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Batman Dark City – Tome 1 : Failsafe

Après le run de James Tynion IV en six volumes (Joker War puis Batman Infinite – et les chapitres de transition de Joshua Williamson dans Abyss), place à une nouvelle ère chapeautée par Chip Zdarsky ! Pour ce premier tome, le scénariste propose Batman face à lui-même (!) façon Terminator (!!) dans une course effrénée et complètement improbable, délicieusement mise en image par un Jorge Jiménez en grande forme ! Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Il est rassurant de penser que le protecteur de Gotham est un maître tacticien inébranlable ayant toujours dix coups d’avance sur ses ennemis. Mais, si c’était le cas, le crime à Gotham aurait été éradiqué il y a déjà bien longtemps. L’homme derrière le masque fascine car il n’est finalement qu’un simple mortel, et le propre de l’homme est d’être faillible. Tandis que les milliardaires les plus influents de Gotham se font assassiner les uns après les autres, Bruce Wayne broie du noir. Arrivera-t-il à s’extirper à temps de ses tourments personnels pour affronter une vieille connaissance et venir en aide à ceux qu’il s’est promis de protéger ?

[Début de l’histoire]
En remontant la piste de deux cadavres trouvés à Gotham, Batman et Robin (Tim Drake) se retrouvent dans un gala de charité où le Pingouin est également de la partie.

Sérieusement blessé, Robin est emmené par Batman/Bruce aux urgences puis va voir le Pingouin, lui aussi entre la vie et la mort dans un lit d’hôpital. Lorsque ce dernier se suicide, le Chevalier Noir est considéré comme le coupable idéal !

Peu après, un mystérieux robot, Failsafe, s’active dans la Batcave. Créée par le justicier lui-même, cet androïde n’a qu’un seul but : tuer Batman !

[Critique]
Ce premier tome de Dark City bénéficie d’un rythme haletant porté sur l’action ! Si c’est ce que le lecteur vient chercher, aucune doute qu’il sera ravi (d’autant plus que c’est visuellement somptueux – on en reparlera), s’il s’attendait à un récit plus mesuré, psychologique ou original, il sera probablement déçu. Reprenons. Failsafe contient les chapitres #125 à #130 de la série Batman (relancée et numérotée à #001 depuis l’ère Rebirth en 2016). C’est donc toujours « la suite » de Batman Rebirth mais surtout de Joker War puis Batman Infinite. Pas de panique : aucun besoin d’avoir lu tous ces volumes (quasiment vingt !) pour comprendre Dark City.

La fiction s’insère bien « chronologiquement » après les deux dernières séries citées et cela est contextualisé dans un avant-propos (et un peu dans la BD). Bruce Wayne est ruiné, sa croisade habituelle bénéficie donc de moins de moyens technologiques et financiers (même si cela ne s’est jamais fait sentir) et son Robin actuel est redevenu Tim Drake (Damian Wayne étant occupé à d’autres affaires, notamment depuis Robin Infinite et Shadow War). On apprécie grandement le retour de Drake, bien plus intéressant ici et dont la relation avec son mentor/père est bien construite. Pas grand chose d’autre à préciser, le reste est l’habituel et éternel statu quo de Batman quand il est en pleine relance… C’est donc accessible mais un peu « référencé » comme on le verra plus loin.

Dans ce premier opus de Dark City, le Chevalier Noir est accusé de la mort du Pingouin et Tim Drake est sévèrement blessé lors d’une sortie nocturne. Passé ce point de départ, c’est le fameux Failsafe qui s’illustre. Qui ça ? Failsafe, un robot surpuissant créé par… Batman. Dans quel but ? Arrêter… Batman. Le justicier a conçu un programme pour le stopper en cas de dérive, exactement de la même manière qu’il avait efficacement mis en place plusieurs plans pour arrêter les membres de la Justice League des années plus tôt (cf. La tour de Babel, citée dans l’ouvrage). La caractérisation du Batman paranoïaque est, quant à elle, dans la droite lignée de Crise d’identité puis Infinite Crisis (cf. index des Crises DC Comics).

S’ensuit une course contre la montre où Failsafe poursuit Batman jusqu’à pouvoir l’atteindre, le blesser, l’achever. Une bonne partie des alliés de l’homme chauve-souris tente de s’interposer et de l’aider (aussi bien la Bat-Famille que d’autres justiciers comme Green Arrow, le Limier Martien, Superman…). Rien à faire, Bruce Wayne, l’un des hommes les plus intelligents de la Terre, est beaucoup trop malin pour avoir bâti un être artificiel « facilement arrêtable ». Le Chevalier Noir fait donc appel au Batman de Zur-En-Arrh !

Entre science-fiction assumée et aventure musclée, Failsafe ajoute une dimension d’action un peu inédite : la personnalité du Batman de Zur-En-Arrh est « banalement » une sorte de personnalité agressive et invincible de Bruce Wayne. Il faut remonter à 1958 pour sa première apparition (Batman #113) où ce Batman au costume coloré provient d’un autre univers. Toutefois, la fin de l’histoire reste ambigüe quant à la nature de cet autre Chevalier Noir, possiblement issu d’un rêve de Bruce. Grant Morrison l’exhume et l’utilise ensuite dans son célèbre run (Batman #673, 2008) et… c’est à peu près tout. Comme pour le titre de Zdarsky, le Zur-En-Arrh fait partie de la psyché de Bruce et se déclenche quand ce dernier est à bout de force et doit passer « en mode survie » (en gros). Une solution de facilité scénaristique un peu étrange mais efficace sur le papier.

Malgré toutes ces descriptions, il y a beaucoup de choses à découvrir et lire dans le volume (en vrac, attention aux révélations (mineures), passez au paragraphe suivant sinon : Batman dans l’océan, Batman dans l’espace (!) et ainsi de suite…). De « l’improbabilité » à tous les niveaux donc… Deux séries back-ups se déroulent en parallèle : la première suit Catwoman à la recherche des enfants (!) du Pingouin (dont les traits dans l’histoire principale sont calqués sur ceux du film de Tim Burton) – une investigation passionnante et inattendue, complémentant habilement la fiction mère – la seconde nous en montrent davantage sur le Batman de Zur-En-Arrh, face au Joker notamment. Toutes deux sont dessinées par deux autres artistes, Belén Ortega et Leonardo Romero, et auraient méritées d’être en fin du livre pour ne pas gâcher l’immersion et le rythme haletant des chapitres principaux mais ce n’est pas très grave.

Batman – Dark City : Failsafe rappelle immédiatement la saga Terminator avec cet androïde « immortel » qui poursuit sans relâche sa cible (en vérité, la source matricielle est plutôt à trouver dans le film Mondwest, désormais mieux connu grâce à son adaptation moderne en série, Westworld). L »écriture des premières pages est réjouissante (la « mort » du Pingouin, la blessure « mortelle » de Robin…) avant de revenir à des choses plus convenues et habituelles. Une sorte de zone de confort à peine émancipée pour y revenir.

Chip Zdarsky était plus inspiré sur Batman – The Knight (sorti le même jour). On doit à cet auteur d’autres livres chez Urban (et donc DC, chez qui il est fraîchement arrivé) : le fameux The Knight donc, mais aussi Red Hood – Souriez ! et des titres indépendants (Newburn, Public Domain – qu’il dessine également…). Zdarsky vient surtout de Marvel, où s’est surtout fait connaître sur son très long et très bon run de Daredevil ainsi que quelques travaux sur Spider-Man, Devil’s Reign… Sur Failsafe, Zdarsky poste des bases intéressantes mais il devra se montrer à la hauteur par la suite (et plus original) car le récit n’est pas spécialement auto-contenu (il appelle à une autres histoire – à date constituée de deux épisodes nettement moins bons) ; il faut donc apprécier davantage la forme que le fond pour se satisfaire du comic.

Ça tombe bien, Jorge Jiménez est en très grande forme, il dessine merveilleusement bien cette épopée explosive qui se déroule dans une foule de lieux différents. Les traits sont précis, l’action lisible et « vivante », les scènes sont dynamiques (on apprécie un hommage à Matrix Reloaded également), fluides… c’est clairement un sans faute ! L’illustrateur est aidé de Tomeu Morey à la colorisation (déjà à l’œuvre sur Batman Infinite et Joker War – où officiait également Jiménez – et sur divers titres comme Batman/Catwoman, Heroes in Crisis…) pour un résultat épatant, alternant habilement toutes les séquences diurnes ou nocturnes, urbaines, aquatiques ou même spatiales. Rien que pour l’aventure visuelle et chromatique, cette première pierre de la série vaut le coup !

Comme brièvement évoqué, Failsafe appelle à une suite (un tome deux donc) mais, comme souvent, si celle-ci n’est pas aussi bonne et idéalement meilleure, ce premier volet ne restera pas dans les annales… D’autant plus que la partie graphique n’est plus assurée par Jimenez dans l’immédiat, il va donc être difficile de faire mieux. À suivre probablement fin 2023 en France… MàJ octobre 2023 : L’homme chauve-souris de Gotham est disponible !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 24 février 2023
Contient : Batman #125-130 + back-ups

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Jorge Jiménez, Belén Ortega, Leonardo Romero
Couleur : Tomeu Morey, Luis Guerrero, Jordie Bellaire

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Coralline Charrier, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

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Flashpoint Beyond

Nouvelle pièce du puzzle narratif complexe chapeauté par Geoff Johns depuis des années, Flashpoint Beyond s’insère « délicatement » dans un ensemble de comics. Il met en avant le Batman de l’univers Flashpoint, donc Thomas Wayne, le père de Bruce (son fils unique a été tué à sa place), comme le montre la couverture choisie. Suite indirecte de Flashpoint et du Monde de Flashpoint (celui sur Batman notamment, éventuellement ceux sur Aquaman et Wonder Woman) mais aussi de Doomsday Clock (!), ce Flashpoint Beyond prolonge également et très brièvement DC Infinite Frontier – Justice Incarnée, dans lequel Thomas mourrait. C’est ce qu’explique brillamment l’avant-propos de l’éditeur, à lire impérativement pour mieux contextualiser l’œuvre.

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir tout sacrifié pour aider Flash à remodeler l’univers et sauver la vie de Bruce Wayne, Thomas Wayne se réveille dans un monde qu’il croyait disparu. Contraint d’enfiler à nouveau le masque de Batman, il arpente les rues de Gotham à la recherche de réponses. Une quête qui pourrait bien l’envoyer aux quatre coins du monde ; notamment en Europe.

[Début de l’histoire]
Dans l’Univers-Prime (« l’habituel »), Batman cherche la montre de Janey Slater (Watchmen) avec l’aide du Mime et Marionnette. Cela empêcherait-il Thomas Wayne de mourir dans l’univers de Flashpoint ?

Dans ce dernier justement, Thomas Wayne se réveille malgré son ancienne « mort », ne comprenant pas pourquoi il a survécu dans son monde. Il part enquêter…

De son côté, Barry Allen investigue sur les victimes de l’Horloger et rencontre Thomas Wayne, qui lui explique toute la modification temporelle que le futur Flash a causé. Allen ne s’en souvient plus…

[Critique]
Comme évoqué en introduction, Flashpoint Beyond poursuit un vaste univers mais – heureusement – il n’y a pas besoin de trop de lectures en amont pour le comprendre et le savourer. Par exemple Doomsday Clock n’est pas très pertinent (uniquement pour les rares apparitions du Mime et de Marionnette et les deux ultimes pages de Flashpoint Beyond), idem pour Le Badge, les Batman Rebirth où intervenait Thomas Wayne ou les DC Infinite Frontier, nul besoin de réellement les connaître.

Il faut surtout avoir lu Flashpoint et le récit (en trois chapitres) sur le Batman de Flashpoint (disponible à l’époque en trois numéros en kiosque puis dans Batman – Cité Brisée (et autres histoires…) et désormais dans Le Monde de Flashpoint – Tome 1 : Batman). Étonnamment, l’œuvre ne s’appelle pas Flashpoint – The Dark Knight ou quelque chose du genre alors qu’il se concentre exclusivement sur Thomas Wayne (donc Batman). Les différents Flash apparaissent à peine, le titre suit avant tout la quête de vérité du père de Bruce.

Pour cela, Beyond se décompose en sept chapitres, un premier qui contextualise (le #0) puis six autres. Le numéro d’introduction (#0) est dessiné par Eduardo Russo, qui avait signé (et donc quasiment « créé ») le fameux Batman du Flashpoint (cf. liens plus haut) – en petite forme ici (cf. les deux images ci-dessous). Cela permet de conserver une homogénéité, ou plutôt une passation graphique. En effet, c’est ensuite l’artiste Xermánico qui illustre la majorité de l’œuvre. Alejandro Germánico Benito González de son vrai nom, un espagnol au style élégant, encré suffisamment pour proposer un monde brutal et différent, avec une colorisation de Romulo Fajardo Jr. pour un résultat sublime, alternant vivacité chromatique et ténèbres mystérieuses (en témoignent les images d’illustrations de cette critique).

Ça tombe bien, la poignée de scènes se déroulant dans le monde du Batman « classique » (Univers-Prime) sont, elles, composées par Mikel Janin (qui opérait déjà sur les Batman Rebirth où intervenaient ponctuellement Thomas Wayne – tout le monde suit ?). Enfin, les deux dernières planches du livre sont de Gary Frank, connectant ainsi Flashpoint Beyond à Doomsday Clocks. Chaque dessinateur s’occupe donc d’un monde en particulier, ne dénotant pas la cohérence graphique de l’ensemble. Un très bon point en somme. Passons au reste.

Le scénario est écrit par Geoff Johns évidemment mais aussi par Jeremy Adams (auteur de quelques chapitres de Flash et de différentes productions d’animation DC plus ou moins notables) et Tim Sheridan (scénariste, entre autres, des excellents films d’animation La mort et le retour de Superman, Le règne des Supermen et Batman – Un long halloween). Trois auteurs pour une histoire pas forcément compliquée mais parfois exigeante tant elle est référencée à d’autres choses. Une fois de plus, en ayant une connaissance un peu familière de l’univers Flashpoint ça devrait aller.

On se plaît donc à suivre plusieurs axes narratifs particulièrement passionnants dont l’investigation de Thomas Wayne pour savoir « pourquoi il est vivant et dans quel but ». On apprécie aussi de naviguer dans un monde où plusieurs rôles sont inversés ou différents de qu’on a l’habitude de lire (la femme d’Harvey Dent, Gilda, est Double-Face, Martha Wayne la Joker,Aquaman et Wonder Woman sont des rivaux, Sofia Falcone est commissaire, etc.). Forcément, les amoureux de Wayne Senior et son côté radical vont aussi y trouver leur compte (il y a un petit côté Punisher qui ne fait pas dans la dentelle dans ce Batman Flashpoint !). Il y a également des choses un peu plus légères, par exemple l’étonnante prise d’affection du Pingouin envers le jeune garçon Dexter recueilli dans le Manoir Wayne (où Thomas et Oswald officient). L’enfant y voit carrément un modèle de paternité de substitution, un rôle qui semble plaire au Pingouin !

Tout cela se révèle plutôt original et palpitant. Il y a bien des passages ardus, quand on dérive sur des explications du Divin Continuum (les initiales de… DC) et les rédactions sans fin autour de l’omnivers, l’espace, l’hypertemps, le multivers, etc. (à l’avant-dernier épisode notamment) mais ils sont plutôt rares donc la lecture globale reste assez fluide et l’ensemble intelligible. Flashpoint Beyond est une réussite en tous points mais s’intercale dans un schéma tellement singulier qu’il ne s’adresse qu’au lectorat bien à jour (soit au minimum deux titres à connaître).

C’est à la fois sa force et sa faiblesse, il enrichit habilement un univers alléchant mais demeure moins abordable pour les autres. Il est à peine auto-contenu car sa conclusion ouverte laisse quelques questions en suspens (notamment avec les Maîtres du Temps et l’étrange connexion à Doomsday Clock). Enfin, en VO le sous-titre de la BD est The Clockwork Killer (L’horloger en français), laissant sous-entendre qu’il pourrait y avoir un autre Flashpoint Beyond ?

Difficile après tant d’années de savoir si l’architecte Geoff Johns a encore des choses à raconter dans sa construction atypique. On a déjà cité la plupart des comics plus ou moins rattachés à Flashpoint Beyond, ajoutons rapidement Trois Jokers qui n’est pas du tout relié mais dont un élément est important (et a fait grand bruit outre-Atlantique). En effet, lorsque la Joker du monde de Flashpoint évoque le Joker de l’Univers-Prime, elle parle d’un homme père de famille (cf. Killing Joke avec un dessin repris en noir et blanc) et donne son identité ! Jack Oswald White. Voilà. Le véritable nom du Joker est ainsi dévoilé, plus de quatre vingts ans après sa création. Au détour d’une case et d’un dialogue presque anodin. C’est très étrange… Et difficile de savoir si c’est une information officielle et canonique (elle n’a jamais été reprise ensuite).

En somme, Flahspoint Beyond est une proposition très originale, un brin « bordélique » (on insiste sur les guillemets – nous sommes loin des délires de Scott Snyder et son Multivers Noir par exemple), superbement illustrée, plaisante à suivre et inédite. Reste (à l’instar de Catwoman – Lonely City, chroniqué en même temps) qu’il manque quelque chose qui le rendrait davantage culte. La faute sans doute a son statut un peu bâtard : pas vraiment un récit sur Batman, pas du tout un titre sur Flash, pas non plus une fiction s’insérant dans la « chronologie officielle du Chevalier Noir », pas un one-shot indépendant, pas vraiment lié à une seule œuvre mais à plusieurs petits bouts ici et là… C’est une belle récompense pour les complétistes mais c’est probablement moins enthousiasmant pour les autres.

(Deux autres critiques intéressantes : celle des Toiles Héroïques et celle d’UMAC.)

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 mars 2023.
Contient : Flashpoint Beyond #0-6

Scénario : Geoff Johns, Jeremy Adams, Tim Sheridan
Dessin : Eduardo risso, Xermánico, Mikel Janin, Gary Frank
Couleur : Trish Mulvihill, Romulo Fajardo Jr., Jordie Bellaire, Brad Anderson

Traduction : Yann Graf
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Maurine Denoual, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

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Batman : Gotham Knights – Gilded City

(Faux) prologue du jeu vidéo Gotham Knights, la série Batman : Gotham Knights – Gilded City a été proposée en France sous forme de six numéros (contenant chacun un code pour télécharger un bonus) entre novembre 2022 et mars 2023. Aux État-Unis, la publication a été similaire avec, en plus, la compilation de l’ensemble qui sortira le 25 juillet 2023.


[Résumé de l’éditeur – numéro #1 uniquement]
Une toxine semblable à celle de l’Épouvantail semble s’être emparée de Gotham. Tous les habitants, fans de sport, de jeux vidéo, de mode, semblent dopés à la sérotonine et cherchent à obtenir tous les goodies possibles liés à leur passion, quitte à s’en prendre violemment aux autres. L’enquête de Bruce Wayne le mène vers Blüdhaven, la ville protégée par Nightwing, mais ce dernier ne semble pas ravi de voir son ancien mentor débarquer sur ses terres…

[Critique]
Entre le résumé officiel de Gilded City, le jeu vidéo Gotham Knights très inégal – auquel ces comics ne sont pas tant que ça rattachés – et le prix élevé de l’ensemble des six numéros (29,40 € – on y reviendra), on serait tenté de faire l’impasse sur cette série de comics assez singulière. Même si c’est oubliable et assez bizarre, Batman : Gotham Knights – Gilded City possède quelques qualités (graphiques notamment). L’œuvre est très étrange, elle embarque le lecteur dans une ligne temporelle familière (la Bat-Family coexiste habilement et enquête dans Gotham) tout en donnant la furieuse impression de ne pas livrer toutes les clefs de compréhension. On débarque comme un cheveu sur la soupe et, par exemple, on ne comprend pas pourquoi Nightwing en veut à Batman. Chez les héros justement, Batman et Nightwing sont assez présents, Robin (Tim Drake) et Batgirl campent leurs habituels seconds rôles, Red Hood n’apparaît qu’à la fin, c’est dommage. Le virus qui sévit est à la fois ridicule (s’inspirant de multiples maux modernes comme le fomo (fear of missing out, la « peur de manquer » une information, une publication sur un réseau social…)) et à la fois redoutable bien qu’aucun combat ne soit mémorable ou particulièrement dangereux pour les héros.

Une seconde histoire se dessine et prend place en 1847, plus passionnante que la contemporaine. On y découvre un mystérieux justicier, Le fugitif (en couverture du premier numéro), qui combat pour la liberté à une époque où règne encore l’esclavage et où le racisme est omniprésent. De quoi suivre un couple de femmes noires dans un quotidien difficile et de croiser la route de l’immortel Vandal Savage (en couverture du sixième numéro) ! L’antagoniste semble jouer sur deux tableaux et – sans surprise – la Cour des Hiboux s’en mêle. C’est dans cette partie que le scénariste, Evan Narcisse, livre une proposition moins convenue qu’il n’y paraît.

En résulte une palpitante narration où l’on souhaite que les deux récits se connectent (vers la fin) et où l’on désire « en savoir plus » sur Le Fugitif. Problème : ce spectacle conclusif n’est clairement pas à la hauteur (on en parle dans le paragraphe suivant, à ne pas lire pour éviter les révélations). Si Gilded City surprend en utilisant un ennemi peu connu (à l’instar du jeu vidéo Gotham Knights), il propose une fiction pas vraiment auto-contenue. Comme déjà évoqué, on a l’impression qu’il manque une véritable introduction ou des éléments explicites. La double aventure est conçue étrangement, épousant un rythme efficace mais survolant un peu tout et ne prenant pas le temps d’apprécier ses (nombreux) protagonistes. Le titre ne sert même pas vraiment de prologue au jeu vidéo car il peut se dérouler plein d’autres choses après et – pire ! – aucun des nouveaux personnages présentés ici n’apparaît dans le jeu !

C’est là la principale « incompréhension » (absurdité dirons les plus sévères) de Gilded City. Il n’y a aucune connexion avec le jeu vidéo : Ra’s al Ghul n’est pas présent (lui qui ouvrait le jeu), l’armée de Fugitifs non plus, Vandal n’est jamais évoqué et ce fameux virus trouve juste un écho dans une enquête sur un barrage mais c’est bien maigre. Bien sûr il y a la dynamique d’équipe qu’on retrouve ainsi que les Hiboux (même s’ils n’apparaissent que dans le passé dans le comics), Jada Thompkins (fille de Leslie), Harley Quinn à Blackgate, etc. mais c’est clairement insuffisant ! Il n’y a absolument aucune raison de vendre ces comics sur la base du jeu vidéo, c’est presque une publicité mensongère ! Mais c’est aussi une force : cela veut dire qu’un non connaisseur du jeu peut le lire s’en problème. Attention, s’il espère y trouver une sorte de « suite directe » dans le jeu, ce ne sera pas le cas. Sachant qu’à date il n’y a pas d’autres comics prévus autour de cet univers, on ne sait pas trop où veut en venir l’auteur. D’un point de vue narratif, on est aussi dubitatif sur la longévité du Fugitif qui traverse les âges sans justification cohérente. Cela fait beaucoup…

Il faut donc se tourner vers les graphismes pour apprécier un peu plus l’histoire. C’est relativement beau et soigné. Les couvertures sont signées Greg Capullo, qu’on ne présente plus (la série Batman avec Scott Snyder) et les dessins d’Abel (qu’il encre également). Les couleurs sont de John. Abel et John donc, pas très connus pour l’instant. Abel est (visiblement) portugais et avait œuvré sur des chapitres de Harley Quinn et Catwoman (cf. son site). Ses traits rappellent ceux de Capullo, c’est donc très fin, aéré, épuré, lisible et soigné. Couplé à la colorisation de John (à priori le diminutif de l’artiste John Rauch, cf. son compte Twitter), jouant beaucoup sur les palettes sépia pour le Gotham de 1847 avec d’élégants effets de lumière. L’ensemble est donc relativement joli (à défaut de pouvoir feuilleter les numéros car ils sont tous scellés dans un sachet plastique – pour que le code de téléchargement ne soit pas volé).

À l’écriture, Evan Narcisse fait du mieux qu’il le peut. Côté comics, il n’avait rien écrit auparavant pour DC mais uniquement pour Marvel (sur Black Panther notamment). Narcisse est également journaliste et aussi concepteur narratif de jeux vidéo mais… il semblerait qu’il n’a pas travaillé sur Gotham Knights ! Il était impliqué, toujours côté Marvel, dans les jeux Spider-Man et Avengers, c’est-à-dire l’excellence et le très moyen. Étrangement il a donc atterri sur cette série Gilded City, outil marketing mi-figue mi-raisin. En effet, chaque fascicule offre un code de téléchargement (à activer depuis ce site) pour un bonus cosmétique à récupérer dans le jeu vidéo. Six sont donc disponibles et un septième est également gratuit si on a cumulé tous les précédents. Il s’agit par exemple d’un skin du Batcycle pour le premier numéro ; des bâtons d’escrime et Tonfa de l’Âge d’or des comics et ainsi de suite (cf. image récapitulative en fin de cet article – les codes sont masqués par la barre grise). Cela a donc très très peu d’intérêt, in fine

C’est là où la somme totale des comics frôle l’aberration : 29,40 € pour 144 pages de comics et ces fameux codes… Si tous les chapitres avaient été compilés dans un recueil, on serait à un prix autour d’une quinzaine d’euros. Notons qu’aux États-Unis cette version complète est prévue pour juillet prochain (cela n’a pas été annoncé pour la France et ne devrait pas arriver en principe). Pour précision, le gros carré rouge sur les couvertures n’est pas un autocollant, il est imprimé ainsi… Cela empiète donc sur les beaux dessins (de Capullo) et ajoute une autre certaine déception…

En synthèse et sans réellement de surprise, Batman : Gotham Knights – Gilded City n’est pas très utile malgré ses jolies planches et son récit dans le passé de Gotham. Elle n’apporte rien de plus au jeu vidéo contrairement à ce qu’on pourrait penser (faute d’avoir, pour l’instant, une éventuelle suite) et n’est pas suffisante comme récit indépendant. À réserver aux complétistes ou ceux qui voudraient bénéficier des codes de téléchargement pour un jeu vidéo lui aussi moyen.

[À propos]
Publié chez Urban Comics de novembre 2022 à mars 2023.
Contient : Batman : Gotham Knights – Gilded City #1-6

Scénario : Evan Narcisse
Dessin et encrage : Abel
Couleur : John
Couvertures : Greg Capullo & Jonathan Glapion

Traduction : Benjamin Viette
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)

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