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Batman Rebirth – Tome 6 : Tout le monde aime Ivy

Après deux tomes décevants voire complètement ratés, que vaut la sixième salve du run de Tom King ? Bruce et Selina vont-ils enfin se marier comme annoncer depuis trois volumes ?

[Histoire]
Wonder Woman allume le Bat-Signal et convie Batman à remplacer « le gentil homme » (Julian de son véritable prénom), puissant guerrier piégé dans une dimension (« l’autre réalité ») où il affronte sans relâche des hordes de monstres. Le duo accepte le temps d’offrir du repos à leur camarade (dont on n’avait jamais entendu parler auparavant…). Dans cet autre monde, le temps s’écoule plus lentement : quelques heures sur la Terre des super-héros équivaut à plusieurs années là-bas. De quoi mettre à rude épreuve la fidélité de Bruce, seul avec Diana, et la (potentielle) jalousie de Selina, accompagnant « le gentil homme » durant son court séjour à Gotham.

Plus tard, Poison Ivy réussi à contrôler la sève mondiale et, par extension, les êtres humains. Elle souhaite rendre le monde meilleur mais seules deux personnes sont hors de sa portée : Catwoman et Batman.

[Critique]
Une fois n’est pas coutume, ce tome est composé de plusieurs histoires : Pour les siècles des siècles (#39 et #40), Tout le monde aime Ivy (#41 à #43) puis Le cadeau (#45 à #47). Le #44 est réservé au huitième tome (Noces Noires).

Après Superman dans le tome précédent, c’est Wonder Woman qui est mise en avant cette fois (en VO les chapitres #39 et #40 sont inclus dans la continuité des #36 et #37 intitulés Super Friends). Si cette courte histoire (Pour les siècles des siècles) semble improbable à tous niveaux (même en acceptant la part mystique et fantasy), elle n’en demeure pas moins réussie et étrangement drôle. La Reine des Amazones et le Chevalier Noir passent en effet 37 ans (!!!!) dans « l’autre réalité » sans vieillir et en combattant sans cesse des créatures. Outre l’aspect surréaliste de la chose (comment se nourrissent-ils par exemple), cette itération de « la tentation » est singulière et bien trouvée, tout comme l’attente de Selina à Gotham qui lui montre aussi de nouveaux points de vue. Graphiquement, Joëlle Jones continue de faire des merveilles. À ce stade, on se dit qu’il aurait été plus judicieux de ne conserver pour le cinquième tome que les segments avec Clark, Lois et désormais Diana (l’histoire Super Friends donc). Peut-être lors d’une réédition du run ?

Tout le monde aime Ivy donne son titre à l’ouvrage. On y retrouve Mikel Janin aux dessins avec son style mi-réaliste, mi-épurée, délicatement mis en couleur (par June Chung) qui livrent une atmosphère proche des contes pour enfants, tant la végétation trône fièrement sur la plupart des cases. Côté scénario, c’est un peu confus : Poison Ivy parvient à contrôler le monde entier, rien que ça. On ne sait pas trop comment, si ce n’est l’utilisation des plantes, son réseau via la sève. Pourquoi pas… Elle rend donc le monde meilleur, le crime n’y existe plus.

Seuls Bruce et Selina ne sont pas sous son emprise (sans qu’on comprenne à nouveau vraiment pourquoi et comment). Alfred, Superman, Flash… tous ces autres proches du couple obéissent à Poison Ivy. L’intérêt se situe — comme beaucoup des chapitres précédents — dans les dialogues de couple entre les deux tourtereaux. Des questions, des situations, des doutes, des moments de joie, etc. très humains et quotidiens appliqués sans réel filtre au monde super-héroïque. Sur ce point, King fait mouche, indéniablement. Pour le reste, c’est une fois de plus mitigé.

Le récit fait plusieurs fois référence à La Guerre des Rires et des Énigmes, comme si King se répondait et s’auto-corrigeait après-coup pour justifier un segment qui fut clairement raté. La résolution de l’intrigue a lieu majoritairement par le dialogue et la présence de… Harley Quinn, qui connecte l’ancienne muse du Joker à ses propres histoires où elle est en couple avec Ivy. Enfin, c’est la première fois que le Sanctuaire est mentionné, lieu où se repose les super-héros et antagonistes, au cœur de l’ouvrage Heroes in Crisis (une curiosité recommandé malgré ses défauts — critique bientôt en ligne).

Les trois derniers chapitres forment Le cadeau et sont dessinés par Tony S. Daniel, souvent à l’œuvre sur plusieurs séries sur le Caped Crusader. Dans cette histoire, Booster Gold et son robot Skeet (qui est une machine à voyager dans le temps) viennent d’un futur peu reluisant, où Copplebot est président des États-Unis, Al Ghul règne sur l’Eurasie, le Joker est omniprésent sous diverses formes, Jason Todd est à la tête d’une fabrique de pneus qui électrocutent mortellement une personne qui essaierait de les voler et, surtout, le Chevalier Noir est Dick Grayson, lourdement armé et n’hésitant pas à tuer. Cela s’explique aisément : dans ce monde chaotique, les parents de Bruce Wayne ne sont pas morts et la situation est pire que s’ils l’étaient… Mais le milliardaire ne semble guère s’en soucier. Booster Gold va devoir se tourner vers Catwoman pour ramener Wayne « à la raison ».

C’est avec cette dystopie radicale que la bande dessinée trouve son meilleur moment, sans trop de difficultés ! Après deux tomes moyens, ce sixième volet retrouve « un peu » de sa superbe : graphiquement tout est sublime malgré les trois styles des artistes bien différents (cf. les images d’illustration de cet article et celles à retrouver en bas de page) et scénaristiquement, bien qu’inégal, on revient petit à petit à un niveau plus élevé que la moyenne.

Grâce à la dernière histoire (Le cadeau) mais aussi grâce à l’humour à la fois léger et ciselé qui parsème l’ensemble des récits. Enfin, les nombreux dialogues « de couple » sonnent juste et apportent une originalité bienvenue dans le monde de Batman. En synthèse, un tome pas indispensable mais quand même mieux que les deux précédents.

Ceux qui s’attendaient à voir le fameux mariage rapidement seront en revanche déçus car sur ce sujet, l’histoire n’avance pas d’un iota. Cela traîne en longueur de façon plus ou moins utile et si l’angle de la romance reste assez inédit et (parfois) bien écrit, il reste paradoxalement pas encore assez poussé. À voir si la suite tient la route ou non et quels seront les tomes à lire une fois tout le run de Tom King terminé (ce qui fera l’objet d’une petite analyse).

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 11 janvier 2019.

Contient Batman Rebirth #39-43 et #45-47
Précédemment publié dans les magazines Batman Rebirth #20 à #24 (janvier à mai 2019).

Scénario : Tom King
Dessins : Joëlle Jones, Mikel Janin, Tony S. Daniel, Hugo Petrus
Encrage additionnel : John Livesay, Sandu Florea, Danny Miki
Couleur : Jordie Bellaire, June Chung, Tomeu Morey

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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 Batman Rebirth – Tome 05 : En amour comme à la guerre
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Batman Rebirth – Tome 03 : Mon nom est Bane
Batman Rebirth – Tome 02 : Mon nom est Suicide
Batman Rebirth – Tome 01 : Mon nom est Gotham

 


Batman Rebirth – Tome 5 : En amour comme à la guerre

Ce cinquième volume reprend là où s’était terminée le tome 3 (le tome 4 — décevant et très moyen — étant quasiment un long flash-back), avec la demande en mariage de Bruce à Selina. Le couple est désormais « officiel » et on le suit dans de nouvelles péripéties.

[Histoire]
Batman
et Catwoman se rendent à Kathym. C’est dans ce lieu mystérieux que se cache Talia Al Ghul, mère de Damian. Le couple justicier cherche aussi à retrouver Holly Robinson, dont les crimes sont imputés à Selina Kyle, et qui serait au même endroit.

Au Manoir Wayne, Alfred dévoile aux compagnons du justicier que Bruce a demandé Mademoiselle Kyle de l’épouser. Damian et Dick décident de rejoindre le couple, tandis que Superman va aussi sur les lieux.

[Critique]
Ce cinquième tome est composé de trois récits : En amour comme à la guerre (The Rules of Engagement — #33 à #35, dessiné par Joëlle Jones), Le plein de super (SuperFriends / Double Date — #36 et #37, dessiné par Clay Mann) et un segment un peu à part, Les Origines de Bruce Wayne (#38, dessiné par Travis Moore). Le premier est assez moyen, le deuxième plus réussi et le troisième complètement anecdotique. Explications.

En amour comme à la guerre manque un peu de contexte. On ne comprend pas bien le lieu où se rend le couple ni pourquoi. Les personnages secondaires (la Bat-Family) sont trop en retrait par rapport à ce qui est annoncé en amont (on notera aussi une petite connexion avec la série Super Sons, qui suit les fils de Batman et Superman (Damian et Jon)) et, surtout, il y a une certaine dimension un peu puérile, voire presque machiste et pleine de clichés à propos des « femmes de Bruce Wayne ».

Selina et Talia sont ainsi pas mal sexualisées par leur tenue (pas forcément problématique, cela a toujours été l’un des aspects de Catwoman après tout) mais l’affrontement entre les deux, façon « la nouvelle compagne versus l’ex-girlfriend » n’est pas très original. La fiction mérite mieux, les personnages méritent meilleur traitement. Si on échappe au sempiternel dialogue type « il ne te mérite pas, il est à moi, prouve que tu es forte » (encore que…), la finalité de l’affrontement se vautre dans une paresse d’écriture à base de « elle me plaît », donc « je la valide ». Paradoxalement, de jolis morceaux d’écriture s’intercalent ici et là.

« Il est fêlé. Et cela, depuis l’enfance.
Il n’oubliera jamais son serment…
Cette promesse de gosse, cette « guerre contre le crime »…
Il la placera toujours en première place avant quiconque.
Quel que soit l’amour que tu puisses… que je puisse lui porter.
J’aurais beau souhaiter être son seul amour…
Je passerai toujours après son stupide délire de gamin. »
[Selina Kyle à Talia al Ghul]

Le plein de super suit Lois Lane et Clark Kent en parrallèle du nouveau couple de Gotham puis tous quatre réunis à une fête foraine. Si certains dialogues sont drôles (qui est le meilleur ami de Batman ? Gordon, Alfred, Superman ?), d’autres sont, une fois de plus, un peu ridicule. Superman estime que c’est à Batman de le contacter pour lui annoncer la nouvelle des fiançailles là où le Chevalier Noir pense que c’est à l’homme d’acier de se manifester pour le féliciter. Un combat d’ego de mâles alpha bien puéril à nouveau… En revanche, l’inquiétude de kryptonien envers Selina, alias « une délinquante » fait sens (et rappelle des réactions similaires de… Batman). Là aussi, on retrouve quelques travers plus ou moins sexistes sur les deux femmes, notamment par les poses suggestives de Selina dans des contextes qui ne s’y prêtent pas.

Mais une fois de plus, de très beaux moments d’écriture (la réciprocité des échanges de Batman à propos de Superman et vice-versa — qu’on préfère laisser découvrir plutôt que de détailler) viennent contrebalancer les autres défauts de la bande dessinée. Toute la séquence à la fête foraine est réussie, drôle et tendre à la fois, sans aucun doute le chapitre (#38) le plus intéressant et abouti de ce tome.

Les origines de Bruce Wayne s’attarde sur un enfant dont les parents sont morts et qui se trouve orphelin, entouré de son majordome et à la tête d’une grande fortune. Comme Bruce Wayne donc, qui vient en aide à cet enfant. Le suspect principal est Zsasz, pourtant enfermé à Arkham. Sans en dévoiler davantage, ce chapitre one-shot est complètement anecdotique : peu d’intérêt et sans doute aucune conséquence. Il « bouche » un peu le tome histoire d’avoir six chapitres au total.

L’ensemble donne donc un résultat pour le moins mitigé, à la qualité scénaristique hétérogène. Côté graphique, rien à redire par contre : les styles de chaque artiste sont beaux et élégants à leur manière (l’esthétique de Batman dans le désert et à cheval rappelle indéniablement la version Knightmare du film Batman v Superman). Hélas, l’écriture oscille entre le catastrophique et l’excellent, voire le poétique. Tom King est plus ou moins inspiré et, in fine, l’histoire n’avance pas vraiment (le mariage n’a toujours pas eu lieu, deux tomes après la demande), ce n’est guère palpitant et on se retrouve avec un volume moyen, à l’instar du premier par exemple. Une plongée dans l’intime du couple plutôt raté…

On peut, à ce stade, dresser un parrallèle pertinent avec le run de Scott Snyder, beaucoup décrié car il a à la fois déconstruit une certaine idée du mythe de Batman, mais aussi lancé des idées et concepts novateurs sans réellement savoir les conclure. Chez King, l’on poursuit la même histoire depuis le début, en sortant des aventures un peu classiques, avec de temps en temps une certaine originalité. C’est moderne et assez nouveau mais ça manque, paradoxalement, d’une certaine fraîcheur et d’un intérêt plus poussé, aussi bien pour les récents lecteurs que les anciens. En synthèse, ce cinquième volume est passable et pourra, très certainement, être sauté quand on (re)lira l’intégralité de Batman Rebirth à la suite (à ce stade, seuls les tomes 1, 2 et 3 restent intéressants, malgré les faiblesses du premier).

Un résumé des volumes précédents, quasiment obligatoire, ouvre aussi l’album et la traditionnelle galerie de couvertures alternatives le ferme. Certaines avec la Justice League car la publication des premiers chapitres dataient de la sortie du film éponyme (donc fin 2017) et une avec le chiffre 800 car le 35ème chapitre est l’équivalent du 800ème des aventures de Batman si on ne prend pas en compte la numérotation de la période New52 (Renaissance en VF) et Rebirth (idem).

NB : ce cinquième tome peut se compléter avec le one-shot À la vie, à la mort (vendu comme tel), qui s’intègre parfaitement dans le run de King et qui était sorti à peu près au même moment.

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 7 septembre 2018.

Contient Batman Rebirth #33 à #38.
Précédemment publié dans les magazines Batman Rebirth #17 à #19 (octobre à novembre 2018).

Scénario : Tom King
Dessins : Joëlle Jones, Clay Mann, Travis Moore
Encrage additionnel : Seth Mann
Couleur : Jordie Bellaire, Giulia Brusco

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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Batman Rebirth – Tome 01 : Mon nom est Gotham

Batman – Damned

Après l’excellent Joker, le duo Brian Azzarello (scénario) et Lee Bermejo (dessins) signent une nouvelle incursion très sombre pour le Chevalier Noir. Précédé d’une polémique stérile (un dessin d’un pénis dans l’ombre censuré en édition librairie aussi bien aux États-Unis qu’en France), que vaut Batman – Damned ? Chef-d’œuvre, pétard mouillé ou bonne histoire ? Critique de ce récit en trois chapitres.

De g. à d. : couverture classique, couverture uniquement en vente en Fnac
et enfin couverture spéciale pour la Comic-Con 2019 à Paris.

[Histoire]
Batman est dans un sale état, gravement blessé, à bout… il est recueilli par John Constantine. À son réveil, le Chevalier Noir apprend que le Joker est mort ! Le justicier ne se souvient plus de tout… et si c’était lui, l’assassin du Clown du Crime ?

En enquêtant, le Dark Knight est persuadé que son pire ennemi est bien vivant.

[Critique]
Avec son approche ésotérique, Batman – Damned lorgne vers un genre — le fantastique/l’occultisme — avec brio (chose rare dans les comics consacrés à Batman qui ne se marient pas forcément bien avec ce type de surnaturel — voir Les Patients d’Arkham et La Nouvelle Aube, entre autres). L’aspect graphique hyper-réaliste y est pour quelque chose bien sûr (cela rend paradoxalement plausible ce qui ne devrait pas l’être, comme une présence spectrale par exemple) et les échanges avec les personnages de DC Comics familiers de cet univers accentuent évidemment cet enjeu : Constantine, Deadman, Etrigan, l’Enchanteresse, Swamp Thing, Zatanna, le Spectre… sont au rendez-vous. L’ensemble rend donc un bel hommage au genre ésotérique inhabituel chez  Batman. Les dessins de Lee Bermejo sont un pur régal : très réalistes, chaudement ou froidement colorisés, projetant magnifiquement l’ambiance souhaitée (tantôt glauque et glaciale, tantôt vive et ardente), de même pour ses protagonistes.

Les phrases (plus ou moins) philosophiques de Constantine (le narrateur — étrangement vivace, parfois agaçant voire… inutile ?) sont relativement pessimistes et se mélangent brillamment avec le présent (Batman en vie), un éventuel « au-delà » (Constantine parle souvent de la mort) — donc le futur — et le passé (flash-back sur l’enfance du petit Wayne). Les souvenirs d’un Bruce enfant traumatisé sont d’ailleurs inédits. Le garçon se frotte à l’Enchanteresse d’une part et aux nombreuses disputes de ses parents d’autre part. Deux itérations quasiment jamais observées dans la mythologie du Dark Knight. Thomas Wayne trompe sa femme Martha notamment et le paternel ne prend guère son rôle de père au sérieux. On est bien loin de l’image classique d’un couple soudé et amoureux. De quoi faire basculer l’enfant dans une colère précoce ?

On note aussi l’omniprésence de phrases à la typologie changeante (des mots en majuscules notamment), rappelant l’excellent Arkham Asylum, qui tendait, lui aussi, vers une ambiance mi-fantastique, mi-réaliste avec une plongée dans la psyché de l'(anti)héros, aussi bien sur la forme que le fond. On retrouve donc ici cette expérience détonante pour Batman et… le lecteur. La « voix-off » est en effet omniprésente, tenant des propos parfois intéressants, parfois (semblant) lassants (enfonçant quelques poncifs du genre). Mais la fin de l’œuvre et le cheminement vers celle-ci permettent de mieux comprendre l’obsession narrative de Constantine et divers éléments qui paraissaient de prime abord anecdotiques ou confus prennent sens.

Cette approche sombre et résolument adulte épouse à merveille certains dialogues plutôt crus et des situations violentes. Rien de bien forcément neuf dans le genre (les meilleures productions sur Batman en bandes dessinées reflètent souvent un nihilisme et une radicalité extrême) mais une polémique stupide avait fait grand bruit outre-Atlantique. Une case montrait en effet l’ombre du pénis de Bruce lorsqu’il enlève sa tenue de justicier.

Adulte disait-on ? Il faut croire que le simple organe génital est beaucoup plus choquant que d’autres scènes plus violentes et gore (voire « blasphématoires », tel une statue de Jésus Christ sur sa croix grimé en Joker !). Ainsi, pour le recueil en librairie aux États-Unis (puis en France), le sexe du milliardaire disparaît au profit d’une ombre. Un geste éditorial de DC Comics à déplorer bien sûr… Ridicule.


(En haut la version initiale, en bas la version dite « censurée » du Bat-Zboubi)

Batman – Damned s’inscrit dans le canon de Joker (du même duo d’artistes), il en est même… la suite directe ; ce n’est guère une révélation quand on (re)lit la fin de Joker puis qu’on enchaîne avec le début de Damned. Sous la houlette du prestigieux « Black Label » — garantissant une liberté totale (enfin presque, pas le droit de montrer un zizi comme on vient de le constater…) — le récit ne se préoccupe pas d’une éventuelle continuité (un peu à la façon du Dark Knight Universe de Frank Miller), « on ne dénature pas pour autant [le Batman de l’univers DC Classique], on lui offre juste un traitement à la HBO » précise d’entrée en avant-propos le scénariste Brian Azarello (DK III, 100 Bullets…). Ce dernier a écrit plusieurs chapitres de Hellblazer, une série centrée sur Constantine, qu’il connaît donc bien.

« Vous vous êtes déjà réveillé sans savoir où vous étiez ?
Y a de quoi être DÉSORIENTÉ, le temps de comprendre que vous êtes à l’hôtel,
ou d’entendre ronfler votre coup d’un soir,
par un orifice que peu de temps auparavant vous léchiez langoureusement. »
[John Constantine]

Plus loin, l’auteur conclut : « on ne déforme pas Batman lui-même, on déforme le monde qui l’entoure, pour lui montrer qu’il n’est pas capable de tout comprendre, et même, dans une certaine mesure, que certaines choses dépassent l’entendement. Enfin, dit comme ça, on dirait du Lovecraft, mais en réalité, on tend plutôt vers du Cronenberg ». Ce dernier est le réalisateur de films cultes comme Vidéodrome, La Mouche, Le Festin Nu, eXistenZ… Une comparaison flatteuse donc, plus ou moins en phase avec l’œuvre en effet, même si on penserait d’abord à la vision de Lars Von Trier, in fine. Dans le monde Gothamien de Bermejo et Azarello, on dirait qu’Alfred est mort. On se plaît à imaginer d’autres histoire tiré de cet univers atypique. Quid de l’excellent Batman – Noël de Lee Bermejo uniquement ? Si on retrouve dedans toute la configuration graphique de Joker et Damned, on ne sait pas trop s’il doit s’inclure dans le même canon, faute à l’absence d’Azarello au scénario. À ce stade, on peut imaginer les deux possibilités : il en fait partie (se déroulant soit en premier, soit en dernier) ou bien il reste à part.

Côté édition, Urban Comics propose trois couvertures différentes (cf. image en haut de l’article), un avant-propos du duo d’artistes et quelques couvertures alternatives et croquis en fin d’ouvrage.

En synthèse, que vaut ce Damned ? Et bien le résultat est mitigé. Il tranche avec le côté très urbain et « crédible » de Joker par son approche ésotérique mais celle-ci est particulièrement soignée et réussie ! Si le lecteur aime s’aventurer dans ce style, nul doute que ce (nouvel) univers hybride (la patte « réaliste » du duo d’artistes dans une veine surnaturelle plus prononcée) va le séduire. En revanche, le fan adepte d’un monde de Batman moins fantasmé et davantage dramatique ou d’anticipation pourra être décontenancé et, finalement, pas forcément captivé par l’ensemble (comme l’auteur de ces lignes).

La narration est bonne, l’ensemble reste très original et les dessins évidemment sublimes mais le parti pris littéraire, inédit et rare chez le Chevalier Noir, divisera, c’est certains. Une curiosité néanmoins qui se place nettement au-dessus des aventures « mainstreams » de Batman. À découvrir donc, surtout pour son faible prix (15,50€) et ses planches divinement belles !

[À propos]
Sortie en France chez Urban Comics le 25 octobre 2019.
Première publication aux États-Unis de septembre 2018 à juin 2019 puis en librairie en septembre 2019.

Scénario : Brian Azarello
Dessin, encrage & couleur : Lee Bermejo


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