Archives de l’auteur : Comics Batman

Killing Joke

Retour sur une œuvre culte éditée sous plusieurs titres : Souriez ! (Comics USA en 1989), Rire et Mourir (Delcourt en 2000), La blague qui tue (en Belgique en 2001, dans un recueil d’histoires sur Batman vendu avec un quotidien) puis The Killing Joke (Panini Comics en 2009), le nom original, avant d’être publié, à nouveau, sous le sobre Killing Joke chez Urban Comics en mars 2014.

batman killing joke[Histoire]
Batman se rend à l’Asile d’Arkham pour s’entretenir avec son ennemi de toujours : Le Joker. Mais ce dernier s’est une nouvelle fois échappé…

Le Clown du Crime prend ses quartiers dans un parc d’attractions abandonné. Il kidnappe le commissaire James Gordon, tire sur sa fille Barbara et convie le Dark Knight sur les lieux dans un seul but : lui prouver que n’importe qui peut sombrer dans la folie, après avoir passé une mauvaise journée…

C’est en effet ce qui est apparemment arrivé au Joker. Son passé est dévoilé petit à petit : comique raté et bientôt père de famille, l’homme pauvre n’a guère le choix que d’endosser le costume de Red Hood et se rendre complice d’un vol qui va évidemment mal tourner…

batman joker killing joke[Critique]
La première lecture de Killing Joke est toujours délicate. Un sentiment d’effroi devant toute la folie et la barbarie du Joker mais aussi un malaise devant la planche finale sont souvent perceptibles, étrangement également « une petite déception ». En effet, l’œuvre reçoit tellement de louanges qu’on pourrait s’attendre à quelque-chose de plus long (le récit tient sur quarante-six page) et plus dense peut-être, surtout à l’association du prestigieux nom d’Alan Moore. Sauf que Killing Joke fait partie de ces histoires cultes qu’il faut lire et relire, pour en savourer pleinement le talent narratif et graphique. Car la bande dessinée assure sur ces deux terrains.

Il y a tout d’abord le scénario d’Alan Moore, le talentueux britannique maître de Watchmen, V pour Vendetta ou encore From Hell. Il dresse un portrait extrêmement sombre, mais aussi terriblement humain, du Joker au fil des cases. L’éternel dualité qui l’oppose à Batman (qui n’est pas au centre de Killing Joke) est mise en avant avec pertinence : quand cessera le combat entre le justicier et le fou ? Jusqu’où le Joker devra-t-il aller pour que Batman le tue ? Sont-ils destinés à s’affronter inéluctablement ? Le Joker peut-il devenir quelqu’un de bon ? Ces interrogations sont éparpillées, subtilement ou non, jusqu’à la fin de l’ouvrage. Juste avant une « blague qui tue » et qui amuse les deux hommes, comme deux bons copains qui rigolent autour d’un verre. Cela fait froid dans le dos. Surtout en repensant au supplice et à l’humiliation subie par James Gordon et surtout par sa fille. Blessée et handicapée (et peut-être violée) suite à l’attaque du Joker, elle sera contrainte de passer la fin de sa vie en fauteuil roulant (enfin, avant le Relaunch DC Comics). Car oui, c’est de Killing Joke dont sont tirées quelques aspects « incontournables » de l’univers du Dark Knight : le passé du Joker, le sort de Barbara, le retour de Red Hood, le côté extrêmement sombre et la dualité ambiante entre Batman et son ennemi… Tout cela est donc dû à cette œuvre, preuve qu’elle affronte les épreuves du temps avec brio. Elle a influencé les histoires de l’homme chauve-souris, aussi bien en bandes dessinées qu’au cinéma, ou en jeux vidéo et séries animées, et continue de le faire de nos jours.

joker visage avant sans masque(En haut la version recolorisée, en bas la version originale. Cliquez pour agrandir.)

Les dessins de Brian Bolland ne sont pas en reste. Le découpage très symétrique de ses planches, très certainement orientées par les story-boards d’Alan Moore qui lui sont relativement chers, et les points de vue adoptés case après case confèrent au comic-book cette originalité propre. Mention spéciale pour les vues subjectives alternées. En plus d’avoir des traits relativement modernes et qui ne « vieillissent pas » (le récit datant tout de même de 1988), l’artiste réussit à emmener le lecteur dans une ambiance poisseuse et malsaine, par sa violence inouïe (que Moore regrettera par la suite) et le silence « lourd » de certaines scènes. L’édition d’Urban Comics propose la version « de luxe » sortie en 2008. En effet, à la base c’est John Higgins qui avait colorisé Killing Joke (il avait déjà effectué un superbe travail sur Watchmen, toujours avec Alan Moore à l’écrit). Toutes les planches étaient en couleur, avec un petit côté « old-school » et plus psychédélique (on aurait aimé avoir les deux versions dans l’édition tout de même) mais avec peut-être moins « d’efficacité », en terme d’intensité du rendu, que le travail qu’a effectué par la suite le propre dessinateur Brian Bolland. Ce dernier avait reconnu avoir été déçu par ces couleurs, qu’il n’avait pas pu assurer faute d’un emploi du temps chargé (par ailleurs, il est à l’origine du projet depuis le début, c’est lui qui a proposé une histoire indépendante sur le Joker avec Moore comme auteur) et il a donc effectué la recolorisation de son œuvre, pour aboutir à la version qu’il avait en tête dès le départ. Outre de remanier les tons de façon relativement plus froide, et donc de surenchérir par le côté sombre de l’histoire, il a choisi de passer en noir et blanc toutes les scènes de flash-back, exceptés quelques éléments de couleur chaude. Le ton jaune et orange deviendra ainsi rouge vif par la suite avec le masque et la cape de Red Hood, avant que tout le personnage du Joker ne prenne des couleur lors de sa véritable naissance. Superbe.

Killing Joke Barbara Gordon(À gauche la version recolorisée, à droite la version originale. Cliquez pour agrandir.)

L’édition est à peu près la même que celle de Panini Comics, sortie cinq ans plus tôt : la préface de Tim Sale (dessinateur d’Amère Victoire, Un Long Halloween…) est proposée, ainsi que la postface de Brian Bolland (dont la fin suggère une hypothèse avancé par Grant Morrison en 2013 : Batman tue le Joker dans les dernières cases de Killing Joke !) suivi d’une courte histoire : Un parfait innocent. La confession d’un homme en apparence « bien » qui souhaite utiliser son libre-arbitre pour faire quelque-chose de « mal » : tuer Batman. Quelques croquis préparatoires, en noir et blanc et en couleur, ainsi que d’autres couvertures sur le Joker signées Bolland complète cet ouvrage, à posséder obligatoirement (13€ seulement — même si cela peut paraître un poil cher par rapport au nombre de pages de la BD en elle-même, à savoir 46) pour tous les fans de Batman, ceux qui découvrent son univers ou qui souhaitent redécouvrir cette histoire culte.

batman vs joker killing jokeNB : Pour l’anecdote, l’Homme-Mystère a vu l’assassinat de la femme du Joker (avant qu’il ne soit fou) et proposera un marché à ce dernier. C’est à découvrir dans Vengeance, une des histoires qui suivait Silence. D’un moindre intérêt évidemment, mais une curiosité (désolé pour l’article de l’époque, peu fourni, cela a bien changé depuis !).

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 7 mars 2014.

Scénario : Alan Moore
Dessin & Couleur : Brian Bolland
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Christophe Semal & Laurence Hingray (Studio Myrtille)

Publication originale dans The Killing Joke – The Deluxe Edition / Batman Black & White #4 en juillet 2006. Récit originale en 1988.

► Acheter Killing Joke sur amazon.fr

Joker Killing Joke GordonJames Gordon à Batman :
– […] rattrapez-le ! Vous devez le coffrer… et faire ça dans les règles.
– Je vais essayer.
– Dans les règles, je vous dis ! Il faut lui montrer ! Lui montrer que nos valeurs prévalent !

Nightwing – Tome 04 : Sweet Home Chicago

Après les terribles évènements survenus dans Hécatombe, ce nouveau tome composé de six chapitres livre une histoire complète, plus ou moins indépendante et entièrement scénarisé par Kyle Higgins, et sans aucune doute l’un des meilleurs volumes de la série.

Nightwing 4 Home Sweet Chicago[Histoire]
Dick se rend à Chicago, où se cache apparemment Tony Zucco, l’homme qui a tué ses parents. Chicago est une ville où les justiciers ne sont pas très appréciés, tous ont d’ailleurs été tués il y a des années. L’ancien coéquipier de Batman emménage dans un appartement avec deux colocataires, dont Michael, un jeune photo-journaliste.

Avant de poursuivre plus en détails ses investigations sur Zucco, Nightwing doit affronter le Prankster, un homme masqué dont les victimes sont responsables, volontairement mais indirectement, de la mort de plusieurs personnes. Paradoxalement, Nightwing se voit obligé de lui demander son aide pour identifier l’origine d’un mail qui pourrait localiser Zucco…

Nightwing Tome 04[Critique — contient quelques révélations]
Voilà un excellent ouvrage à tout point de vue qui mérite clairement le détour. Tout d’abord ce Nightwing a un côté très « indépendant » puisque Gotham City n’apparaît pas, ni certains protagonistes classiques de l’univers de Batman. De quoi redonner un élan de fraîcheur pour la série. C’est ce qui est également fait grâce à de nombreux nouveaux personnages qui, logiquement, devraient continuer d’apparaître dans la série et d’évoluer. Notamment Michael, le colocataire, mais aussi le maire Wallace, le fameux Prankster et surtout le détective Morgan. Des individus secondaires, pourront aussi être de la partie. Bref il y a un côté nouveau départ plutôt plaisant.

Le cadre de la nouvelle ville ne change concrètement pas grand chose en terme d’utilisation graphique des lieux mais ce n’est pas problématique. Un des points forts du récit se situe dans son scénario et l’évolution intelligente de celui-ci. Kyle Higgins fournit un très bon travail. En effet, l’ennemi peut sembler quelconque au début avant de se révéler plus tard totalement fou et encore plus dangereux. De même pour Zucco, son évolution, peut-être convenue mais en même temps très logique par rapport à ce que l’on nous montre, détonne par rapport aux autres comics. Il y a une grande maturité dans ce récit, pas forcément surprenante ou originale certes, mais extrêmement plaisante. L’histoire amorce en subtilité d’autres éléments qui serviront pour la suite à priori. Ce côté maîtrisé est lui aussi pertinent. Par ailleurs, les dialogues entre Dick et ses interlocuteurs ne manquent pas d’humour et c’est ce côté amuseur, taquin (proche de Spider-Man, avec qui il partage le même goût pour les acrobaties) qui fait mouche !

Nightwing PranksterLes dessins des chapitres sont assurés par Brett Booth pour les trois premiers (#19-#21) puis par Will Conrad (#22-#24). La colorisation est effectuée par Andrew Dalhouse (Pete Pantazis pour le #24). Globalement l’ensemble reste très homogène et convaincant en terme de cohérence visuelle (la série Nightwing souffre de ce soucis : plusieurs dessinateurs interviennent dessus à tour de rôle pour de courtes périodes). Les deux artistes de ce tome offrent un très beau rendu, les planches sont belles, pleines de détails et avec parfois un découpage original et dynamique. C’est là encore un autre atout de Sweet Home Chicago : le rythme s’enchaîne graphiquement et scénaristiquement avec brio, pas de temps mort, pas de longueurs, une parfaite maîtrise de l’équilibre idéale pour une bande dessinée de ce genre. Seul regret : certains visages et corps peints par Dalhouse avec son petit côté trois dimensions.

Cela faisait longtemps qu’un comic de l’univers de Batman n’avait pas remporté l’adhésion à tout point de vue : histoire captivante, intelligente, retournements de situations, surprises, dessins sublimes, nouveaux personnages, etc. C’est donc une lecture fortement conseillée voire indispensable ! Pour les plus amateurs, ce tome ne nécessite pas forcément la lecture des précédents (même si c’est mieux évidemment) ce qui lui vaut un autre avantage. À noter : le prochain volume sera le dernier de la série, celle-ci redémarrant sous le titre Grayson juste après. L’ouvrage propose quelques couvertures originales en noir et blanc.

Nightwing Sweet Home Chicago[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 22 août 2014.

Scénario : Kyle Higgins
Dessin : Brett Booth (#19-#21) et Will Conrad (#22-#24)
Couleur : Andrew Dalhouse (#19-#23), Rod Reis et Peter Pantazis (#24)
Encrage : Norm Rapmund (#19-#21) Carlos M. Mangual (#22-#24)
Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Christophe Semal & Laurence Hingray (Studio Myrtille)

Publication originale dans Nightwing Vol. 4: Second City (The New 52) en juillet 2014.

Nightwing Spidey► Acheter Nightwing sur amazon.fr
• Tome 04 : Sweet Home Chicago
• Tome 03 : Hécatombe
• Tome 02 : La République de Demain
• Tome 01 : Pièges et Trapèzes

Justice League – L’Autre Terre

justice league l'autre terre[Histoire]
Un vaisseau s’écrase dans un champs. Ce n’est pas Superman qui en sort mais… un Lex Luthor adulte, en armure, qui cherche des super-héros !

Ailleurs, la Justice League est appelée au secours d’un avion de ligne en détresse mais une fois sur place, ils constatent que tous les passagers sont morts. Curieusement, ceux-ci ont tous le cœur à droite !

La Ligue se rend peu après au bureau de Luthor justement, pour savoir s’il est impliqué, mais très vite, les membres se rendent compte qu’il ne s’agit pas de « leur » Lex Luthor car celui-ci est plutôt bon, gentil et altruiste. C’est en fait son « double », venu d’une planète jumelle de la Terre.

Dans cet endroit les choses sont inversées par rapport à l’univers que l’on connaît : Luthor est un héros tandis que les justiciers (le Syndicat du Crime) terrorisent la population et les autorités. Luthor s’est donc échappé de son monde pour venir demander de l’aide aux héros de notre planète, qu’il a surnommé Terre 2.

Justice League L'Autre Terre[Critique]
Une courte histoire indépendante (une centaine de pages seulement) écrite par Grant Morrison et dessinée par Frank Quitely, voilà qui donne envie ! Bien avant que le duo n’officie sur Batman (Incorporated notamment), il signe ce récit marginal en 2000, au thème classique : « l’inversion » du Bien et du Mal, dans lequel chaque super-héros se retrouve face à son double maléfique.

Si l’histoire se lit relativement bien, sa fin pourra dérouter par son côté trop « facile » (ou très malin et bien pensé, c’est selon). Une morale et des valeurs inversées ? Pas si simple. La réflexion se pose et finalement, la question du Bien et du Mal n’a pas vraiment de réponse. C’est cette absence de manichéisme et de jugement classique qui apportent les meilleurs atouts à L’Autre Terre, une œuvre par ailleurs très accessible et qui ne part pas dans tous les sens. Hélas, mais c’était sans doute une nécessité, pas le temps de s’attarder un peu plus sur ce Syndicat du Crime et la vie de cette planète jumelle.

Car au-delà du côté plus ou moins philosophique de l’œuvre, c’est son aspect cru et très cynique qui interpelle et il est dommage de ne pas explorer ses représentants : Ultraman, ultra violent et paranoïaque surtout (le Superman de cette autre Terre), Owlman, manipulateur blasé (Batman), SuperWoman, nymphomane perverse (Wonder Woman), Johnny Quick, drogué addict (Flash) et enfin Power Ring, simplet et pleutre (Green Lantern).

Justice League L'Autre TerrePetite mention pour Owlman, le pendant de l’homme chauve-souris, évidemment, qui a donc le hibou pour emblème (bien avant La Cour des Hiboux et dont le costume rappelle celui du personnage éponyme dans Watchmen et Before Watchmen). On découvre que Wayne est commissaire et doit faire face au caïd Gordon. Il s’agit de Thomas Wayne Senior. On comprend que sa femme est morte, ainsi que son fils Bruce frère de… son Thomas Junior (qui est donc le fameux Owlman). Une fois encore, cela rappelle la conclusion de La Nuit des Hiboux, Scott Snyder a peut-être puisé une de ses ressources là-dedans ? Ce côté alternatif évoque aussi celui de l’excellent Terre Un et de Flashpoint (dans lequel l’arc sur Batman était extrêmement réussi !).

On regrettera donc -un peu- qu’il n’y ait pas plus de planches pour découvrir plus en détails ces protagonistes, d’un côté comme de l’autre, c’est le trio Batman/Superman/Wonder Woman qui est mis en avant, au détriment des autres qui font plus de la figuration qu’autre chose (Aquaman et Le Limier Martien sont de la partie aussi). Paradoxalement, une œuvre plus dense et donc plus longue aurait certainement peu convaincu par rapport à sa fin.

Les dessins des visages de Quitely, les lèvres notamment, sont toujours ce qui peut le plus dérouter un lecteur. Le style de l’artiste est très particulier, à feuilleter donc avant l’achat. L’Autre Terre est un récit peut-être trop surestimé car à la fois accessible pour les novices (au niveau des personnages et de l’univers) mais beaucoup moins par son aspect scénaristique. Il est d’ailleurs conseillé de le lire deux voire trois fois pour être bien sûr de tout comprendre. En revanche, pas de scènes épiques et mémorables de la Justice League « classique », il faut se tourner vers d’autres comics pour cela (la collection Renaissance actuelle est idéale pour ça). Script original, story-board et divers croquis enrichissent l’édition (ce qui représente presque un tiers du livre !).

L'Autre Terre Batman Owlman[À propos]
Publiée en France chez Urban Comics le 20 juin 2014.
Titre original : JLA Earth 2 [The Deluxe Edition]
Scénario : Grant Morrison
Dessin : Frank Quitely
Couleur : Laura Martin / Wildstorm FX
Lettrage : Stephan Boschat – Studio Makma
Traduction : Laurent Queyssi
Première publication originale en septembre 2000.

Publiée chez Soleil en novembre 2010, dans le premier tome (sur trois) de leur « collection » JLA (format très agrandi, proche de la BD franco-belge, pour les intéressés).

► Acheter Justice League – L’Autre Terre