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Suicide Squad – Get Joker !

Une prestigieuse équipe artistique (Brian Azzarello à l’écriture, Alex Maleev au dessin), un récit complet, une publication dans le Black Label… Suicide Squad – Get Joker ! partait avec beaucoup de qualités pour devenir un titre au pire singulier et une curiosité à lire, au mieux une future référence culte et incontournable. Malheureusement, après une excellente introduction, la fiction se vautre dans un exercice vulgaire et peu passionnant. Critique et explications.

[Résumé de l’éditeur]
Chargée de mettre un terme à la série de cadavres laissés dans le sillage du Clown Prince du Crime, la Suicide Squad d’Amanda Waller doit traquer le plus grand ennemi de Batman dans l’espoir de le mettre six pieds sous terre, une bonne fois pour toute. Par devoir, mais surtout par vengeance, l’ancien jeune prodige de Batman, Jason Todd, accepte de mener cette bande de criminels sur le terrain et de ne surtout faire confiance à personne. Et surtout pas à Harley Quinn

[Début de l’histoire]
Jason Todd
, alias Red Hood, est en prison. Amanda Waller lui rend visite et lui propose une vengeance idéale : tuer le Joker via une mission d’une nouvelle équipe de Suicide Squad.

L’ancien Robin accepte et prend donc la tête d’une bande de mercenaires atypiques composés d’autres prisonniers, méta-humains ou non, et bien sûr d’Harley Quinn, l’ancienne compagne du célèbre Clown Prince du Crime…

[Critique]
Quel dommage ! Le début de Suicide Squad – Get Joker ! est palpitant mais sa suite et fin particulièrement moyenne pour ne pas dire ratée (et décevante selon les attentes bien sûr). En trois chapitres (d’une cinquantaine de pages chacun), le récit va à l’essentiel : exposition (premier chapitre), action (deuxième), rebondissements et conclusion (troisième). Pas de temps mort donc, de quoi survoler l’entièreté de ses nombreux protagonistes à l’exception de Todd.

En effet, Jason Todd devient le leader d’une nouvelle équipe dirigée par Amanda Waller. Une énième Suicide Squad avec un objectif bien précis : tuer une bonne fois pour toute le Joker. Qui de mieux placé que l’ancien Robin assassiné par le célèbre Clown pour mener cette mission ? C’est sur cette idée originale (et étonnamment jamais proposée auparavant) que le scénariste Brian Azzarello invite son lectorat à assister à une succession d’action par une équipe atypique : Firefly, Silver Banshee, Pebbles, Miou Miou (! – Meow Meow en VO, Miaou Miaou aurait été plus adapté en français), Plastique, Wild Dog, Y es-tu (!! – Yonder Man en VO) et Harley Quinn. En somme, des méta-humains, mercenaires ou criminels de seconde voire troisième zone (à noter que Pebbles et Miou Miou sont des créations pour la bande dessinée).

Azzarello a déjà écrit pour Batman avec plus ou moins de réussite. On lui doit l’excellent Joker et sa très moyenne suite Damned. L’auteur avait également signé les sympathiques Cité brisée (et autres histoires…). Chez DC Comics, il s’est illustré sur l’excellente série 100 Bullets (disponible en cinq tomes intégrales) et plusieurs segments d’Hellblazer/Constantine. Son style cru et incisif, usant parfois gratuitement d’une certaine vulgarité ne fonctionne pas toujours. Get Joker ! n’y fait pas exception puisque les membres de la Suicide Squad sont assez grossiers et insultants. « On est baisés. » ou « J’te baise ! » reviennent plusieurs fois, y compris dans la bouche du Joker. Étrangement, d’autres termes vulgaires sont édulcorés dans leur traduction (« fuck/fucked/fuck you, pussies… »).

Tous ces mots fleuris n’apportent rien à la fiction, si deux ou trois font mouche, ils sont vite trop nombreux et on s’en lasse. C’est quelque chose qui fonctionne mieux au cinéma ou en série qu’en lecture concrète (romans ou bandes dessinées). Azzarello corrèle sa fiction à des faits réels, en évoquant l’attaque du Capitole par un des membres de la Suicide Squad et la suspicion envers les élites (médiatiques et politiques) à travers un personnage banalement « complotiste » sans aucune nuance (« on nous ment » / « on est oppressé »). Là aussi ça a du mal à prendre alors qu’il y avait des choses pertinentes à tirer de cette volonté d’encrer le récit dans une forme de populisme « séduisante ». Mais le traitement enchaîne les clichés et la réflexion n’est pas développée…

Si l’on comprend tout ce qui se déroule durant les trois épisodes, les deux derniers sont nettement moins bien écrits que le premier, qui emportait d’emblée le lecteur dans ce qui s’annonçait comme une aventure fascinante et fracassante. Impossible de ne pas penser à l’excellent film The Suicide Squad de James Gunn en voyant les membres d’autres teams de Suicide Squad ainsi que la façon dont ils sont mis en scène. Les mêmes costumes et look déstabilisent d’ailleurs – faut-il inclure ce comic book dans le canon des films ? Dans le prolongement du diptyque Joker/Damned ? Car si les connexions sont peu nombreuses, la scène de pole dance d’Harley Quinn fait écho à ces autres créations d’Azzarello. Quinn est très peu vêtue dans la seconde moitié du titre (pour une raison qui se « justifie » au début mais n’est pas très intéressante et aurait dû s’arrêter un moment).

Le look (et même « le caractère ») du Joker n’aide pas non plus. Taciturne, peu souriant, crâne rasé avec une crête et habillé comme Alex dans le film Orange Mécanique (les « droogies » sont mêmes nommés explicitement), on a du mal à avoir de l’empathie pour le célèbre Clown, rappelant un peu celui de La Guerre des Rires et des Énigmes – déjà peu apprécié. C’est aussi dans la seconde partie de Get Joker ! qu’on perd en fluidité de lecture, davantage cryptique, manquant d’une certaine synergie, en plus de la traduction étrange de la vulgarité et des noms de protagonistes (cf. exemples plus haut).

De la même manière, les dessins d’Alex Maleev sont de moins en moins bien… En effet, à l’instar du scénario, le début est particulièrement soigné, bien encré et colorisé, avec plusieurs détails en fond de cases et des visages expressifs. Plus on avance dans la BD, moins on a de décors et un côté brouillon ressort de l’ensemble. Quelques traits peu expressifs pour croquer des visages, un aplat de couleur en guise d’arrière-plan, etc. Un peu comme Jock lorsqu’il n’est pas en forme, cf. Le Batman Qui Rit. Heureusement, la colorisation assurée par Matt Hollingsworth accentue l’ambiance lugubre du titre, rappelant le même travail de l’artiste sur des titres récents comme White Knight et sa suite, ou des plus anciens comme Catwoman – Le Dernier Braquage. Il y a même une petite vibe Sean Murphy entre les traits de Maleev couplés aux couleur d’Hollingsworth – qui officie donc sur les créations de Murphy.

En synthèse, côté histoire, l’équipe de Suicide Squad court après un Joker peu empathique avant de s’allier avec lui puis tout se termine dans des affrontements soudains, pas forcément lisibles et une conclusion assez frustrante puisqu’on ne sait pas si le Joker a été tué ou non… Beaucoup de bonnes idées se succèdent mais aucune n’est exploitée correctement pour rendre le titre incontournable. L’ambiance graphique confère une patte singulière au comic mais s’avère beaucoup trop hétérogène pour être réussite. Il manque donc une constance visuelle dans les visages ou les poses iconiques pour avoir un équilibre entre le scénario bancal et les dessins qui, in fine, le sont aussi. Difficile donc de conseiller le titre, à la traduction parfois étrange aussi (c’est suffisamment rare pour être souligné – le traducteur n’étant pas un régulier chez Urban, ceci explique peut-être cela), peut-être pour les amoureux de Jason Todd ou les férus d’Azzarello…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le
Contient : Suicide Squad : Get Joker #1-3

Scénario : Brian Azzarello
Dessin et encrage : Alex Maleev
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard et Stephan Boschat)

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Batman Infinite – Tome 4 : Abyss

Le troisième tome Batman Infinite achevait doublement un long récit sur Batman : celui entamé avec Joker War – en trois volumes – puis évidemment celui de Batman Infinite – également en trois volets. Ce quatrième et dernier tome, signé par une équipe artistique différente, poursuit-il encore l’intrigue générale ou offre-t-il une conclusion détachée de ses précédentes histoires ? Critique.

(Huit mois après sa sortie en librairie, l’intégralité de ce quatrième et dernier tome – relativement indépendant – est disponible
dans le sixième et dernier numéro de Batman Bimestriel Infinite ; permettant donc d’acheter le récit complet pour 12,90 € au lieu de 17 €,
au détriment d’un format cartonné pour du souple, à voir selon les préférences des lecteurs…)

[Résumé de l’éditeur]
Tandis que Gotham célèbre sa survie à l’État de terreur, Batman se replie dans l’ombre. Mais ce terrain pourtant bien connu par le Chevalier Noir s’avère hostile alors que les abysses deviennent soudainement mortelles. Un bienfaiteur de Batman Inc. nouvellement apparu pourrait bien aider à y remédier, à moins qu’il n’en soit la cause ? Pour le savoir, Batman n’a d’autres choix que de plonger complètement dans les ténèbres de Gotham.

[Début de l’histoire]
Les habitants de Gotham fêtent la fin de l’État de terreur. Batman continue d’arpenter sa ville et doit déjouer une attaque de Firefly lors d’une soirée déguisée en… ennemis du célèbre justicier !

Quand le Chevalier Noir apprend que cinq de ses alliés issus de Batman Inc. sont arrêtés en Badhnisie pour le meurtre du terrible Abyss, il se rend sur place et épaule l’inspectrice Cayha. Sur la scène du crime : une étrange substance noire et… Lex Luthor, qui finance désormais l’organisation des Batmen à l’internationale depuis la chute de l’empire Wayne.

Le Dark Knight poursuit son investigation et… perd la vue et retrouve le mystérieux Abyss ! À moins que ce soit une copie ?

[Critique]
Derrière le résumé un peu cryptique de l’éditeur (et donc en quatrième de couverture) se cache un récit plus terre-à-terre, bien rythmé, graphiquement très soigné (on y reviendra) et qui remet davantage Batman au premier plan. En effet, ce quatrième et dernier tome de Batman Infinite n’a quasiment plus de liens avec les trois précédents, il peut se lire de façon indépendante sans problème (il n’est d’ailleurs plus écrit par James Tynion IV mais par Joshua Williamson (Le Batman Qui Rit – Les Infectés, Justice League vs. Suicide Squad…)). L’habituel avant-propos de l’éditeur résume efficacement et élégamment les tomes précédents même s’il n’y a pas besoin de les avoir lus ou de s’en souvenir en détail.

Aparté : il est vrai qu’Urban Comics s’est retrouvé un peu coincé avec la série Batman après l’ère Rebirth de Tom King (en douze tomes) en prenant le pari de sortir Joker War qui était « banalement » la poursuite de la série Batman (elle conserve ce nom en VO). Joker War s’est étalée sur trois tomes (même si l’histoire principale se concentrait surtout sur les deux premiers) avant de se poursuivre dans les trois volumes de Batman Infinite – on avait donc un run de James Tynion IV sur six volets environ ; un récit inégal (comme souvent sur les séries excédant un ou deux opus), visuellement irréprochable et avec certaines originalités (situations inédites, multiples protagonistes…). On aura l’occasion d’en reparler dans une chronique récapitulative.

Dans Abyss, le Chevalier Noir renoue avec quelques alliés du Club des Héros – créé par Edmond Hamilton et Sheldon Moldoff en 1955 mais remis au goût du jour par Grant Morrison dans sa célèbre saga (étonnamment, au même moment, Batman – La Dernière Sentinelle s’inspire également de ce sujet). Ainsi, Frère Chiroptère, El Gaucho, Dark Ranger, Le Masque et le Bat-Man de Chine sont de la partie, tous appartenant à l’organisation Batman Inc. – là aussi conçue par Morrison et inscrivant donc cette ère Infinite dans la continuité et chronologie classique « officielle » du Chevalier Noir.

Pas d’inquiétude pour ceux qui n’étaient pas très fans de cette « extension internationale » de Batman (ou ne la connaissent pas), ici les cinq justiciers sont quasiment des figurants, la plupart ne parlent pas et ne sont que prétexte à déclencher l’intrigue qui poussera le Dark Knight à prouver leur innocence. En effet, les super-héros sont accusés du meurtre du mystérieux Abyss. Batman ne nie pas l’assassinat mais doit comprendre pourquoi. Très vite, l’alliance avec la charismatique Cayha et les agissements louches de Luthor donnent une consistance intéressante au récit.

L’enquête se révèle passionnante bien qu’un peu courte (cf. paragraphe suivant) et frustrante. Par exemple, la longue introduction avec l’attaque de Firefly aurait pu être absente et remplacée par un segment connecté à Abyss. La conclusion est, comme souvent, une porte davantage ouverte que fermée. On ne sait toujours pas qui est vraiment cet Abyss ni quels étaient ses pouvoirs (la matière noire qui a ôté la vue à Batman). Malgré cela et quelques inepties (les Batman emprisonnés avec leurs masques et tenues !), on est moins sévère sur l’ensemble qui réussit à emporter le lecteur grâce à son rythme intense, son fil rouge assez palpitant et ses styles visuels différents.

La fiction se déroule sur quatre chapitres (Batman #118-121) puis un cinquième et dernier (#124) offre un épilogue sur Cahya. Les deux épisodes manquant (#122-123) sont au cœur de l’évènement Shadow War, proposé en récit complet en France le 18 novembre prochain avec d’autres séries impactées dont celle sur Deathstroke, le mercenaire étant teasé dans Abyss avec l’invitation à lire Shadow War. De la même manière, il est fait mention de la saga Arkham Tower, à découvrir dans les tomes trois et quatre Batman Detective Infinite (pas encore chroniqués sur le site). Là aussi, nul besoin de connaître, ce sont surtout des allusions en fin de récit pour occuper le Chevalier Noir. Curieusement, une aventure de Mia, étudiante de la Gotham Academy, referme l’ouvrage (via trois back-up) où elle enquête sur la disparition d’une de ses amies avec Batman. Complètement anecdotique et sans rapport avec tout ce qui a été précédé, c’est à réserver pour les aficionados de ladite académie.

Abyss propose donc une parenthèse éphémère plutôt sympathique avec un Chevalier Noir tour à tour puissant et démuni, des alliés et ennemis inédits et un voyage hors Gotham assez passionnant malgré les défauts évidents relevés. Si beaucoup de dessinateurs œuvrent sur le titre, chacun sublime à sa manière la bande dessinée – son point fort. Ainsi, Jorge Molina et Mikael Janin ouvrent le bal puis signent la majorité du comic dans un style rigoureux, aéré et détaillé mais aussi lugubre et réaliste, accompagnés ensuite par Adriano Di Benedetto puis remplacés par Howard Porter et Jorge Fornés sur le dernier épisode (au style moins mainstream) et Karl Kerschl sur les back-up de fin (également à l’écriture).

Clairement, le duo Molina et Janin (très actif sur l’ancienne série Batman Rebirth) fait des merveilles, bien aidés par la colorisation sans faute de Tomeu Morey, habitué sur les titres précédents (Joker War, Batman Infinite…). Graphiquement c’est un sans faute, chaque personnage est reconnaissable aisément, les scènes d’exposition et les séquences d’action sont fluides et lisibles, les jeux de lumière une fois de plus réussis. En synthèse, Abyss est tout à fait correct à tous points de vue et ne s’inscrit pas vraiment dans la suite de ses tomes précédents et peut donc être lu à part.

Quid de la « suite » des aventures de Batman (via la série du même titre) ? Et bien, il n’y a plus beaucoup de chapitres à rattraper, seulement trois de plus publiés aux États-Unis par rapport à la France (!) – qui promettent « une nouvelle ère », comme souvent. Écrit par Chip Zdarsky et dessiné (à nouveau) par Jorge Jimenez, il est encore trop tôt pour savoir sous quelle forme Urban Comics publiera cette nouvelle aventure. Un récit complet ? Une série en deux ou trois tomes ? Une nouvelle relance avec un nouveau titre ? L’éditeur risque d’être confronté à la même problématique qu’à l’époque de Joker War (donc fin de l’ère Batman Rebirth et début de Batman Infinite), en espérant ne pas perdre un peu le lecteur. MàJ 20/10/22 : cette nouvelle série s’appelera Batman – Dark City et le premier tome sortira le 24 février !

Dans tous les cas, il faudra attendre la fin des six épisodes de Zdarsky (la durée de son arc intitulé Failsafe, qui replace Tim Drake en Robin) avant de savoir si l’auteur poursuivra son contrat et donc cette série ou si un autre scénariste prendra le relai. Le planning d’Urban étant, de toute façon, bouclé jusqu’en décembre 2022 (même moment où le travail de Zdarsky est censé s’achever), on aura droit à ce récit qu’en 2023 (sauf si Urban décide de ne pas le traduire mais aucune raison à cela, « au pire » il atterrira dans Batman Bimestriel Infinite dans quelques mois). Chip Zdarsky a signé un excellent run sur Daredevil chez la concurrence et officie chez DC Comics depuis peu. On lui doit, entre autres, une série sur Red Hood dans l’inédit Batman : Urban Legends (2021) et surtout Batman : The Knight, actuellement en cours de publication et prévu en dix chapitres. Une œuvre acclamée qui devrait se terminer en octobre prochain et sera donc probablement traduite en 2023 chez nous. MàJ 20/10/22 : sortie prévue le 24 février 2023 !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 23 septembre 2022.
Contient : Batman #118-121 & #124 + back-up #119-121

Scénario : Joshua Williamson, Karl Kerschl
Dessin et encrage : Jorge Molina, Mikael Janin, Adriano Di Benedetto, Howard Porter, Jorge Fornés et Karl Kerschl
Couleur : Tomeu Morey, John Rauch

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Makma

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Batman – La Dernière Sentinelle

La mini-série en six chapitres Batman : The Detective arrive en France dans un récit complet curieusement renommé Batman – La Dernière Sentinelle. Scénarisé par le talentueux Tom Taylor (Injustice, DCEASED, Nightwing Infinite, Suicide Squad – Rénégats, Superman – Son of Kal-El…) et dessiné par l’incontournable Andy Kubert (Dark Knight III, Le fils de Batman, Grant Morrison présente Batman, Flashpoint…), ce titre vaut-il le détour ? Critique

[Résumé de l’éditeur]
Après une vie passée à combattre le crime, Bruce Wayne n’est plus le même homme, ses nombreuses cicatrices en sont le douloureux rappel. Malgré la perte de ses amis les plus chers, son serment est toujours marqué au fer rouge dans son esprit. Mais aujourd’hui, le manoir est vide, et Batman est plus seul que jamais. Qu’est-ce qui peut encore retenir le Chevalier Noir à Gotham ? D’autant qu’à l’autre bout du monde, un avion vient de se crasher, des centaines d’innocents à son bord. En Angleterre, une mystérieuse organisation qui opère sous le nom d’Equilibrium réclame en effet toute son attention. Peut-être est-il temps pour la chauve-souris de quitter la Batcave… pour toujours ?

[Début de l’histoire]
Dans un futur proche, dans un avion survolant l’Angleterre, une femme agissant pour Equilibrium organise le crash de l’appareil afin de… « préserver l’équilibre ». La justicière Chevalier, elle aussi à bord de l’engin, essaie d’arrêter l’attentat, en vain…

Bruce Wayne décide de quitter Gotham définitivement et d’aller investiguer cette scène de crime qui « porte son nom » – puisque les adeptes d’Equilibrium revêtissent des costumes de Batman. Bruce y retrouve le binôme du Chevalier, le nouvel Écuyer, une jeune femme qui va assister au combat entre Batman et… un fantôme.

À l’hôpital où Chevalier guérit de ses blessures, un assaut d’Equilibrium contraint Bruce Wayne a passé à l’offensive et comprend que les victimes de la mystérieuse organisation sont des personnes que Batman avait sauvées dans le passé.

En se rendant à Paris pour poursuivre son enquête, Bruce Wayne tombe sur le chasseur de primes Henri Ducard, son ancien mentor qui l’a entraîné à se perfectionner et devenir le justicier de Gotham. Mais Ducard utilise des méthodes radicales que n’approuve pas Batman…

[Critique]
Entre les prestigieux noms de l’équipe artistique et le pitch plutôt alléchant, les attentes étaient plutôt élevées et le résultat est… mitigé. Sur le fond, l’histoire n’est pas exceptionnelle malgré la carte blanche possible avec ce séduisant « futur hypothétique ». Bruce Wayne quitte donc Gotham pour un petit tour en Europe, dont un passage à Paris et Lyon notamment. La capitale est malheureusement dépeinte avec les clichés habituelles : le Louvre, la Tour Eiffel, les croissants, pas trop de monde dans les rues… Forcément, il n’y a que « nous », les lecteurs Français voire parisiens qui peuvent s’agacer de ce genre de détails. Ce n’est clairement pas le plus grave ni le plus important mais tout c’est un peu dommage.

Tom Taylor, habitué des récits se déroulant dans des univers parallèles, dystopiques ou utopiques (DCEASED et Injustice précédemment citées) pioche dans la saga de Grant Morrison et renoue, entre autres, avec Le Chevalier (Beryl Hutchinson) et L’Écuyer (Amina Eluko), deux femmes alliées (Hutchsinon était la première Écuyer) présentées dans Le club des Héros (La Ligue Internationale des Batmen) – créé à l’époque en 1955 par Edmond Hamilton et Sheldon Moldoff – mais surtout remis au goût du jour par Grant Morrison dans les années 2000 dans son run et dans Batman Inc.. Le lecteur n’est pas perdu s’il ne connaissait pas ces personnages (complètement interchangeables au demeurant) puisqu’on peut les considérer comme des membres de la Bat-Famille avec ou sans relation avec Batman Inc.

Deux autres protagonistes sortent du lot. Henri Ducard, l’ancien mentor de Bruce Wayne. Il a droit à de nombreux flash-back quand il a rencontré et entraîné le futur Chevalier Noir puis lorsqu’il rejoint l’intrigue générale du présent (qui se déroule donc dans le futur). Face à eux, la mystérieuse Equilibrium, qui régie une équipe du même nom composée de mercenaires revêtant des costumes blancs de… Batman ! Le pourquoi du comment (de reprendre l’emblème de l’homme chauve-souris) ne sera pas très bien expliqué mais les motivations de la femme antagoniste sont en revanche relativement simplistes (voire stupides) et sa conclusion très abrupte et trop facile.

En synthèse, le scénario n’est guère passionnant (passons les détails sur un combat contre un fantôme (!) au début) ni très original. Seul l’univers européen et lointain du Chevalier Noir apporte quelques éléments inédits. On pense à la Bat-Cave mobile par exemple, dirigée par Oracle. Si toute la fiction laisse d’ailleurs penser que Bruce/Batman est isolé (à l’exception de ses co-équipières sur place), on est surpris de constater que Nightwing et Oracle sont toujours en activité et l’aident à distance (le temps d’une case). Il manque donc un segment plus construit sur ce qu’il s’est déroulé durant les décennies où le milliardaire s’est reclus.

Qu’il soit âgé ou non, son alter ego justicier est toujours aussi puissant (il dégomme une milice armée sans sourciller – sic) et ne faillit pas beaucoup. On pense bien sûr à l’œuvre de Frank Miller, The Dark Knight Returns, tant par le postulat de départ similaire (un Batman âgé) que la carrure de ce Bruce qui a de la bouteille mais reste un roc un brin aigri. Ajoutons des alliées féminines plus jeunes et il n’y a qu’un pas pour y voir un hommage à Carrie Kelley. Cela semble assumé et était peut-être même plus poussé dans un premier temps, comme le laissait suggérer le titre initial de cette aventure.

Le comic book fut en effet un temps appelé Batman : The Dark Knight avant d’être renommé Batman : The Detective. La notion The Dark Knight provoquait une double ambiguïté entre le film de Christopher Nolan du même nom mais, surtout, une confusion avec la saga de Miller et son cultissime The Dark Knight Returns et sa seconde suite sobrement intitulée en France Dark Knight III, dessiné par Andy Kubert également (en plus d’être colorisé par le même artiste, Brad Anderson, décidément !). Vu l’histoire de La Dernière Sentinelle, on pouvait légitimement croire avec cette ancienne appellation à une poursuite de l’univers instauré par Miller, qui se serait déroulée quelques années avant mais ce n’est donc pas le cas.

Graphiquement, Andy Kubert est plutôt inspiré. Il livre des planches aux cases sanglantes et aux découpages efficaces mais pas tout le long, lorsque des détails, visages ou les Batmen complexifient la lecture (de l’action en particulier). L’illustrateur se fait plaisir avec des poses iconiques et de belles propositions léchées et épiques. Kubert appose à son Chevalier Noir un look très similaire (pour ne pas dire identique) à celui de Damian qu’il avait déjà créé dans les débuts du run de Morrison, donc dans Bethléem puis repris dans le récit complet Le fils de Batman – tout en rappelant aussi le Chevalier Noir dépeint par Mike Mignola dans Gotham by Gaslight voire celui du Knightmare du film Batman v Superman, avec un long manteau en guise de cape et des lunettes de protection ou d’aviation.

La colorisation est effectuée par Brad Anderson, habitué aux grosses productions de l’industrie (Justice League, Justice League Rebirth…), à différentes séries sur Batman (Detective Comics, Terre-Un…) ou quelques récits cultes (Trois Jokers, Doomsday Clock – et son préquel Le Badge) mais aussi… Dark Knight III (et Le fils de Batman) ! Difficile de nier l’homogénéité graphique entre DKIII et La Dernière Sentinelle et donc de ne pas y voir une connexion autant visuelle que narrative. Par ailleurs, les nombreux jeux de lumière, silhouettes dans l’ombre et autres faisceaux chromatiques artificiels ou naturels sont très élégants et réussis. Clairement, la forme l’emporte sans trop de difficultés sur le fond pour cette aventure inédite. Mais c’est loin d’être suffisant pour conseiller de passer à l’achat…

Batman : La Dernière Sentinelle est donc loin d’être incontournable, une aventure vite lue et (probablement) vite oubliée. Tout était si prometteur et s’avère assez plat – décevant en fonction des attentes. Heureusement, le voyage graphique est assez « divertissant ». Les compositions soignées offrent une vision agréable (cf. les images illustrant cette critique), un brin inédite, qui permet d’oublier l’écriture qui survole ses protagonistes à l’exception d’un Bruce Wayne/Batman inchangé, in fine, malgré son âge et son éloignement de Gotham. Si les morceaux de bravoure sont présents, il manque une dimension épique ou tragique qui aurait apporter une consistance narrative bien plus palpitante malgré le dépaysement proposé.

Si cet univers gentiment futuriste se développe avec d’autres récits annexes, narrés différemment et sur ses multiples figures iconiques possibles, avec une trame plus palpitante, un parti-pris assumé (et non cette nage entre deux eaux, singeant ou rendant hommage, au choix, à Miller et Morrison – trop de similitudes ici pour être réellement original), alors peut-être qu’on aura des comics plus intéressants et qu’on reliera La Dernière Sentinelle avec un nouveau regard. Mais dans l’immédiat, c’est trop moyen pour valoir le détour… On conseille davantage le récit complet Batman – Europa si l’on souhaite voir l’homme chauve-souris en Europe !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 2 septembre 2022.
Contient : Batman : The Detective #1-6

Scénario : Tom Taylor
Dessin : Andy Kubert
Encrage : Andy Kubert (chapitre 1), Sandra Hope
Couleur : Brad Anderson

Traduction : Xavier Hanard
Lettrage : Makma (Gaël Legard)

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