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Batman Detective Comics – Tome 04 : Deus Ex Machina

La série Detective Comics de l’ère Rebirth se poursuit avec une qualité hétérogène. Ce quatrième tome ne déroge pas à la règle, alternant du bon et moins bon. Explications.

[Résumé de l’éditeur]
En formant une équipe, Batman n’avait pas seulement pour but de protéger Gotham, il voulait également mettre ses alliés à l’abri d’attaques ciblées. Mais faire partie d’une équipe n’a pas que des bons côtés pour ses membres, surtout quand les fantômes de leur passé resurgissent soudain… Et l’heure est grave, puisque la Bat-Family est dans la ligne de mire de l’Ordre de St. Dumas, un groupuscule qui a formé Azrael et qui dispose d’un nouvel assassin, une intelligence artificielle nommée Ascalon. Afin de sauver ses amis, Batman va devoir se servir du plus puissant des artéfacts magiques : la Machine de Dieu. Mais cela sera-t-il suffisant pour vaincre Ascalon ?

[Histoire]
Spoiler intervient dans une prise d’otage, opérant toujours en marge de Batman et ses alliés car elle ne partage plus les mêmes convictions sur leur statut de sauveteurs (cf. tome 2).

Luke Fox et Jean-Paul Valley assistent à un match de basket quand un certain Nomoz fait irruption, sévèrement blessé. Nomoz est l’ancien mentor de Jean-Paul à l’époque où il œuvrait en tant qu’Azrael. Il prévient ce dernier de l’arrivée d’un nouvel ennemi : Ascalon.

En parallèle, au Casino de la Banquise du Pingouin, Bruce Wayne renoue avec Zatanna la sorcière, tous deux sont justement attaqués par Ascalon !

Entre l’intelligence artificielle des robots de Fox, la magie de Zatanna et la foi de Jean-Paul, c’est un affrontement de mélanges des genres étrange qui se joue !

[Critique]
Ce quatrième tome est dans la droite lignée du précédent : ni mauvais, ni excellent. Il propose de bonnes choses et de moins bonnes. Le scénario est toujours écrit par James Tynion IV, épaulé par Christopher Selba uniquement pour le premier épisode – qui montre Spoiler avant de la mettre aussitôt de côté. D’un côté il montre Zatanna (et donc la magie), d’un autre Jean-Paul Valley (et donc un mixe entre secte et religion/foi – ce qui va souvent de pair), ce dernier est le protagoniste mis en avant dans le volume, tous comme ceux d’avant mettaient une personne de l’équipe sous les radars. Cette alternance originale et intrigante fonctionne plus ou moins : parfois palpitant ou agaçant.

On apprécie explorer le passé de Bruce et Zatanna, le duo fonctionne à merveille, aussi bien dans les flash-backs, où plane l’ombre de Ra’s al Ghul, que dans le présent où la puissance de la magicienne est mise à l’épreuve ! En revanche, on a du mal avec les péripéties mi-bibliques, mi-fantaisiste d’Azrael et cette étrange culte autour de lui. Autant Jean-Paul est convaincant sous son alias civil et un bon élément en tant que justicier, autant tout ce qui l’entour dénote pas mal (une récurrence chez ce personnage créé pour la saga Knightfall à la base – et où l’on pouvait déjà faire ces mêmes reproches à l’époque – dont la célèbre armure finale a été ici modernisée, petit plaisir coupable pour les fans, cf. image tout en bas de l’article pour ceux qui veulent découvrir). On retrouve aussi le docteur Victoria October, qui surgit un peu de nulle part si on a la mémoire courte (elle était apparue dans le tome 2).

En somme, le mélange des genres est assez particulier, le mysticisme, voire l’ésotérisme contrebalance avec l’intelligence artificielle robotique maintes fois rabâchée (le titre originel est d’ailleurs Intelligence et non Deus Ex Machina) mais au traitement, in fine, assez convenu (avec un clin d‘œil sympathique au costume – ou plutôt l’armure – « Chappie » de Batman La Relève). Ajoutons à cela la partie avec Azrael, son gourou et ses rituels, on obtient un étrange mixe qui prend en fonction des appréciations de chacun (ici on trouve que ça marche moyennement comme expliqué). Néanmoins, l’ensemble se lit toujours aussi bien, entre un rythme prenant et un bon équilibre entre actions et dialogues. Seule l’ouverture avec Spoiler tranche avec le reste du titre puisqu’on ne la revoie pas du tout après sa rencontre avec Anarky (il faut se tourner vers le prochain tome pour découvrir leur relation).

La conclusion du titre annonce d’ailleurs de belles choses (attention aux révélations, passez au paragraphe suivant sinon) : Batman et ses alliés apprennent que Red Robin est vivant, le père de Jean-Paul (commanditaire de l’Ordre de St. Dumas) rejoint Ra’s al Ghul, ce dernier annonçant un mystérieux bienfaiteur tirant les ficelles dans l’ombre. Rappelons que le père de Zatanna, Zatara, connait aussi Ghul, sera-t-il de retour lui aussi ? Beaucoup de possibilités donc, l’occasion de reconnecter les premiers ennemis (La Colonie), les victimes (Le Syndicat), les différentes Ligues (Ombres et Assassins) et ce qu’on a vu dans ce quatrième volume. Plus que trois avant la conclusion de la série !

Un point pénible lié à l’écriture de Zatanna. Celle-ci clame ses sorts « à l’envers », c’est-à-dire que les lettres des mots sont inversés. Ainsi pour « foudre« , il y aura écrit « erduof« . Sur un mot de temps en temps pourquoi pas, mais quand il y en a plusieurs, que ceux-ci se lisent donc de droite à gauche mais que la succession des mots est, elle, soit de haut en bas, soit de gauche à droite, soit de droite à gauche, c’est usant. Ça casse complètement la lecture et ce n’est pas pratique du tout. La faute aux auteurs qui ont toujours opté ainsi pour ce personnage ainsi que la traduction française – cf. image ci-dessous.

Les dessins sont cette fois assurés par Alvaro Martinez tout au long de la fiction sauf pour le premier épisode (sur Spoiler), signé Carmen Carnero. L’homogénéité graphique est donc assurée avec un ensemble franchement réussi, offrant de belles planches (parfois double et à lire horizontalement, comme d’habitude) et une colorisation maîtrisée, avec une volonté de traits « réalistes » pour une bande dessinée offrant de la magie, des robots, des créatures et de l’urbanisme, sacrée prouesse qu’on félicite ! Au demeurant, cette saga Detective Comics reste toujours aussi plaisante par son équipe directrice atypique (le Chevalier Noir et ses alliés donc), conférant une certaine originalité bienvenue. Rien que pour ça il est quand même dommage de passer à côté malgré ses faiblesses narratives évidentes.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 24 août 2018 précédemment publié dans les magazines Batman Rebirth #11 à #14 (avril à juillet 2018).

Contient Batman : Detective Comics #957-962

Scénario : James Tynion IV, Christopher Selba
Dessin : Alvaro Martinez, Carmen Carnero
Encrage : Javier Mena, Brad Anderson
Couleurs : Karl Story, Richard Friend, Carmen Carnero, Raul Fernandez

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)

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Batman Detective Comics – Tome 03 : La Ligue des Ombres

Après un second tome très convaincant, retour sur le troisième volume de la série Batman Detective Comics sous l’ère Rebirth.

[Résumé de l’éditeur]
Depuis des années, la Ligue des Ombres agit en secret pour prendre le contrôle de Gotham. L’équipe dirigée par Batman et Batwoman va devoir affronter ce qui n’était jusqu’ici qu’une sinistre rumeur. Mais au milieu de cette lutte sans merci, le secret des origines d’Orphan menace la stabilité du groupe.

[Histoire]
Les alliés de Batman traversent une période compliquée : Orphan est toujours autant isolée malgré son amitié avec Harper Row, Gueule d’Argile broie du noir car son ADN en tant que Basil Karlo est de moins en moins présent dans son corps, Jean-Paul Valley tente d’intégrer tant bien que mal l’équipe, etc.

Le colonel Jacob Kane, père de Kathy (Batwoman), toujours prisonnier, justifie ses actes passées pour protéger Gotham de la mystérieuse Ligue des Ombres. Un prétexte pour le Chevalier Noir qui pense que cette organisation sert juste à faire peur à la Ligue des Assassins de Ra’s al Ghul.

Pourtant, Lady Shiva est de retour dans la ville. La mère de Cassandra Cain (Orphan) est-elle derrière une attaque groupée ressemblant fortement à un mode opérateur du Joker ?!

Et pour ne rien arrangé : le maire Hady est assassiné et le coupable présumé est… Batman !

[Critique]
Tome de transition assez chargé voire confus. On s’y perd un peu entre la Ligue des Ombres ET celles des Assassins (sachant que la première a déjà porté le nom de la seconde et vice-versa – notamment dans le film Batman Begins, ce qui peut induire en erreur un lectorat novice). Le point fort de l’œuvre est, à l’instar des deux précédents, la mise en avant de certains personnages secondaires. Ici c’est principalement Cassandra Cain qui occupe cette place (et un peu Gueule d’Argile). La jeune femme s’ouvre aux autres et elle croise sa mère, Lady Shiva.

À ce titre, ce tome confirme à nouveau que la série est la suite directe de Batman & Robin Eternal (qu’elle cite plusieurs fois depuis le début), de quoi allécher les lecteurs à se tourner vers cette saga s’ils ne la connaissent pas (dont le premier cycle, Batman Eternal, était une réussite totale là où le second, Batman & Robin Eternal, enchaînait les ratés) ou à récompenser les fans de longue date avec une extension plus ou moins réussie mais suffisamment originale pour être lue avec un certain intérêt. Dans les deux cas c’est gagnant (pour l’éditeur).

Les intrigues se connectent plus ou moins mais bénéficient de grosses facilités scénaristiques : les blessés reviennent vite au combat (on parle de trois personnages s’étant pris une épée dans le ventre !), Orphan anéantit à elle-seule une armée, Ra’s al Ghul arrive tranquillou dans la Bat-Cave, Lady Shiva maîtrise Batman en deux mouvements, etc. Tout va un peu trop vite pour qu’on y croit aisément… Il est d’ailleurs dommage d’avoir choisi la couverture de Ghul contre Batman puisque le célèbre ennemi n’intervient qu’en fin d’ouvrage et s’avère être un élément de surprise.

Pas mal de défauts donc, côté écriture surtout malgré les éléments habituels de la fiction qui fonctionnent toujours bien : le rythme est bon, l’équilibre de l’équipe fonctionne avec toujours un ou deux protagonistes plus soigné à chaque tome, etc. Mais cette fois (surtout après l’excellent deuxième volume), tout est « trop gros » pour qu’on suspende notre crédulité au plaisir du divertissement. L’auteur James Tynion IV signe son premier « loupé » au bout de trois tomes (les guillemets sont de mises car, on insiste, ce n’est pas non plus mauvais ou raté, juste qu’on a du mal avec ces énormités scénaristiques…).

L’histoire n’est pas mauvaise en soi mais conjugue trop d’énormités pour qu’on y prenne vraiment du plaisir. Heureusement, les dessins régalent la plupart du temps, avec parfois de beaux combats (et toujours des planches à lire « horizontalement » étalées sur deux pages sans qu’on s’en rende compte de prime abord ou gâchant la lisibilité tant il faut écarter le livre au milieu pour conserver une certaine lisibilité – dommage donc, mais c’est un problème relevé à chaque tome). Du côté des artistes, c’est un festival : Marcio Takara, Christian Duce, Fernando Blanco, Alvaro Martinez et Eddy Barrows (bien connu des fans des Nightwing période New 52). En somme, il s’agit de l’équipe artistique plus ou moins habituelle sur le titre avec des styles assez similaire et une cohérence graphique respectée. Les coloristes (sept !) sont là aussi les familiers de la bande dessinée (cf. rubrique À propos).

Pour l’anecdote, La Ligue des Ombres mentionne le second tome d’All Star Batman et s’achève sur un chapitre back-up montrant Batman et Red Robin (seule présence du co-équipier dans l’histoire) annonçant Batman Metal. Spoiler n’apparaît pas dans ce troisième tome (on la retrouvera brièvement en introduction du quatrième puis dans le cinquième), une mystérieuse armure au début du livre ne trouve pas d’écho plus tard (là aussi il faudra attendre le tome suivant) et l’ennemi très secondaire Ulysse est « à suivre », il y a un bon potentiel. Pas mal de crayonnés et croquis complémentent la traditionnelle galerie des couvertures alternatives des chapitres en guise de bonus. Du reste, comme évoqué dans la critique, on partage un mélange de déception et lecture simpliste…

[À propos]
Publié le 6 avril 2018 chez Urban Comics, précédemment publié dans les magazines Batman Rebirth #8 à #11 (janvier à avril 2018).

Contient : Detective Comics #950-956

Scénario : James Tynion IV
Dessin : voir critique
Couleur : Dean White, Alex Sinclair, John Rauch, Allen Passalaqua, Marcelo Maiolo, Brad Anderson, Adriano Lucas
Encrage : Raul Fernandez, Eber Ferreira

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)

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(Admirez ce « Café du chien »…)

Batman Imposter

Scénarisé par Mattson Tomlin, qui a brièvement participé à l’écriture du film The Batman, dessiné par le talentueux Andrea Sorrentino (Joker – Killer Smile), publié dans le prestigieux Black Label, proposé en France le 25 février 2022, soit très rapidement après sa sortie US (dernier trimestre 2021) et dans deux deux éditions (une classique et une limitée en vente exclusivement chez Leclerc), que vaut Batman Imposter, récit complet en trois chapitres dont les couvertures variantes sont signées par le célèbre Lee Bermejo (Joker) ? Découverte et critique d’un titre qui risque de devenir rapidement culte ! Explications.

(La couverture à gauche est la régulière, à droite la limitée en vente chez Leclerc.)

[Résumé de l’éditeur]
Cela fait trois ans que Bruce Wayne a endossé le costume de Batman afin de faire de Gotham une ville plus sûre et moins corrompue. À force de sacrifices et de persévérance, il a presque atteint son but. Mais quand un imposteur adopte son déguisement afin d’assassiner d’anciens criminels, c’est toute la police de Gotham qui se met à ses trousses, notamment l’inspectrice Blair Wong, déterminée à découvrir la véritable identité du justicier !

« Si la présence de Batman impacte à ce point l’économie de la ville… alors c’est un angle d’attaque inédit qui mérite d’être exploré. Un gars dans un costume de chauve-souris qui tabasse les criminels… ça m’a toujours semblé un peu gros à avaler. En revanche, s’il s’agit d’une mascarade visant à dissimuler une sorte d’espionnage industriel… […] Qui a perdu le plus depuis l’apparition de Batman ? Qui a gagné le plus ? »

[Histoire]
Leslie Thompkins secoure et soigne Batman après une nuit agitée. La psychothérapeute se remémore quand elle a pris le jeune Bruce sous son aile et ce qu’il a enduré. Elle le met en garde : le milliardaire doit honorer ses rendez-vous psy avec elle sinon elle le dénoncera.

De son côté, le citoyen philanthrope Wesker sollicite l’inspectrice Blair Wong. Wesker soupçonne un de ses employés éphémères d’être Batman.

Le GCPD reçoit une vidéo montrant Batman tuer trois anciens pensionnaires de Blackgate condamnées pour assassinat. Si certains policiers sont favorables à cette forme de « justice » radicale, il n’en est pas de même pour le chef du département qui ordonne de traquer et ramener l’homme chauve-souris, désormais criminel et meurtrier.

Le Chevalier Noir doit enquêter sur cet imposteur, tandis que Wong reprend les indices qui mèneraient à l’identité de Batman. À commencer par une grande fortune obligatoire pour être équipée aussi puissamment pour un justicier…

[Critique]
Chef-d’œuvre. On tient une pépite !
C’est devenu tellement rare dans les comics Batman d’avoir un récit complet qui se suffit à lui-même, qui va ravir aussi bien les nouveaux venus que les fans de longue date que le titre rejoint carrément la courte liste des incontournables (pas un coup de cœur, carrément un indispensable !). Dans quelques années, Batman Imposter sera considéré comme un classique, c’est indéniable. Il regorge de qualités, c’est du grand art ! Comme il s’agit d’un elseworld (comme la très bonne trilogie Batman – Terre Un), pas besoin de connaître la continuité « classique » du personnage, celui-ci prend place dans un monde qu’on peut qualifier « d’alternatif », le temps de découvrir cette histoire. Aucun pré-requis n’est donc nécessaire pour se plonger dedans !

L’histoire est évoquée plus haut, concept « simple » mais hyper efficace : un imposteur tue en se drapant du costume du Chevalier Noir. Double-enquête : d’un côté le GCPD qui veut arrêter ce Batman persuadé qu’il s’agit du même justicier déjà connu depuis trois ans, d’un autre côté Bruce Wayne qui cherche bien sûr à mettre la main sur son double meurtrier. Autour de lui, deux femmes importantes : Leslie Thompkins (ici femme noire de la cinquantaine) avec qui il suit une thérapie, échange sur ses doutes constants et son « mal-être », Blair Wong, inspectrice qui traque évidemment l’homme chauve-souris mais s’éprend de Bruce Wayne. Toutes deux forment un point d’ancrage important pour l’évolution de notre héros sans pour autant être de banales « faire-valoir féminins ».

Au-delà des drames et douleurs du quotidien, le récit gagne en nuance quant à l’interrogation de l’auto-justice (vigilantism) et, surtout, le cheminement du mystère sur l’identité du fameux imposteur. Tout est très plausible, écrit intelligemment. Deux exemples concrets. Wong estime à juste titre que Batman (le vrai et/ou le copycat) a forcément accès à des ressources économiques élevées et probablement une formation militaire. Ses pistes l’amènent légitimement vers Bruce Wayne (ce qui, aussi surréaliste qu’il puisse paraître, est rarement le cas dans l’ensemble des productions sur le Chevalier Noir). Mais cela permet d’aider le lecteur à savoir aussi qui se cache sous le masque de l’imposteur. Autre point intéressant : un vaste réseau souterrain utilisé pour par le justicier pour se déplacer rapidement, en moto notamment, et à l’abri des regards. Mais d’où proviennent ces véhicules ? Les motos sont dans les nombreuses rue de Gotham, sans plaques d’immatriculation, plus ou moins cachées, prêtes à servir à n’importe quel moment. Pourtant elles n’ont pas été déclarées volées. Donc sont-elles… achetées ?

C’est ce genre de réflexions qui sont mises en avant dans la partie thriller de l’œuvre ; c’est passionnant et extrêmement bien rédigé par le jeune et nouveau venu Mattson Tomlin, né en… juillet 1990 ! Ce scénariste a d’ailleurs participé à l’écriture du film The Batman de Matt Reeves (même s’il n’est pas crédité en tant que tel, cela a été confirmé dès 2019). Cela se ressent grâce au look de Bruce Wayne, calqué sur l’acteur Robert Pattinson, ainsi que le costume du Dark Knight, proche de celui des images dévoilées. Même si, majoritairement, son visage reste dans l’ombre. Le réalisateur a d’ailleurs évoqué Batman Imposter comme un des sept comics servant d’inspiration pour son long-métrage (même si, factuellement, la bande dessinée a été publié durant la post-production du film, il est aisé d’imaginer que Tomlin a travaillé de concret avec Reeves en injectant « sa patte »). Mais nous reviendrons sur ce sujet quand The Batman sera sorti au cinéma !

Dans Batman Imposter, il y a peu de figures familières de la mythologie du Caped Crusader. Alfred est aperçu en flash-back (il a démissionné de son rôle très tôt face à la colère quotidienne et la violence continue du jeune Bruce). Seuls deux ennemis de seconde voire troisième zone sont croqués. Arnold Wesker, alias le Ventriloque, et Otis Flannegan, alias Ratcatcher. Pas de costumes ou affrontements ici, les deux hommes interviennent rarement et ne sont pas « méchants » (ce sont des rôles très très secondaires), la narration pousse à l’empathie et leur sort est particulièrement bien écrit, en particulier le premier, qui renoue avec l’ADN pur de Batman : l’altruisme et l’humanisme (rappelant aussi le décrié Trois Jokers dont la conclusion mettait bien en avant cet aspect du justicier).

De même, on insiste lourdement sur la règle primordiale du justicier : il ne tue pas. Est-ce un pied-de-nez aux adaptations plus ou moins récentes montrant un Batman « grim and gritty » parfois clivant (le Grim Knight dans Le Batman qui Rit en comic book, le Batfleck de Batman v Superman au cinéma, etc.) ? On ne sait pas trop mais ça fonctionne. On voit un Batman très impliqué dans sa croisade tout en ayant une vision « détective », qui manque cruellement à l’ensemble des comics sur le Chevalier Noir (et à ses adaptations à l’écran), ainsi qu’un bon « code d’honneur », malgré quelques tournures (justifiées) sur la vengeance. Bref, là aussi impossible de ne pas penser au futur long-métrage à venir.

La bande dessinée est parfois bavarde, l’ensemble est dense lors des phases d’enquête notamment, mais elle sait parfaitement les alterner avec des séquences quasi mutiques niveau action et infiltration (voire d’émotions). C’est là aussi un autre point fort du titre : un parfait équilibre pour garder un rythme haletant sans s’éparpiller dans des textes complexes ou au détriment des scènes de contemplation. Il faut dire qu’Andrea Sorrentino régale les rétines à chaque planche. Les amoureux du dessinateur et son style atypique vont être servis !

Comme on l’évoquait dans la critique de Joker : Killer Smile, Andrea Sorrentino avait déjà sublimé les aventures de Green Arrow dans l’excellent run de la période New 52 (disponible en deux tomes intégrales) qu’il signait conjointement avec Jeff Lemire. Chez Marvel, on retrouvait aussi les compères sur Wolverine dans la très bonne série Old Man Logan période post Secret Wars. Des titres qu’on recommande chaudement en complément de Gideon Falls, création indépendante disponible chez Urban Comics.

Dans Batman Imposter, Sorrentino est au sommet de son art : il délivre habilement ses cases et planches avec une approche inédite, une construction hors-norme qui va parfois dans tous les sens sans jamais perdre son lecteur (cf. nombreuses images en fin de cette critique). Ses traits réalistes, aussi bien pour les protagonistes que pour les déambulations nocturnes et urbaines, sont magnifiés par la colorisation de Jordie Bellaire (qui œuvrait déjà avec lui sur Joker : Killer Smile mais aussi sur des chapitres de Batman et Detective Comics, comme les deux excellents premiers tomes de Joker War ou encore sur The Dark Knight Returns – The Golden Child ; elle est par ailleurs scénariste du reboot en comics de Buffy contre les vampires, qu’on conseille également).

Les pleine planches de la patte si singulière de Sorrentino couplées aux tons sombres, souvent nappées d’écarlate, le tout dans une veine ultra réaliste, parfois d’une froideur sans nom, et dotées subtilement d’une pointe d’émotion sont simplement parfaites. Il n’y a rien à redire (si on est emporté par ce style, évidemment mais difficile de faire la fine bouche).

En synthèse, Batman Imposter coche toutes les cases de la bande dessinée exigeante, passionnante, accessible, originale et pour un prix tout à fait correct (18€). On aurait tort de s’en priver ; on prend le pari que dans très peu de temps elle sera dans toutes les listes des comics Batman incontournables et cultes ! Seule une partie de sa conclusion pourrait décevoir le lecteur suite à ses attentes mais globalement l’œuvre tient la route et pourra être analysée à travers plusieurs prismes.

Comme souvent dans des coups d’éclats du genre, une suite pourrait arriver (elle n’est pas prévue à date) mais The Dark Knight Returns et Batman – White Knight, par exemple, ont eu quelques héritiers – moins inspirés… À suivre dans quelques années donc. D’un côté on ne voudrait pas « toucher au sacré », d’un autre on apprécierait en savoir davantage sur la psyché de ce Wayne et de retrouver les nouvelles têtes créées spécialement pour ce titre, à commencer par la charismatique Blair Wong. Dans tous les cas : un achat indispensable (qui donne encore plus envie de découvrir le film The Batman si vraiment le comic a servi d’une des matrices pour sa conception) !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 février 2022

Scénario : Mattson Tomlin
Dessin : Andrea Sorrentino
Couleur : Jordie Bellaire

Traduction : Yann Graf
Lettrage : Éric Montesinos

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