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Suicide Squad – Get Joker !

Une prestigieuse équipe artistique (Brian Azzarello à l’écriture, Alex Maleev au dessin), un récit complet, une publication dans le Black Label… Suicide Squad – Get Joker ! partait avec beaucoup de qualités pour devenir un titre au pire singulier et une curiosité à lire, au mieux une future référence culte et incontournable. Malheureusement, après une excellente introduction, la fiction se vautre dans un exercice vulgaire et peu passionnant. Critique et explications.

[Résumé de l’éditeur]
Chargée de mettre un terme à la série de cadavres laissés dans le sillage du Clown Prince du Crime, la Suicide Squad d’Amanda Waller doit traquer le plus grand ennemi de Batman dans l’espoir de le mettre six pieds sous terre, une bonne fois pour toute. Par devoir, mais surtout par vengeance, l’ancien jeune prodige de Batman, Jason Todd, accepte de mener cette bande de criminels sur le terrain et de ne surtout faire confiance à personne. Et surtout pas à Harley Quinn

[Début de l’histoire]
Jason Todd
, alias Red Hood, est en prison. Amanda Waller lui rend visite et lui propose une vengeance idéale : tuer le Joker via une mission d’une nouvelle équipe de Suicide Squad.

L’ancien Robin accepte et prend donc la tête d’une bande de mercenaires atypiques composés d’autres prisonniers, méta-humains ou non, et bien sûr d’Harley Quinn, l’ancienne compagne du célèbre Clown Prince du Crime…

[Critique]
Quel dommage ! Le début de Suicide Squad – Get Joker ! est palpitant mais sa suite et fin particulièrement moyenne pour ne pas dire ratée (et décevante selon les attentes bien sûr). En trois chapitres (d’une cinquantaine de pages chacun), le récit va à l’essentiel : exposition (premier chapitre), action (deuxième), rebondissements et conclusion (troisième). Pas de temps mort donc, de quoi survoler l’entièreté de ses nombreux protagonistes à l’exception de Todd.

En effet, Jason Todd devient le leader d’une nouvelle équipe dirigée par Amanda Waller. Une énième Suicide Squad avec un objectif bien précis : tuer une bonne fois pour toute le Joker. Qui de mieux placé que l’ancien Robin assassiné par le célèbre Clown pour mener cette mission ? C’est sur cette idée originale (et étonnamment jamais proposée auparavant) que le scénariste Brian Azzarello invite son lectorat à assister à une succession d’action par une équipe atypique : Firefly, Silver Banshee, Pebbles, Miou Miou (! – Meow Meow en VO, Miaou Miaou aurait été plus adapté en français), Plastique, Wild Dog, Y es-tu (!! – Yonder Man en VO) et Harley Quinn. En somme, des méta-humains, mercenaires ou criminels de seconde voire troisième zone (à noter que Pebbles et Miou Miou sont des créations pour la bande dessinée).

Azzarello a déjà écrit pour Batman avec plus ou moins de réussite. On lui doit l’excellent Joker et sa très moyenne suite Damned. L’auteur avait également signé les sympathiques Cité brisée (et autres histoires…). Chez DC Comics, il s’est illustré sur l’excellente série 100 Bullets (disponible en cinq tomes intégrales) et plusieurs segments d’Hellblazer/Constantine. Son style cru et incisif, usant parfois gratuitement d’une certaine vulgarité ne fonctionne pas toujours. Get Joker ! n’y fait pas exception puisque les membres de la Suicide Squad sont assez grossiers et insultants. « On est baisés. » ou « J’te baise ! » reviennent plusieurs fois, y compris dans la bouche du Joker. Étrangement, d’autres termes vulgaires sont édulcorés dans leur traduction (« fuck/fucked/fuck you, pussies… »).

Tous ces mots fleuris n’apportent rien à la fiction, si deux ou trois font mouche, ils sont vite trop nombreux et on s’en lasse. C’est quelque chose qui fonctionne mieux au cinéma ou en série qu’en lecture concrète (romans ou bandes dessinées). Azzarello corrèle sa fiction à des faits réels, en évoquant l’attaque du Capitole par un des membres de la Suicide Squad et la suspicion envers les élites (médiatiques et politiques) à travers un personnage banalement « complotiste » sans aucune nuance (« on nous ment » / « on est oppressé »). Là aussi ça a du mal à prendre alors qu’il y avait des choses pertinentes à tirer de cette volonté d’encrer le récit dans une forme de populisme « séduisante ». Mais le traitement enchaîne les clichés et la réflexion n’est pas développée…

Si l’on comprend tout ce qui se déroule durant les trois épisodes, les deux derniers sont nettement moins bien écrits que le premier, qui emportait d’emblée le lecteur dans ce qui s’annonçait comme une aventure fascinante et fracassante. Impossible de ne pas penser à l’excellent film The Suicide Squad de James Gunn en voyant les membres d’autres teams de Suicide Squad ainsi que la façon dont ils sont mis en scène. Les mêmes costumes et look déstabilisent d’ailleurs – faut-il inclure ce comic book dans le canon des films ? Dans le prolongement du diptyque Joker/Damned ? Car si les connexions sont peu nombreuses, la scène de pole dance d’Harley Quinn fait écho à ces autres créations d’Azzarello. Quinn est très peu vêtue dans la seconde moitié du titre (pour une raison qui se « justifie » au début mais n’est pas très intéressante et aurait dû s’arrêter un moment).

Le look (et même « le caractère ») du Joker n’aide pas non plus. Taciturne, peu souriant, crâne rasé avec une crête et habillé comme Alex dans le film Orange Mécanique (les « droogies » sont mêmes nommés explicitement), on a du mal à avoir de l’empathie pour le célèbre Clown, rappelant un peu celui de La Guerre des Rires et des Énigmes – déjà peu apprécié. C’est aussi dans la seconde partie de Get Joker ! qu’on perd en fluidité de lecture, davantage cryptique, manquant d’une certaine synergie, en plus de la traduction étrange de la vulgarité et des noms de protagonistes (cf. exemples plus haut).

De la même manière, les dessins d’Alex Maleev sont de moins en moins bien… En effet, à l’instar du scénario, le début est particulièrement soigné, bien encré et colorisé, avec plusieurs détails en fond de cases et des visages expressifs. Plus on avance dans la BD, moins on a de décors et un côté brouillon ressort de l’ensemble. Quelques traits peu expressifs pour croquer des visages, un aplat de couleur en guise d’arrière-plan, etc. Un peu comme Jock lorsqu’il n’est pas en forme, cf. Le Batman Qui Rit. Heureusement, la colorisation assurée par Matt Hollingsworth accentue l’ambiance lugubre du titre, rappelant le même travail de l’artiste sur des titres récents comme White Knight et sa suite, ou des plus anciens comme Catwoman – Le Dernier Braquage. Il y a même une petite vibe Sean Murphy entre les traits de Maleev couplés aux couleur d’Hollingsworth – qui officie donc sur les créations de Murphy.

En synthèse, côté histoire, l’équipe de Suicide Squad court après un Joker peu empathique avant de s’allier avec lui puis tout se termine dans des affrontements soudains, pas forcément lisibles et une conclusion assez frustrante puisqu’on ne sait pas si le Joker a été tué ou non… Beaucoup de bonnes idées se succèdent mais aucune n’est exploitée correctement pour rendre le titre incontournable. L’ambiance graphique confère une patte singulière au comic mais s’avère beaucoup trop hétérogène pour être réussite. Il manque donc une constance visuelle dans les visages ou les poses iconiques pour avoir un équilibre entre le scénario bancal et les dessins qui, in fine, le sont aussi. Difficile donc de conseiller le titre, à la traduction parfois étrange aussi (c’est suffisamment rare pour être souligné – le traducteur n’étant pas un régulier chez Urban, ceci explique peut-être cela), peut-être pour les amoureux de Jason Todd ou les férus d’Azzarello…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le
Contient : Suicide Squad : Get Joker #1-3

Scénario : Brian Azzarello
Dessin et encrage : Alex Maleev
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard et Stephan Boschat)

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DC Comics au cinéma : plus le droit à l’erreur !

Cet article a été écrit en février/mars 2017 pour être publié dans le magazine Ciné Saga #18 en avril 2017 [cf. cette section pour les détails] donc avant la sortie du film Wonder Woman et avant les complications de postproduction de Justice League. Néanmoins il a été mis à jour en fonction de cela avec l’ajout d’une dizaine de paragraphes et de modifications diverses.

2016 était l’année de lancement de l’univers partagé DC Comics au cinéma (le « DCEU » en VO, pour DC Extended Universe). Batman v Superman : l’Aube de la Justice n’a pas obtenu le succès escompté et s’est fait massacrer par la critique. Suicide Squad a enfoncé le clou de la défaite (artistique mais pas commerciale). Avec Wonder Woman et Justice League, Warner Bros ne peut plus se permettre de décevoir… Retour sur un chantier chaotique.

DCEU

Été 2012. Tout va pour le mieux pour le studio de production et distributeur Warner Bros : The Dark Knight Rises, qui clôturait la trilogie consacrée à Batman par Christopher Nolan, a dépassé le milliard de recettes dans le monde entier. Un exploit sachant que quatre mois plus tôt, le rassemblement Avengers de la concurrence (Marvel) explosait elle aussi les records avec 1,5 milliards de dollars de recettes ! Warner apprécie l’univers sombre et très réaliste de Batman. Elle veut la même chose pour Superman. L’approche a de quoi déstabiliser, car on risque de dénaturer l’un des super-héros les plus emblématiques (l’homme d’acier incarne la lumière, l’espoir, il véhicule du positif), mais ce parti pris permettrait de recréer la nouveauté pour l’alien kryptonien, qui a déjà été porté cinq fois au cinéma. Man of Steel sort en salles en juin 2013 avec une belle équipe de créateurs : Christopher Nolan signe le scénario avec David S. Goyer, qui œuvré avec lui pour l’écriture de la trilogie The Dark Knight.

SNYDER, MAN OF STYLE

Considéré comme un metteur en scène « visionnaire », Zack Snyder est le réalisateur tout trouvé pour cette nouvelle version des aventures de l’homme d’acier. Lecteur assidu de comics développant un style de mise en scène très particulier, avec une esthétique hors-norme, très soigné, Snyder est en plus apprécié par une large communauté de fans de comics depuis ses adaptations de 300 (2007) et Watchmen : Les Gardiens (2009). Man of Steel, qui sort en 2013, est une semi-réussite. Il a certes coûté 225 millions de dollars et en a rapporté quasiment le triple mais les critiques sont mitigées. En Clark Kent/Supermen, Henry Cavill ne convainc pas tout le monde (jugé trop lisse voire inexpressif) et la fin du film est fortement critiquée, notamment parce qu’il n’y a aucune victimes victimes visibles durant la destruction de Metropolis (un aspect corrigé au début de Bat v Sup). Cette lecture de Superman, qui n’est pas encore un super-héros à ce moment de l’histoire et qui tue même un ennemi (le Général Zod), ne remporte pas l’adhésion dans l’univers cinéphilique…

Man of Steel

Zack Snyder s’est pourtant inspiré des comics. Il a défendu sa vision et imposé sa patte pour concevoir une galaxie où d’autres super-héros de DC Comics sont susceptibles d’intervenir. Un satellite Wayne Enterprises est brièvement aperçu, preuve que le milliardaire est déjà de ce monde. Idem avec Lex Corp : quelques plans dévoilent le logo du futur ennemi de Superman. Le succès commercial du long-métrage incite Warner Bros à le transformer officiellement en première pierre du DC Extended Universe (DCEU), l’univers cinématographique de la « Distinguée Concurrence » (de Marvel). L’un des productuers, Charles Roven, l’a confirmé en mars 2017 : « Quand nous avons commencé Man of Steel, nous savions que nous allions étendre l’univers DC au cinéma et que ça allait commencer par l’histoire de Superman. L’univers que nous allions construire irait au-delà de cet unique film. »

AOÛT 2014 : WARNER ANNONCE 10 FILMS DC DE 2016 À 2020 !

Warner Bros DC ComicsUn mois après la sortie de Man of Steel, Zack Snyder mentionne, au Comic Con de San Diego, la présence de Batman dans la suite du film. Peu après, Ben Affleck est officiellement annoncé pour reprendre le rôle de l’homme chauve-souris (après Michael Keaton, Val Kilmer, Georges Cloonez et Christian Bale). Les fans s’inquiètent déjà suite au triste souvenir de l’incursion de l’acteur chez les super-héros en 2003 dans Daredevil.

Août 2014. Warner Bros annonce dix films pour le DCEU s’étalant de 2016 à 2020 ! Les titres sont révélés en octobre de la même année : Batman v Superman : l’Aube de la justice et Suicide Squad pour 2016, Wonder Woman et Justice League – Part one en 2017, The Flash et Aquaman en 2018, Shazam et Justice League – Part two en 2019 et enfin Cyborg et Green Lantern en 2020.

Warner frappe fort et souhaite combler son retard face au concurrent Marvel. À ce moment là, Les Gardiens de la Galaxie explosent tout, lançant la dernière offensive de la phase II de l’univers Marvel au cinéma, avant le très attendu Avengers 2 (L’Ère d’Ultron). Bat v Sup voit d’ailleurs sa date avancée pour sortir juste avant Captain America : Civil War. Il faut à tout prix éviter le raz-de-marée « marvelien » et une possible noyade…

Zack Snyder Ben Affleck

Ben Affleck dirigé par Zack Snyder, sur le tournage de Batman v Superman

Au lieu de suivre un schéma classique — montrer un super-héros par film puis lui faire partager l’écran avec ses co-équipiers dans un autre —, Warner adopte une stratégie différente et assez agressive. Partant du principe (très juste) que tout le monde connaît Batman et Superman, le studio décide de les faire s’affronter dans Bat v Sup, d’y introduire Wonder Woman et de dévoiler, très brièvement, Aquaman, Flash et Cyborg, qui auront leur propre film ensuite. Ainsi, ce qui devait être un « Man of Steel 2 » est devenu un « Justice League Origins ». Les détracteurs (et même les fans) de DC Comics y voient déjà un gros fourre-tout, un peu bordélique et pas forcément justifié. Les trailers de Batman v Superman : l’Aube de la justice en montrent trop et aucune projection presse n’est prévue, ce qui est rarement bon signe. Juste avant la sortie, en mars 2016, Zack Snyder annonce qu’il y aura une version longue pour le marché vidéo, un « aveu » qui cristallise à nouveau les inquiétudes des fans. Ils s’attendent au pire pour la première mouture et imaginent que le metteur en scène veut rattraper le coup avec la deuxième (et eux devront remettre la main au portefeuille…). Entre-temps, une première bande-annonce de Suicide Squad est diffusée, annonçant un long-métrage très sombre et violente.

2016, L’AUBE DE LA… DÉCEPTION

Batman V SupermanFin mars 2016. Le duel Ben Affleck – Henry Cavill signe sans surprise un excellent démarrage dans le monde entier mais les critiques le descendent et le bouche à oreille est lui aussi négatif. S’il est jugé tantôt trop compliqué, tantôt pas assez épique, quand ce n’est pas ridicule, trop long, trop noir ou dénué d’humour, trahissant les icônes de DC Comics, Bat v Sup génère tout de même près de 875 millions de dollars au box-office mondial en fin d’exploitation. Il aurait coûté 250 millions de dollars sans la promotion et le marketing (une rumeur avance un coût définitif de 400 millions). Le long-métrage de Snyder a peut-être pâti d’un évènement que personne n’avait vu venir : le Deadpool de la 20th Century Fox (également détenteur des droits des films X-Men et Wolverine), projeté en salles début février 2016 qui a cartonné et a donné un nouveau souffle au genre. À l’arrivée, Batman v Superman : l’Aube de la Justice a rapporté plus du double de son budget initial mais il n’a pas atteint pas le milliard de dollars prévu et, surtout, complique l’exploitation de l’univers DC Comics au cinéma. Chez les fans, Bat v Sup divise tout autant mais certains y voient un chef-d’œuvre, avec une vision encore jamais défendue pour un film de super-héros (cf. la critique du site).

La version longue, qui sort en juillet 2016, est unanimement saluée comme étant meilleure, donnant plus de profondeur aux personnages et facilitant la compréhension générale des évènements, comme le plan de Lex Luthor par exemple (cf. la critique du site). Mais c’est trop tard pour la Warner qui doit changer de cap afin de ne pas réitérer la même erreur. Il s’agit de revenir aux fondamentaux en produisant des films davantage « accessibles » et plus « grand public ». La première bande-annonce de Justice League (qui ne sera plus scindé en deux parties formant un tout complet — même si une suite est toujours annoncée) est montrée en juillet 2016 et elle va dans ce sens avec des situations plus drôles et légères dans lesquelles Bruce Wayne semble singer Tony Stark (alias Iron Man). Les fans ayant apprécié Bat v Sup déplorent cette nouvelle approche et ce retournement de veste du studio, sans savoir si cette politique était voulue à la base.

LE SCÉNARISTE DE COMICS GEOFF JOHNS À LA RESCOUSSE

evolution logo Suicide SquadWarner revoit donc ses plans. Le long-métrage The Batman se greffe au DCEU, porté par un Ben Affleck très impliqué et qui veut (dans un premier temps) le réaliser. Le talentueux scénariste de comics Geoff Johns (qui a œuvré avec brio pour relancer les séries Green Lantern, Aquaman, Justice League, Flash…) est placé en haut de l’échiquier Warner comme co-président de DC Entertainement, la branche média de DC (dessins animés, jeux vidéo, films…) créée spécialement pour le DCEU. Johns est également co-président de DC Films. Son rôle ? Consolider l’univers partagé DC au cinéma, comme consultant sur chaque long-métrage, s’impliquer dans la production et participer à l’écriture selon les besoins. Il épaule ainsi Zack Snyder, qui était seul à bord pour mener cette lourde tâche, et qui semble se retirer petit à petit des autres projets, comme Christopher Nolan, qui s’est éclipsé après Man of Steel.

Warner change aussi la promo de Suicide Squad (peut-être aussi pour copier Deadpool) ; les nouveaux trailers révèlent un univers totalement déjanté et pop, à grands renforts de tubes musicaux. Très loin de la noirceur annoncée un an plus tôt. L’évolution du logo (illustration à droite) est saisissante (— voire consternante). À sa sortie début août 2016, le film de David Ayer avec Will Smith (Deadshot), Margot Robbie (Harley Quinn) et Jared Leto (le Joker) essuie des critiques encore plus violentes que Batman v Superman : l’Aube de la Justice. Les professionnels parlent d’un opus ridicule avec un Joker très mauvais et des personnages caricaturaux. Même les fans de comics s’accordent sur son manque de relief. Si Bat v Sup était attendu, à tort, comme un film de super-héros épique, pour tous, Suicide Squad avait été vendu (surtout au début de sa promotion), lui, comme un long-métrage torturé, violent, adulte. C’est l’inverse qui s’est produit. Warner ne sait visiblement pas comment trouver le bon équilibre pour garantir à la fois à ses films une certaine qualité cinématographique et l’indispensable succès commercial. Sans parler de la volonté (l’obligation ?) de concurrencer Marvel (avec son MCU, pour Marvel Cinematic Universe, bien installé, ses Avengers et désormais Spider-Man) et la Fox (les sagas X-Men, Wolverine et Deadpool).

Harley QuinnMalgré les critiques désastreuses de Suicide Squad, Margot Robbie, qui interprétait une excellente Harley Quinn (un des éléments forts du film, cf. la critique du site), confirme la préparation d’un Gotham City Sirens. Elle devrait côtoyer Catwoman et Poison Ivy dans ce projet mis en scène par le même réalisateur, David Ayer. Ce dernier s’est fendu d’une tribune début 2017 pour exprimer ses regrets. Il expliquait qu’il aurait dû faire « du Joker le méchant principal et concevoir une histoire plus solide ». Il précisait dans la foulée qu’il n’existait pas un montage secret avec le Joker… et qu’il était satisfait, malgré tout, d’avoir présenté des personnages cool de l’univers DC au monde entier. Tout n’est pas noir, le film a incroyablement marché : pour un budget de 175 millions de dollars, il en a rapporté 745, soit quatre fois plus ! Bonus supplémentaire suprême : Suicide Squad a remporté, contre toute attente, l’Oscar des meilleurs maquillages et coiffures fin février 2017, aux dépens notamment de Star Trek: Sans limites. Chez Warner, on est évidemment conscient des retours négatifs mais la major met quand même une suite en chantier. Mel Gibson tâta un temps le terrain pour la réaliser, avant que le projet aboutisse aux mains de Gavin O’Connor, en septembre 2017. Ce metteur en scène de Jane Got a Gun et Mr. Wolff écrira ce second volet en plus de le réaliser, pour une sortie prévue en 2019. Warner mise aussi sur un spin-off axé sur Floy Lawton, alias Deadshot, joué par Will Smith. Nous sommes au royaume de l’entertainment et « malheureusement », il y a un paquet d’argent à la clé, indépendamment de la beauté, de l’originalité, de la pertinence, bref de la qualité d’une œuvre… Évidemment, le studio aimerait éviter de se faire à nouveau incendier !

THE BATMAN DANS L’IMPASSE

Prévu pour 2018, The Batman a tout pour faire rêver les fans des comics et les cinéphiles — le souvenir de la trilogie Nolan est intact — mais le parcours de pré-production, totalement chaotique, change la donne. Le film doit être co-écrit et mis en scène par Ben Affleck qui avait été oscarisé comme meilleur scénariste pour Will Hunting en 1998 ; sa réalisation Argo décrochant, elle, la statuette du meilleur film en 2013. Attaché à son rôle et fortement impliqué dans l’écriture du scénario, épaulé par Geoff Johns, Affleck dévoile ainsi sur Twitter, fin août 2016, une vidéo de Deathstroke — un personnage déjà aperçu dans la série Arrow et qui devrait être incarné, ici, par Joe Manganiello (True Blood). Le futur ennemi du Caped Crusader ? Bien possible. Batman a échangé quelques coups avec lui dans les comics et dans le jeu vidéo Arkham : Origins (notamment dans un affrontement mémorable, cf. la critique du site), en plus d’être inédit au cinéma.

Batman Ben Affleck

Mais début 2017, coup de théâtre Affleck se retire de la réalisation, tout en assurant qu’il reste attaché au projet en tant qu’interprète et scénariste. Matt Reeves (Cloverfield, La Planète des Singes : L’Affrontement et La Planète des Singes : Suprématie) est annoncé comme metteur en scène peu après. Il déclare pourtant dans un premier temps son retrait, ne parvenant pas à trouver un terrain d’entente avec Warner sur la direction à suivre. Le 23 février 2017, Warner officialise finalement bien le choix de Matt Reeves à la réalisation (les négociations ont donc abouti entre le metteur en scène et la firme). Ben Affleck lui souhaite la bienvenue sur Twitter pour couper court aux rumeurs indiquant qu’il rend définitivement sa cape. Mi-mars 2017, retour à la case « Départ » : on apprend que le script de Ben Affleck, Chris Terrio et Geoff Johns sera réécrit car Matt Reeves veut y apporter sa patte (pas forcément une mauvaise chose !). La production indique au même moment que le tournage commencera en 2018 pour une sortie en 2019 voire en 2020… The Batman a connu nombre de déboires mais le film en sortira peut-être (sans doute) grandi. Entre l’amour que semble porter Affleck au personnage (sa performance dans Bat v Sup a été l’un des rares éléments quasiment unanimement saluée par tous) et le travail de Matt Reeves derrière la caméra, acclamé par la critique, les pontes de la Warner ne peuvent qu’imaginer une réussite (et les fans aussi) !

UN SEUL FILM DC EN 2018 AU LIEU DE TROIS…

The Flash Ezra MillerQuid des autres films DC lancés par le studio ? Geoff Johns a co-écrit Wonder Woman, qui avait changé de réalisatrice (Patty Jenkins est la première femme à mettre en scène un film de super-héros) suite à des différents artistiques avec la Warner — et qui, finalement, a excellé au box-office et a recueilli majoritairement des louanges du public et de la critique, malgré des défauts évidents (cf. la critique du site) —, et co-produit Justice League (en salles le 15 novembre, les bandes-annonces sont recensées sur cette page). The Flash, Aquaman et The Batman devaient sortir en 2018 mais seul Aquaman verra le jour l’année prochaine. On vient d’étudier le cas du Chevalier Noir, penchons-nous sur The Flash, lui aussi dans la tourmente…

Les aventures du bolide écarlate devaient être présentées dans moins d’un an (le 16 mars 2018 aux États-Unis), mais le réalisateur n’avait toujours pas été choisi au moment où nous écrivions ces lignes (février/mars 2017 — ce n’est toujours pas le cas au moment de sa publication sur ce site, soit début octobre 2017) ! Seth-Grahame Smith (scénariste de Abraham Lincoln, chasseur de vampires) a quitté le projet pour différends créatifs avec Warner en avril 2016. Il a été remplacé par Rick Famuyiwa (Dope), qui s’est lui aussi retiré suite à des divergences de vues. Le studio n’appréciait pas son script qui est désormais entre les mains de Joby Harold (Le Roi Arthur : la Légende d’Excalibur). Pas de scénario définitif, pas de metteur en scène et une sortie qui a été repoussée à une date indéterminée… Plutôt inquiétant ! Une certitude : Ezra Miller endossera une nouvelle fois le costume. Le projet s’est depuis mué en Flashpoint, inspiré par l’histoire de comics éponyme : cela permettrait de mettre en place un… reboot (via le fameux multivers — qui pourrait dans la foulée changer les acteurs de rôle, comme Ben Affleck qu’on dit souvent sur le départ). Osé mais peut-être logique suite à toutes les problématiques rencontrées sur chaque film du DCEU.

Aquaman Jason Momoa Justice League

Seul Aquaman, dédié à un super-héros peu connu et impopulaire, est en bonne voie. Peut-être parce qu’il subit moins de pressions que les autres (porté une seule fois à l’écran dans Smallville, que tout le monde a oublié) ? Le film est réalisé par James Wan (Saw, Insidious, Conjuring, Fast & Furious 7) et écrit par Will Beall (Gangster Squad) qui a proposé un premier jet ) partir d’une base développée par James Wan himself et ce bon vieux Geoff Johns, déjà scénariste de quelques comics sur le roi de l’Atlantide. Arthur Curry, également présent dans Justice League, est interprété par Jason Momoa, inoubliable Khal Drogo de la série Game of Thrones. On l’avait déjà aperçu, très brièvement, dans Batman v Superman : l’Aube de la Justice, dans une vidéo que regardait Bruce Wayne — une incursion très maladroite du long-métrage de Zack Snyder, « obligé » d’introduire, en quelques secondes à peine, les trois super-héros Cyborg, Flash et Aquaman.

Momoa est certes costaud mais a-t-il les épaules assez solides pour porter à lui seul un film de super-héros ? Vu les bandes-annonces de Justice League, on est tenté de dire oui ! Avec ses « punchlines » et son imposante carrure, ce géant complètement « badass » vole déjà la vedette à ses collègues. Aquaman est assurément la curiosité la plus alléchante du DCEU. Seul long-métrage n’ayant pas connu de changement majeur dans son équipe technique (Wan a eu le choix entre réaliser The Flash et Aquaman, il a préféré ce dernier pour plus de liberté créatrice) et artistique (Willem Dafoe, Patrick Wilson et Nicole Kidman entres autres complète le casting — prestigieux), il a toutefois vu sa sortie repoussée deux fois de suite. Initialement programmé en juillet 2018 puis en octobre, il sera finalement projeté en salles… le 21 décembre 2018. Mais cette modification est surtout due à une stratégie marketing puisque Avatar 2, prévu à la même période, a été décalé à une date ultérieure. Warner a donc calé son unique film du DCEU de 2018 en fin d’année.

ET ENSUITE ?

En plus des deuxièmes volets de Justice League et Suicide Squad, les autres films de l’univers cinématographique DCEU sont maintenus (sauf si, évidemment, Warner retourne encore sa veste et change une nouvelle fois d’avis). D’abord Shazam en 2019, l’histoire d’un enfant qui devient un homme surpuissant, plus fort que Superman, quand il prononce le mot « Shazam ». Dwayne Johnson jouera l’antagoniste Black Adam, en plus de co-produire le film (il souhaite avoir son propre long-métrage un jour…). Cyborg, lui, sortira en 2020 et développera l’histoire du jeune Victor Stone, mi-homme, mi-machine. On aura aussi droit à Green Lantern, devenu Green Lantern Corps entre-temps. David S. Goyer, cité en début d’article pour son travail sur la trilogie The Dark Knight, co-signera le scénario. Ces trois films seront coproduits par Geoff Johns mais ils n’ont aucun réalisateur pour l’instant.

On parlait d’autre projets comme Gotham City Sirens et Deadshot. À ceux-ci s’ajoutent Nightwing, qui devrait se situer dans l’univers de The Batman puisque Nightwing n’est autre que le premier Robin (Dick Grayson) dans les comics. Problème : Robin est mort, tué par le Joker comme on l’apprend dans Batman v Superman : l’Aube de la Justice. Sauf s’il s’agit d’un autre Robin, comme Jason Todd (le deuxième), à l’image de ce qui se passe dans les comics (Jason Todd a été tué par le Joker, il revient des années plus tard sous l’alias Red Hood et Timothy Drake devient le troisième Robin). Un éventuel Man of Steel 2 est parfois évoqué mais il n’a jamais été confirmé.

Justice League Files Batman v Superman

La première « introduction » officielle des autres membres de la Justice League, dans Batman v Superman : l’Aube de la Justice.
Un moyen maladroit qui aurait dû se situer uniquement dans la version longue du film.

Quel que soit le programme à suivre, l’enjeu est de taille. Warner Bros doit absolument peaufiner chacun de ses films à venir, soigner leur qualité en les pensant comme une entité artistique entière, avec certes une cohésion d’ensemble pour leur univers mais sans vouloir nécessairement la partager dans un vaste plan commun. Il en va de la réussite de l’entreprise globale. Le studio a insisté pour que chaque réalisateur puisse proposer sa vision et son style mais il semble changer d’avis et éjecter les metteurs en scène (Wonder Woman et The Flash) ou leur imposer des changements de cap majeurs (Suicide Squad). On oscille entre un ton jugé trop sombre et sérieux (Batman v Superman) et un ton beaucoup trop convenu ou léger et sans saveur (Suicide Squad), il est indispensable de trouver le bon équilibre sans s’inspirer de la concurrence et de sa philosophie « cool et tous publics » pour continuer de se démarquer. C’est possible en laissant carte blanche aux cinéastes embauchés. Warner devra-t-elle dire adieu à sa poule aux œufs d’or ?

WHEDON SUCCÈDE À SNYDER

En six mois (de la date d’écriture de cet article à sa transposition sur ce site après la publication en magazine), il s’est, une fois de plus, déroulé beaucoup de choses côté Warner et DCEU. Tout d’abord (et c’est une bonne nouvelle), le film Wonder Woman a été un succès critique et public, rapportant plus de 820 millions de dollars à travers le monde — son exploitation est toujours en cours au 1er octobre 2017. La suite a été officialisée, toujours mise en scène par Patty Jenkins. Ensuite, de nouveaux projets se sont greffés au DCEU et certains ont été modifiés. Ainsi, on l’évoquait vaguement plus haut, The Flash est devenu Flashpoint (sans date de sortie prévue) ; le but étant d’adapter l’histoire éponyme des comics et potentiellement permettre un reboot (oui, déjà…). Plusieurs rumeurs avancent que Ben Affleck rendra la cape de Batman après Justice League, cela serait une élégante porte de sortie pour lui (on fantasme à imaginer Jeffrey Dean Morgan (aka Le Comédien dans Watchmen et Negan dans The Walking Dead) reprendre son rôle de Thomas Wayne et — pour ceux connaissant déjà Flashpoint — devenir un Batman original, le temps de ce film, avant de passer le flambeau à un autre acteur (ou carrément utiliser Nightwing — puisqu’un film sur lui est prévu — pour s’émanciper un peu de l’homme chauve-souris).

Justice League Graphic Posters

Dans l’univers de Gotham, deux nouveaux films ont été annoncés, avec les titres provisoires suivant : Harley & Joker et… Joker. Le premier devrait être l’histoire « d’amour » entre les ennemis emblématiques, à priori toujours incarnés par Margot Robbie et Jared Leto. Le second serait un elseworld, c’est à dire un film hors continuité, complètement détaché du DCEU, et produit par… Martin Scorsese. Si le maître des films de gangsters s’avère bien de la partie, le résultat pourrait être plus qu’alléchant puisque la version Joker de Suicide Squad allait plus ou moins dans ce sens. Oui mais… ni Jared Leto n’a confirmé sa participation ni Warner n’a officiellement indiqué qu’il s’agirait du même Joker (ce qui est logique puisque ce projet se démarquerait volontairement des autres). Man of Steel 2 et Justice League Dark ont à nouveau été évoqués sans réelles informations concrètes à se mettre sous la dent. Enfin, un long-métrage sur Batgirl est à l’étude, réalisé par Joss Whedon (metteur en scène d’Avengers et sa suite !). Ce dernier cas puise ses origines dans la postproduction de… Justice League. Explications.

Justice League

Mai 2017. Zack Snyder, en plein travail de postproduction sur Justice League, annonce à la surprise générale qu’il se retire du film. On apprend que sa fille s’est suicidée quelques mois plus tôt et que l’artiste souhaite passer du temps avec sa famille. Suite à ce terrible drame, Warner fait appel à Joss Whedon pour finaliser Justice League. En été 2017, de nouvelles scènes sont tournées pour un budget de 25 millions de dollars (une somme plutôt élevée pour des reshoots qui, eux, font partie intégrante d’une démarche classique pour un blockbuster). Le scénario est remanié, Whedon sera officiellement crédité comme scénariste. Des murmures avancent que le long-métrage sera (encore) plus léger et « fun » que sous l’égide de Snyder. Des internautes analysent les images des nouvelles bandes-annonces et découvrent que la photographie porte déjà moins la « patte » Snyder. Polémique ? Oui et non. Zack Snyder a toujours eu ses détracteurs, avant et pendant la mise en place du DCEU. Certains sont donc rassurés par son départ et ravis par l’arrivée de Whedon. D’autres sont mécontents et avancent déjà un film raté, sans l’identité de son metteur en scène initial. Comme d’habitude : la Toile scrute chaque potentielle information et monte en épingle la moindre rumeur… La spéculation ne changera rien aux faits : Justice League sort en France le 15 novembre prochain et seuls les résultats au box-office et les retours critique permettront de mieux cerner le futur du DCEU.

LE DCEU N’EXISTE PAS VRAIMENT (EN FAIT)…

Matt Reeves Batman Ben AffleckCe nébuleux univers partagé de DC Comics au cinéma, produit par Warner Bros, ne serait d’ailleurs qu’une invention des journalistes ! En interne, personne n’utiliserait ce terme. C’est ce qu’a affirmé Geoff Johns fin septembre 2017, promettant que les prochains films (après Justice League) ne seront pas connectés aux autres. Des propos complexes et décortiqués, souvent mal interprétés, qui ne veulent pas dire que les longs-métrages ne se situeront pas dans le même univers, juste que certains seront uniquement centrés sur un super-héros précisément. Exactement comme Wonder Woman finalement (et comme la concurrence diront les mauvaises langues).

Matt Reeves (photo à droite), réalisateur de The Batman, avait dû se justifier pour avoir tenu un discours similaire sur son travail sur son film. En gros : pas d’autres super-héros de la Justice League dans The Batman, ni de connexions forcées avec d’autres films, mais aucun problème pour qu’il s’inscrive dans le même univers. Une fois de plus : la moindre déclaration est suranalysée et son auteur doit se justifier pour calmer d’énièmes nouvelles rumeurs ou craintes… Une sorte de harcèlement qui est peut-être aussi à imputer au recul opéré par Ben Affleck, ne supportant plus les questions sur le Dark Knight à chacune de ses sorties ou interviews promotionnelles pour d’autres longs-métrages qu’il doit assurer.

Geoff JohnsJohns (photo à gauche) confirme tout de même la création d’un label dédié à des films qui seront bien des elseworlds, sans continuité donc, tel le projet Joker évoqué plus haut. De quoi ravir et râler à nouveau pour le public. Les mécontents des premières œuvres de l’univers partagé devraient obtenir satisfaction là où les autres fans seront plus mitigés.

Ces déclarations de Geoff Johns permettent aussi d’imaginer des adaptations de comics cultes, comme Red Son ou Kingdome Come par exemple. Des œuvres qui sont de base situées hors chronologie classique et clairement à part dans les mythologies des super-héros de DC Comics. Red Son voit l’arrivée de Superman en Russie et non aux États-Unis. Le jeu vidéo Injustice, qui a inspiré une brillante série de comics éponyme, pourrait lui aussi faire partie du lot (Superman étant un dictateur dedans) sauf que… Snyder a déjà proposé cette vision futuriste dans un cauchemar de Bruce Wayne (à moins que ce ne soit un « flash » du futur — ça tombe bien on y voyait Flash) et cela a déclenché chez le justicier milliardaire la… création de la ligue de justice. Cet aparté uchronique pourra-t-il devenir un long-métrage ? Ce n’était pas prévu initialement mais avec ce label elseworld de DC Films, ça ferait sens. Et si tout était relié involontairement ? Dans tous les cas, près de deux ans après la création « officielle » du DCEU, ce n’est pas aujourd’hui que celui-ci se consolide et repose sur des bases saines et fortes, au contraire.

Seule actualité concrète, reliée au cinéma, la publication imminente du bel ouvrage Justice League – The Art of the film le 21 novembre prochain, soit six jours après la sortie du film de Zack Snyder. La couverture (ci-dessous) a été dévoilée début octobre 2017 ; on peut le précommander pour 35,68€. Le long-métrage sera en salles le 15 novembre 2017 en France, le 17 aux États-Unis. Aura-t-on droit au même succès critique et public que Wonder Woman, à une violente destruction unanime (comme pour Suicide Squad) ou à une complexité segmentant les fans (Batman v Superman) ? Réponse dans un peu plus d’un mois.

Justice League - The Art of the film

Ce long article a été publié dans le magazine Ciné Saga #18, un numéro spécial super-héros. J’ai également rédigé d’autres papiers, dont vous trouverez la liste sur ce lien. Trois encadrés complétaient cet état des lieux de DC Comics au cinéma : Les meilleurs sites pour s’informer, Comment se lancer dans l’univers DC en comics et Vertigo, l’atout prestige de DC. Les deux derniers ont été compilés dans cet article, qui sont une bonne porte d’entrée pour découvrir DC Comics.

La fresque en haut de cet article a été réalisée spécialement pour le site, un filigrane avec « www.comicsbatman.fr » n’a volontairement pas été ajouté dessus. Merci donc d’indiquer votre source (ce site) si vous la reprenez.

Les critiques des films évoqués sont dans la section Adaptations puis Films et DCEU. Seuls les projets concrets sont indexés dans les deux premières parties (une où Batman apparaît avec un rôle principal, une où il n’apparaît pas ou très peu). La troisième renvoie sur les nombreux longs-métrages actuellement en pré-production ou annoncés.

Cet état des lieux ne sera plus mis à jour après sa publication (début octobre 2017) tant les changements sont notoires et parfois flous. Si besoin, un autre article viendra compléter celui-ci dans le futur.

Étude de cas : Le Joker

Suite à mon interview dans le magazine Ciné Saga en début d’année 2016, leur rédaction m’a demandé d’écrire une étude de cas sur le Joker pour leur quatorzième numéro (1), sorti en août 2016. L’article devait s’étaler sur quatre pages avant de s’étendre à huit, tant il y a de choses à raconter. Retour sur la création du Clown du Crime, son évolution à travers les comics et son essor dans la culture populaire, grâce au cinéma, aux dessins animés et aux jeux vidéo. Avec des interviews de Yan Graf, éditeur chez Urban Comics, et Pierre Hatet, mémorable doubleur du Joker sur plusieurs supports artistiques.
(Rédigé en juin 2016, donc avant la sortie du film Suicide Squad. ///// Cliquez sur les couvertures pour accéder aux critiques.)

Joker Heath Ledger The Dark Knight

Qui rira le dernier ?

Des bandes dessinées américaines aux films en passant par les jeux vidéo et les séries d’animation, le Joker est partout, tout le temps. Il fascine, autant que Batman, depuis trois quarts de siècle. Retour sur sa création, son évolution et ses nombreuses apparitions.

Le 21 juillet 1866, Victor Hugo débute, à Bruxelles, l’écriture d’un nouvel ouvrage : L’Homme qui rit. Presque trois ans plus tard, le roman philosophique est publié en France. Le personnage principal, Gwynplaine, est un saltimbanque défiguré, mutilé au niveau de la bouche notamment, donnant l’illusion d’un sourire forcé en permanence. En 1928, le réalisateur d’origine allemande Paul Leni dévoile son adaptation cinématographique muette avec Conrad Veidt dans le rôle de Gwynplaine. Bill Finger, le co-créateur de Batman et son principal scénariste à ses débuts, donne en 1940 une photographie de l’acteur (en noir et blanc) à Bob Kane, le dessinateur désormais crédité comme concepteur du Chevalier Noir. L’encreur de l’époque, Jerry Robinson, propose une carte à jouer d’un Joker pour finaliser la création. L’ennemi le plus célèbre et iconique de Batman est né, la paternité étant attribué aux trois artistes. En extrapolant, on peut affirmer que d’une certaine façon, c’est le fruit de l’imagination d’un des écrivains français les plus célèbres et réputés qui a servi de base embryonnaire au désormais incontournable Joker.

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L’acteur Conrad Veidt et la première apparition du Joker
dans Batman #1 en 1940 (dessiné par Bob Kane & Jerry Robinson)

Bill Finger lui apporte des origines en 1951 (dans Detective Comics #168) en créant le fameux Masque Rouge, plus connu sous son nom originel : Red Hood (qui sera repris en 1989 dans Killing Joke et modernisé en 2014 par Scott Snyder dans Batman #0 puis dans l’arc L’An Zéro). Le mythe dit que l’inspiration du fameux heaume rouge, brillant et lisse est venue à nouveau d’un écrivain français réputé : Alexandre Dumas. C’est la dernière partie du livre Le Vicomte de Bragelonne, publié de 1847 à 1850, qui fermait la trilogie entamée avec Les Trois Mousquetaires, qui aurait fourni au scénariste de comics sa matière brute : il y est en effet question du fameux Homme au masque de fer.

Une absence totale de moralité

image-02Plus de 75 ans après sa création, le Clown du Crime est devenu un personnage à part entière de la culture populaire. Outre sa perpétuelle apparition dans les bandes dessinées Batman et Detective Comics, parmi les titres les plus emblématiques, durant plusieurs décennies, c’est à la fois l’écriture du personnage, sa psychologie atypique, son absence totale de moralité et son essor à travers d’autres supports artistiques qui ont contribué à sa renommée. Il fascine et séduit autant qu’il repousse et effraie. Miroir déformé d’un héros solitaire et sombre, il se veut fantasque et coloré. Certains le considèrent comme fou, d’autres l’estiment habile manipulateur, doué d’une rare intelligence.

Dès sa création pour le premier numéro de la série Batman en 1940 (le justicier est né un an avant dans le numéro #38 de Detective Comics), ses auteurs souhaitaient un ennemi « fort » et qui laisserait une trace pour cette nouvelle publication. Bien malin, l’éditeur, DC Comics, décida de ne pas tuer le Clown dès sa première apparition (chose très fréquente à l’époque pour les ennemis de Batman). Fou furieux, manipulateur, tueur sans remords : la première version du Joker, jusqu’en 1942, est, quelque part, assez proche de l’imaginaire collectif. Il « s’assagit » ensuite jusqu’en 1954, devenant un « simple » bouffon trouvant un attrait aux farces et attrapes, tout en restant cet ennemi flamboyant et unique.

Dès lors, le Comics Code Authority, organisme de censure, contraint indirectement à une disparition du Joker (mieux que d’avoir eu une version trop ringarde et aseptisée), remplacé par des monstres de science-fiction ou fantastiques, afin de coller avec le registre de genre du Batman de l’époque. Cela durera près de quinze ans. L’Arlequin de la Haine continue de défier le Goliath de Gotham à travers les planches et connaît un regain de popularité en 1966, grâce à la série télévisée  de ABC, où l’acteur Cesar Romero lui prête ses traits. Du pur nanar dans lequel le terrible ennemi paraît bien ridicule. Mais cela lui permet d’accroître son aura et de se faire connaître par davantage de personnes.

[Couverture de Detective Comics #69 par Jerry Robinson en 1942. L’’une des rares montrant le Joker tenant des armes à feu.]

La mort de Robin

C’est en 1989 que le Joker acquiert définitivement son statut de Némésis culte. Deux raisons à cela. La première se joue outre-Atlantique, au Pays de l’Oncle Sam, dans les chapitres #426 à #429 (décembre 1988 à janvier 89) de la série Batman : le Joker tue Robin. Il s’agit alors du deuxième Robin, alias Jason Todd, qui succéda à Dick Grayson (un nom un peu plus connu du « grand public » puisqu’il était le Robin originel devenu un super-héros à part entière sous l’alias Nightwing). Dans cette histoire, intitulée Un Deuil dans la Famille (publié pour la première fois en France en 2003 puis réédité en 2013 par Urban Comics, l’éditeur actuel des aventures du Dark Knight), ce sont les lecteurs eux-mêmes qui ont scellé le sort du second side-kick de Batman à travers un vote massif organisé par DC Comics ! Une drôle de façon de faire pour l’époque mais qui restera dans l’histoire de la bande dessinée américaine.

Comics Batman 10 Un Deuil dans la Famille Comics Batman 20 The Dark Knight Returns  Comics Batman 22 Arkham Asylum

Si cette mort, d’une violence inouïe, accentue le statut de méchant du Joker et marque à jamais la mythologie de Batman, l’histoire n’est paradoxalement pas la plus emblématique du Caped Crusader. Jim Starlin, son scénariste, met en scène un Batman au cœur de la politique et du Moyen-Orient. Il faut attendre 2002 pour entrevoir le retour de Jason Todd, dans l’excellent ouvrage Hush, écrit par Jeph Loeb, avant de le voir se concrétiser dans Under the Red Hood, sous la plume de Judd Winick, en 2005 (tous deux disponibles chez nous sous les titres Silence et L’Énigme de Red Hood, toujours chez Urban Comics). La mort de Robin survient après trois années de publications où le Joker a littéralement pris un tournant radical.

En effet, dans les comics, aux États-Unis tout du moins, le Joker est devenu une entité résolument sombre, violente et menaçante. Pire qu’à l’accoutumée. Il y a donc eu, en 1989, Un Deuil dans la Famille mais les prémices de cette version extrêmement dérangeante sont apparus en 1986, dans The Dark Knight Returns de Frank Miller (Sin City, 300…). On y découvrait, dans un futur hypothétique, un Joker incapable de vivre, totalement dépressif, depuis la disparition (volontaire) de Batman. Le Clown retrouve goût à la vie uniquement lorsque le Chevalier Noir refait son apparition. C’est dans ce comic book, que Miller suggère (en premier) la mort de Robin par la main du Joker. L’artiste polémique récidivera quinze ans après dans The Dark Knight Strikes Again, une suite nettement inférieure, où il fera carrément de Dick Grayson… le Joker !

Un Joker au sommet de la folie

batman killing jokeAprès The Dark Knight Returns, qui deviendra culte et constituera un pilier du monde des comics, sort en 1988 Killing Joke, de Brian Bolland et Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta…). Le Joker est alors au sommet de sa folie : il kidnappe Gordon, l’humilie, tire sur sa fille Barbara (Batgirl), et est ainsi responsable de son handicap (elle deviendra Oracle en étant condamnée à rester sur un fauteuil roulant). Cette version extrêmement noire (et désormais reniée par Moore) sous-entend même que le Joker aurait violé la fille du commissaire… Une adaptation animée sort ce mois-ci (MàJ : le 3 août 2016). Dans la foulée, Grant Morrison écrit son formidable Arkham Asylum, publié en 1989, qui vient accroître l’aura maléfique du Joker. Les méandres et errances de Batman dans le célèbre asile, où il a peur de céder à sa propre folie face à un Joker plus survolté que jamais.

Le même auteur laisse entendre dans Batman #663, à travers des bribes de la thèse d’Harleen Quinzel, que le Joker n’a pas de personnalité propre ni d’ego mais plutôt des « super-personnalités ». Cette plongée au cœur de la folie dans Arkham Asylum inspirera le jeu vidéo éponyme qui sera mis en vente pile vingt ans après.Comics Batman 28 Joker Anthologie Dans cet autre média, le Clown du Crime occupe une place prépondérante. S’inspirant des comics précités et récupérant les doubleurs des dessins animés (Mark Hamill en VO, Pierre Hatet pour la VF), la saga Arkham sera un succès critique et public.

Il faut attendre 2005 pour lire une nouvelle version de la première apparition du Joker, soixante-cinq ans après sa naissance. Elle est intitulée L’Homme qui rit (The Man Who Laugh en version originale), nom qui évoque clairement l’œuvre de Victor Hugo et le film de 1928 (qui bénéficia, pour l’anecdote, d’un passable remake français fin 2012, avec Marc-André Grondin dans le rôle-titre). Dans cette histoire, Gordon et Batman alternent les monologues intérieurs (de la même façon que Batman : Année Un, par Miller) et son auteur, Ed Brubaker, distribue la carte de la folie en modernisant à peine son socle d’inspiration : l’énigmatique Joker annonce des morts à la télévision, celles-ci ont lieu aux heures dites, comme dans Batman #1 de 1940. Les deux sont à (re)lire dans l’indispensable Joker Anthologie, toujours chez Urban Comics.

« Il incarne la peur des clowns maléfiques »

« Le Joker touche des publics différents, à des degrés divers et pour des raisons diverses. Pour le public plus jeune, il incarne la peur des clowns maléfiques : leur côté étrange, leur maquillage…, souligne l’éditeur Yan Graf qui a travaillé sur cet ouvrage. Mais le Joker est aussi un symbole d’anarchie, poursuit-il. Les personnages de méchants charismatiques sont légion dans la culture populaire et ces dernières années, les assassins insensibles ou psychopathes ont remporté les faveurs du public. Ils produisent une sorte de fascination/répulsion et depuis longtemps, on sait que le spectateur ou le lecteur aime se placer dans les pas d’un meurtrier. Le Joker est l’un de ces personnages flamboyants qui vivent sans repère moral, il est celui qui rejette toutes les règles ou toutes les valeurs sur lesquelles on bâtit une société civilisée. De plus, il ridiculise les autorités, à commencer par Batman. C’est le fou de la cour du roi mélangé à un artiste de la mort. Sa complexité en fait un personnage aux multiples facettes. »

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C’est donc avec quatre œuvres cultes publiées entre 1986 et 89, The Dark Knight Returns, Killing Joke, Arkham Asylum et Un Deuil dans la Famille, que le lectorat des aventures de l’homme chauve-souris découvre non pas un nouveau visage ou une nouvelle version du Joker mais un stade jamais atteint auparavant en termes de danger. L’ennemi emblématique, qui avait déjà tué auparavant, devient un miroir menaçant. Il s’en prend directement à l’entourage de Batman. On découvre une psyché le voulant proche de l’homme chauve-souris, voire indispensable. Sans Batman, il n’existerait pas. Mais sans le Joker, Batman n’existerait-il sans doute pas non plus ? À cette interrogation, Tim Burton viendra ajouter son grain de sel, ou plutôt son grain de folie.

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La seconde salve qui fait grimper le Joker sur les hautes marches de la culture populaire (après cet enchaînement de comics noirs) est bien entendu l’interprétation magistrale de Jack Nicholson dans le film réalisé par Tim Burton en 1989 et sobrement intitulé Batman. Ce n’est pas la première fois que le Joker apparaît à l’écran : Cesar Romero le jouait, comme évoqué plus haut, dans la célèbre série débutée en 1966 avec Adam West, qui s’acheva deux années après, au bout de trois saisons suivi d’un film nanar devenu culte par la force des choses, principalement par son côté kitch. Le Joker était donc déjà connu d’une partie de la population (en plus des lecteurs réguliers des bandes dessinées, bien sûr, sans oublier les quelques produits dérivés de l’époque) mais il n’avait jamais été montré aussi sombre et menaçant, hors productions papiers.

C’est d’ailleurs avec le long-métrage de Burton que la « Batmania » va réellement commencer, surtout en France. Pour surfer sur le succès, le film bénéficiera évidemment d’une suite (Batman Returns/Le Défi — davantage dramatique et à l’esthétique gothique très soignée, avec un style plus Burtonien que jamais, qui a déplu aux producteurs) et surtout la création d’un nouveau et formidable dessin animé. Le Joker y est particulièrement mis en avant et doublement accessible (aux enfants et aux adultes). Les jeux vidéo et l’arrivée des comics en France favorisent une fois de plus le développement du personnage.

Jack Nicholson campe un Joker mythique

jack_nicholson_the_jokerJack Nicholson, 52 ans à la sortie du film, n’a plus rien à prouver en tant qu’acteur. Il a reçu un Oscar pour son rôle dans Vol au-dessus d’un nid de coucou en 1975 et surtout, il a déjà offert une incarnation de la folie pure dans le célèbre film de Stanley Kubrick sorti en 1980 : Shining. Le quinquagénaire vole la vedette au Chevalier Noir, fadement interprété par Michael Keaton. Grand succès critique et public, avec 400 millions de dollars de recettes, cette nouvelle mouture de Batman au cinéma, résolument plus sombre (en adéquation, donc, avec les comics de l’époque), dévoile au monde entier le génie du Joker. Si le film a vieilli par bien des aspects, la performance de Nicholson, son terrible visage et ses inoubliables costumes, font encore mouche.

Dans l’esprit des gens, le Joker EST Jack Nicholson. Il ne peut en être autrement. Un truand de base considéré comme fou, qui deviendra littéralement et physiquement le Joker après un jet de produit chimique reçu dans le visage, et évidemment sa célèbre chute dans une cuve d’acide, le tout causé par Batman lui-même. L’homme veut semer un certain chaos dans la ville, sans raison aucune. Il est plutôt « comique » avec des sautes d’humeur violentes, forcément. Il possède même une certaine élégance. Offense suprême : il a lui-même tué les parents de Bruce Wayne, lorsqu’il s’appelait Jack Napier et était âgé d’une vingtaine d’années (une « trahison » pour les fans des aventures sur papier puisqu’il a été maintes fois confirmé que Thomas et Martha Wayne succombent sous le feu de Joe Chill). C’est donc le (futur) Joker qui va créer Batman, avant que celui-ci ne contribue à la naissance du Joker. Ce dernier lance dans le film : « Je vous ai fait ! » Ce à quoi le célèbre justicier répond : « Tu m’as fait en premier. » L’existence de l’un va de pair avec l’autre, la boucle est bouclée.

Presque vingt ans plus tard, le regretté Heath Ledger personnifie le Clown du Crime dans une version se voulant très plausible, dans le second opus de la trilogie de Christopher Nolan. The Dark Knight, sorti en 2008, fait suite à Batman Begins dont la fin annonçait la venue à Gotham dudit Joker. Les fans hurlent et déchantent : personne d’autre que Nicholson ne peut jouer le Joker.

Mark Hamill (Luke Skywalker) est fan

image-14-pierre-hatetEntre-temps il y a eu l’excellente série animée de Bruce Timm et Paul Dini. Le Joker était doublé par Mark « Luke Skywalker » Hamill pour la version originale, un rôle qu’il a rempli dans bon nombre d’autres productions d’animations ou encore dans la célèbre saga de jeux vidéo Arkham (tout du moins, dans les trois du studio de Rocksteady : Arkham Asylum, Arkham City et Arkham Knight — en France c’est Pierre Hatet qui s’en est chargé sauf, comme le célèbre Jedi, pour Arkham Origins, où Stéphane Ronchewski, le doubleur de Heath Ledger a officié à sa place — dans chaque jeu le Joker est remarquablement mis en avant). Mark Hamill confiait : « Dans toute ma carrière, il est le personnage le plus stimulant, gratifiant et plaisant que j’ai eu à incarner. » En France, c’est donc la voix de Pierre Hatet qui s’impose en très peu de temps. Cet acteur de théâtre, connu pour être la voix française du Doc Brown de la trilogie Retour vers le Futur, juge « formidable ce qu’a fait Mark Hamill. Mais je ne m’en suis jamais inspiré et je l’ai peu écouté… »

Déclaration plus surprenante encore : « Je ne savais pas vraiment qui été le Joker quand j’ai commencé à le doubler. En revanche, je connaissais  »L’Homme qui rit » de Victor Hugo grâce au théâtre. C’est d’ailleurs grâce à mes performances de comédien sur scène que j’ai été choisi pour devenir la voix du Joker. » Une voix désormais indissociable du personnage dans l’imaginaire des petits et des grands. « Des enfants me reconnaissent et me demandent de faire un rire ou le célèbre ‘‘Mon Batounet’’ encore aujourd’hui,  confie Pierre Hatet dans sa résidence parisienne avec sourire. J’ai découvert le Joker sur papier il y a deux ans grâce à un ouvrage,  »Joker Anthologie ». Personne ne m’a guidé pour trouver LA voix et je n’ai pas non plus cherché à connaître le personnage dans les bandes dessinées. Quand j’aborde un doublage, je suis comme un acteur qui rentre dans un rôle. J’ai essayé de trouver une vérité dans le Joker, je l’ai ensuite imposée et tout s’est fait naturellement. »

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Le comédien n’a malheureusement pas été convié à doubler le Joker dans Suicide Squad (MàJ : c’est Paolo Domingo qui l’a fait) ni dans le dessin animé Killing Joke (MàJ : Marc Saez s’est attribué le rôle), tous deux sortant cet été. « Une pétition a circulé sur Internet (MàJ : à découvrir sur ce lien, et lire cet article —même s’il est approximatif par bien des aspects— pour mieux comprendre). On ne m’a pas appelé, j’attends que le téléphone sonne… J’ai bien conscience, en toute modestie bien sûr, d’avoir marqué plusieurs générations, alors je le redoublerai avec plaisir. Je suis très attaché au personnage. » Sur la folie du Joker, Pierre Hatet a son hypothèse : « À mon avis, il est intelligent et calculateur, c’est le Prince du Crime face au Prince de la Vertu. C’est un méchant jaloux. Par opposition à Batman, le Prince de la Justice, dont le Joker admire la pureté et l’honnêteté, le Clown deviendra le Prince du Mal. »

[Pierre Hatet, fière voix de la version française du Joker à son domicile © Thomas Suinot ]

Batman et le Joker, unis à jamais

Durant plusieurs décennies, du côté des comics, maints auteurs se sont interrogés  sur l’identité réelle du Joker. Pas son identité civile mais son vrai but, sa véritable interaction avec Batman. Pour certains artistes, il est tout simplement le double version maléfique de l’homme chauve-souris. L’un ne peut vivre sans l’autre. L’un est responsable du destin de l’autre. Ils sont le miroir d’une même personnalité, chacune correspondant à un extrême. Une vision particulièrement soulignée dans Killing Joke et dans le moins connu Batman : Secrets, de Sam Kieth.

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Plus récemment, c’est Scott Snyder qui évoquera cette confrontation quasi fraternelle, à travers les tomes 3 à 5 puis 7 de la série Batman (chez Urban Comics à nouveau). Soit dans Le Deuil de la Famille, L’An Zéro puis Mascarade. Entre 2011 et 2015, le scénariste a livré une version moderne du Joker tout en gardant l’esprit d’origine. En mai et juin 2016, à la fin de la série Justice League, juste avant que l’éditeur DC Comics n’opère un nouveau relaunch, nommé Rebirth (une opération visant à repartir de zéro dans ses séries), on a appris qu’il n’y avait pas un mais trois Jokers différents depuis que Batman est devenu le justicier de Gotham City…

Le Dark Knight profite donc de sa nouvelle série (tout juste publiée aux États-Unis et qui arrivera très certainement début 2017 en France) pour enquêter sur cette révélation, plutôt cohérente et très excitante. L’éditeur Yan Graf la trouve amusante car « elle valide le découpage choisi dans Joker Anthologie, qui mettait en valeur l’évolution du personnage à travers différentes phases, de maitre chanteur assassin à tueur en série en passant par braqueur de banque déluré ! ».

Heath Ledger fait taire les « haters »

the-dark-knight-the-joker-heath-ledger-batmanRetour en 2008 : la performance d’Heath Ledger vient à bout des haters. Christopher Nolan avait d’ailleurs prévenu avant la sortie du film : son Joker serait finalement très sérieux. On revient à l’inévitable question qui hante les fans : le Joker est-il un fou doué d’une intelligence sans faille, ou bien d’un génie intelligent avec « quelques » accès de folie, une folie passagère ? Feint-il d’être fou ? A-t-il une logique ? Le mystère demeure dans chaque œuvre qui le met en avant. Son identité ? Comme dans la plupart des livres, il la modifie selon son bon vouloir.

On note toutefois qu’ici, le Joker se maquille lui-même et que son sourire provient de cicatrices (causées par son père ou lui-même, nul ne sait), tandis que chez Tim Burton et dans la majorité des comics, la peau du Joker est définitivement blanche et ses cheveux verts (après la plongée dans l’acide). Ledger sera oscarisé à titre posthume, éclipsant totalement le travail de ses collègues. Dans The Dark Knight, le Joker se rapproche d’un anarchiste terroriste, trouvant en Batman un défi à sa hauteur. Il va lui prouver que le monde peut basculer dans la folie, dans le chaos, du jour au lendemain, qu’on abrite en chacun de nous un fou et que l’unique intérêt de la vie et de le laisser s’échapper… Ce « style » et le look de cette version du Joker sont repris par  Lee Bermejo (scénariste et dessinateur) dans sa bande dessinée au titre simpliste : Joker.

Coup de tonnerre en avril 2015 : la première photo du Joker version Jared Leto pour Suicide Squad est mise en ligne. L’annonce de la présence du talentueux acteur dans le célèbre rôle avait moins décontenancée qu’à l’époque de Ledger, chacun ayant retenu la leçon. En revanche, la photo dévoilant un Joker couvert de tatouages et avec des dents argentées fait immédiatement rager les éternels haters. Les premières vidéos atténueront un peu ces critiques. Faut-il rappeler que dans certains comics le Joker est tatoué (comme dans All Star Batman : le jeune prodige, de Jim Lee et Frank Miller) ? Il ne paraît pas non plus illogique qu’il se soit fait refaire une mâchoire que Batman lui a cassée de nombreuses fois ?

Jared Leto proposera quelque chose de différent

Cette troisième version cinématographique (quatrième en comptant le nanar de 1966) développe le même schéma que dans les comics : le Joker est à l’unisson de la folie. Et il existe plusieurs formes de folie, la différence d’approche entre Nicholson et Ledger en étant la plus belle preuve. Nul doute que Leto, sous l’égide de David Ayer (Fury) pour son escadron de la mort, apportera quelque chose de novateur, qui se retrouvera cristallisé dans l’esprit commun. On murmure déjà qu’il apparaîtra dans les autres productions cinématographiques de DC Comics : le film The Batman porté par Affleck et peut-être même dans Justice League, prévu pour fin 2017.

Le mythe se réinvente sans cesse, comme dans toutes les bonnes variations d’un même thème occulté pendant des décennies. « À ce stade, il est comme Jésus, estime Jared Leto. Une icône. Un mythe. Il s’agit de se montrer à la hauteur. » L’acteur a envoyé en cadeau un rat à Margot Robbie durant le tournage. Elle y joue sa muse : Harley Quinn. Autre offrande, pour Will Smith (Deadshot) : des préservatifs usagés… Une rumeur démentie par le principal intéressé un an après la sortie du film ; on évoque plutôt un magazine pornographique à la place. Moins trash mais irrévérencieux quand même. Jared Leto a sa façon bien à lui de déstabiliser ses partenaires hors écran ! « Au départ je suis retourné à la source et j’ai lu autant de comics que je le pouvais. Mais je devais dépasser cela. Car, à chaque nouvelle incarnation, le personnage s’est redéfini. À chaque fois, l’essence du Joker est là mais elle change. Après avoir compris cela, il fallait passer à la transformation physique, expliquait plus sérieusement, le chanteur de Thirty Seconds to Mars. C’était un honneur de me voir proposer un tel rôle. Le Joker est dans la culture populaire depuis plus de 75 ans. Je suis le dernier en date à l’interpréter, avec de glorieux prédécesseurs. Il fallait que je prenne des libertés, que j’expérimente des choses. Le réalisateur m’a autorisé à lâcher prise, ça n’a pas de prix ! »

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« Sans Batman, le crime n’est plus amusant ! », clame le Joker dans un épisode de la série d’animation, sous la plume de Paul Dini. Une citation qui ouvre l’excellent beau livre « Tout l’art du Joker » (encore et toujours chez Urban Comics). Un crime peut-il être amusant sans Batman ? Selon la série télé Gotham (Fox), oui. Une version brouillonne du Joker est apparue dans la deuxième saison, donc à l’époque où Batman n’existait pas (le feuilleton met en avant les débuts de Gordon à Gotham City). Un certain Jérôme a tout pour être le futur Joker (outre le look et d’autres éléments, il annonce ses morts à la télévision, comme dans le tout premier comic book) mais, sans en dévoiler trop, il ne participera finalement qu’à l’ébauche de celui-ci. « La création du Joker est une histoire beaucoup plus large et épique que ne le réalisent les gens. À mesure que la série avancera, ils verront comment une mythologie est née, comment une sorte de comportement culturel a été créé, menant au Joker lui-même. Jérôme est la graine de ce dernier », soutenait Bruno Heller, le showrunner de la série.

Le Joker se réinvente à sa façon, sensiblement différent à chaque nouvelle apparition artistique, sous une forme ou une autre. Son identité reste un mystère. Son but ultime est-t-il de répandre la folie ou de défier encore et toujours Batman ? C’est fou, après plus de trois quarts de siècle, on ne sait toujours pas vraiment qui il est mais il continue — et continuera — de fasciner un bon bout de temps. Pierre Hatet n’hésite pas à citer Victor Hugo : « L’Homme qui rit est un homme mutilé, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. » On s’en contentera encore des années avec plaisir.

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cine-saga-14Cet article est initialement paru dans Ciné Saga #14, en août 2016 (pages 32 à 39).
Couverture ci-contre ainsi qu’un aperçu ci-dessous de la mise en page de l’ensemble de l’article, qui a été légèrement modifiée pour la version imprimée .

Quelques mises à jour ( « MàJ ») ont été ajoutées pour la reprise sur le site en novembre 2016.
Deux brefs ajouts ont également été rédigés en plus (la mention de la BD Joker et la dernière phrase de conclusion — que j’aimais beaucoup et qui avait été enlevé dans le magazine).
Les images et photos d’illustration ne sont pas forcément les mêmes pour avoir, ici, une plus belle unité visuelle.

Un petit encadré « À savoir » indiquait ceci : Thomas Suinot est le fondateur et unique rédacteur du site www.comicsbatman.fr. La plupart des livres mentionnés dans cet article sont chroniqués sur ce site.

Un « Top 10 des plus grands méchants des comics » était avant cet article (pages 16 à 21). Le Joker y avait la première place avec ce petit texte, de Raphaël Nouet : Que serait Batman sans le terrible Joker ? La principale arme du plus grand des méchants est son cerveau, contaminé par une folie par moments contagieuse. Lui ne rêve pas de gouverner la Terre ou d’anéantir l’univers, simplement – et c’est déjà beaucoup ! – de faire souffrir son prochain. Le Mal dans toute son horreur, dont la carrière est décortiquée dans les pages 32 à 39 […] suivi d’une nouvelle mention de mon nom et du site.

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(1) — J’ai également rédigé, pour ce même numéro, un article sur Star Wars : Rogue One ainsi qu’une interrogation sur le renouvellement, possible ou non, de la Science-Fiction au cinéma.

Depuis juillet 2016, j’écris régulièrement pour le magazine Ciné Saga et sa déclinaison orientée série (Séries Saga). Niveau comics, j’ai évoqué Walking Dead dans un numéro thématique à la célèbre série télé avec des zombies. Le reste est à découvrir sur mon site personnel, avec les titres de mes contributions pour chaque magazine avec parfois la lecture des articles.

Je suis extrêmement fier de cette étude de cas. C’est une très belle « récompense » que m’a offert le travail effectué sur ce site depuis bientôt cinq ans. Grâce à mes articles, j’ai pu en écrire un sur ma passion, publié dans un magazine édité à 30.000 exemplaires et disponible partout en France ! Même si j’ai déjà eu de nombreuses publications « papier » par le passé, je ne peux que me réjouir de celle-ci, qui a évidemment une forte importance.

Un très très grand merci à Pierre Hatet et Geneviève, ainsi qu’à Clémentine et Yan Graf d’Urban Comics. Disponibles, chaleureux et réactifs, nul doute que cet article n’aurait pas eu la même « qualité » sans eux. Merci à Raphaël sans qui rien n’aurait été possible, et à Franck pour sa relecture et ses corrections.

Une version plus allégée de cette étude a été publiée sur Le Huffington Post le 18 décembre 2016.

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