Crisis on Infinite Earths

Titre emblématique, ambitieux et exigeant, Crisis on Infinite Earths est la première « crise » majeure de DC Comics, publiée en 1985 et 1986. Elle a permis de relancer les multiples séries de l’éditeur mais a aussi ouvert une révolution dans l’industrie. Le récit est proposé par Urban Comics dans une belle édition très complète avec énormément de bonus en juillet 2016, avec en vente au même moment Crisis Compagnon (un « guide » quasiment indispensable – aussi bien pour les néophytes que les fins connaisseurs). Découverte et critique de ce monument du neuvième art qu’est Crisis on Infinite Earths.

[Résumé de l’éditeur]
L’Anti-Monitor mène ses troupes de soldats d’ombre de dimension en dimension afin de détruire les Univers parallèles et de s’alimenter de ses énergies perdues. Son double positif, le Monitor réunit une assemblée de héros de différentes Terres afin de stopper son avancée, mais même les plus puissants des surhommes ne peuvent rien face à la vague d’antimatière qui fond sur eux. Des mondes vont vivre… des mondes vont mourir… et l’Univers DC ne sera plus jamais le même !

[Début de l’histoire]
Le récit étant fortement complexe, ci-après la première partie du synopsis provenant de Wikipédia, permettant à la fois de vulgariser les évènements du début mais aussi de développer suffisamment ce qu’il se produit pour se faire une idée de l’intrigue (pour les non connaisseurs notamment) sans en dévoiler trop.

Sur Terre-III, le Syndicat du Crime tente en vain de lutter contre une vague d’antimatière sous les yeux d’un personnage énigmatique, Paria. Alexander Luthor (le Lex Luthor de cette Terre) qui sait que rien ne peut être fait pour sauver son monde, parvient de justesse à envoyer son fils sur Terre-I où il espère qu’il sera sauf. Puis Terre-III disparaît.

Pendant ce temps, Monitor et Harbringer, qui sont conscients que cette menace pèse sur toutes les Terres, recrutent des super-héros et super-vilains de différentes réalités et époques afin de la contrecarrer. Monitor leur explique la situation et les envoie protéger des tours de très haute technologie, censées protéger les différentes Terres. Pendant ce temps, sur Terre-I, Batman voit une courte apparition de Flash II qui annonce une catastrophe imminente avant de disparaître.

Malgré les tours et l’intervention de nombreux super-héros, des vagues d’antimatière détruisent peu à peu les réalités. Pendant ce temps, Monitor, qui cherche un plan de secours, étudie la physionomie d’Alexander Luthor Jr., le fils d’Alexander Luthor qui, en traversant la barrière séparant les univers alors qu’une vague d’antimatière dévastait son univers, a intégré une part d’antimatière dans son propre organisme. Grâce à ses connaissances technologiques, il crée aussi Doctor Light II et parvient à amener Pariah sur son satellite, lui qui est condamné à assister à la destruction de toutes les Terres.

[Contexte]
Il y a un avant et un après Crisis on Infinite Earths (régulièrement appelée Crisis). Le titre a bouleversé aussi bien DC Comics que l’industrie des bandes dessinées États-uniennes. Avant de le critiquer – presque quarante années après sa sortie – il est impératif de contextualiser sa création et replonger dans l’époque éditoriale. D’un côté, la ténacité de l’auteur Marv Wolfman, de l’autre un marché fragilisé pour l’éditeur historique de Superman, Batman et Wonder Woman.

Wolfman écrit chez DC Comics à la fin des années 1960 (il y signe quelques aventures peu mémorables de diverses séries) puis atterrit chez Marvel au milieu des années 1970. C’est là qu’il gagne en notoriété, scénarisant notamment Spider-Man, Dr Strange et les Quatre Fantastiques. Co-créateur de Black Cat et Nova, il revisite ensuite le mythe de Dracula et la mythologie des vampires dans l’acclamée Tomb of Dracula (pour lequel il conçoit Blade) – une série actuellement rééditée en trois omnibus chez Panini Comics.

Nous sommes à la fin des années 1970 et Marv Wolfman, comme il l’explique en postface de Crisis on Infinite Earth, souhaite réaliser un rêve de gosse : mettre en scène une aventure hors-norme où se croisent de multiples super-héros. Un phénomène jusque là relativement inhabituel et s’étalant rarement au delà de deux chapitres. Il propose à Marvel et à DC Comics ses idées mais tous deux refusent, arguant, entre autres, qu’une série limitée ne passionnerait guère les foules. L’auteur veut aussi utiliser un personnage qu’il fantasme depuis des années : le « Bibliothécaire ». Une sorte d’entité qui observerait l’univers dans l’ombre et compilerait des informations sur les justiciers.

En 1980, Marv Wolfman rejoint à nouveau DC Comics et relance la série Teen Titans avec le dessinateur George Pérez. C’est ainsi que The New Teen Titans voit le jour (disponible en quatre opus chez Urban Comics). Wolfman et Pérez créent de nouveaux protagonistes : Cyborg, Starfire et Raven. La série est couronnée de succès (et permet à DC de se refaire une santé – même si Marvel reste plus populaire et génère davantage de revenus). Le scénariste mue son « Bibliothécaire » en « Monitor » (il apparaît pour la première fois en juillet 1982) afin d’injecter ses idées dans cette série à défaut de pouvoir coucher par écrit son crossover géant. En lisant le courrier des lecteurs [un fan demandait pourquoi Green Lantern n’avait pas reconnu un héros qu’il avait déjà croisé trois ans plus tôt], Wolfman a conscience qu’il y a des incohérences monstres dans les décennies de publications de DC Comics (impliquant les protagonistes de l’éditeur mais aussi ceux qu’il a racheté à d’autres firmes – cf. plus loin – et qu’il faudra tout remettre à plat un jour entre les multiples Terres parallèles et les super-héros qui existent en plusieurs exemplaires… Cela motive à nouveau le scénariste pour reprendre son projet.

Au début des années 1980, DC Comics peine à vendre ses titres – Marvel fonctionne nettement mieux et a une image plus moderne ainsi qu’un univers unifié (sous la houlette de Stan Lee) – à l’exception notable donc de The New Teen Titans qui permet enfin à Wolfman d’être en position de force et de (bientôt) concrétiser son ardent désir de ce qui deviendra Crisis on Infinite Earth. L’auteur pitche une fois encore son sujet à DC qui, cette fois, le valide rapidement. Il est évoqué publiquement en convention en 1981 (!) mais il est encore trop tôt pour publier la série.

Peter Sanderson, jeune trentenaire critique, chercheur et (futur) historien de la bande dessinée, est alors chargé d’indexer religieusement l’entièreté des personnages qui ont été publiés chez l’éditeur. Lecture, annotations, recherches… la longue et complexe histoire de DC prit plusieurs années à être saisie (d’abord deux ans puis puis deux autres supplémentaires). Il est finalement acté que Crisis on Infinite Earths sera publié en 1985 pour les cinquante ans de l’éditeur, évidemment écrit par Wolfman et dessiné par son complice désormais récurrent George Pérez.

Cela laissait donc quelques années de préparation afin de compiler tous les protagonistes devant intervenir (même de façon éphémère le temps d’une case) et réfléchir aux conséquences de l’évènement (auquel DC ne croyait pas spécialement malgré tout – l’éditeur était pourtant pointé du doigt comme étant désuet, dépassé, démodé…). Phénomène rare à l’époque : les artistes se retrouvaient deux heures chaque semaine pour évoquer l’avancement du projet. Au total, près de cent cinquante chapitres issues de différentes séries se greffent autour de l’histoire de Crisis pour l’introduire ou en voir d’autres points de vue (cf. index Wikipédia). Marvel dame le pion de son concurrent en publiant en 1984 Les Guerres Secrètes, considéré comme le premier « crossover » d’envergure des comics mais il restera moins dans les annales que Crisis on Infinite Earths. L’objectif de ce dernier était multiple avec une ampleur inédite à l’époque : « retrouver la simplicité d’autrefois avant que la continuité prime sur la narration […], expliquait Wolfman en 1998 – toujours dans sa postface – et rendre les super-héros DC accessibles non pas aux seuls fans, mais aussi au grand public ».

Le pari est nettement réussi et la série est un succès à tous points de vue ! Pour Dick Giordano, le responsable éditorial de l’époque (et l’un des encreurs de la bande dessinée), Crisis on Infinite Earths « fonctionne en tant qu’histoire indépendante, nettoie un peu l’univers DC et procure une plateforme pour lancer l’avenir de l’éditeur » (cf. postface de l’artiste en 1998, présente dans l’ouvrage également). En effet, la série redéfinit les bases de DC, supprimant les multiples Terres alors connues chez le lecteur, tuant plusieurs personnages dont quelques-uns emblématiques – Supergirl, Flash/Barry Allen… – et cadenasse alors ses survivants sur une seule et même Terre. L’âge d’or, d’argent et de bronze s’achèvent pour passer le flambeau à l’âge moderne, toujours d’actualité (et dont les premières années sont parfois nommées l’âge sombre (Dark Age) au sein de sa propre chronologie (1985-1997)).

De quoi repartir (presque) à zéro sur une « nouvelle » continuité. Batman n’y échappe pas ; nous sommes alors au milieu de l’année 1986 et Frank Miller en profite pour écrire et dessiner son culte The Dark Knight Returns puis, l’année suivante, son célèbre Année Un (avec Mazzucchelli au dessin), permettant au Chevalier Noir d’embarquer un nouveau lectorat avec une approche plus sombre et « réaliste ». John Byrne relancera de son côté avec brio Superman, toujours en 1986, dans The Man of Steel, qu’il écrit et dessine également. George Pérez, quant à lui, reprend Wonder Woman, rejoint par Greg Potter et Len Wein dans Dieux et Mortels. Une triple renaissance historique avec trois titres salués par la critique et le public.

Dans la foulée, Watchmen (1986-87) expose également une approche mature du mythe super-héroïque et provoque un (autre) chamboulement dans l’industrie – les bandes dessinées du genre ne sont plus destinés « au jeune public » mais élèvent les fictions à destination des adultes et entrent définitivement dans « l’Art » (le neuvième). Tous ces titres étant publiés par DC, c’est une (autre) renaissance inespérée qui s’opère et ouvre un champs des possibles quasiment infini. Le label Vertigo est lancé, accueillant de prestigieux auteurs : Alan Moore (V pour Vendetta), Neil Gaiman (Sandman), Jamie Delano (Hellblazer), etc. puis plus tardivement de nouvelles séries désormais cultes : Preacher, Transmetropolitan, 100 Bullets, DMZ, Sleeper, Y Le Dernier Homme

À partir de là et suite au succès de Crisis on Infinite Earths, les crossovers sont devenus légion (aussi bien chez Marvel que DC Comics), mais ces différents évènements éditoriaux étaient d’envergure moindre, parfois mercantiles voire opportunistes avec peu de conséquences… En synthèse, il y avait peu d’histoires durant lesquelles des héros mourraient vraiment et où le statu quo était réellement modifié à jamais – à l’inverse de ce qu’on pouvait lire dans l’œuvre de Wolfman et Pérez (co-auteur du titre à partir du sixième chapitre).

Néanmoins, il est de notoriété d’accorder que Crisis on Infinite Earths fut complété par deux autres segments pour être une trilogie (Crisis Trilogy). Ainsi, Infinite Crisis, publiée vingt ans plus tard (2005-2006), est cette fois scénarisée par Geoff Johns. Peu après, c’est Grant Morrison qui signe Final Crisis (2008-2009). Un guide est en cours d’écriture sur ce site, classé dans l’onglet Index.

Avant ces deux récits majeurs, d’autres séries furent affublées du terme crisis et peuvent y être considérés comme connectées. Zero Hour : Crisis in Time (1994) se déroule par exemple entre Crisis on Infinite Earth et Infinite Crisis et Identity Crisis (2004-2005) fut ajouté a posteriori comme une sorte de prélude à Infinite Crisis – publié en France sous le titre Crise d’identité en récit complet qu’on conseille énormément.

Les « crises » suivantes se sont majoritairement abstenues de ce terme. Flashpoint, Convergence, Metal et Doomsday Clock (qui rassemblait DC et… l’univers de Watchmen !) par exemple. D’autres évènements, plus mineurs, peuvent être associés à ces crises (certains inclut dans les versions françaises pour une meilleure compréhension, comme Countdown to Infinite Crisis/Final Crisis) : Futures End, Multiversity, etc. voire Heroes in Crisis pour les plus complétistes.

En 2022, DC Comics poursuit ce qui a été inauguré dans Infinite Frontier par Joshua Williamson (2021) et publie du même auteur Dark Crisis, renommé ensuite… Dark Crisis on Infinite Earths ! Ce qui était une exception est désormais récurrent. Les crisis devenant un tremplin idéal pour relauncher ses séries, c’est-à-dire redémarrer avec le fameux « Numéro #1 » en couverture de différents titres et ainsi attirer un potentiel nouveau lectorat. Sans Crisis on Infinite Earth, il n’y aurait peut-être pas eu tout cela ou alors sous une autre forme…

Aparté « actualité » : Urban Comics a annoncé le premier tome de Dark Crisis on Infinite Earths pour le 6 janvier 2023 ! Il fera donc suite aux deux précédents récits de Williamson (pas encore chroniqués sur le site), DC Infinite Frontier (janvier 2022) et DC Infinite Frontier – Justice incarnée (juillet 2022). Tous se déroulant après les différents évènements survenus dans la saga Metal et ses conclusions Doom War.

[Critique]
Que vaut Crisis on Infinite Earths de nos jours ? Et bien… l’on est partagé. Un petit peu comme le titre culte Batman – Un deuil dans la famille, on est tenté de dire que Crisis est bien sûr un comic important et intéressant mais peut-être pas « indispensable », même pour sa culture. Le titre n’a pas forcément « mal vieilli » (que ce soit au scénario – bien que digeste et bavard – ou aux dessins) mais il est extrêmement dense, complexe et verbeux. En jonglant entre une foule de personnages sans se focaliser sur quelques-uns en particulier qui génèreraient de l’empathie, on peine à vraiment s’accrocher à l’ensemble, peu aidé par sa construction décousue – mais contenant quelques qualités évidentes, on y reviendra.

Marv Wolfman choisit en effet de mettre en avant Harbinger et Paria – tous deux créés pour la fiction (avec Lady Quark plus présente par la suite) – ainsi que Psycho Pirate et, éventuellement, le Monitor, dans sa première moitié. Dans la seconde, ce sont les mêmes qui sont au premier plan, rejoints par l’Anti-Monitor, deux Superman, le Spectre et un petit peu le duo Lex Luthor et Brainiac. L’ennemi des Green Lantern Krona est aussi de la partie dans un segment assez important. C’est à peu près tout, hélas… Même les super-héros qui succombent dans le titre – Supergirl en tête, puis Flash – ne sont pas vraiment suivis avant de mourir héroïquement. C’est tout le problème de la bande dessinée, forcée de contenir les centaines (milliers ?) de personnages apparus dans DC Comics. Ne pas avoir pris les figures habituelles de la Ligue de Justice décontenance gravement et découle sur un paradoxe : la BD se destine aussi bien aux néophytes (encore que…) qu’aux lecteurs de longue date – néanmoins, il faut un minimum de « culture DC » et ne surtout pas débuter les comics avec, sous peine de fort maux de tête.

Crisis on Infinite Earths ne fait par exemple quasiment pas apparaître Wonder Woman et Aquaman ; Batman est cantonné à quelques cases, Robin (Jason Todd) également. Ce n’est pas forcément grave en soi mais se concentrer sur des têtes extrêmement secondaires (et désormais peu connues) perd en intérêt. Il y a là un manque cruel d’unité voire, presque, d’humanité. Heureusement, la fameuse « vision d’ensemble » rehausse le tout même s’il faut attendre plusieurs chapitres avant d’être davantage pris en haleine. On sent l’amour de Wolfman envers ses personnages (même les furtifs) et le monde fictif dans lequel il les fait évoluer. Assommant parfois et piochant dans un « bestiaire » qui sera – probablement – quasiment inconnu pour une majorité de lecteurs, mélangé à plusieurs versions d’un même personnage. Il y a une fascination pour la bande dessinée tout autant qu’une sorte de repoussoir. Peut-être l’œuvre la plus paradoxale à ce jour sur ce site – donc à nuancer à l’extrême…

Les premiers épisodes montrent tour à tour les destructions des Terres (par la fameuse vague « d’anti-matière », sorte de couches blanches absorbant tout, accompagnés des spectrodémons, entités noires et difformes), avec une distance trop accentuée entre le lecteur et les habitants de la fiction, cassant à nouveau l’éventuelle empathie possible pour ces « disparus ». On suit avec un intérêt plus prononcé le plan du Monitor, chargé de rassembler les multiples justiciers et l’on comprend « concrètement » ce qu’il s’est passé/se passe au septième chapitre, soit le début de la deuxième moitié de l’ouvrage. Une seconde partie où s’enchaînent les épisodes avec une conclusion étirée délectable – l’Anti-Monitor est battu puis non, Luthor et Brainiac œuvrent dans l’ombre, Darkseid apparaît, les héros semblent sauvés mais démunis, et ainsi de suite. En somme, des moments épiques (mais peu touchants) mieux gérés qu’en première partie (peut-être parce que Pérez est intervenu dans le processus d’écriture à partir du sixième chapitre ?).

L’œuvre est très très bavarde, multipliant les lieux et personnages bien sûr mais aussi les concepts et univers, tentant d’expliciter l’irrationnel par du rationnel ou assumant la complexité de ce qui est proposé dans les planches savoureuses de Georges Pérez – lui aussi réalisant un de ses rêves (et permettant de se « venger » face à Marvel qui avait court-circuité son projet de crossover entre la JLA et les Avengers des années plus tôt, dégommant une Terre Marvel discrètement dans la saga) – et brillant par sa minutie accordée à tout le monde et aux nombreux détails, sans avoir cette impression de « trop chargé » (bon parfois un peu quand même mais ça va…). C’est là (l’autre) point fort de Crisis on Infinite Earths – surtout pour l’époque – les douze chapitres d’une trentaine de pages chacun sont parfaitement homogènes visuellement et spectaculaires à bien des égards.

Découpages déstructurés, cases de différentes formes, explosions sur des doubles pages, narration singulière et densité graphique et chromatique sont au rendez-vous ! Si l’ensemble a évidemment un petit côté old-school, il reste extrêmement percutant de nos jours tout en s’encrant de façon intemporel avec son récit. La dimension cosmique de l’œuvre reste immédiatement en mémoire, à l’épreuve de l’ambition autant visuelle que narrative. Le travail est à l’image de ce que le titre évoque : une somme astronomique et un ensemble titanesque. La cohérence est donc double, aussi bien dans son parcours textuel (même s’il est migraineux de temps à autre) qu’optique (les traits nets, les visages jamais figés, l’action lisible, la richesse de chaque case fourmillant de détails – et les couleurs criardes, écho d’un passé désormais révolu, moins austère mais plus kitch, assurées par Anthony Tollin, Tom Ziuko et Carl Gafford).

Plusieurs décennies après, il faut reconnaître que Crisis a réussi sa mission : se débarrasser de l’encombrante continuité et complexité de suivre de multiples séries et héros jusqu’à présent et, surtout, des leurs intrigues éparses. Néanmoins, il est rudement conseiller de lire auparavant Crisis Compagnon, qui compilait et présentait une sélection pertinente de ces protagonistes et planètes. Le concept de multivers est apparu en 1961 dans The Flash #123 (disponible dans DC Comics Anthologie – qu’on recommande aussi) afin de justifier le bordel éditorial dans lequel s’était fourré DC Comics en jonglant entre ses différents héros à plusieurs époques sans cohérence (Jay Garrick, Flash de l’âge d’or rencontrait Barry Allen, Flash de l’âge d’argent).

Dans Crisis Compagnon, on (re)découvre Terre-1, Terre-2, Terre-3, Terre-S, Terre-X, Terre-Prime… et les différentes League ou groupes de héros moins connus (L’Escadron des Étoiles, les Combattants de la Liberté, etc.) ou anti-héros (Le Syndicat du Crime notamment) – tous réapparaissant bien sûr dans Crisis on Infinite Earths (rejoints par d’autres comme la Doom Patrol, les Metal Men… mais toujours de façon sporadique – à l’exception d’Oncle Sam, un brin plus présent dans la dernière ligne droite du titre). En somme un tabula rasa (faire table rase) salutaire, bienvenu et qui semble désormais évident et indispensable. Quel choc ce fut à l’époque pour les lecteurs !

Malgré le nombre exceptionnel de planètes, on gravite seulement autour d’une petite dizaine d’entre elles. Terre-3, la Terre du Syndicat du Crime par laquelle « tout commence » (Crisis s’ouvre sur sa destruction), Terre-1 et Terre-2, soit celles de la Ligue de Justice et de la Justice Society, Terre-Prime, Terre de Superboy-Prime, Terre-6 créée pour la BD (d’où provient Lady Quark). Enfin, les Terres IV, X et S sont respectivement les Terres qui abritent les personnages rachetés (par DC Comics) : Charlton Comics, Quality Comics et Fawcette Comics (voir ci-après).

Crisis marqua aussi la fin de l’âge de bronze des comics (1970-1986) ; la saga rassemblait d’ailleurs toutes les époques avec l’âge d’or (1938-1954) puis d’argent (1956-1970) et concluait ainsi plusieurs décennies de publications avant d’amorcer le virage de l’âge dit « moderne » (en 1986 donc), toujours d’actualité. L’harmonisation des héros de DC au sein d’une grande épopée fonctionne, incluant ceux que l’éditeur avait racheté au fil des décennies (Quality, Fawcette, Charlton…) ; on y retrouve donc ceux de Kirby (Kamandi, les New Gods…), les habituels (Batman, Superman…), les moins connus (Jonah Hex, Shazam – Captain Marvel à l’époque – …), ceux de l’éditeur concurrent Charlton Comics que venait de racheter DC en 1983 (Captain Atom, Blue Beetle…) et ainsi de suite.

La mosaïque d’univers (assez vite réduite par les vagues « d’anti-matière », n’en laissant ainsi qu’une poignée afin de ne pas trop s’éparpiller sur des dizaines de planètes différentes) fusionne pour aboutir sur un fameux « renouveau » (la fin est un nouveau départ) – même si, à terme, des auteurs piocheront ou utiliseront des éléments de Crisis pour bâtir leurs histoires. En effet, il ne subsiste qu’une seule et unique Terre lors de la conclusion ; tous les justiciers provenant d’autres Terres/univers n’existent pas dans la mémoire collective des habitants de cette dernière Terre (un choix clivant, balayant ainsi différents comics – un manque de respect ?). D’ailleurs, toute la galerie d’alliés et de vilains n’aura absolument plus aucun souvenir de cette crise des Terres infinies une fois achevée ! Cela ne suffira pas pour repartir malgré tout sur des bases vierges puisque quelques cohérences continueront d’exister – jusqu’à la prochaine crise.

Un peu plus de trois cent cinquante pages composent Crisis on Infinite Earths (préfacé par Urban Comics), alternant donc démesure graphique et narrative, lourdeur textuelle et renvois à de nombreuses références (non publiées en France ou chez d’anciens éditeurs mais dans les deux cas difficiles d’accès) mais aussi séquences intenses et palpitantes. Le mixe d’univers différents, d’époques inédites (on y croise aussi bien des héros préhistoriques que d’un futur très lointain, en passant par le Far West, des versions « maléfiques » des grands noms de DC, etc.) est donc à la fois improbable, jouissif et pénible. Après l’histoire principale, Urban Comics gratifie l’ouvrage de quatre compléments non négligeables.

D’abord deux postfaces, l’une de Wolfman et l’autre de Giordano, rédigées en 1998 pour la réédition de l’œuvre à l’époque (toutes deux partiellement citées plus haut dans cet article). Ensuite, un épisode spécial d’un peu plus d’une cinquantaine de pages publiée plus tard (en 1999), chronologiquement situé entre les quatrièmes et cinquièmes chapitre – toujours écrit par Wolfman. Crisis – Le chapitre inédit (issu de Legends of the DCUniverse) est dessiné par Paul Ryan, Bob McLeod et Tom McCraw.

Si, côté visuel, l’épisode est tout à fait correct (on retient surtout sa gamme de couleurs très diversifiée – cf. image ci-dessus), c’est côté écriture que l’on est ravi ! L’ensemble est parfaitement fluide, à hauteur d’hommes et de surhommes au cœur des crises sur une des Terres. C’est « pile » ce qu’il manquait à l’œuvre-mère pour être plus agréable à suivre. Presque quinze années d’évolution du médium et d’écriture étant passées par là, on aurait adoré découvrir l’intégralité de Crisis on Infinite Earths avec ce filtre scénaristique un brin plus moderne et surtout tellement plus convaincant et passionnant !

Enfin, l’encyclopédie L’Histoire de l’Univers DC s’étale sur près d’une centaine de pages et remet à plat les conséquences de Crisis on Infinite Earth. À nouveau rédigée par Wolfman (et dessinée par Pérez), cette proposition inédite vaut le détour, davantage proche du « roman graphique » (ou plutôt « roman illustré ») que d’une bande dessinée. Découpée et proposée de façon singulière, cette encyclopédie (cf. image ci-dessus et tout bas de cette critique) était censée être le premier titre de Crisis avant de le muter vers ce qu’il est devenu. Une fois de plus, l’idée est d’être autant accessible que possible malgré – à nouveau hélas – la complexité verbale de l’ensemble. Ici, c’est une semi-réussite (ou semi-échec c’est selon) car la plupart des personnages ne sont pas connus ou seront peu suivis par la suite. C’est Harbinger qui narre ces sortes de « fiches », reprenant l’indexation qu’effectuait le Monitor avant elle.

Pour terminer, une vaste galerie de croquis et travaux préparatoire clôturent le pavé – portant celui-ci à près de 550 pages ! Proposition initiale, mémo interne, recherches de personnages, crayonnés noir et blanc… s’étalent sur une petite quinzaine de pages. Notons également trois superbes illustrations d’Alex Ross et son fameux style « photoréaliste » qui ajoutent un cachet non négligeable (à commencer par la couverture de cette édition bien sûr, réalisée en 2005 pour l’adaptation en roman de Crisis on Infinite Earths – une novélisation plus moderne (il y a des téléphones portables par exemple), avec de nouveaux détails et, surtout, une histoire racontée du point de vue de Barry Allen !).


(Trois éditeurs différents ont publié Crisis en France avant Urban, en 1986-87, 2001-03 et 2007.)

L’édition d’Urban Comics est donc exceptionnelle – n’ayons pas peur des mots – rendant grâce à une œuvre imparfaite, fascinante, déroutante. Crisis on Infinite Earths avait bénéficié d’une première publication en France dans la foulée de celle aux États-Unis. On pouvait en effet lire la série dans Super Star Comics (Arédit) de juin 1986 à juillet 1987 ! Si la qualité (d’impression et traduction) n’était pas forcément au rendez-vous, cela a permis au lectorat français de découvrir Crisis très rapidement. De 2001 à 2003, Semic réédite le titre en quatre tomes avec une nouvelle colorisation cassant tout le travail d’Anthony Tollin, Tom Ziuko et Carl Gafford (et, de facto, des dessins de Pérez). Enfin, en 2007, Panini Comics propose pour la première fois une intégrale dans son format absolute – un bel écrin avec fourreau très grand – avec la couverture du chapitre inédit publié en 1999, moins iconique mais plus moderne. Il faudra attendre une petite décennie avant qu’Urban propose sa version, en juillet 2016.

Crisis on Infinite Earths laissa une trace dans l’industrie des comics (cf. bloc « Contexte ») et DC bien sûr, c’est un récit important et qu’il faut « connaître » de façon résumé (la fin du multivers – en gros) mais il n’est pas forcément nécessaire de le lire, faute de s’attacher à des personnages, de bénéficier d’une lecture limpide et palpitante… C’est un constat peut-être sévère mais factuel. Une tragédie héroïque certes, mais d’une lourdeur indéniable dans de nombreux segments. La bande dessinée reste un jalon historique, c’est évident, mais une lecture pas forcément agréable et pour des conséquences déjà connues et revisitées depuis. Néanmoins, cela n’empêche pas l’œuvre de vous « hanter » une fois achevée, ce qui est toujours bon signe ! Une fois de plus : on repense à Un Deuil dans la Famille ou encore Knightfall, deux titres essentiels chez Batman mais à la lecture digeste et qui ont « mal vieilli ». C’est un peu ce qu’on ressent en (re)découvrant Crisis de nos jours… À réserver plutôt aux collectionneurs et complétistes, ou bien aux curieux fortunés.

En décembre 2019 et janvier 2020, cinq épisodes des séries de l’Arrowverse (devenu The CWverse) adaptent Crisis on Infinite Earths pour la télévision ! Si le budget n’est pas à la hauteur pour rendre indispensable cette version, elle n’a pas à rougir pour autant grâce à sa générosité et reste malgré tout mémorable. Il faut dire que l’univers partagé des séries DC Comics sur le petit écran était habitué à l’exercice des crossovers, démarrant doucement (entre Arrow et Flash notamment, chacun allant dans la série de l’autre) avant d’ajouter de plus en plus d’enjeux. On se rappelle des efficaces Invasion ! (fin 2016) puis Crisis on Earth-X (fin 2017), Elseworlds (fin 2018) pour finir sur cette « apothéose » avec Crisis on Infinite Earths.

Tout débute dans le neuvième épisode de la cinquième saison de Supergirl (principalement sa fin) et se poursuit, respectivement, dans le neuvième de la première saison de Batwoman, le neuvième de la sixième saison de Flash, le huitième de la huitième saison d’Arrow et, enfin, dans un épisode spécialement tourné pour l’occasion de Legends of Tomorrow (avant leur cinquième saison). On peut les retrouver compilés dans un DVD importé des États-Unis, rien d’autre en France si ce n’est les solutions légales de regarder en streaming ou d’acheter les coffrets de chaque série respective, dommage.

Les près de trois heures trente de fiction sur le petit écran sont un régal pour les fans de DC et une belle récompense pour les spectateurs assidus de cet univers partagé. L’occasion de voir rassembler les héros habituels de chaque série bien sûr (Flash, Arrow, Supergirl…) mais aussi d’anciennes itérations de figures iconiques comme le Superman de la série Smallville (Tom Welling), le Robin de la série Batman des années 1960 (Burt Ward), l’incontournable doubleur de Batman Kevin Conroy en Bruce Wayne, Huntress de la série Birds of Prey/Les Anges de la nuit (Ashley Scott), le Flash de la série de 1990 (John Wesley Shipp) et même le Barry Allen de l’univers partagé DC Comics au cinéma (Ezra Miller) ! On aperçoit également brièvement les Titans et la Doom Patrol des séries éponymes, ainsi que Black Lightning ou encore Superman et Lois (avant que leur série débute)

S’il y a un festival de caméos (donc du fan-service), qu’il manque la dimension cosmique et du coup de nombreuses séquences « dans l’espace », les épisodes – tous titrés Crisis on Infinite Earths – respectaient bon gré mal gré leur matérieu d’origine (en fermant les yeux sur le côté fauché bien sûr). Ils marquaient aussi la fin de la série Arrow. Après huit années de production et diffusion, l’archer d’émeraude tirait élégamment sa référence, non sans avoir opéré une petite révolution pour le médium et, d’une certaine façon, réussit là où le cinéma échouait à peu près en même temps : faire cohabiter des héros de papier à l’écran avec une cohérence certaine et une ambition mesurée (et cela malgré les innombrables défauts de tous les shows de CW).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 8 juillet 2016.
Contient : Absolute Crisis on Infinite Earth + History of the DC Universe + Legend of the DC universe Special COIE

Scénario : Marv Wolfman (et Gerorge Pérez)
Dessin : George Pérez
Encrage : Dick Giordano, Mike DeCarlo, Jerry Ordway, Karl Kesel
Couleur : Anthony Tollin, Tom Ziuko, Carl Gafford

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Laurence Hingray et Christophe Semal (Studio Myrtille)

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Batman : Detective – Tome 5 : Briser le miroir

Cinquième et dernier tome de Batman : Detective, Briser le miroir propose une histoire éponyme en six chapitres (dont un prologue déconnecté) suivi d’une foule d’épisodes Detective Comics #1027 (dont un inédit non publié auparavant), numéro emblématique de la célèbre série (on explique plus loin pourquoi). Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Un nouvel adversaire, se faisant appeler le Miroir, rode dans les rues de Gotham. Mais est-il réellement aussi mauvais que ce qu’il laisse à penser ? Ou est-il simplement le reflet de la perversion du monde qui l’entoure ? Pendant que la Bat-Family doit lutter contre la véritable armée qu’il a levée, Damian Wayne se cache dans l’ombre, planifiant son prochain mouvement dans la traque qu’il mène contre son père, le Chevalier Noir.

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, se référer à la critique ci-après pour l’ensemble des histoires.

[Critique]
Encore un volume très décousu mais tout de même plus intéressant que le précédent. Le premier chapitre (Detective Comics #1028, intitulé Sang neuf dans Batman Bimestriel et Interlude ici) n’a aucun intérêt. Il montre la vengeance d’un mystérieux homme qui tue des personnes corrompues. En quelques planches, on découvre l’identité du criminel (un inconnu) et ses victimes. Les rares cases avec Batman à cheval permettent de montrer une situation un peu inédite (dessinées par Nicola Scott plus ou moins inspiré)… Difficile de comprendre pourquoi l’éditeur inclut systématique ces morceaux d’épisodes complètement anecdotiques. Même les plus complétistes devraient faire l’impasse dessus.

Heureusement, les cinq chapitres suivants (Detective Comics #1029-1033), forment un arc narratif à peu près complet. On y suit dans un premier temps l’arrivée d’un antagoniste peu connu, le Miroir. Se réclamant du peuple, il mène une vendetta contre les super-héros masqués qui engendrent trop de dégâts selon lui. Son masque réfléchissant se voulant renvoyant la violence envers ceux qui le regardent… Il y a un côté Anarky dans cet ennemi, qui était déjà apparu dans le premier volet de la série Batgirl de l’ère New 52 – créé par Gail Simone. Jonathan Mills de sa vraie identité (on ne sait pas trop s’il s’agit du « même Miroir » ici) a une vision étrange de la justice et estime que des personnes ayant échappé à la mort doivent être tués…

Mais dans Briser le miroir, ce n’est pas cet aspect là qui est mis en avant, le Miroir n’est d’ailleurs pas mentionné sous son identité civile et le scénariste Peter Tomasi (toujours à l’œuvre sur la série depuis le début) le survole plus qu’autre chose… Tout se déroule après le deuxième tome de Joker War mais on ne s’y perd pas. Le Miroir arrive carrément à rassembler la Bat-Famille dans un même lieu, à l’exception de Robin, alias Damian Wayne, qui semble détaché des activités nocturnes de son père et lui-même ne portant plus le costume du jeune justicier.

On ne sait pas trop pourquoi même s’il est sous-entendu que le décès d’Alfred (cf. douzième tome de Batman Rebirth) pourrait avoir causé cette émancipation. L’enfant est en revanche concentré sur le Dossier Noir de Batman, vaguement mentionné dans le tome précédent, afin de suivre une piste prometteuse (où l’auteur Peter Tomasi cite sans aucune subtilité Ed Brubaker et Greg Rucka pour un hommage aux artistes qui ont signé, entre autres, Gotham Central). La fiction prend un tournant à mi-chemin qu’il convient de dévoiler. Passez au septième paragraphe et ne regardez pas les dernières images de cette critique pour ne pas voir de révélations (celles sous les citoyens de Gotham qui arborent des masques de justiciers).

En effet, en marge de Miroir, le fameux Silence (Hush en VO), alias Tommy Elliot sévit dans l’ombre. Il arrive même à kidnapper sans sourciller l’ensemble des alliés du Chevalier Noir ! Le célèbre ennemi est apparu dans Silence puis dans quelques arcs à droite à gauche avec du bon (Paul Dini présente Batman – Tome 2, Batman Eternal…) et du moins bon (Hush Returns, inédit en France chez Urban Comics mais fut publié par Panini Comics en mensuel). Elliot rejoue sa sempiternelle jalousie au détriment d’une amitié d’enfance sacrifiée.

Proposer Silence est une chose plaisante (il est souvent sous-utiliser voire sous-estimer) mais cela arrive un peu tard, a un côté déjà-vu, peu original et la situation est vite réglée malheureusement… Et comme on sait qu’il s’agit du dernier tome de la série sous l’égide de Tomasi, on doute d’une réutilisation proche connectée à ce qu’on vient de voir, c’est assez dommage (comme l’entièreté des volumes de Batman : Detective de toute façon, cf. conclusion de l’ensemble plus loin).

En parallèle, on suit l’ascension du nouveau maire de Gotham, Christopher Nakano qui avait déjà un rôle assez avancé dans Joker War et se poursuivra dans Batman Infinite (qui en est la suite directe). Là aussi, on peine à s’attacher à ce protagoniste et on a l’impression d’être face à une « conclusion » de son parcours et paradoxalement son « introduction ». Heureusement, les dessins de Kenneth Rocafort puis Bilquis Evely et enfin Brad Walker confèrent au récit un voyage graphique plutôt séduisant et coloré. L’action est dynamique, les séquences s’enchaînent à un bon rythme, c’est toujours ça de pris malgré la conclusion un peu abrupte et la déception de savoir qu’il n’y aura jamais de suite sur tout ce que Tomasi avait (maladroitement) mis en place.

Passé cette aventure « sympathique mais sans plus », c’est un festival d’histoires courtes autour du Chevalier Noir qui sont offertes au lecteur. En effet, Batman est apparu dans Detective Comics #27 en 1939 (en vente le 30 mars de cette année mais daté au mois de mai 1939). Mille numéros plus tard (!), une myriade d’artistes prestigieux lui rendent hommage à travers des tranches de vie du justicier et diverses illustrations généreusement compilées en fin d’ouvrage. Tom King, Greg Rucka, Brian Michael Bendis, Marv Wolfman, James Tynion IV, Grant Morrison, Scott Snyder et quelques autres se succèdent donc pour célébrer l’évènement. Un anniversaire de près de quatre-vingt-une années plus tard (à l’époque de la publication, donc en 2020) qui s’étale sur douze épisodes inédits, d’une douzaine de pages chacun et passés en revue ci-après.

 

Notons qu’onze d’entre eux ont été publiés dans les quatre derniers numéros de Batman Bimestriel, donc du #13 au #16. Le treizième avait même bénéficié d’une couverture alternative (provenant de la série Joker War). Enfin, à l’instar des multiples épisodes de Detective Comics #1000 (bientôt compilés dans un article), ceux du #1027 sont sortis dans un recueil aux États-Unis. Étonnamment, la lecture via les Batman Bimestriel est plus agréable que celle de la version librairie car les chapitres étaient séparés par une note éditoriale et une présentation des artistes opérant dessus. Dans la compilation ressortie, tout s’enchaîne à la suite, manquant d’une certaine respiration (narrative) bienvenue.

Dans Reflux (le dernier chapitre écrit par Peter J. Tomasi et dessiné par Brad Walker, relativement actif tout au long de la série), Batman est enfermé dans une cuve et se remémore tous les ennemis qu’il a affronté au long de sa croisade, chacun lui ayant appris quelque chose dont il pourrait se servir pour s’en sortir. Si la fin est soudaine (on ne comprend pas qui a piégé le Chevalier Noir), c’est l’occasion d’admirer de jolies planches rendant hommage à une grande galerie de vilains (manque curieusement Killer Croc et Bane).

Cours magistral (Brian Michael Bendis / David Marquez) montre tous les alliés de Batman se retrouver au même endroit d’un cadavre. S’agit-il d’une épreuve ou d’une coïncidence ? Tout le monde collabore et permet au Chevalier Noir de se remémorer le talent de détective de ses protégés. Là aussi l’intérêt se situe dans les dessins montrant la Bat-Famille complice. Ces deux épisodes sont vaguement connectés avec le « suivant », c’est-à-dire le #1028 qui… ouvrait le tome (avec notamment les flics ripoux et corrompus). S’il semble logique de les placer en seconde moitié du livre pour conserver une certaine cohérence éditoriale, il manque une certaine note d’intention pour clarifier tout cela (à l’exception d’un banal renvoi « voir Detective Comics #1027 » lu au tout début).

Un bien bon anniversaire (Matt Fraction / Chip Zdarsky) met en avant le Joker et ses fameux « cadeaux d’anniversaire » envoyés religieusement chaque mois depuis la première rencontre entre le Chevalier Noir et le Prince Clown du Crime. Mais au bout d’une vingtaine d’année, arrivé à la fin du mois, Batman n’a pas reçu son cadeau et s’inquiète. Il imagine le pire et cherche son ennemi juré… qui connaît son identité réelle. C’est probablement ce qu’il faut retenir de ce segment, le Joker s’adresse à Bruce et la carte d’anniversaire est envoyée au Manoir Wayne. Cela relance le débat sur le fait que le Joker se moque de qui est Batman et le sait depuis longtemps…

Dans Bleusaille (Greg Rucka / Eduardo Risso), une nouvelle recrue du GCPD découvre la corruption au sein de la police et la dangerosité de Gotham. Mais la jeune femme ne faiblit pas et comprend que quelques collègues, Gordon et bien sûr Batman sont légion face la criminalité. Un segment qui permet d’enrichir (modestement) la célèbre série Gotham Central, déjà scénarisée par Rucka à l’époque. Histoire de fantômes (James Tynion IV / Riley Rossmo) met en avant l’improbable alliance entre Batman, Robin et… Deadman, alias Boston Brand, le justicier de l’au-delà capable de prendre possession des vivants. Un récit un peu à part qui offre une élégante connexion avec la mort des parents de Bruce.

À l’avant (Kelly Sue DeConnick / John Romita Jr.) suit cette fois Bruce Wayne, en tant qu’homme d’affaire, dans un échange tendu avec un potentiel acheteur, en pleine partie de golf. Le milliardaire travaille en réalité avec Gordon pour piéger son hôte corrompu… Probablement l’épisode le plus faible jusqu’à présent. Odyssey (Marv Wolfman / Emanuela Lupacchino) conte la destruction du navire éponyme au sein duquel le grand-père de Bruce Wayne avait caché des œuvres d’art pour échapper aux nazis. Des années plus tard, l’épave semble avoir été trouvée et une expédition plonge pour y retrouver ces trésors. Si l’ensemble se lit bien, on a l’impression de lire l’introduction à une histoire plus grande qui mériterait d’être enrichie. Dommage.

Dans Détective n°26 (Grant Morrison / Chris Burnham), on découvre « Le Spectre d’Argent », un justicier qui s’apprête à nettoyer Gotham de la criminalité. Mais un homme revêtant un costume de chauve-souris fait également ses premiers pas dans la ville et semble plus efficace que lui… Encore une fois, le récit et trop court et ferme une promesse inédite intéressante (un nouveau super-héros ou un antagoniste ?). Testament (Tom King / Walt Simonson) met en avant le Docteur Phosphorus face à Batman, interrogeant vaguement l’impact des combats sur l’équilibre mental des deux protagonistes.

Comme toujours (Scott Snyder / Ivan Reis) se met du point de vue de Gordon qui s’interroge sur les actions du Chevalier Noir et son inextricable espoir. En l’occurrence la disparition du soleil (!) et la solution pensée par Batman et ses alliés de la Justice League. L »épisode le plus coloré et « cosmique » de la sélection dont les actions des justiciers tranchent visuellement avec la noirceur de Gotham et Gordon.

Générations : fracturées (Dan Jurgens / Kevin Nowland) est le chapitre « inédit » car il n’avait été pas proposé dans les Batman Bimestriel. Dans un premier temps, il semble s’agir d’un prologue à Future State. En effet, Batman poursuit quelques ennemis dans un musée le soir d’Halloween puis est projeté dans le passé (en 1939 très exactement) et rencontre Kamandi, envoyé par Booster Gold. Un épisode un peu cryptique qui donne surtout envie de découvrir la suite (annoncé en dernière case avec la mention « à suivre »). Pourtant, en lisant l’avant-propos d’Urban Comics, c’est le dernier chapitre, Un Cadeau (voir ci-dessous) qui semble ouvrir Future State (alors – qu’à chaud – rien n’y est connecté, au contraire). Bizarre…

Un cadeau (Mariko Tamaki / Dan Mora) se déroule durant Joker War et là aussi aurait mérité d’être publié plutôt dans un volume de Joker War qu’ici tant il ne se prête pas vraiment à la célébration commune des ces numéros #1027. Difficile d’imaginer (comme l’indique l’éditeur) que cela va se poursuivre dans Future State (pas encore lu et chroniqué) alors que l’épisode précédent mentionnait des voyages dans le temps et appelait une suite…

En synthèse, les douze chapitres sont, sans surprise, inégaux mais restent une lecture plaisante, sans investissement de durée malgré une certaine frustration de ne pas avoir de suite (existante ou non). Étrangement, Urban Comics n’a pas mis en avant cet anniversaire en couverture ou, idéalement, via une sortie à part – et pourquoi pas rassembler les Detective Comics #1000 et #1027 ? Les premiers sont déjà dans Batman 80 ans, les seconds sont donc jetés ici dans le cinquième et dernier volume d’une série peu mémorable, ce qui est, une fois de plus, assez dommage – surtout vu les prestigieux noms associés à ces épisodes.

Heureusement, une tonne de couvertures alternatives clôturent l’ouvrage (appelée « pin-up de Detective Comics #1027 » !). Une trentaine dont une bonne partie signées Lee Bermejo, qu’on aurait adoré avoir en poster. Briser le miroir est une conclusion de run décevante avec des promesses non tenues, des pistes ouvertes qui ne seront jamais terminées (l’auteur Peter Tomasi a quitté la série après ces derniers chapitres). Ce cinquième volume reste néanmoins le second « meilleur » de la série (après le troisième) pour son histoire autour de Miroir assez intéressante et la célébration des Detective Comics #1027.

[Conclusion de l’ensemble de la série Batman : Detective]
Encore une série très moyenne, fortement inégale et relativement mal découpée. Peter Tomasi ne parvient pas à insuffler des émotions, des moments épiques ou tragiques… Pire : il fractionne ses tomes avec une personnalité (ou un enjeu) indépendant qu’on ne revoie jamais. Le Chevalier d’Arkham, Nora Fries, Double-Face, le Miroir, un autre ennemi emblématique et les multiples antagonistes éphémères arrivent aussitôt qu’ils repartent et c’est bien dommage. On retient surtout le troisième tome et son affrontement avec Mr Freeze et ce cinquième pour les raisons évoquées dans la critique.

Malgré tout, impossible de conseiller les cinq volumes pour cette série complètement dispensable, éventuellement les trois et cinq donc, et encore… C’est un des paradoxes des aventures du Chevalier Noir, celles qui restent en mémoire et passent habilement l’épreuve du temps sont des volumes uniques (ou enrichis d’un ou deux tomes), comme la plupart des incontournables, ou bien les séries longues, inégales mais proposant des choses singulières (Grant Morrison présente Batman, Batman de Scott Snyder, Batman Rebirth de Tom King, etc.).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 2 avril 2021.
Contient : Detective Comics #1027-1033

Scénario : Peter Tomasi, collectif (voir article)
Dessin : Brad Walker, collectif (voir article)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)

Acheter sur amazon.frBatman : Detective – Tome 5 : Briser le miroir (30€)




Batman : Detective – Tome 4 : Un cœur hideux

Après deux tomes très moyens (Mythologie et Médiéval) et un troisième plus réussi mais inégal (De sang-froid), Urban Comics nous propose un opus en demi-teinte : une couverture un brin mensongère (c’est Double-Face qui au cœur de l’ouvrage et non le Joker), plusieurs histoires indépendantes (dont une non publiée dans Batman Bimestriel et donc inédite jusqu’à présent) et une composition étrange… Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Alors que Mister Freeze déchainait des vagues de froid sur Gotham pour récupérer sa femme, Nora, Batman finit par réussir à le neutraliser et le remettre à sa place : l’Asile d’Arkham. Mais dans l’ombre, une nouvelle menace grandit. Harvey Dent joue à Pile ou Face avec le destin des citoyens de Gotham, et créé une secte pour mener la ville à sa perte…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de décrire davantage, mieux vaut se tourner vers la critique ci-après pour découvrir chaque segment narratif proposé…

[Critique]
Difficile de comprendre la logique de composition de cet avant-dernier tome de la série Batman : Detective. Un cœur hideux se divise de la façon suivante : Prologue (Detective Comics Annual #2), Survivor – très proche du titre d’un arc du tome précédent – en deux chapitres (Detective Comics #1018-1019), Un cœur hideux en trois épisodes (Detective Comics #1020-1022), interrompu après seulement un épisode par un interlude (le Detective Comics Annual #3 – qui n’a strictement rien à voir avec le reste de l’histoire) et, enfin, Prélude à Joker War découpé sobrement en quatre parties (Detective Comics #1023-1026) dont la première moitié fait suite à Un cœur hideux. Quel bazar !

Il convient donc de décrire chacune de ces quatre histoires – dont la dernière se déroule quasiment sur trois axes distincts – afin de mieux cerner l’ouvrage et comprendre de quoi il en retourne. Tout est à nouveau écrit par le scénariste Peter Tomasi, à moitié coincé entre les obligations éditoriales (de Joker War) et son run qu’il tente tant bien que mal de rendre indépendant entre chaque volume, cassant à la fois un rythme déjà décousu mais permettant de ne pas « tout lire » et ne garder que le meilleur. Problème : à part l’histoire avec Freeze dans le volet précédent, il n’y a pas grand chose à sauver au global. C’est un peu pareil ici, les complétistes apprécieront les connexions à Joker War mais regretteront le passage à la caisse onéreux pour lire uniquement cela – on en reparlera.

Dans Prologue, l’auteur nous emmène en Grèce où Bruce Wayne/Batman retrouve… le Faucheur ! Le charismatique ennemi instauré dans Year Two / Année Deux semble en effet de retour. Travis Moore et Max Raynor croquent cette enquête pleine d’action avec une certaine élégance et une production relativement mainstream. Visuellement, c’est donc agréable. Scénaristiquement c’est plus délicat : l’identité de ce nouveau faucheur est connecté au précédent mais avec une création propre à la fiction donc un élément sorti de nulle part… De quoi user d’un élément retcon (continuité rétroactive – insérer un personnage ou autre dans une suite d’histoire en faisant croire qu’il était là depuis le début).

Ce n’est pas forcément gênant en soi mais ici c’est très frustrant car Prologue ne débouche sur rien d’autre que l’introduction de ce « nouvel » antagoniste. Batman ne l’arrête pas et on ne le revoie plus du tout ensuite (dans le tome) alors qu’il a été présenté en ouverture du livre. De même que Sophia Zervas, visiblement ancienne relation de Bruce Wayne, qui apparaît comme si le lecteur la connaissait de longue date (alors qu’elle a été créée pour cet épisode) puis est mise en retrait… Là aussi c’est dommage, à moins que tous deux (Sophia et le Faucheur) reviennent ultérieurement ? Seul le fameux « dossier noir » – carnet où Batman consignes ses aventures non résolues, relevant d’intrigues surnaturelles ou étranges, conçu par Grant Morrison dans sa saga – reviendra dans le tome suivant. Dans tous les cas, cet épisode n’a pas vraiment sa place ici, complètement indépendant du reste et n’apportant rien à l’opus en lui-même…

Survivor (plus justement nommé Hiver mortel dans Batman Bimestriel) est probablement le pire segment du livre voire de la série. On y suit un viking (!) puis une secte parlant islandais et adorant une sorte de Dieu démoniaque, qui se matérialisera à Gotham sous une forme de créature géante. Les dessins de Scott Godlewski ne sauvent pas la bande dessinée, assez plate et improbable. Batman affronte l’ensemble et on enchaîne sans rien retenir de ce court récit si ce n’est la solitude du milliardaire devant compenser avec l’absence d’Alfred – tué en parallèle dans l’autre série Batman, dans le douzième et dernier tome de Batman Rebirth. Là aussi, on est surpris du manque de contextualisation d’Urban Comics car dans l’histoire précédente (Prologue), Alfred était bien présent (normal, elle a été publiée avant… mais il faut le savoir !). Il est nécessaire d’attendre l’interlude quelques pages plus tard, consacrés à Alfred, pour comprendre ce qu’il s’est passé.

C’est en effet le chapitre Detective Comics Annual #3, jamais publié auparavant, qui donne la part belle au célèbre majordome. Pas de sanglots ou tristesse aisément mise en scène mais un épisode hommage pas trop mal où Bruce Wayne rencontre l’agent Marigold Sinclair, ancienne co-équipière d’Alfred. On navigue dans le passé avec un Pennyworth en action et dans le présent avec une mission s’y connectant où le Chevalier Noir en costume prend le relai. Si le chapitre ne révolutionne pas la mythologie de Batman (ou d’Alfred), il propose une parenthèse sympathique – agréablement croquée par Sumit Kumar puis une courte seconde par Eduardo Risso (Cité Brisée…), étonnamment pas crédité – et délicatement émouvante sans tomber dans le pathos. En revanche, on s’étonne de la voir proposée au beau milieu des trois chapitres d’Un cœur hideux centrés sur… Double-Face !

En effet, Tomasi reprend Harvey Dent pour une aventure en demi-teinte. On retrouve Double-Face toujours tiraillé entre sa personnalité maléfique et bienveillante, cette fois accompagné… d’une secte. L’ancien procureur semble être un gourou criminel avec plusieurs sbires à ses ordres. Au lieu d’avoir des hommes de main « classiques », Double-Face a réellement des malfrats adeptes d’une croyance « au nom de nous deux » (forcément), formant un tout unique. Un délire assez ridicule (même après les vikings chamaniques) qui n’a pas vraiment sa place dans l’aventure…

Le scénario gagne en intérêt essentiellement dans sa conclusion, quand il est connecté à un autre titre du même scénariste (Batman & Robin – Tome 5 avec la tentative de suicide de Dent) et, surtout, quand on comprend que le Joker a mis une puce dans le cerveau de Dent grâce à Strange, ouvrant l’ensemble sur les prémices de Joker War. Graphiquement, c’est Brad Walker qui officie sur Un cœur hideux, livrant de belles propositions avec, entre autres, un visage de Double-Face proprement… hideux. C’est ce qu’on retient surtout du titre : les dessins et sa fin…

Dans la première partie de Prélude à Joker War, on suit le Clown Prince du Crime ouvrir la tombe de Lincoln March, célèbre ergot de la Cour des Hiboux. En même temps, Batman poursuit son enquête sur L’Église des Deux (initiée par Double-Face) et, après avoir croisé Hugo Strange et le Chapelier Fou, il renoue avec Harvey Dent, porteur de l’armure robotique de Batman, à l’époque où c’était Gordon qui l’endossait (cf. La Relève et ce costume high-tech surnommé Chappie).

La deuxième partie – intitulé Terrible symétrie dans la version kiosque mais pas dans la version librairie – montre tout ce beau monde s’affronter (les ergots, Batman, Double-Face en armure, etc.). Le Joker observe au loin, fier d’avoir utilisé plusieurs sérums (le sien, celui de la Cour des Hiboux…) pour concevoir ce « début de chaos ». Mais le plus intéressant reste la conclusion de l’arc sur Dent qui arrive à terme après cinq épisodes donc, lui rendant une humanité intéressante. C’est à nouveau Brad Walker qui dessine ces deux épisodes, offrant une homogénéité graphique à tout l’arc sur Dent, mais très inégal côté écriture…

Vient ensuite la troisième partie de Prélude à Joker War (nommée L’attaque des entreprises Wayne dans Batman Bimestriel) où Batwoman est propulsée au cœur du récit dans « la zone de guerre » de Gotham créée par le Joker. Comment ? Pourquoi ? On ne le saura pas vraiment… Il semble y avoir une ellipse temporelle avec plusieurs éléments qui échappent au lecteur. Ce qui n’est malheureusement pas anormal car l’entièreté de la saga Joker War a été éparpillée dans plusieurs titres (magazines et librairies). Une mise à jour d’un article récapitulatif sera proposé prochainement sur ce site afin de ne pas s’y perdre… Sans surprise, le titre renvoie aussi au dernier volume de Batman Detective Comics qui avait montré la séparation de Batwoman et du Chevalier Noir.

Enfin, dans la quatrième et dernière partie de Prélude à Joker War, le Chevalier Noir affronte Killer Croc et plusieurs de ses complices : des anciens humains transformés en animaux. L’ensemble est censé se conclure dans le cinquième et dernier tome de Batman : Detective. On ne voit pas non plus trop le rapport avec Joker War (pour cause, le titre de cet épisode était simplement Monstres humains dans le magazine et n’avait pas de mention à ladite guerre du Joker). Kenneth Rocafort impose un style différent de ses prédécesseurs pour ces deux derniers chapitres. Des traits plus aérés, davantage de détails dans les décors, visages et costumes, conférant à l’ensemble un style riche et agréable, bénéficiant d’une parfaite colorisation (de Dan Brown – succédant au célèbre Brad Anderson, habitué de l’industrie pour des titres blockbusters), équilibrant suffisamment de tonalités austères et « réalistes » mais avec assez d’envolées chromatiques propres à l’ADN « comic book ». Une réussite visuelle appréciable.

Un cœur hideux est donc fortement inégal ! En lisant à la suite le tome précédent et celui-ci, on se dit qu’il aurait été plus judicieux de les diviser autrement. D’abord l’histoire de Mr Freeze/Nora dans un tome à part (le troisième par exemple), ensuite un tome un peu « fourre-tout » contenant les épisodes indépendants (et passables) de De sang-froid et du présent quatrième volet (à l’instar du sixième opus de la série Batman), enfin un tome centré sur Double-Face et ouvrant sur Joker War aurait mieux découper la narration (pourquoi pas proposer un tome zéro à cette série d’ailleurs).

Bref à ce stade, un lecteur qui ne suivrait « que » Batman : Detective doit être complètement désarçonné devant tous ces récits qui partent dans tous les sens, introduisent des personnages avant de les faire disparaître, mêlent plusieurs intrigues qui n’ont rien à voir entre elles, montrent de « vieux » récits indépendants, etc. Heureusement, il ne reste plus qu’un ultime volume pour clore ce run de Tomasi, peu intéressant jusqu’à présent… Il est assez décevant de voir le prestigieux titre Detective Comics et son millième numéro dans tout ça, c’était l’occasion en or de proposer un titre culte et mémorable, c’est tout l’inverse qui s’est produit… Lot de consolation avec les couvertures alternatives en fin d’ouvrage et notamment celles de Lee Bermejo.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 22 janvier 2021.
Contient : Detective Comics #1018-1026 + Detective Comics Annual #2-3

Scénario : Peter Tomasi (Brad Walker est mentionné dans la version librairie mais c’est une erreur)
Dessin : Brad Walker, Travis Moore, Max Raynor, Scott Godlewski, Sumit Kumar, Kenneth Rocafort (non mentionné dans la version librairie, là aussi une erreur), Eduardo Risso (idem)
Encrage : Andrew Hennessy, Scott Godlewski, Travis Moore, Max Raynor, Sumit Kumar
Couleur : Brad Anderson, David Baron, Tamra Bonvillain, Nick Filardi, Romulo Fajardo Jr.

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

Acheter sur amazon.frBatman : Detective – Tome 4 : Un cœur hideux (24€)