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Batman/Catwoman

Publié au sein du Black Label (qui permet aux auteurs de sortir de la complexe chronologie du Chevalier Noir), le titre Batman/Catwoman est écrit par Tom King, à l’œuvre de la très longue série Batman Rebirth où le couple entre Bruce et Selina occupait déjà une place importante. À mi-chemin entre la « suite » de son run et une œuvre parallèle, Batman/Catwoman est séduisant par bien des aspects mais se vautre de temps en temps. Critique d’un one-shot qui s’ouvre sur… la mort du Chevalier Noir (déjà publié dans À la vie, à la mort).

[Résumé de l’éditeur]
Batman et Catwoman se sont rencontrés, sont tombés amoureux et ont eu une vie heureuse. À la mort de Batman, Catwoman règle les derniers comptes d’une vie passée à évoluer entre les ombres. Son compagnon disparu, elle a désormais toute latitude pour rendre visite, une dernière fois, à une vieille connaissance à l’humour douteux…

[Début de l’histoire]
Voir critique d’À la vie, à la mort.

[Critique]
Voilà une bande dessinée touchante et singulière, à réserver en priorité aux fans de Catwoman (ça aurait pu/du s’appeler simplement Catwoman, la mention de Batman n’est pas pertinente) et/ou à ceux qui avaient aimé le travail de Tom King (qui sera une fois de plus clivant) sur le mythique couple, ainsi qu’aux lecteurs souhaitant voir ce qu’est devenue Andrea Beaumont, personnage principal et inoubliable de l’excellent film Batman contre Fantôme Masqué (Mask of the Phantasm) – qui n’avait jamais réellement eu droit à une présence dans les comics (ni à une « suite »), à l’inverse d’Harley Quinn.

Batman/Catwoman prolonge dans un futur lointain ce qu’avait proposé le scénariste dans À la vie, à la mort, comprendre : Bruce Wayne est mort, Selina est une veuve fortunée, sa fille Helena (née de son union avec Bruce bien sûr) a pris la relève pour protéger Gotham en tant que Batwoman (et Dick Grayson est devenu le commissaire du GCPD). Passé ce constat, Selina retrouve le Joker et le tue une bonne fois pour toute… Sa vie se poursuit, entremêlée de nombreux souvenirs et, notamment, d’une filature complexe de l’époque où elle était avec Batman. Tous deux couraient après le Fantôme Masqué (alias Andrea Beaumont), elle-même poursuivant le Joker (n’en dévoilons pas davantage).

On navigue donc entre le passé et le présent (ce dernier étant donc un futur hypothétique) où Selina croise d’anciennes figures alliées ou ennemies. La fiction bénéficie d’un double fil rouge narratif (et d’une double voire triple temporalité) qui la rend palpitante. D’un côté l’évolution des protagonistes après la mort de Bruce/Batman, d’un autre l’enquête du Chevalier Noir et de la Femme Féline sur un enfant disparu, le tout entrecoupé donc par le Joker et le Fantôme Masqué et, surtout, les aléas de la vie de couple de Bruce et Selina. C’était l’un des points forts de la série Batman Rebirth (dont on retrouve quelques « extensions » ici comme la sortie entre couple avec Lois et Clark) : l’écriture si « juste » sur l’amour entre ce couple mythique. Pas besoin d’ailleurs de connaître ou avoir lu Batman Rebirth pour apprécier la BD comme un récit complet.

Tom King poursuit donc son travail et si le lecteur l’avait déjà aimé, pas de raisons qu’il n’accroche pas davantage. Batman/Catwoman s’étale sur douze chapitres, tous titrés par le nom d’une chanson (on y reviendra). Le récit s’ouvre sur un épisode à part (Batman annual #2) déjà publié (À la vie, à la mort donc) qui offre une solide introduction et contextualisation pour ceux qui ne l’avaient pas découvert auparavant. Une fois achevée, l’histoire est enrichie de trois chapitres spéciaux : Interlude, Helena et Héritage (ce dernier déjà publié dans Batman Bimestriel #13 et le cinquième et dernier tome de Batman : Detective sous le titre Histoire de fantômes). Tous proviennent de différentes séries ou publications inédites. Ces segments s’attardent sur différents moments de la vie de Selena, principalement son enfance et son parcours de voleuse, son idylle avec Bruce, sa grossesse, etc. Helena apparaît surtout quand elle fait ses premiers pas comme héroïne. Bruce est lui aux prises avec Dr Phosphorus.

En synthèse, le volume frôle les quatre cent cinquante pages mais n’est jamais indigeste, au contraire (sans oublier les traditionnels bonus : couvertures alternatives, recherches et un texte hommage à John Paul Leon (décédé en 2021 – il avait dessiné une toute petite partie d’Interlude – et est surtout connu pour l’atypique Créature de la nuit). La lecture a beau être aisée et globalement passionnante, elle n’en demeure pas moins « pénible » à plusieurs égards. Tout d’abord, l’omniprésence de chansons de Noël tout au long de la bande dessinée. Leurs titres sont aussi ceux des chapitres et leurs paroles (en anglais) occupent une certaine place en début de chaque épisode… Problème : en France la plupart de ces morceaux ne sont pas connus donc impossible de les « lire » avec leur air musical en tête ou – éventuellement – d’en saisir un double sens dans le texte. Cela gâche un peu l’immersion…

Ensuite, autre élément un peu pénible en lecture : les dialogues comportent beaucoup de mots vulgaires qui sont, comme toujours, écrit par des symboles (« Nom d’un @$@%@ », « Tout ça, c’est un @%@% de mensonge ?! »…). C’est la même chose en version originelle et peut-être qu’Urban n’a pas le droit de proposer un mot écrit alphabétiquement et donc « normalement » à la place mais c’est vite gonflant car passé le premier tiers du livre, ça prend une proportion hallucinante (presque un par planche !). Entendons-nous bien, la problématique n’est pas d’usiter d’insultes ou termes trop familiers, mais d’en utiliser trop (le cas ici, cela manque d’une certaine fluidité et d’un « son de lecture» peu agréable) et de ne pas les nommer directement.

C’est certes un détail mais c’est un peu dommage. Pour pinailler, évoquons la non lisibilité des titres des chapitres quand ils sont écrit pile au milieu de la double page qui coupe chaque épisode. Impossible d’ouvrir davantage le livre sans l’abîmer sinon. Encore une fois : ce n’est foncièrement pas grave non plus. Les seuls « vrais » défauts de Batman/Catwoman relèvent d’une certaine autre subjectivité. L’écriture autour de Selina rend de temps en temps (souvent ?) le personnage assez antipathique… C’est peut-être voulue, ou bien c’est une impression sommaire. Heureusement, la femme (dans ses jeunes années ou lorsqu’elle est âgée) est aussi (souvent ?) touchante et sonne « juste ». C’est donc probablement fait exprès mais c’est spécial… On fermera les yeux sur les capacités physiques hors-norme pour une personne qui a probablement soixante-dix ans voire davantage (sans parler du costume ridicule le temps de quelques cases).

Enfin, second élément qui fait tâche : les dessins de Clay Mann autour des femmes. L’artiste est brillant et signe ici l’une de ses meilleures œuvres (on en parle plus loin) mais – comme toujours – il ne peut s’empêcher de montrer ses corps féminins dans des postures sexuées, des tenues aguichantes, des poitrines et fessiers en avant, des costumes très moulants, etc. Si parfois ça fonctionne et fait presque sens pour la narration (Catwoman qui tourne autour de Batman, le couple qui fait l’amour…), trop souvent c’est complètement gratuit et semble relever de fantasmes adolescents… Un problème déjà soulevé (avec une analyse plus poussée qu’ici) dans Heroes in Crisis – également écrit par Tom King. Quand Mann est remplacé par Liam Sharp, ce dernier tombe également dans cette facilité mais à de rares occasion.

Même si l’on s’attarde sur ces quelques défauts (non négligeables certes), Batman/Catwoman reste une œuvre plutôt singulière dans le genre qu’on recommande (comme dit : surtout pour les amoureux de Selina et des travaux de King). Le titre offre également enfin une place de choix au Fantôme Masqué (il n’est pas obligatoire de connaître le film animé éponyme mais cela facilite grandement la compréhension). Curieusement, Andrea Beaumont n’avait jamais bénéficié d’une « seconde vie » en comics, c’est désormais le cas. Rien que pour cela il ne faut pas faire l’impasse sur Batman/Catwoman !

Difficile de détailler davantage le contenu de cette longue aventure sans gâcher un certain plaisir de découverte. Les dialogues fusent, les allers et retours entre les différentes époques également, sans qu’on s’y perde. Là-dessus, la BD est remarquable et offre une passionnante plongée au cœur d’une relation compliquée entre les convictions de chacun et les sacrifices nécessaires dans un couple. La difficulté de retrouver une certaine liberté et la quête d’un bonheur (utopique ?). C’est dans ces moments-là qu’excelle Tom King, quand il met à nu et tente de rendre plausible la réalité d’un couple fictif mais iconique et ancrée dans l’ère du temps, sans jamais dénaturer leur ADN (sauf, peut-être, Selina une fois âgée).

Graphiquement, Lee Weeks et Michael Lark signent À la vie, à la mort, une fois de plus se référer à la critique dédiée pour découvrir les illustrations et le style épuré qui convenait à merveille à l’histoire. Clay Mann s’occupe ensuite de neuf chapitres sur douze. L’artiste excelle à tous points de vue, conférant de magnifiques compositions, nocturnes ou diurnes, surtout durant les séquences dans le passé, dans Gotham entre autres. Si on met de côté les problèmes corporels féminins évoqués plus haut, l’ensemble est sublime, les traits sont fins, élégants et très précis, bien aidés par la colorisation sans faille de Tomeu Morey.

L’atmosphère froide et souvent austère qu’il se dégage jongle avec la chaleur de l’intérieur (dans le Manoir Wayne par exemple) et tire la cohérence graphique vers le haut. Liam Sharp intervient le trois de trois épisodes (sept, huit et neuf) dans un style moins conventionnel, un subtil mélange rappelant Dave McKean (L’Asile d’Arkham…), Sam Kieth (Batman : Secrets…) ou carrément Bill Sienkiewicz (qui a signé une couverture alternative). Visuellement, l’ensemble est donc majoritairement somptueux (cf. les illustrations de cette critique, près de quarante images avaient été sélectionnées initialement, difficile de choisir !).

La distribution est complétée pour les autres épisodes bonus par John Paul Leon, Bernard Chang et Mitch Gerads (Interlude – qui aurait du être placé en dernier tant sa conclusion est« parfaite » pour définitivement refermer cet univers), Michael Larks (À la vie, à la mort), Mikel Janin (Helena) et Walter Simonson (Héritage). En résulte des styles plus ou moins différents mais cohérents (à l’exception de Simonson).

Le titre a beau être imparfait, il s’intercale parfaitement comme une lecture divertissante ET de réflexion, dans un univers à la fois familier (le passé) et novateur (le « futur ») qu’on aimerait voir développé : comment Helena combat le crime ? La séduisante proposition graphique (imparfaite elle aussi comme évoquée plus haut) épouse brillamment le propos et permet à Batman/Catwoman de rejoindre les coups de cœur du site. Attention, l’épais ouvrage coûte tout de même 35 €, la fourchette haute des prix chez Urban… À feuilleter impérativement avant l’achat donc, et à ne pas prendre si on n’est pas très fan de Selina/Catwoman. Pour les autres, aucune raison de se priver de ce titre original dont quelques planches prennent aux tripes.

Pour l’anecdote, une édition limitée à 500 exemplaires avec une couverture de Jim Lee (loin d’être la meilleure, à la fois de l’artiste ou de celles de Batman/Catwoman) a été proposée sur la boutique Original Comics. Cela semble très étonnant vu le discours tenu par son fondateur envers l’industrie au global et, surtout, contre Urban Comics mais bon…

Ce qui est dommage c’est que les autres versions du livre (les « normales » donc) ont le logo d’Original Comics sur la page des des crédits à la fin. Ce n’est clairement pas grave (même si pas très sympathique pour les libraires indépendants) mais si vous connaissez un peu le milieu  du « comics game » et cette boutique, c’est agaçant.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 novembre 2022.
Contient : Batman/Catwoman #1-12 + Special + Annual #2 + Detective Comics #1027 + 80th Anniversary

Scénario : Tom King
Dessin : Clay Mann, Liam Sharp, Lee Weeks, John Paul Leon, Bernard Chang, Mitch Gerards, Michael Lark, Mikel Janin, Walter Simonson
Encrage additionnel : Shawn Crysal
Couleur : Tomeu Morey, Liam Sharp, Mitch Gerads, Dave Stewart, Elizabeth Breitweiser, June Chung, Jordie Bellaire, Laura Martin

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legrand, Coralline Charrier, Lorine Roy et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Batman/Catwoman (35 €)








 

Infinite Crisis – Tome 01 : Le projet O.M.A.C.

Après Crisis on Infinite Earths (1985-86) puis Crise d’identité (2004), la nouvelle « crise DC Comics » (cf. index) a été publiée en 2005-2006. En France, après une distribution un peu complexe par Panini Comics dès 2006, alternant kiosque et librairie, Urban Comics a proposé la série et ses nombreux titres annexes à partir de 2014 dans une saga en cinq volumes (Infinite Crisis donc) et une seconde en quatre tomes (52, constituée de la longue série éponyme qui se déroule après). Geoff Johns fut l’un des architectes de ce nouveau chamboulement avec en particulier Greg Rucka sur ce premier tome. Découverte d’un récit majeur et d’un crossover ambitieux ; incontournable ?

[Résumé de l’éditeur]
Quand Blue Beetle, justicier peu considéré par ses pairs de la Justice League, enquête sur la mise en faillite de sa compagnie, celui-ci découvre un complot visant à annihiler toute la population métahumaine de la planète. Pire, ce projet OMAC risque de porter un coup fatal aux liens unissant Superman, Wonder Woman et Batman, et de se répercuter sur l’ensemble des justiciers.

[Introduction d’Urban Comics]
Pour une meilleure compréhension, il convient de copier/coller l’introduction du premier tome proposée par Urban Comics (le résumé de l’éditeur est suffisant au demeurant car il revient déjà sur le début de l’histoire, c’est-à-dire l’épisode spécial Countdown to Infinite Crisis #1, renommé Compte à rebours en français. Le reste du volume est constitué de deux autres récits qui y font directement suite : la mini-série Le projet O.M.A.C. (OMAC Project #1-6) entrecoupée par Sacrifice, (compilant quatre chapitres principalement issus des séries sur Superman (Superman #219, Action Comics #829, Adventures of Superman #642) et Wonder Woman #219).

Aux quatre coins de l’univers…

Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Green Lantern… les nombreux super-héros de l’univers DC ont, depuis leur création, partagé des aventures communes, tout d’abord dans les pages d’All-Star Comics, au sein de la Société de Justicie, puis dans celles des séries World’s Finest (qui associait Superman et Batman), Justice League of America (la célèbre Ligue de Justice) ou The Brave and the Bold (où se succédaient différents tandems de héros). Au fil du temps et des évolutions éditoriales, ces récits d’alliances entre héros et vilains se sont faits plus riches et plus complexes, aboutissant à la création d’un véritable « univers DC » avec ses cités imaginaires, ses planètes extraterrestres et, surtout, son histoire, rythmée par les Crises (cf. index du site) que surmontèrent de concert l’ensemble de ces personnages.

En 2005, les scénaristes Geoff Johns, Judd Winick, Greg Rucka, Gail Simone, Dave Gibbons et Bill Willingham sont réunis sous la supervision éditoriale de Dan DiDio pour élaborer une vaste saga qui durera un an, se déroulera en plusieurs mini-séries et récits complets, et touchera l’ensemble des titres de la maison d’édition. Le récit, foisonnant, démarre le plus simplement du monde, par l’enquête d’un super-héros de second plan, Ted Kord dit Blue Beetle, qui découvre une machination visant la population surhumaine de la planète. Dans ce premier chapitre, narré en « compte à rebours », le lecteur explore, via l’enquête de Beetle, les méandres de l’univers DC : des bas-fonds des villes où se terrent les mystiques ou autres super-vilains, aux planètes lointaines où des armées de différents mondes se livrent une guerre sans merci.

Le fond de l’intrigue reste néanmoins résolument humain, et une  révélation dramatique va déclencher une prise de conscience au sein  de la trinité héroïque de Superman, Batman et Wonder Woman. Ces trois héros vont se retrouver face à leurs contradictions : la puissance de Superman, le code d’honneur de Wonder Woman  et l’esprit stratégique de Batman se retournant contre eux pour  devenir des armes aux mains d’ennemis mystérieux.

Les auteurs vont ainsi puiser dans l’histoire « post-Crisis » de DC Comics (après 1986 et la refonte de leur univers) les bases du confit qui va les animer. Les visions de Superman évoquent ainsi ses ennemis passés mais également son plus grand échec : quand il dut se résoudre à tuer trois Kryptoniens renégats d’une dimension parallèle. Wonder Woman, elle, garde tout son calme quand elle s’oppose à l’Homme d’Acier, mais cette confiance en soi inébranlable, héritage de son éducation amazone, la fera franchir une limite de façon irréversible. Quant à Batman, sa méfiance persistante envers ses équipiers va le conduire à l’irréparable, mettant en danger la vie même de ceux qu’il aime.
Enfin, la Ligue de Justice elle-même va devoir assumer ses exactions  passées : le lavage de cerveau du Dr Light et d’autres super-vilains,  suite à l’agression de leurs amie, Sue Dibny (voir Justice League – Crise d’identité).
Ce sont les doutes et les faiblesses de ces surhommes trop humains qui vont constituer le principal moteur de ces cinq tomes. Au terme de ceux-ci, les héros et leur univers se verront modifiés à jamais…

[Critique]
Ce premier tome d’Infinite Crisis réussit un sacré tour de force en brassant tous les genres (aventure, thriller, drame, science-fiction…) avec un rythme sans faille (on ne s’ennuie jamais) et de nombreux rebondissements (peu prévisibles) tout en mettant en avant une galerie de protagonistes assez vaste mais sans jamais perdre le lecteur – aussi bien fan de longue date que le nouveau venu. Bref, c’est une excellente bande dessinée qui inaugure une saga (et une crise) de façon alléchante !

L’introduction captive d’emblée en usitant des techniques simples mais efficaces. D’abord l’empathie envers Ted Kord (second Blue Beetle) – à l’instar de Ralph Dibny (Extensiman) dans Crise d’identité, qu’on conseille de lire de base mais qui permet de comprendre pourquoi les relations sont tendus entre certaines personnes ici – qu’une majorité de lecteurs va probablement découvrir dans ce titre. On s’attache aisément à ce justicier de seconde zone (délaissé voire méprisé par les demi-dieux qui l’entoure) qui plonge au cœur d’une énigme. C’est justement le second point passionnant : les mystères, les meurtres… Qui se cache derrière tout cela ? On le sait assez rapidement : Max Lord à la tête de l’organisation Checkmate (qu’il a détourné de ses buts initiaux). Mais les apparences sont trompeuses et tout n’est pas aussi simple que cela.

Brillant homme d’affaires, Maxwell Lord cache un pouvoir surpuissant : il peut manipuler mentalement n’importe qui (ce qui lui cause des saignements de nez). Pourtant, le leader de Checkmate voue une haine envers les méta-humains et prévoit leur mort multiple grâce au fameux projet O.M.A.C. Derrière cet acronyme (Organisme Métamorphosé en Armée Condensée) se cache en réalité « l’Œil », un puissant satellite d’espionnage conçu par… Batman (et bien sûr l’inspiration du titre éponyme de Jack Kirby) ! Tout ceci est assez vite révélé dans le comic book. Fruit d’une réflexion (notamment car Bruce Wayne a découvert ce qu’il s’était passé durant Crise d’identité – on y revient toujours – et sait qu’une partie des justiciers a franchi une limite) et d’une conception technologique extraordinaire, « l’Œil » est détourné par Max Lord qui avance avec ses soldats (les fameux « pions » de l’échiquier / Checkmate) et son pouvoir en complément !

Une triple menace extrêmement dangereuse qui cause donc du tort aux super-héros. Si Blue Beetle est assassiné (ce qui est dévoilé sur la couverture du livre (illustrée par Jim Lee et Alex Ross) et dans les résumés [1] – c’est un peu dommage mais on le sent venir assez vite), c’est qu’il commençait à découvrir la vérité… De quoi rendre fous les meilleurs détectives qui ne comprennent pas ce qu’il se passe réellement. Incluant Batman lui-même qui peut peut compter sur la complicité de Sasha Bordeaux, son ancienne garde du corps et amante. Une femme créée et découverte dans New Gotham (rapidement dans le moyen premier tome et davantage dans le troisième et au cœur de la chouette saga Meurtrier et Fugitif – pas encore chroniquée sur ce site). Il n’est absolument pas important de ne pas connaître Sasha en amont.

Cette longue histoire (et investigation) est donc au cœur de ce premier tome où les personnages principaux sont surtout Blue Beetle puis Batman, Sasha et Max Lord, complémentés par Superman et Wonder Woman (Booster Gold et quelques Green Lantern sont de la partie aussi – l’héritage de la Justice League International en somme avec Guy Gardner, Fire…). L’homme d’acier est d’ailleurs au centre d’un récit intercalé, Sacrifice, qui le suit quelques jours durant lesquels il semble ne plus être lui-même. Pire : Superman a combattu Batman et l’a gravement blessé ! Clark Kent ne se souvient de rien…

Le puzzle (cérébral notamment, vaguement émotionnel) s’assemble au fil des chapitres, étalés sur près de trois cent pages. Entre une certaine audace (et prise de risque), le titre peut décontenancer par ce qu’il ose mais aussi par son absence de moments plus légers – même Crise d’identité avec quelques remarques humoristiques pour désamorcer un peu les situations, ce n’est pas le cas ici où la tonalité globale est sombre. Les menaces sont multiples et dangereuses, imprévisibles ; la fiction est jonchée de plusieurs cadavres et de tournures dramatiques inéluctables, des choix extrémistes, qui mettent à mal l’ADN de la figure héroïque.

Seule une partie de la conclusion semble un peu trop rapidement exécutée, un brin soudaine et manquant d’une dimension épique mais ce n’est pas très grave. Le récit arrive à emporter le lecteur aisément qui n’a qu’une envie : lire la suite une fois la dernière page tournée (même si la BD trouve une certaine « extension » à la fin grâce à des fiches de personnages fournies, sur Blue Beetle, Booster Gold, Green Lantern III, Fire, Sasha Bordeaux et Max Lord – sans compter les habituels bonus comme les couvertures alternatives, etc.).

À ce stade, Infinite Crisis n’a pas (encore) de réels enjeux cosmiques ou liés au multivers, on sent la ramification mais ce n’est pas dérangeant. On est davantage dans un polar de science-fiction voire un « techno thriller » (intelligence artificielle, nanotechnologies, satellite d’espionnage, conspiration…) enrobé par les traditionnels figures de DC Comics, à commencer par la Trinité, de plus en plus déshumanisée (ou désenchantée, c’est selon) – là aussi un aspect peut-être clivant pour certains.

Même si le titre remonte à 2005 il n’a pas pris une ride (à deux ou trois rares exceptions près) et demeure intemporel, résolument moderne (voire toujours tristement d’actualité) ! Il faut bien sûr savoir suspendre sa crédulité pour apprécier pleinement tous ces enjeux et des séquences un peu « faciles » (la manipulation mentale, une solution toujours un peu aisée pour justifier ce que l’on veut, l’avancée technologique parfois improbable, etc.). Il ne s’agit pas vraiment de défauts tant l’écriture est maîtrisée – haletante – avec une (petite) réflexion sur les limites héroïques (une introspection plus ou moins prononcée – à nouveau la morale mais aussi les erreurs d’icônes déifiés). Les seuls réels « points faibles » (on insiste sur les guillemets) seraient plutôt à trouver du côté des graphismes (on en parle plus loin).

Au niveau des crédit, c’est un sacré festival. Sur Compte à rebours on retrouve au scénario Geoff Johns, Greg Rucka et Judd Winick. Un trio de valeurs sûrs. Johns est devenu incontournable en parallèle de cette saga et également par la suite sur ses nombreux travaux : Geoff Johns présente Green Lantern / Superman / Flash, Batman – Terre Un, Flashpoint, DC Universe Rebirth, Doomsday Clock, Trois Jokers, Justice League… Rucka avait notamment magnifié l’univers du Chevalier Noir dans Gotham Central (on lui doit aussi plusieurs chapitres de No Man’s Land et ses suites dont New Gotham et Meurtrier et Fugitif, déjà évoqué plus haut, cf. cet index, mais aussi Joker – L’homme qui rit par exemple). Winick a signé, entre autres, L’Énigme de Red Hood et les premiers tomes de Catwoman. Trois auteurs habitué à Batman donc, et ça se ressent tant il occupe une place importante.

Comme annoncé plus haut, les dessins sont inégaux mais globalement de bonne facture, malgré un manque flagrant d’homogénéité graphique et des visages parfois peu élégants. Rags Morales, Ed Benes, Jesus Saiz, Ivan Reis et Phil Jimenez en sont les responsables pour cette introduction d’environ soixante-dix pages ! Heureusement, la mini-série Le projet O.M.A.C. conserve une cohérence visuelle. Greg Rucka signe l’intégralité des textes et Jesus Saiz les dessins, épaulé par Cliff Richards pour les trois derniers chapitres (tous colorisés par Hi-Fi). En revanche, les quatre épisodes de Sacrifice provenant de quatre séries différentes, on enchaîne sur (presque) quatre équipes artistiques différentes… Dans l’ordre (avec chaque fois le scénariste puis le dessinateur) : Mark Verheiden et Ed Benes (Superman #219), Gail Simone et John Byrne (Action Comics #829), Greg Rucka et Karl Kerschl ainsi que Derec Aucoin (Adventures of Superman #642), Greg Rucka et Rags Morales, Davis Lopez, Tom Derenick, Georges Jeanty et Karl Kerchl (cinq au total pour un seul chapitre !). Total de l’ensemble : douze dessinateurs, quinze encreurs additionnels et huit coloristes…

Cela n’empêche pas de reconnaître « qui est qui » (merci les costumes côté super-héros et le peu de têtes différentes côté humain) ni d’avoir quelques segments graphiques enlevées (souvent éclatées sur une double page) mais ça reste un brin dommage. Néanmoins, ce solide premier tome remplit toutes ses promesses (tout en en annonçant de nouvelles) et se relève donc incontournable dans la mythologie de DC (donc dans notre rubrique coups de cœur). Attention tout de même, à voir ce que donneront les quatre prochains volumes qui formeront donc l’entièreté d’Infinite Crisis. En attendant, cette salve d’ouverture est prometteuse et on en redemande !

[1] Le premier tirage de la couverture de Countdown to Infinite Crisis (vendu 1 $ les 80 pages) masquait l’identité du corps défunt que porte Batman. Dès le second tirage (passé à 1,99 $) la victime est révélée (Blue Beetle donc), cf. images ci-dessous. C’est la seconde qu’a choisi Urban pour son édition.

Le récit ouvrait sur quatre autres mini-séries : The OMAC Project (présent dans le même tome), Rann-Thanagar War et Villains United (inclus dans le second volume) et Day of Vengeance (dans le troisième). La « vraie » série Infinite Crisis (Crise infinie) est dispatchée dans les deux derniers opus.

   

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 12 septembre 2014.
Contient : Countdown to Infinite Crisis #1, OMAC Project #1-6, Superman #219, Action Comics #829, Adventures of Superman #642 et Wonder Woman #219.

Scénario : Greg Rucka, Geoff Johns, Judd winick, Gail Simone…
Dessin : Jesus Saiz + collectif (voir critique)
Encrage : Collectif
Couleur : Hi-Fi + collectif

Traduction : Edmond Tourriol (Studio Makma)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Heroes in Crisis

Nouvelle « crise » de DC Comics (cf. index des « crisis ») et – surtout – récit complet accessible, Heroes in Crisis n’atteint pas la maestria et l’émotion d’Identity Crisis (Crise d’identité) mais s’avère assez original malgré tout, offre une enquête passionnante et reste une proposition visuelle soignée et agréable (non sans défauts). Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
Au cours de leurs nombreuses aventures et combats, il n’est pas rare que des événements catastrophiques surviennent dans la vie des plus grands super-héros. Ceux-ci peuvent avoir alors besoin d’une période de convalescence afin de se reconstruire autant physiquement que psychologiquement et le Sanctuaire, un endroit secret où ils peuvent se réfugier, symbolise ce havre de paix pour des héros traumatisés. Mais ce secret se retrouve exposé au grand jour après qu’une violente tuerie s’y produit.

[Histoire]
Les super-héros ont créé un lieu de repos isolé au fin fond du Nebraska : le Sanctuaire. Dans cet havre de paix pour héros traumatisés, les tourments et confessions de chacun sont anonymes ; le stress et la violence du quotidien y sont évacués.

Un jour, plusieurs super-héros sont retrouvés morts dans cet endroit : Roy Harper, Wally West, Poison Ivy… La Trinité (Batman, Superman et Wonder Woman) arrive trop tard…

L’enquête se tourne vers deux suspects : Booster Gold et Harley Quinn.

Lois Lane reçoit les vidéos de confession au Sanctuaire de plusieurs super-héros par une source anonyme et décide de les mettre en ligne sur le site du Daily Planet.

[Critique]
Tom King aime aborder l’approche « psychologique » et (post)traumatique de ses personnages – probablement car il a lui-même vécu cela lors de sa carrière à la CIA (sept ans dans le contre-terrorisme en Afghanistan et en Irak) ou via des retours de ses collègues. Il l’a injecté dans d’autres de ses œuvres récentes : brillamment dans Mister Miracle, inégalement dans son run de Batman Rebirth. Ici, il s’est attaqué ici au même filtre de fragilité et failles humaines à travers plusieurs héros de DC. Le résultat est plutôt convaincant même s’il manque d’une certaine solidité dans ses fondations. En effet, le fameux Sanctuaire – excellente idée au demeurant – n’avait pas été évoqué en amont alors qu’il aurait pu être un socle narratif alléchant s’il avait été mis en place depuis plusieurs années (un peu comme la Forteresse de solitude de Superman).

Il est mentionné pour la première fois par Poison Ivy et Booster Gold dans Batman Rebirth – Tome 06 : Tout le monde aime Ivy (auquel Heroes in Crisis propose quelques échos). Cela reste donc bien maigre d’une part et réservé aux lecteurs complétistes d’autre part. Toutefois, un avant-propos éditorial contenant des citations du scénariste permet de comprendre la création et la notion symbolique et carthathique du Sanctuaire. Le Sanctuaire, proche d’un joli pavillon de campagne, est pourvu d’une IA et d’une famille d’androïdes pour accueillir les fragiles surhommes mais il n’y a « rien » de concret pour les aider, à part ce confessionnal moderne. C’est donc un peu dur à « accepter » mais bon… pourquoi pas.

On suit plusieurs axes narratifs plus ou moins intéressants durant neuf chapitres. L’enquête de la Trinité pour retrouver le coupable dans un premier temps, corrélés aux fuites communes des deux suspects activement recherchés, Booster Gold et Harley Quinn. Chacun est en plus persuadé d’avoir vu l’autre accomplir le massacre ! On ignore pourquoi ces deux figures de DC ont été autant mises en avant mais ça fonctionne bien, surtout quand ils sont rejoints par deux autres héros secondaires pour former deux duos inédits avec Blue Beetle pour le premier et Batgirl pour la seconde. Enfin les témoignages « face caméra » de bon nombre de personnages lorsqu’ils étaient dans le Sanctuaire (et dont les enregistrements sont aussitôt supprimés – même Batman l’avoue) ponctuent la narration (cassant parfois une certaine immersion).

Ces confessions sont toujours développées en neuf cases sous formes de gaufrier, une mise en page qui rappelle volontairement Watchmen (cité d’ailleurs dans le fameux avant-propos) et, plus récemment, Doomsday Clock. Ces segments sont à la fois passionnants mais aussi un peu frustrants car ils gâchent un certain rythme imposé et ne sont jamais « complets » (comprendre qu’on pourrait avoir un monologue de vingt pages sur les désillusions et la culpabilité de Batman (au hasard) mais qu’on est toujours cadenassé dans ce format de neuf cases…). Quelques exemples ci-dessous (cliquez pour agrandir).


Néanmoins l’ensemble se lit plutôt bien avec un bon équilibre (surtout dans sa première partie, la seconde étant plus soutenue et bavarde – parfois moins palpitante, quand elle se concentre sur des têtes vraiment trop secondaires, comme Gnarrk). On a par contre un peu de mal à imaginer que tous les  héros de DC Comics sont passés dans le Sanctuaire (et que tous ont joué le jeu de parler à une caméra) et, surtout, qu’ils ont parfois porté une tenue blanche et un masque pour préserver leur anonymat (façon secte !) – un détail qui dénote furieusement avec l’idée d’une paix commune, d’un non jugement et d’une solidarité entre les justiciers (on a presque l’impression qu’ils ont tous quelque chose à cacher…). Il ne faut pas non plus s’attendre à de l’action épique, on est davantage dans un registre à hauteur d’homme, sans réels conflits violents.

Qu’est-ce qui pose foncièrement problème ? Deux choses qui sont liées uniquement en fonction des connaissances et attentes du lecteur. C’est certes cliché d’avancer cela, surtout pour une critique d’un comic book, mais Heroes in Crisis est sans doute le meilleur exemple pour le justifier. Tout d’abord, il y avait « l’évènement » annoncé. Marketé, teasé, sublimé. Une nouvelle « crise ». Après Crisis on Infinite Earths, Crise d’identité, Infinite CrisisFinal Crisis, Flashpoint, DC Universe Rebirth, Doomsday Clock (cf. cet index)… cette histoire fut indiquée avant sa mise en vente comme un (grand) bouleversement dans la chronologie de DC, au même titre que les exemples cités. In fine, on se rapproche davantage vers un Crise d’identité (Identity Crisis) plutôt qu’un réel chamboulement extraordinaire, cosmique ou autre. L’avenir nous le dira… Comme souvent : si le lecteur n’a pas d’attente particulière, il n’aura donc pas de déceptions et sera sans doute conquis par ce récit singulier (le cas de l’auteur de ces lignes).

Enfin, le second point qui a fait polémique est l’identité du coupable. Attention, ce paragraphe et le suivant vont en parler, allez à celui sous l’image (de Batman) pour ne pas lire la révélation. Le « simple » connaisseur de l’univers du Chevalier Noir et un peu de DC, via la Justice League ou quelques « crises » évoquées plus haut ne sera pas forcément décontenancé (dans le sens où le personnage ne sera pas un pur inconnu) de découvrir que Wally West est responsable des morts dans le Sanctuaire. En revanche, la justification de ses actes peut paraître maladroite (voire illogique, surtout quand on parle de quelqu’un qui peut voyager dans le temps, comme… Booster Gold – n’y avait-il pas autre chose à produire ?). L’homme a pété les plombs et causé accidentellement sa tuerie ; puis il a rassemblé les cadavres (incluant le sien en allant dans le futur) pour faire croire à une mise en scène macabre, tout en laissant deux suspects derrière lui (Booster et Harley donc). Cet aspect ne colle pas avec la personnalité « bienveillante et altruiste » (même s’il n’est pas un saint – ça n’a jamais été un psychopathe) du neveu de Barry Allen et, surtout, trahit d’autres promesses laissées entendre par l’éditeur (et donc à nouveau des attentes/déceptions pour ceux qui les suivent assidument). En effet, Wally avait disparu durant l’ère New 52 (Renaissance en VF) et est revenu au début de Rebirth (il était même au cœur de DC Univers Rebirth) mais… il n’a pas du tout été utilisé ensuite (ou très peu) si ce n’est pour cette tragédie qui le place dans un sale rôle.

Autant dire que les fans de l’univers Flash ont déchanté (inutile de dire que si vous aimez Wally, vous n’aimerais pas Heroes in Crisis – c’est un peu comme si du jour au lendemain Tim Drake tuait ses amis involontairement puis maquillait l’accident en meurtre tout en faisant accuser Dick Grayson ou Damian Wayne, une aberration donc !). Néanmoins, la description de la solitude extrême de West par Tom King puis sa rage extrême accidentelle sont relativement bien écrites pour que le lecteur « y croit ». De plus, dans une situation similaire, en stress total, il est possible de réagir de la sorte (ne pas paniquer et « ré-organiser » les meurtres pour y échapper), tout en gardant donc paradoxalement un sang-froid exemplaire pour ne pas se faire prendre. Le débat fait rage chez les fans, certains crient à la trahison suprême, d’autres à l’audace. Personne ne reste indifférent en tout cas ! On ignore si c’est suite aux critiques mitigées et négatives ou aux polémiques sur Wally mais plus tard, on apprendra que ce sont des ennemis des bolides écarlates qui auraient manipulé Wally West, cf. la deuxième partie de l’article sur Le prix, aventure commune de Flash et Batman qui eu des « extensions » dans Flash Rebirth et Infinite, cassant ou réhabilitant ce qui était proposé dans Heroes in Crisis !

Outre la résolution de l’intrigue, un brin rapide et, comme vu, assez clivante, la plume de Tom King sonne « juste » dans ses dialogues et dans ses expositions d’enjeux et d’enquêtes. On regrette que la Trinité soit mise de côté au bout de quelques chapitres, se recentrant sur Harley Quinn et Booster Gold (les « deux vrais personnages principaux » du titre) et leurs acolytes. La lecture est aisée et ne s’éparpille pas trop, à l’exception (comme vaguement évoqué plus haut) des explications longues et un brin complexe en fin de récit. Ce n’est pas bien grave. Le scénariste arrive à injecter une certaine émotion et, chose de plus en plus rare dans les comics, une sincère empathie pour l’ensemble de sa galerie d’humains déifiés ou tristement « normaux ». Ce n’est pas le meilleur travail de King mais ce n’est pas non plus le pire. Il y a tout de même une forme de cynisme (imputable à l’éditeur Dan Didio) voulant se débarasser de têtes très secondaires, de désacraliser quelques figures mythiques et de moduler radicalement l’ADN de personnages – c’est en cela que le titre, au-delà des polémiques – séduit davantage des connaisseurs moins aguerris que des passionnés de longue date ; c’est le jeu d’une certaine manière, toujours draîner un public plus large…

Heroes in Crisis aurait probablement gagné à être allongé de quelques épisodes (un introductif sur l’origine du Sanctuaire, un entièrement constitué des confessions et un conclusif mieux équilibré) – c’est pourtant ce qu’a visiblement imposé l’éditeur suite au succès des ventes, la fiction a bénéficié d’un voire deux chapitres supplémentaires, ajoutant diverses confessions sous forme de caméo (un peu fourre-tout et moins pertinentes il est vrai) et étirant sa conclusion inutilement. Ça contribue à avoir ce rythme en demi-teinte mais, encore une fois, ce n’est pas très grave, ça n’empêche pas le titre d’être vraiment singulier et se démarquer du reste des productions du genre. L’exploration d’une certaine fragilité, l’obligation de « prendre sur soi » ou encore d’être simplement « mal » sont des points cruciaux et assez rares dans le domaine, c’est donc très agréable de suivre tout cela, même si c’est parfois maladroit, survolé, conceptuel… Une introspection atypique peu abordée en général (on pourrait écrire des analyses multiples sur Heroes in Crisisqui garde nos gardiens dans Watchmen (encore), qui aide nos super-héros en proie aux doutes et à la fragilité ?) qui fait pencher la balance vers le positif malgré ses problèmes évidents (ceux évoqués et ceux ci-après).

Graphiquement, Clay Mann livre une belle performance, oscillant entre des cases et planches contemplatives et d’autres pas forcément portées sur l’action mais dont les découpages permettent d’avoir une dynamique fluide entre les interactions des personnages et l’avancement de l’investigation. Il est rejoint le temps de quelques flash-back par d’autres talentueux artistes (aux dessins et à l’encrage) comme Travis Moore, Lee Weeks, Mitch Gerads et Jorge Fornés.

Les couleurs sont assurées par l’inépuisable Tomeu Morey, livrant une palette épurée conférant une atmosphère très « comic book » (plein de variantes chromatiques) mais en restant dans une certaine retenue, en phase avec le deuil. L’introduction d’Heroes in Crisis jette aussi un froid, le massacre est balancé sans filtre, de façon brute et sans retenue ; à l’image de « l’échec » de cette construction de la Trinité, prise au dépourvu et impuissante (King évoquait s’être inspiré des tueries en milieu scolaire (le Sanctuaire) où les parents tentent de se relever ensuite (la Trinité) et où la société subit ses terribles actes sans initiative de résolution).

En revanche, on peut pointer du doigt des icônes féminines sexualisées gratuitement par Clay Mann (Lois Lane, Batgirl et Harley principalement). Entendons-nous bien, il n’y a aucun problème à croquer de façon « sexy » un protagoniste (masculin ou féminin) mais le dessiner dans des poses aguichantes avec des costumes extrêmement moulants casse complètement la dramaturgie recherchée. Par exemple, dans les deux premiers tomes de Catwoman (La règle du jeu et La maison de poupées) cela faisait partie du « package » de la femme fatale féline mais dans Heroes in Crisis ça ne va pas du tout avec la tonalité du registre abordé, plus sombre et triste.

Ici pour Batgirl, montrer sa blessure qui l’a rendu handicapée (dans Killing Joke) relève davantage d’une contribution presque érotique où la poitrine et les fesses sont mises en avant… Sans parler de Lois Lane en petite culotte qui se demande à Clark comment elle peut « l’aider ». Tom King a réussi à faire modifier une couverture de Poison Ivy qui la montrait morte mais avec poitrine légèrement apparente et son fessier relevé (!) – cf. images tout en bas de l’article, un peu tronquées pour éviter un indice majeur, et ses tweets de l’époque. Le but de cette critique n’est pas de parler de la représentation des femmes dans des univers fictifs (l’art doit-il être corrélé à un certain progressisme sociétal ? vaste débat…) ou d’éveiller des consciences mais dans le cas présent, impossible de ne pas remarquer cet aspect gênant (si le sujet intéresse, il y a eu un bon billet argumenté et imagé chez les confrères de DC Planet).

Heroes in Crisis bénéficie d’une homogénéité visuelle alléchante qui ajoute un cachet non négligeable à une œuvre imparfaite qui divise inéluctablement son lectorat (principalement en fonction de ses attentes/connaissances). Malgré les défauts évoqués, on apprécie ce titre et le classons même dans les coups de cœur du site. Pour l’anecdote, entre chaque chapitre on retrouve le logo du Sanctuaire ensanglanté, étonnamment le sang ne coule pas au fil de l’aventure (il s’agit de la même image à chaque fois), renforçant encore l’hommage à Watchmen. Ce logo au propre est d’ailleurs apposé au dos du livre.

Chaque épisode s’ouvre aussi sur une image d’un dossier revenant sur des évènements mythiques de DC : la mort de Superman, la colonne brisée de Batman par Bane, le meurtre de Jason Todd… (cf. ci-dessous, cliquez pour agrandir). Là aussi un enrichissement textuel voire une connexion avec le Sanctuaire n’auraient pas été de refus.

Entre les morts (même s’il y a eu des retours/résurrections depuis), un coupable clivant (plus ou moins réhabilité tardivement), un carnage et une nouvelle tragédie, le terme de crise/crisis est-il approprié ? Oui, plutôt. Même si le crossover semble parfois forcé et que les conséquences n’impacteront que deux ou trois titres/séries, Heroes in Crisis marque tout de même à sa façon l’univers DC – mais bien moins que les précédentes citées plus haut (initialement, la bande dessinée devait banalement s’appelait Sanctuary). On pourrait hiérarchiser les crises en deux catégories : les majeures et les mineures (cf. index des « crisis »). Celle-ci appartiendrait à la seconde mais permet d’être accessible à un large public – il semble d’ailleurs que c’est davantage le lectorat non connaisseur de DC qui a prisé Heroes in Crisis, là où les fans habituels ont déchanté – et d’offrir une approche « mature » et inédite au genre (comme Crise d’identité – nettement plus réussi au demeurant). C’est toujours ça de pris, on aurait tort de s’en priver !

Avec le temps, plusieurs « suites » ou en tout cas extensions de cette histoire ont été publiées, principalement dans des séries sur Flash. Cela a réhabilité certains éléments de la fiction tout en interrogeant sur la « réelle » véracité de quelques révélations apportées à posteriori, et donc rétroactivement (étaient-elles réellement prévues ou c’est suite aux retours critiques d’Heroes in Crisis ?). C’est à découvrir dans la seconde partie de l’article sur Le prix, aventure commune de Flash et Batman.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 15 novembre 2019
Contient : Heroes in Crisis #1-9

Scénario : Tom King
Dessin et encrage : Clay Mann, Travis Moore, Lee Weeks, Mitch Gerads, Jorge Fornés
Couleur : Tomeu Morey, Arif Prianto, Mitch Gerads

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Moscow Eye

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Avez-vous lu le titre dans l’image ci-dessus ?

Ci-dessous la première version de la couverture du septième chapitre avec une Poison Ivy morte,
qui n’a pas plu à Tom King et a demandé une seconde version à Clay Mann.