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Batman Univers Hors-Série #2 : quatre récits complets d’Harley Quinn

Mis en vente fin juillet 2016, quelques jours avant la sortie du film Suicide Squad, le deuxième hors-série du magazine Batman Univers avait choisi de capitaliser (à raison) sur Harley Quinn. Au programme de ce numéro : quatre récits dont trois assez longs où la femme déjantée accompagne Wonder Woman puis Catwoman et Poison Ivy et, enfin, la Suicide Squad. A noter que chaque épisode est désormais inclus dans des tomes différents en librairie. Découverte.

[Histoire • Harley’s Little Black Book #1 – Le petit livre noir de Harley !]
Harley apprend qu’une attaque au gaz va avoir lieu à Londres, notamment pour s’en prendre à Wonder Woman qui y séjourne au même moment. L’ancienne copine du Joker compte bien sauver la Princesse des Amazones, son idole de toujours et, pourquoi pas, formait un duo d’héroïnes !

[Critique]
Sans grand intérêt (des gags peu drôles et situations ubuesques qui le sont à peine plus), cet épisode ne reste pas dans les mémoires. Visiblement, il se déroule peu après le quatrième tome de la série Harley Quinn (Le Gang des Harley), scénarisé par le même binôme d’artistes qu’ici : Jimmy Palmiotty et Amanda Conner (cette dernière aux dessins avec John Timms) – dont on garde clairement un meilleur souvenir sur le premier volume de la fiction. En synthèse, la rencontre Harley Quinn/Wonder Woman est plate au possible et mériterait un meilleur traitement ; peut-être par la suite car ce chapitre (qui peut tout à fait se lire de façon indépendante) a été publié avec ses cinq suivants quelques mois plus tard dans le one-shot Harley Quinn – Little Black Book.


[Histoire • Harley Quinn Road Trip Special #1 – Road-trippant]
L’oncle d’Harley est décédé. Sa nièce doit traverser les États-Unis pour que les cendres du défunt reposent près de celles de son ancienne épouse. Catwoman et Poison Ivy accompagnent Harley pour effectuer ce road-trip à travers le pays. C’est parti pour une virée entre filles déjantée !

[Critique]
Un épisode un peu plus sympathique que le précédent, un brin plus drôle surtout, principalement servi par les dessins de Bret Blevins (et quatre autres artistes). Là encore, le récit se déroule en marge de la série Harley Quinn de l’époque (période NEW 52/Renaissance), toujours signée Conner/Palmiotty qui écrivent également ce bonus. On retrouve donc Harley émancipé du Joker et une petite mention à la série mère, plus exactement au tome 3 (Dingue de toi), ce chapitre fut d’ailleurs publié dans le tome suivant, le 4 (Le Gang des Harley). Bref, gentiment amusant malgré quelques clichés…

[Histoire • Batman : Gotham Knights #14 – Le pari]
Enfermées à Arkham, Harley et Poison Ivy se lancent un pari amusement mais un peu risqué : l’empoisonneuse estime que chaque homme du pénitencier peut tomber sous son charme et l’embrasser !

[Critique]
Huit pages seulement et pourtant c’est (nettement) mieux que les deux épisodes précédents ! Sans surprise, on replonge dans l’univers du dessin animé de Batman puisque Paul Dine signe le scénario, Bruce Timm l’illustration de couverture – les dessins de la bande dessinée sont assurées par Ronnie Del Carmen, qui s’efforce d’approcher du style de Timm avec une certaine réussite. Initialement, ce court récit est paru en noir et blanc dans Batman Black & White mais a été mis en couleur pour l’occasion (on ignore par qui en revanche). L’histoire se déroule quand Harley est encore férocement amoureuse de son poussin. Pour cause, le titre est sorti en avril 2001, bien loin de l’émancipation actuelle de l’ancienne docteur… Une fois de plus, on pouvait le retrouver en librairie à peu près au même moment que la sortie du magazine (juillet 2016), dans le second tome de Batman Black & White (mais en noir et blanc, forcément). Plus récemment, sa version couleur a été incluse dans Batman Arkham – Poison Ivy (avril 2021).

[Histoire • Harley Quinn and the Suicide Squad | April Fools Special #1 – Méchants anonymes]
Harley veut aider les « vilains » en leur proposant une thérapie. Une « reconversion » pour l’ancienne psychiatre qui semble lui convenir… Mais derrière sa bonne volonté, elle doit affronter les super-héros habituels, sans compter Amanda Waller qui veut la recruter pour la Suicide Squad.

[Critique]
Rob Williams écrit cet épisode particulier qui est en fait l’introduction de la nouvelle série Suicide Squad de 2017 (il a été publié quelques mois plus tard dans le premier tome de la série Suicide Squad Rebirth). On a donc plus envie de lire la suite que de se contenter uniquement du chapitre sublimé par les dessins de Jim Lee (pour le monde réel) et Sean Galloway au style totalement cartoonesque (pour la partie onirique). Un mélange des genres singulier mais qui fonctionne plutôt bien.

[Conclusion de l’ensemble]
Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas trop. Elles se bonifient l’une après l’autre, la première étant clairement la pire et les deux dernières les meilleures. Rien d’extraordinaire non plus si ce n’est une compilation sympathique pour les amoureux d’Harley Quinn (même s’il y a fort à parier qu’ils ont déjà probablement lu tout cela dans les tomes libraires avec le reste des séries…).

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 29 juillet 2016

Scénario, dessin, couleur, encrage, couleur : collectif

Traduction : Ben KG et Jérôme Wicky (Le Pari)
Lettrage : Stephan Boschat (studio Makma)

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Batman ’66 en comics (Batman Saga HS #8 et Batman Univers HS #1)

Sortis fin octobre 2015 et fin avril 2016, deux hors-séries du magazine Batman de l’époque (Batman Saga puis Batman Univers) ont proposé une quinzaine de courtes aventures de Batman ’66, la suite de la série des années 1960 en comics (lancée en 2013) ainsi que le fameux « épisode perdu » sur Double-Face. Explications et critique de l’ensemble.

[Résumés et critiques • Batman Saga – Hors-série #8]
Sans surprise, l’ensemble est très léger, ne vole pas bien haut mais rend un hommage agréable à la série, en reprenant son ton (les « Nom d’un… » de Robin, le kitch de certaines situations) et bien sûr sa « direction artistique ». Les amoureux du show seront donc comblés. Au programme,  sept chapitres dont trois back-up (histoires plus courtes), tous scénarisés par Jeff Parker. La perfidie du Sphinx met à l’honneur le vilain du titre de retour à Gotham face à Batman et Robin mais aussi Catwoman. Pingouin Empereur repose sur un concept amusant et efficace : Copplebot est déclaré empereur d’un iceberg flottant (rappelant, forcément, son célèbre casino flottant initié dans quelques titres sortis au même moment et à ne pas confondre comme Empereur Pingouin), sur lequel la justice de Gotham ne peut donc pas intervenir. Pire (ou mieux) : il est associé à Freeze pour consolider son énorme bloc de glace, ce dernier est accroché en secret à un sous-marin afin de se déplacer si besoin. Une idée ingénieuse qui mériterait d’être reprise et modernisée avec un filtre sombre. La chanteuse de Chandell propose une ennemie proche du pouvoir de Black Canary : Sirène (apparue dans la troisième et dernière saison), acolyte du pianiste Chandell (campé par Liberace dans la série télé !).

Le Joker voit rouge est un épisode intéressant, il convoque Red Hood et Harleen Quinzel sous le prisme graphique de la fiction TV, du « jamais vu » donc, Quinzel étant créée trois décennies plus tard… plaisant. Le reste du scénario est assez banal mais fait le job dans le cadre instauré. Les œufs sont faits met en avant l’ennemi (peu connu) Tête d’Œuf, incarné par Vincent Price à l’époque et qui n’a jamais réellement rejoint les comics ensuite à de rares exceptions près oubliables. Comme ici, il y a plein de « j’œufs de mots » assez pénibles, couplés à ceux déjà risibles de l’ensemble de l’œuvre… Le couronnement du Chapelier montre une version moustachue du Chapelier Fou, inspirée à la fois par l’acteur David Wayne de la série TV bien sûr mais aussi du second Chapelier introduit dans Detective Comics #230 (1956). Le duo dynamique le poursuit dans les rues de Londres entre terre et air dans une folle course amusante et flashy à souhait. On y croise aussi les Beatles le temps d’une case, le cousin de Gordon et la venue d’Alfred pour seconder les justiciers sans que ça titille la curiosité des fans de Batman et Robin… Le réveil de l’horloger propose (toujours à Londres) un affrontement avec le Roi du Temps, alias l’horloger.

[Résumés et critiques • Batman Univers – Hors-série #1]
On retrouve à nouveau quatre chapitres, chacun avec un back-up, gonflant le nombre d’épisodes à huit, introduits par un épisode spécial (The Lost Episode) écrit initialement pour la série par Harlan Ellison puis remanié par le célèbre Len Wein pour la bande dessinée. Dans ce dernier, Les crimes en deux temps de Double-Face, on rencontre évidemment le célèbre procureur qui n’avait pas bénéficié d’une incursion dans la série télé (très difficile à adapter et absent des comics durant la diffusion). Cet épisode spécial est un peu plus long et, une fois de plus, ne renouvelle pas le genre mais propose de découvrir Harvey Dent défiguré avec le style graphique codifié de la version TV (ainsi qu’un costume proche de celui qu’endossait Tommy Lee Jones dans Batman Forever, un autre hommage ?). Le marchand de sable va passer remet en avant un ennemi de troisième zone (ledit marchand de sable), une fois de plus sans grand intérêt. A la poursuite de la topaze tigre voit Catwoman affronter Batgirl durant quelques pages « au glamour léger et insouciant » (sic). 

Un rat à la plage propose là aussi un vieil antagoniste conçu uniquement pour le show (le Rat de Bibliothèque – aperçu dans Gotham Academy), cherchant l’identité de Batman et étant visiblement idiot… comme tous les personnages proches des justiciers qui ne comprennent pas son alias civil (et ne parlons pas de Gordon, presque mutique voire absent ni de la police de Gotham en général). La charge des cosaques ! suit Olga, ancienne partenaire de Tête d’Œuf, croisé dans le magazine précédent (voir plus haut) qui combat le binôme avec ses… ours ! Faux ami, vrai ennemi ! place le spécialiste du déguisement Faux-Visage (repris dans l’annual #1 de Detective Comics par Tony Daniel) qui utilise le visage de Bruce Wayne pour commettre des crimes. A l’instar du Pingouin associé à Freeze dans le premier opus, on trouve là aussi un concept efficace qui pourrait être repris (avec Gueule d’Argile) et remanié habilement. Plan Social chez le Joker ! montre, forcément, le Clown du Crime cabotin sous les traits de Cesar Romero et sa fameuse moustache sous son maquillage ; mais sans grand intérêt encore… Enfin, Les sables du temps se concentre sur le Roi Tut, vilain remarqué sur cinq épisodes de la série TV (sur cent vingt au total) persuadé d’être la réincarnation d’un phararon – de quoi proposer la planche la plus éclatée de tous les comics Batman existants, à découvrir en VF en bas de cette critique. Pour conclure le numéro, C’est le majordome qui a fait le coup ! met bien sûr en avant le célèbre Alfred (ou plutôt son cousin sosie criminel (!)), sans oublier Tante Harriett, qui servait de caution féminine dans une fiction trop centrée sur des personnages masculins.

[Conclusion]
Sans surprise, les fans de la série télévisée vont y trouver leur compte, les autres, plus habitués au Chevalier Noir sombre et moderne, ne devraient pas accrocher – au mieux y déceler une certaine curiosité. Comme dit, on y retrouve les ingrédients phares du show, haut en couleurs avec son indémodable Batmobile de l’époque (ainsi que sa version londonienne), ses répliques légères, ses bons sentiments, son téléphone rouge et son ensemble kitch (l’escalade des murs « verticaux/horizontaux » est visible aussi par exemple) – il manque tout de même les célèbres onomatopées. Les combats sont farfelus, expéditifs, rien est jamais très sérieux ou épique, les bulles explicatives peu utiles renforcent ce côté vintage parfois apprécié, avis aux amateurs donc ! Heureusement, Urban introduit entre chaque épisode qui est qui et contextualise l’ensemble. On se contentera de deux ou trois histoires un brin plus originales que les autres, c’est assez maigre par rapport au total proposé.

Jeff Parker et Tom Peyer en sont les scénaristes. Côté dessins, un collectif vaste (de dessinateurs et coloristes) officie sur les épisodes, singeant les visages emblématiques d’Adam West et Burt Ward (Batman et Robin) bien sûr. On note Jonathan Case sur plusieurs chapitres et Mike Allred sur les couvertures. L’ensemble reste assez cohérent graphiquement et, une fois encore, devrait surtout ravir les aficionados. Aux États-Unis, Batman ’66 a été publié de 2013 à 2016, s’étalant sur trente chapitres (chacun avec un back-up), donc près de soixante courtes aventures au total ! De 2015 à 2018, d’autres séries se déroulant dans le même univers ont vu le jour, Batman rencontrant Green Hornet ou Wonder Woman par exemple. En France, à l’exception de ces deux numéros hors-séries *, il n’y a pas eu d’intégrales ou de compilation en librairie. Si Urban Comics a abandonné la publication sous forme de hors-série, c’est que les deux volumes présentés ici n’ont probablement pas convaincus les lecteurs et donc les acheteurs…

* S’ils ne sont officiellement plus en vente, ils restent facilement trouvables sur Internet à prix tout à fait correct (cf. liens amazon en bas de cet article).

(J’évoquais longuement la genèse de la série des années 1960 puis le film et même ces comics dans la vidéo de mars 2021 pour ceux qui voudraient en apprendre davantage sur le sujet 🙂 )

[A propos]
Publiés en France cher Urban Comics dans Batman Saga Hors-Série #8 (23 octobre 2015) et Batman Univers Hors-Série #1 (22 avril 2016).
Contient Batman ’66 #1-4 et Batman ’66 #5-8 + The Lost Episode #1

Scénario : Jeff Parker
Dessin : Jonathan Case + collectif
Couleur : collectif

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Batman Univers Hors-Série #1

The Batman’s Grave

[Résumé de l’éditeur]
Quand Batman découvre le lien caché entre l’assassinat d’un ancien inspecteur de la criminelle et celui d’un avocat véreux, c’est le début pour lui d’une traque sans relâche qui le mène vers un nouvel ennemi : Scorn. Ce dernier monte une armée de tueurs implacable à même de vaincre le Chevalier Noir, qui se trouve de son côté de plus en plus isolé. Bruce Wayne a peut-être enfin atteint sa limite.

[Histoire]
Dans un futur proche, Alfred nettoie religieusement les tombes de Thomas et Martha Wayne mais aussi celle de… Bruce Wayne.

Dans le présent, Batman découvre dans un appartement un cadavre fortement décomposé. La victime semblait être obsédée par le Chevalier Noir : le mur est tapissé de coupures de presse sur les exploits du justicier de ces cinq derniers années.

Batman retrouve sans trop de difficulté l’assassin, inconnu au bataillon, puis le livre à Gordon.

Pendant ce temps, au Manoir Wayne, Alfred a de plus en plus de mal à supporter la croisade et les convictions de son maître. Le majordome noie son spleen dans l’alcool régulièrement, sans que cela inquiète Bruce davantage.

Un second meurtre donne du fil à retordre à Batman, qui peine à comprendre les connexions entre les affaires et qui se cache derrière.

Vous vouliez installer des ordinateurs qui observent et écoutent les gens chez eux.
[…]
Évidemment.

[Critique]
Un peu plus de 300 pages, douze chapitres, un excellent rythme (le récit s’étale sur quelques jours à peine), de beaux dessins… voilà une lecture plutôt plaisante, parfois originale (on y reviendra), parfois convenue (idem). Au global, The Batman’s Grave est une aventure solitaire du justicier de bonne facture mais rien de révolutionnaire ici. Derrière le faussement prestigieux Black Label et le nom de Warren Ellis (cf. double paragraphe sur l’auteur en fin d’article), se cachent un titre un peu plus irrévérencieux que d’habitude par son sarcasme (Alfred un poil en roue libre) et ses planches (un brin sanglantes mais rarement choquantes) mais hélas sans grande envergure non plus. Explications.

Le plus gros point faible de l’histoire est son antagoniste ; ou plutôt les ennemis au sens large. Sans en dévoiler trop, le « méchant » (Scorn, manquant cruellement de charisme) et ses sbires sont une création pour le comic-book. Par conséquent, le pari est très risqué : introduire un nouveau personnage au sein de la prestigieuse galerie de vilains dans l’univers de Batman est toujours délicat et ce(s) protagoniste(s) résiste(nt) rarement au temps, à défaut de survivre à la fameuse « postérité ». On pense par exemple à Silence (Hush), brillamment introduit et exploité dans la bande dessinée culte du même titre mais qui, des années après, n’arrive plus à revenir avec les honneurs – Scorn n’est d’ailleurs pas sans rappeler Tommy Elliot par certains aspects.

Plus récemment (en France), on a pu redécouvrir le Faucheur, là aussi dans un titre plutôt bon (Année Deux) mais qui peine à s’inscrire dans la mythologie du Chevalier Noir, aussi bien dans d’autres comics que des supports différents. Bref, c’est aussi le cas pour Scorn, rapidement oublié, énième adversaire plus ou moins « miroir » de Batman, auquel s’ajoutent ses soldats, proches du look de Zsasz. On aurait pu remplacer tout ce monde par Double-Face, Bane et Jonathan Crane, tous trois correspondants à des ennemis croisés ici. C’est ce qui aurait pu permettre à The Batman’s Grave de s’ancrer davantage dans le monde du Chevalier Noir et, peut-être, devenir incontournable – s’il avait été couplé à une meilleure écriture de son antagoniste bien sûr.

Il y a pourtant de belles choses qui peuplent la narration et offrent des moments appréciables et de temps en temps singuliers. On pense en premier lieu à la relation très forte entre Alfred et Bruce. Tour à tour complices ou en profonds désaccords, les deux hommes servent le meilleur de The Batman’s Grave. On suit leurs échanges dans le quotidien à de nombreuses reprises avec une redoutable efficacité. A l’exception de Gordon, le célèbre majordome est d’ailleurs le seul allié de Bruce/Batman tout au long de la fiction (pas de Bat-Family ici donc, retour « à l’ancienne » avec le moins de personnages, ennemis ou alliés, familiers au possible).

On découvre un Alfred plus sarcastique que d’habitude. « Qu’est-ce que vous faîtes ici, d’ailleurs ? Vous travaillez toute la journée dans le manoir et vous passez vos nuits dans la cave. Comment est-ce possible ? » s’interroge Bruce. « En règle générale, je tiens le coup en me bourrant d’excellente cocaïne, monsieur. » répond son majordome avec son légendaire flegme britannique. Plus loin, quand son maître lui demande ce qu’il fait [quand Bruce Wayne n’est pas là], Alfred sourit et rétorque « vous n’avez jamais entendu parler du motard nu de Gotham ? ». Entre deux excursions nocturnes, Alfred propose aussi la série « Batman : The Office » puisque la majorité de ses enquêtes se déroulent, in fine, « devant des écrans comme des employés en open-space ». Outre ses petites répliques, l’homme de main n’hésite pas à utiliser la violence et adopter un comportement aussi radical et étonnant que celui de Batman de temps à autre.

Les fans de jeux vidéo apprécieront probablement l’aspect « enquête » mettant Batman à la place de la victime, recréant le décor virtuel de la scène de meurtre autour de lui, un peu comme dans Arkham Origins notamment (même si cela génère un côté confus de temps à autre). Comme évoqué, James Gordon est le second et unique allié du justicier tout le long de l’aventure. En résulte, là aussi, de beaux moments : quelques échanges bien imagés et une incroyable séquence de survie à l’asile d’Arkham. Les scènes d’action sont particulièrement bien découpées, très dynamiques, lisibles et fluides.

Le dessinateur Bryan Hitch prend son temps, gourmand en utilisation de cases ou pleine page pour croquer ses combats et sauvetages, dans un mutisme certain bienvenu et nécessaire. C’est là l’autre point fort du livre : les traits de Hitch (Justice League – Ascension, Justice League Rebirth…) servent à merveille les plans iconiques de la ville (principalement nocturnes) et, comme déjà dit, les affrontements. Bien aidé par la colorisation du fidèle Alex Sinclair, le dessinateur confère une fragilité physique très plausible à son héros, couplé à son évolution et son écriture de Warren Ellis – en très petite forme au demeurant, on ne reconnaît pas des masses « sa patte » et on était légitimement en droit d’attendre une narration plus qualitative. C’est du Ellis assez paresseux mais ça se lit bien et vite.

Alors, pétard mouillé ou non ? Difficile de trancher… si les dessins vous séduisent et sans être trop exigeant (le fameux prisme du divertissement honorable « sympa sans plus »), alors The Batman’s Grave devrait vous ravir. Si vous attendez un titre plus novateur dans sa forme ou son fond, surtout pour du Black Label, aucun doute que vous serez déçu… Complètement dispensable donc ; à découvrir principalement pour les planches de Hitch et à acheter en connaissance de cause des affaires sur Ellis (voir paragraphe ci-après l’image).

La fameuse tombe (Grave en VO) ouvre et ferme le livre de façon abrupte, sans forcément être mise davantage en avant. Un petit côté étrange donc (mensonger ?), de même que la couverture choisie par Urban Comics, certes assez élégante, mystérieuse et alléchante mais qui n’est pas très représentative de la BD et différente de celle du chapitre qui la propose à la base (contenant un gantelet de Batman autour d’une flaque de sang). Comme souvent chez Urban, des couvertures alternatives concluent le livre (avec deux biographies).

Ces trente dernières années, Warren Ellis a écrit divers épisodes de super-héros, aussi bien chez DC Comics/Vertigo (Batman, Justice League, Hellblazer/John Constantine…) que chez Marvel (Iron Man, Daredevil, Thor, X-Men, Ultimates…) mais ses travaux les plus marquants sont chez Wildstorm avec ses excellentes séries The Authority / Stormwatch (déjà avec Bryan Hytch) et Planetary par exemple. On lui doit également le chouette triptyque Black Summer, No Hero, Supergod (disponible en un seul volume en France). Son chef-d’œuvre est sans conteste Transmetropolitan (publié de 1997 à 2002 et toujours aussi puissant de nos jours) où l’auteur ne s’est fixé aucune limite dans sa critique de la société, son style d’écriture trash et ses scènes explicites. Pour les curieux, une partie de sa bibliographie (en anglais) est disponible ici. On note aussi son écriture sur des séries d’animations japonaises adaptant Marvel (!) : Iron Man, X-Men, Blade et Wolverine (disponibles en coffret DVD chez nous, on conseille surtout celle des X-Men, résultat hybride assez captivant entre les comics et les mangas).

Warren Ellis est plus discret depuis 2020 car il a été accusé par plusieurs dizaines de femmes d’avoir un comportement « toxique » et d’abuser de son influence pour coucher avec des personnes plus jeunes que lui (mais toujours majeures – rien de répréhensible aux yeux de la loi stricto sensu mais moralement très limite). Ces accusations n’ont pas entaché la fin de son travail sur The Batman’s Grave au moment de sa publication (elles sont survenues en juin 2020, peu avant la mise en vente du huitième chapitre, sur les douze prévus). L’histoire a été bien récapitulée sur comicsblog.fr avec les faits puis la réponse de l’intéressé (à chacun en son âme et conscience donc d’acheter, lire ou soutenir Warren Ellis désormais). C’est probablement à cause de cela qu’Urban Comics a peu communiqué sur la sortie de la bande dessinée, favorisant un certain mutisme plutôt qu’une publicité mi-prestigieuse (« L’auteur de Transmetropolitan sur du Batman ! ») mi-polémique, forcément.

[A propos]
Publié en France le 7 mai 2021 cher Urban Comics

Scénario : Warren Ellis
Dessin, encrage et couvertures : Bryan Hitch
Couleur : Alex Sinclair

Traduction : Laurent Queyssi
Lettrage : Moscow Eye

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