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Batman Detective Infinite – Tome 01 : Visions de violence

La scénariste Mariko Tamaki propose une série sur le Chevalier Noir en quatre volumes. Celle-ci se déroule après les évènements de Joker War mais aussi en parallèle de Batman Infinite ; pour autant elle reste accessible. Elle s’intègre aussi plus ou moins comme la continuité de Batman Detective (en sept tomes) puisqu’il s’agit « simplement » de la série US Detective Comics (à partir de son chapitre #1034). Découverte d’un récit prometteur.

[Résumé de l’éditeur]
Lorsque sa fille est tuée au cours de la vague de crimes qui s’abat sur Gotham City, Roland Worth, une montagne de muscles et d’argent de deux mètres de haut, se lance dans une quête personnelle de vengeance contre Batman, responsable présumé de ce chaos. Victime d’une machination savamment orchestrée, le Chevalier Noir désargenté ne pourra compter que sur son intelligence et le peu d’équipement qui lui reste…

[Début de l’histoire]
Tandis que le maire Nakano présente sa « vision pour Gotham » à l’hôtel de ville, les Trouble-Fête attaquent les citoyens présents à cette cérémonie. Bruce Wayne y étant, il se change en Batman et affronte cette menace peu dangereuse avant de continuer les travaux dans les égouts où il établit ses Bat-Caves.

Il rejoint ensuite son quartier résidentiel où une voisine un peu encombrante le met mal à l’aise.

Plus tard, Sarah Worth est retrouvée morte. Son père Roland Worth compte bien s’en prendre à Batman accusé de ce crime !

En parallèle, Bruce Wayne est lui aussi suspecté d’activités suspectes. L’ancien milliardaire et son alter ego justicier sont tous deux recherchés. L’aide d’Huntress ne sera pas de trop pour comprendre ce qui se trame dans la ville et qui tire les ficelles dans l’ombre…

[Critique]
Voilà une (fausse) relance de série plutôt intéressante malgré des défauts d’écriture. Visions de violence conjure un peu trop d’éléments narratifs maladroitement équilibrés mais dont l’ensemble demeure à peu près pertinent – bien aidé par un support visuel alléchant (on y reviendra). Ce premier volume (sur quatre) contient dix épisodes et quelques back-ups répartis ici et là (et pas clairement annoncés). C’est donc un épais ouvrage (près de 300 pages) dans lequel on retrouve un statu-quo déjà connu mais jusqu’ici peu exploité : Bruce Wayne habite désormais dans un quartier résidentiel (comprendre plutôt bourgeois). Dépourvu de sa fortune (suite aux évènements de Joker War), de son majordome (tué à la fin de Batman Rebirth), de son manoir, de ses contacts au GCPD (Gordon est parti poursuivre le Joker – cf. Joker Infinite) l’ancien milliardaire doit faire au mieux et se conçoit des Batcaves dans les égouts de la Gotham City.

Sur le papier c’est alléchant, dans les faits, ça ne change « pas plus que ça » le personnage : il ne semble pas manquer de ressources (financières donc) pour armer ses cachettes d’ordinateurs ou « banalement » pour subvenir aux besoins du quotidien (se nourrir, avoir un toit, etc.). L’approche un peu inédite est l’obligation de se mêler au voisinage et de montrer un Wayne en civil autant voire davantage qu’un Batman en costume. Ce point est toujours plaisant car peu mis en avant dans les comics (surtout les récents).

Néanmoins, cet opus de Batman Detective Infinite gère maladroitement « sa menace ». Le tableau est vite compréhensible : il y a une sorte de parasite qui prend possession d’humains ou les rend monstrueux. Cela est montré par petites touches du registre horrifique, c’est plutôt réussi à défaut d’être surprenant. La gestion des genres reste bien dosée malgré tout : l’investigation « urbaine » fonctionne, en binôme avec Huntress (on en parle plus loin) et l’atmosphère assez « politique » de l’ensemble convainc.

En revanche, au-delà de cet « ennemi », trois antagonistes se démarques. Celui qui détient le fameux parasite (très vite identifiable et assez en retrait), Roland Worth, un homme bourru et violent et Le Pingouin. Les deux premiers sont de parfaits inconnus dans la mythologie de Batman et Worth est vraiment un cliché ambulant. Un impulsif qui ne semble pas trop réfléchir et a une certaine « aura » auprès de personnalités importantes (notamment le maire Nakano) alors qu’on ne l’avait jamais vu avant… Le Pingouin opère dans l’ombre, fidèle à lui-même et visiblement vexé de ne plus être un vilain d’envergure comme à une époque.

Il y a des situations inédites qui sont appréciables (Wayne en garde à vue, la corruption très présente au sein du GCPD, la croisade de Nakano, etc.) mais qui sont toujours un peu « effleurées » alors qu’elles pourraient donner de grandes choses. On repart vite avec un Batman puissant et agile au détriment d’axer la condition plus « humaine », quasiment « citoyenne » de Wayne, bien plus passionnante d’une certaine manière. Mariko Tomaki a peu de bagages chez DC Comics : Harley Quinn – Breaking Glass (premier volet de la collection Urban Link désormais arrêtée) et le très moyen One Bad Day – Double Face (écrit après) qui se déroule dans ce même univers – citons sa BD récompensée, Cet été-là. Son travail est tout à fait correct pour ces débuts mais on espère une amélioration pour la suite.

Si Oracle est toujours présente pour filer un coup de main à distance, c’est Huntress qui devient la binôme de Wayne. Pourquoi elle ? Aucune idée, il n’y a pas vraiment de raison cohérente (ça aurait très bien pu être un ou une autre allié(e) – malgré les passifs avec certain(e)s). Huntress apporte une sorte d’énergie appréciable et un capital sympathie non négligeable. Le duo fait mouche à plusieurs reprises (surtout dans sa dernière ligne droite), à défaut d’être plus singulier ou audacieux.

Heureusement, les superbes planches tirent le titre vers le haut. Dan Mora signe la majorité de l’album avec son style élégant, ses traits fins, visages expressifs et action dynamique et fluide, à mi-chemin entre l’héritage de Jim Lee (Silence) et la patte de Jorge Jimenez (Batman Infinite), lorgnant aussi vers Greg Capullo (Batman) dans les visages non masqués notamment. À admirer dans les illustrations de cette critique et à la fin notamment.

Viktor Bogdanovic le remplace de temps en temps : plus abrupt, moins enlevé et épique mais graphiquement cohérent. On retrouve un peu la patte de Capullo aussi par moment (toujours sur ces fameux visages). La colorisation de Jordie Bellaire (Joker War – Tome 2, Batman Imposter, One Bad Day – Double Face…) ajoute une dimension chromatique de haute volée, alternant la dimension « urbaine » (déjà évoquée) et de comics « haut de gamme » avec quelques couleurs bien dosées (le violet d’Huntress ne dénote pas trop par exemple).

En synthèse, l’histoire principale est assez passionnante mais parfois trop étirée, s’attarde sur des éléments moins intéressants que d’autres qui l’auraient mérités. La fiction est desservie par un ou deux protagonistes mais s’en tire quand même bien. De nombreux interludes enrichissent l’univers, étrangement ajoutés en fin de chapitre sans être introduits (il n’étaient pas inclus dans les versions publiés dans Batman Infinite Bimestriel). Ils dénotent un peu avec le reste (aussi bien visuellement que rythmiquement). Un consacré à Huntress (dessiné par Clayton Henry), un autre sur Le Pingouin (Karl Mostert) et un ultime sur un personnage secondaire mais nécessaire (à priori par T.Rex et David Lapham).

Ces débuts imparfaits sont malgré tout prometteurs si Tamaki met en exergue les bons points de ce volume dans les prochains (on apprécie aussi ses mentions aux violences conjugales par exemple, assez rares dans le médium) tout en gommant ou améliorant les plus faibles (s’éloigner des menaces pour se concentrer sur « le quotidien » inédit de Bruce et les habitants de Gotham — dont la pétillante Deb Donovan). À noter, les superbes couvertures variantes de Lee Bermejo présentes en fin d’ouvrage.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 04 mars 2022.
Également publié dans Batman Infinite Bimestriel #1 à #3.
Contient : Detective Comics #1034-1042 + Batman Secret Files : Huntress #1

Scénario : Mariko Tamaki
Dessin & encrage : Dan Mora, Viktor Bogdanovic, Clayton Henry, Karl Mostert, T.Rex, David Lapham
Couleur : Jordie Bellaire, Simon Gough, Trish Mulvihill

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : MAKMA (Sabine Maddin, Sébastien Scalisi et Stephan Boschat)

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Batman – One Bad Day : Double-Face

Second opus (sur huit, cf. index) de la gamme One Bad Day (après celui consacré au Sphinx), que vaut celui sur Double-Face ?

[Résumé de l’éditeur]
Si Harvey Dent n’avait pas été défiguré à l’acide, peut-être aurait-il pu continuer à œuvrer du côté de la loi en tant que procureur. Peut-être serait-il resté l’allié de Batman, aux côtés de Jim Gordon… Quoi qu’il en soit, Harvey Dent est aujourd’hui libre, apparemment débarrassé de sa double-personnalité criminelle. Mais lorsque son père de 88 ans est menacé, l’ancien monstre de foire menace de réapparaître. Tout se jouera à pile ou face.

[Début de l’histoire]
Harvey Dent semblé guéri et souhaite une seconde chance. Le maire de Gotham, Nakano, n’est pas très enclin mais accepte d’aider l’ancien procureur.

Quand Dent fait appel à Batman pour enquêter sur des menaces envers le père d’Harvey, l’entourage du Chevalier Noir lui rappelle les multiples problèmes et blessures liées à Double-Face

[Critique]
Un bon titre (court, 64 pages comme à chaque fois) sur Double-Face mais le concept du « One Bad Day » inexistant. Voilà qui résume assez bien l’œuvre. En effet, cette collection est censée montrer « le mauvais jour », celui où un vilain mythique a basculé pour embrasser pleinement sa voie maléfique (à l’instar de Killing Joke et du volume sur le Sphinx). Ce n’est absolument pas le cas ici, ce One Bad Day : Double-Face s’inscrit d’ailleurs dans la continuité des séries Batman (Infinite notamment). Le maire Nakano est présent, il y est fait mention du No Man’s Land, Batgirl est actuellement Stephanie Brown, Cassandra Cain (Orphan) est alliée au Chevalier Noir également et ainsi de suite.

Il peut être donc difficile (toutes proportions gardées) d’aborder ce récit complet comme tel même s’il reste accessible (car il ne faut pas s’attendre à banalement Batman contre Double-Face (ou Harvey Dent), il y a le background autour). Une fois ce statu quo acté, que reste-t-il de l’aventure ? Et bien une proposition graphique honorable, un rythme efficace, une intrigue pas très originale mais qui fonctionne pour ce qu’elle a à présenter, c’est-à-dire une énième variation de la vraie-fausse rédemption de Double-Face. Un sentiment de déjà-vu ? Assurément pour les lecteurs de longue date. Indispensable ? Absolument pas, au contraire (surtout pour le prix, 15 €).

Mariko Tamaki signe donc un scénario convenu, elle était plus inspirée pour son chouette roman graphique Harley Quinn – Breaking Glass (premier volet de la collection Urban Link désormais arrêtée) – et une BD récompensée, Cet été-là. Elle travaille aussi, entre autres, sur la série Batman Detective Comics Infinite (c’est probablement pour cela qu’elle a inscrit son récit dans cette continuité). Reste les dessins (et l’encrage) de Javier Fernandez (vu en grande partie sur la série Nighwing Rebirth) couplé à la colorisation de Jordie Bellaire (en petite forme). En résulte des planches sympathiques, dénotant avec les habituels comics, quelques compositions donnent une vague impression de bande dessinée un peu indépendante.

Comme souvent dans ce genre de cas, à part les amoureux de Double-Face, les autres n’y trouveront probablement par leur compte. Ce One Bad Day aurait très bien pu être un épisode annual de la série Batman ou Detective Comics que ça n’aurait pas changer grand chose. On apprécie donc un rythme efficace, un début narratif plutôt solide et des planches globalement agréables. Hélas, c’est à peu près tout. Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas non plus très bon. Ça ne correspond pas vraiment à la « promesse éditoriale » (pour ceux qui la connaissent en tout cas) et ça revient un peu cher pour ce que c’est…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 7 avril 2023.
Contient : Batman – One Bad Day : Two-Face 

Scénario : Mariko Tamaki
Dessin & encrage : Javier Fernandez
Couleur : Jordie Bellaire

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Studio Myrtille (Christophe Semal)

Acheter sur amazon.frBatman – One Bad Day : Double-Face (15 €)




Batman Imposter

Scénarisé par Mattson Tomlin, qui a brièvement participé à l’écriture du film The Batman, dessiné par le talentueux Andrea Sorrentino (Joker – Killer Smile), publié dans le prestigieux Black Label, proposé en France le 25 février 2022, soit très rapidement après sa sortie US (dernier trimestre 2021) et dans deux deux éditions (une classique et une limitée en vente exclusivement chez Leclerc), que vaut Batman Imposter, récit complet en trois chapitres dont les couvertures variantes sont signées par le célèbre Lee Bermejo (Joker) ? Découverte et critique d’un titre qui risque de devenir rapidement culte ! Explications.

(La couverture à gauche est la régulière, à droite la limitée en vente chez Leclerc.)

[Résumé de l’éditeur]
Cela fait trois ans que Bruce Wayne a endossé le costume de Batman afin de faire de Gotham une ville plus sûre et moins corrompue. À force de sacrifices et de persévérance, il a presque atteint son but. Mais quand un imposteur adopte son déguisement afin d’assassiner d’anciens criminels, c’est toute la police de Gotham qui se met à ses trousses, notamment l’inspectrice Blair Wong, déterminée à découvrir la véritable identité du justicier !

« Si la présence de Batman impacte à ce point l’économie de la ville… alors c’est un angle d’attaque inédit qui mérite d’être exploré. Un gars dans un costume de chauve-souris qui tabasse les criminels… ça m’a toujours semblé un peu gros à avaler. En revanche, s’il s’agit d’une mascarade visant à dissimuler une sorte d’espionnage industriel… […] Qui a perdu le plus depuis l’apparition de Batman ? Qui a gagné le plus ? »

[Histoire]
Leslie Thompkins secoure et soigne Batman après une nuit agitée. La psychothérapeute se remémore quand elle a pris le jeune Bruce sous son aile et ce qu’il a enduré. Elle le met en garde : le milliardaire doit honorer ses rendez-vous psy avec elle sinon elle le dénoncera.

De son côté, le citoyen philanthrope Wesker sollicite l’inspectrice Blair Wong. Wesker soupçonne un de ses employés éphémères d’être Batman.

Le GCPD reçoit une vidéo montrant Batman tuer trois anciens pensionnaires de Blackgate condamnées pour assassinat. Si certains policiers sont favorables à cette forme de « justice » radicale, il n’en est pas de même pour le chef du département qui ordonne de traquer et ramener l’homme chauve-souris, désormais criminel et meurtrier.

Le Chevalier Noir doit enquêter sur cet imposteur, tandis que Wong reprend les indices qui mèneraient à l’identité de Batman. À commencer par une grande fortune obligatoire pour être équipée aussi puissamment pour un justicier…

[Critique]
Chef-d’œuvre. On tient une pépite !
C’est devenu tellement rare dans les comics Batman d’avoir un récit complet qui se suffit à lui-même, qui va ravir aussi bien les nouveaux venus que les fans de longue date que le titre rejoint carrément la courte liste des incontournables (pas un coup de cœur, carrément un indispensable !). Dans quelques années, Batman Imposter sera considéré comme un classique, c’est indéniable. Il regorge de qualités, c’est du grand art ! Comme il s’agit d’un elseworld (comme la très bonne trilogie Batman – Terre Un), pas besoin de connaître la continuité « classique » du personnage, celui-ci prend place dans un monde qu’on peut qualifier « d’alternatif », le temps de découvrir cette histoire. Aucun pré-requis n’est donc nécessaire pour se plonger dedans !

L’histoire est évoquée plus haut, concept « simple » mais hyper efficace : un imposteur tue en se drapant du costume du Chevalier Noir. Double-enquête : d’un côté le GCPD qui veut arrêter ce Batman persuadé qu’il s’agit du même justicier déjà connu depuis trois ans, d’un autre côté Bruce Wayne qui cherche bien sûr à mettre la main sur son double meurtrier. Autour de lui, deux femmes importantes : Leslie Thompkins (ici femme noire de la cinquantaine) avec qui il suit une thérapie, échange sur ses doutes constants et son « mal-être », Blair Wong, inspectrice qui traque évidemment l’homme chauve-souris mais s’éprend de Bruce Wayne. Toutes deux forment un point d’ancrage important pour l’évolution de notre héros sans pour autant être de banales « faire-valoir féminins ».

Au-delà des drames et douleurs du quotidien, le récit gagne en nuance quant à l’interrogation de l’auto-justice (vigilantism) et, surtout, le cheminement du mystère sur l’identité du fameux imposteur. Tout est très plausible, écrit intelligemment. Deux exemples concrets. Wong estime à juste titre que Batman (le vrai et/ou le copycat) a forcément accès à des ressources économiques élevées et probablement une formation militaire. Ses pistes l’amènent légitimement vers Bruce Wayne (ce qui, aussi surréaliste qu’il puisse paraître, est rarement le cas dans l’ensemble des productions sur le Chevalier Noir). Mais cela permet d’aider le lecteur à savoir aussi qui se cache sous le masque de l’imposteur. Autre point intéressant : un vaste réseau souterrain utilisé pour par le justicier pour se déplacer rapidement, en moto notamment, et à l’abri des regards. Mais d’où proviennent ces véhicules ? Les motos sont dans les nombreuses rue de Gotham, sans plaques d’immatriculation, plus ou moins cachées, prêtes à servir à n’importe quel moment. Pourtant elles n’ont pas été déclarées volées. Donc sont-elles… achetées ?

C’est ce genre de réflexions qui sont mises en avant dans la partie thriller de l’œuvre ; c’est passionnant et extrêmement bien rédigé par le jeune et nouveau venu Mattson Tomlin, né en… juillet 1990 ! Ce scénariste a d’ailleurs participé à l’écriture du film The Batman de Matt Reeves (même s’il n’est pas crédité en tant que tel, cela a été confirmé dès 2019). Cela se ressent grâce au look de Bruce Wayne, calqué sur l’acteur Robert Pattinson, ainsi que le costume du Dark Knight, proche de celui des images dévoilées. Même si, majoritairement, son visage reste dans l’ombre. Le réalisateur a d’ailleurs évoqué Batman Imposter comme un des sept comics servant d’inspiration pour son long-métrage (même si, factuellement, la bande dessinée a été publié durant la post-production du film, il est aisé d’imaginer que Tomlin a travaillé de concret avec Reeves en injectant « sa patte »). Mais nous reviendrons sur ce sujet quand The Batman sera sorti au cinéma !

Dans Batman Imposter, il y a peu de figures familières de la mythologie du Caped Crusader. Alfred est aperçu en flash-back (il a démissionné de son rôle très tôt face à la colère quotidienne et la violence continue du jeune Bruce). Seuls deux ennemis de seconde voire troisième zone sont croqués. Arnold Wesker, alias le Ventriloque, et Otis Flannegan, alias Ratcatcher. Pas de costumes ou affrontements ici, les deux hommes interviennent rarement et ne sont pas « méchants » (ce sont des rôles très très secondaires), la narration pousse à l’empathie et leur sort est particulièrement bien écrit, en particulier le premier, qui renoue avec l’ADN pur de Batman : l’altruisme et l’humanisme (rappelant aussi le décrié Trois Jokers dont la conclusion mettait bien en avant cet aspect du justicier).

De même, on insiste lourdement sur la règle primordiale du justicier : il ne tue pas. Est-ce un pied-de-nez aux adaptations plus ou moins récentes montrant un Batman « grim and gritty » parfois clivant (le Grim Knight dans Le Batman qui Rit en comic book, le Batfleck de Batman v Superman au cinéma, etc.) ? On ne sait pas trop mais ça fonctionne. On voit un Batman très impliqué dans sa croisade tout en ayant une vision « détective », qui manque cruellement à l’ensemble des comics sur le Chevalier Noir (et à ses adaptations à l’écran), ainsi qu’un bon « code d’honneur », malgré quelques tournures (justifiées) sur la vengeance. Bref, là aussi impossible de ne pas penser au futur long-métrage à venir.

La bande dessinée est parfois bavarde, l’ensemble est dense lors des phases d’enquête notamment, mais elle sait parfaitement les alterner avec des séquences quasi mutiques niveau action et infiltration (voire d’émotions). C’est là aussi un autre point fort du titre : un parfait équilibre pour garder un rythme haletant sans s’éparpiller dans des textes complexes ou au détriment des scènes de contemplation. Il faut dire qu’Andrea Sorrentino régale les rétines à chaque planche. Les amoureux du dessinateur et son style atypique vont être servis !

Comme on l’évoquait dans la critique de Joker : Killer Smile, Andrea Sorrentino avait déjà sublimé les aventures de Green Arrow dans l’excellent run de la période New 52 (disponible en deux tomes intégrales) qu’il signait conjointement avec Jeff Lemire. Chez Marvel, on retrouvait aussi les compères sur Wolverine dans la très bonne série Old Man Logan période post Secret Wars. Des titres qu’on recommande chaudement en complément de Gideon Falls, création indépendante disponible chez Urban Comics.

Dans Batman Imposter, Sorrentino est au sommet de son art : il délivre habilement ses cases et planches avec une approche inédite, une construction hors-norme qui va parfois dans tous les sens sans jamais perdre son lecteur (cf. nombreuses images en fin de cette critique). Ses traits réalistes, aussi bien pour les protagonistes que pour les déambulations nocturnes et urbaines, sont magnifiés par la colorisation de Jordie Bellaire (qui œuvrait déjà avec lui sur Joker : Killer Smile mais aussi sur des chapitres de Batman et Detective Comics, comme les deux excellents premiers tomes de Joker War ou encore sur The Dark Knight Returns – The Golden Child ; elle est par ailleurs scénariste du reboot en comics de Buffy contre les vampires, qu’on conseille également).

Les pleine planches de la patte si singulière de Sorrentino couplées aux tons sombres, souvent nappées d’écarlate, le tout dans une veine ultra réaliste, parfois d’une froideur sans nom, et dotées subtilement d’une pointe d’émotion sont simplement parfaites. Il n’y a rien à redire (si on est emporté par ce style, évidemment mais difficile de faire la fine bouche).

En synthèse, Batman Imposter coche toutes les cases de la bande dessinée exigeante, passionnante, accessible, originale et pour un prix tout à fait correct (18€). On aurait tort de s’en priver ; on prend le pari que dans très peu de temps elle sera dans toutes les listes des comics Batman incontournables et cultes ! Seule une partie de sa conclusion pourrait décevoir le lecteur suite à ses attentes mais globalement l’œuvre tient la route et pourra être analysée à travers plusieurs prismes.

Comme souvent dans des coups d’éclats du genre, une suite pourrait arriver (elle n’est pas prévue à date) mais The Dark Knight Returns et Batman – White Knight, par exemple, ont eu quelques héritiers – moins inspirés… À suivre dans quelques années donc. D’un côté on ne voudrait pas « toucher au sacré », d’un autre on apprécierait en savoir davantage sur la psyché de ce Wayne et de retrouver les nouvelles têtes créées spécialement pour ce titre, à commencer par la charismatique Blair Wong. Dans tous les cas : un achat indispensable (qui donne encore plus envie de découvrir le film The Batman si vraiment le comic a servi d’une des matrices pour sa conception) !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 février 2022

Scénario : Mattson Tomlin
Dessin : Andrea Sorrentino
Couleur : Jordie Bellaire

Traduction : Yann Graf
Lettrage : Éric Montesinos

Acheter sur amazon.fr : Batman Imposter (18€)