier (détourné pour monter un état de plus en plus liberticide) mais familial. Les nombreux alliés de Bruce parsèment l’ouvrage avec cohésion et pertinence, sans nul doit le point fort de ce BBtWK (même si certains sont en retrait, comme Barbara Gordon). Hélas, la narration est entachée de plusieurs problèmes.

Tout d’abord, l’auteur a (re)placé Jack Napier/le Joker dans quasiment l’intégralité de ses planches avec une facilité d’écriture assez décevante (et irrationnelle). En effet, Bruce Wayne voit une sorte d’hologramme mêlée à une intelligence artificielle couplée à une vague « hallucination » qui a bien sûr la forme et la voix de Napier. S’ensuit un drôle de duo, plus ou moins drôle quand la situation l’exige mais vite lourdingue et peu plausible (certes inspirée par la série d’animation mais quand même…). Pour ne pas entacher le rythme, il aurait probablement fallu une vision du Joker apparaissant sporadiquement à Batman (dans les situations de danger, de faiblesse psychologique, etc.). C’est un procédé assez convenu mais plus pertinent qu’ici (sans compter la séquence – ne lisez pas cette fin de parenthèse pour éviter une mineure révélation – où Bruce est carrément « interchangé » de corps avec Jack (!)).

Le justicier est aussi sujet à des crises d’anxiété, là aussi c’est un procédé qui peine à marcher dans des fictions de ce genre (une fois pourquoi pas, mais c’est vite barbant et peu crédible vu la facilité déconcertante avec lequel Wayne semble toujours aussi agile et puissant malgré sa décennie enfermée). Ensuite, comme évoqué plus haut, Derek Powers est l’antagoniste de de BBtWK. Il n’y aucun étonnement quant à sa véritable nature et le dessein auquel il est voué. L’auteur joue d’ailleurs avec la continuité rétroactive (retcon) pour « arranger » le passé et « faire croire » que Powers était « complice » de Batman durant ses années d’activité. Après avoir lu trois volumes de White Knight où ce n’était jamais mentionné, ça a du mal à passer également…

Enfin, si les alliés de Batman occupent une place non négligeable (et passionnante) dans l’entièreté du volume, on a aussi un peu de mal avec les caractéristiques de chacun. Impossible de reconnaître Dick Grayson par exemple, complètement fermé et énervé ; il est plus proche de l’ADN initial de Jason Todd, lui aussi très présent dans BBtWK. Todd a d’ailleurs droit à deux chapitres interludes (Batman: White Knight presents – Red Hood #1-2 en VO) qui revisite son passé (le Joker ne l’a pas tué mais l’a laissé en vie quand il avait avoué au Clown du Crime la véritable identité de Batman !) et le montre former une nouvelle Robin, Gan. Malheureusement, ce segment prometteur, signé Clay McCormack, est finalement assez sommaire.

Pour l’anecdote, dans l’univers White Knight, Batman a d’abord eu Jason Todd comme premier Robin, avec lequel il a « échoué » et ensuite il a eu Dick Grayson (Tim Drake n’a pour l’instant jamais été mentionné – alors que Duke Thomas existe par exemple). Il s’agit d’une erreur de continuité dans le premier volet qu’a ensuite assumée Sean Murphy et instauré comme étant la chronologie normale de son univers (ce qui est assez intéressant puisque cela permet à Batman d’apprendre de ses erreurs de son enseignement au premier Robin pour être meilleur avec le second – mais ça mériterait un véritable préquel plus poussé que ce qu’on voit ici).

Parmi les nouveaux personnages de BBtWK, en plus de Gan/Robin donc, citons à nouveau McGinnis et Powers – piochés dans Batman Beyond, la police d’écriture étant même apposée plusieurs fois – ainsi que Bryce et Jackie, les jumeaux d’une douzaine d’années de Harley et Jack (apparus bébés dans l’opus consacré à Quinn). Le premier est un garçon relativement sage, la seconde davantage tournée vers la folie de son père (cf. image ci-dessous).

Si les deux ne sont pas très bien exploités pour l’instant, ils ont carrément droit à leur propre série à partir de ce mois de mai 2023, scénarisée par Katana Collins (la femme de Murphy), qui avait déjà signé l’excellent volume sur leur mère. Batman : White Knight Presents – Generation Joker sera composé de six épisodes et sortira en 2024 chez Urban Comics (confirmé par une source très très proche du dossier 😉 ).

L’univers White Knight n’est d’ailleurs par en reste (les deux dernières planches de BBtWK étant particulièrement ouvertes et annonciatrices) : d’autres séries sont en développement. La suite directe (pas encore de titre), toujours chapeautée par Murphy à l’écriture et au dessin mais aussi et surtout World’s Finest : White Knight, également scénarisée et dessinée par Murphy (à moins que ces deux projets… ne soient le même ?). D’autres titres ont été évoqués (souvent en fin des publications VO aux États-Unis) sans réellement de confirmation pour l’instant : Batgirl, Nightwing, Catwoman et Superman. Il est vrai qu’on a vu Batgirl et Nightwing à l’œuvre dans White Knight mais le saut dans le futur proche de BBtWK empêche d’avoir vu leurs aventures plus « classiques » de cette époque peu développée dans le MurphyVerse.

Mais revenons au comic book de cette critique. Batman Beyond the White Knight donne donc la part belle à un Bruce Wayne âgé mais solide, imparfait mais toujours passionnant dans son évolution. Une évolution qui touche aussi la plupart de ses alliés (mention spéciale pour Jason Todd) et l’univers Gothamien très policier ; sur ce point, on retrouve la patte « urbaine » du premier volet qui manquait un peu dans le second. L’évocation d’une armée de robots alliée aux différentes technologies Wayne/Powers a déjà été vue et revue mais fonctionne bien dans l’univers White Knight (impossible de ne pas penser au récent et chouette Catwoman – Lonely City avec Double-Face et Catwoman à la place de Powers et Batman). « Moins de liberté pour plus de sécurité » est une sorte de valeur sûre pour servir de socle narratif même si ça reste, in fine, assez survolé dans l’ensemble – le futur reste néanmoins pas trop « surréaliste » et cohérent avec l’univers des comics et non celui de la série animée, tant mieux.

En revanche, et comme étayé ci-dessus, beaucoup d’éléments ont du mal à servir l’histoire pour la rendre un brin plus palpitante, plus originale, plus incroyable, plus « réaliste » (dans la commune mesure de la fiction établie bien entendu). Il y a un côté convenu à l’ensemble du récit, un manque d’émotions ou d’audace qui l’aurait tiré vers le haut malgré son impeccable rythme et ses dialogues qui font mouche (probablement là où est le plus à l’aise Murphy en tant qu’auteur).

Heureusement, BBtWK bénéficie de la patte visuelle si singulière et plaisante de Sean Murphy qui livre un découpage dynamique, fluide et aéré comme il faut. À l’aise aussi bien dans les séquences intimes qu’explosives (avec de l’action épique en dernière ligne droite), l’artiste montre une fois de plus son amour pour ses personnages, sa ville et ses véhicules). On apprécie particulièrement les ombres de ses protagonistes aux contours de leurs anciens costumes, un procédé simple mais efficace (cf. image ci-dessous). Murphy continue de distiller son titre de références, hommages et souvenirs (aussi bien aux séries d’animation et pas que Beyond, que les comics cultes et les films – incluant aussi celui de Matt Reeves).

En cela, BBtWK est un régal, d’autant plus que le coloriste Dave Stewart (absent des deux premiers White Knight – où Matt Hollingsworth officiait – mais présent sur celui sur Quinn) apporte une véritable identité chromatique qui se marie parfaitement à l’univers habituel de White Knight et, de facto, la vision de Murphy. Les jeux de lumière et évidemment de l’obscurité bénéficient de tout le savoir faire de Stewart qui n’a plus qu’à « repasser » derrière l’encrage de base (de Murphy) qui place la barre relativement haut (ce n’est pas pour rien qu’une version en noir et blanc de la bande dessinée existe, à l’instar des autres opus). En résulte de sublimes pleines pages, parfois statiques mais iconiques, dans l’œuvre (cf. les cinq dernières illustrations de cette critique). Le segment sur Red Hood est dessinée Simone Di Meo, au style plus adouci et « numérique » (cf. image ci-dessous). Il  est connu pour l’excellente série We Only Find Them When They’re Dead et a signé de nombreuses couvertures Batman et Superman pour DC.

En synthèse, Batman Beyond the White Knight souffre de plusieurs défauts non négligeables : un Napier/Joker omniprésent, improbable et peu utile, une trame narrative balisée, une inégalité de représentation des personnages secondaires (incluant Terry McGinnis), un manque d’originalité global – surtout par rapport aux précédents titres du même univers –, un loupé dans l’émotion, etc. La bande dessinée est sauvée in extremis par sa partie graphique de grande qualité et le travail autour de Bruce Wayne, véritable figure angulaire de cette œuvre. Difficile donc de conseiller ou non ce quatrième épisode qui n’atteint pas du tout le niveau des premiers mais qui prolonge un univers inédit et atypique, même si c’est de façon convenue…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 5 mai 2023.
Contient : Batman : Beyond the White Knight #1-8 +et Batman : White Knight presents – Red Hood #1-2

Scénario : Sean Murphy, Clay McCormack
Dessin : Sean Murphy, Simone Di Meo
Couleur : Dave Stewart

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Coralline Charrier et Stephan Boschat)

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