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DCEASED – Unkillables

Après l’excellent one-shot DCEASED, l’histoire se poursuit dans cet Unkillables, spin-off qui met en avant le point de vue des antagonistes durant la propagation virus qui rendait cannibale le monde entier. Plus qu’une série dérivée, ces « increvables » sont clairement une suite, presque un tome « 1.5 » avant le second (cf. index), confirmé et dont les premiers chapitres devraient être publiés durant le second semestre 2020. Critique et explications.

[Histoire]
Durant les premiers jours de l’épidémie du virus d’Anti-vie, Red Hood (Jason Todd) part à la recherche (avec le chien Ace) des derniers membres de la Bat-Famille encore en vie à Gotham City : Gordon et Batgirl (Cassandra Cain). Alfred et Robin (Damian) étant à Metropolis.

Slade Wilson, alias Deathstroke rejoint sa fille Rose, alias Ravager. Le pouvoir auto-guérisseur de Deathstroke permet à ce dernier de ne pas se transformer en zombie. Le maître des miroirs (McCulloch) leur propose une alliance initiée par l’immortel Vandal Savage. Tous se retrouvent sur une île isolée. D’autres vilains survivants sont déjà sur place : Solomon Grundy, Creeper, Cheetah, Captain Cold, Lady Shiva (mère de Cassandra), Bane et Deadshot.

Combien de temps vont-ils tenir ?

[Critique]
En trois chapitres et environ 125 pages de bande dessinée, Unkillables propose une extension haletante et réussie de sa mini-série mère. Comme dit en introduction, on trouve ici bien plus qu’une série dérivée puisque après un premier épisode qui se déroule en parallèle de DCEASED, le second s’étend au-delà de la fin de DCEASED et propose donc une suite au titre initial. Une « autre suite » a depuis était confirmé : DCEASED 2 – Dead Planet (le premier chapitre est prévu pour juin 2020). Tom Taylor poursuit ici son univers alternatif séduisant en écrivant l’entièreté de l’ensemble.

L’intérêt d’Unkillables est double : retrouver ce côté « zombifié » de DC Comics et se concentrer sur des personnages secondaires (le tout avec une nouvelle approche graphique comme on le verra plus loin). Après les écrans, la menace se fait ici à travers les miroirs et fenêtres (difficile d’expliquer pourquoi sans divulgâcher) et de la Wonder Woman zombifiée, surpuissante (qui permet de voir ce qu’elle devient après la fin du volet précédent donc). On apprend aussi ce qu’il était advenu de Billy Batson (Shazam), tôt dans le récit d’une façon énigmatique avant d’être confirmé plus tard, peaufinant ainsi rétroactivement DCEASED.

Suivre les antagonistes est réjouissant car tout ce petit monde se retrouve bien vite coincé dans un orphelinat à Blüdhaven avec des enfants « innocents ». Seul Gordon garde une certaine autorité morale et paternelle, accompagné de… Slade Wilson ! On trouve un duo atypique et étonnant avec ces pères de famille âgés et endeuillés (James a perdu Barbara et Slade ses fils).

Quelques moments géniaux (drôles et décalés) parsèment le récit brillamment rythmé, comme Jason qui attache le cadavre du Joker sur la Batmobile pour le plaisir, l’arrivée de Wonder Woman zombie dans le repaire de Savage, Bane qui suggère à Gordon de l’arrêter (pour le mettre en prison), les cours de survie aux enfants (et leur délicieuse insolence) par des profs criminels, un running gag entre Cheetah et une gamine, les blagues plus ou moins inspirées des protagonistes et l’utilisation de Solomon Grundy, qui est déjà mort-vivant de toute façon.

Pour chipoter, on peut s’étonner que Bane soit associé au sous-titre « le muscle » alors qu’on aurait dû avoir « le muscle ET le cerveau ».

Graphiquement, Karl Mostert et son style particulier apportent une variante bienvenue, loin des dessins un peu plus « mainstream » de DCEASED. Proche de la patte de Franck Quitely (L’Autre Terre) et surtout de Juan Jose Ryp (le tome 7 de Batman & Robin entre autres), les traits de Mostert, en particulier les visages, peuvent ne pas convenir à tout le monde. Petits yeux, lèvres accentuées, grimaces parfois involontaires, on navigue entre des têtes à la limite de la caricature et des figurines de collection plus ou moins loupées.

Cela confère un aspect comique sans qu’on sache si c’est souhaité ou non. C’est le seul point noir de l’ouvrage car du reste, corps, costumes, décors, véhicules, scènes d’action… tout est très net, parfaitement lisible et enveloppé d’une colorisation peu criarde, presque aux tons pastel, habilement dosée en terme d’intensité en fonction des scènes — dont certaines particulièrement gores et violentes. Jouissif !

A l’instar « du tome précédent », tant celui-ci apparaît comme une suite donc, l’ensemble est un peu court et mériterait d’être (une fois de plus) enrichit longuement. L’impression de voir un épisode d’une série télé type The Walking Dead ou jouer à un jeu vidéo du même genre. En cela, Unkillables fonctionne parfaitement, son prix attractif (15,50€) permet de ne pas bouder son plaisir.

Par ailleurs, le titre réussit à surprendre, entre autres par un retournement de situation inattendu et bien fichu pour conclure l’histoire. Comme pour DCEASED, des couvertures alternatives ferment l’ouvrage, dont deux inspirées par des films (Ça, chapitre 2 et Full Metal Jacket). Aucun doute que le lecteur qui avait aimé DCEASED ne doit pas faire l’impasse sur Unkillables (à lire en deuxième, évidemment) !

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 10 juillet 2020.

Scénario : Tom Taylor
Dessin : Karl Mostert
Encrage :
Couleur :
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Cromatik Ltée – Ile Maurice

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Des Ombres dans la Nuit (+ Catwoman à Rome)

Des ombres dans la nuit compile les premiers travaux du célèbre duo Jeph Loeb/Tim Sale rassemblés sous le nom Nuits d’Halloween : Peur, Folie et Fantômes. Trois histoires sur Batman se déroulant durant Halloween (conçues donc avant Un Long Halloween et publiées en France en deux tomes chez Semic en 2004, sous le titre Batman Halloween).

Le dernier travail commun du binôme, Catwoman à Rome, est aussi inclus. Celui-ci se déroule pendant Amère Victoire (et avait déjà été publié aussi en 2006, mais chez Panini Comics cette fois) et peut donc être considéré comme un spin-off. MàJ 11/2021 : Urban Comics le republie en récit complet le 14 janvier 2022.

BATMAN-OMBRES-DANS-LA-NUIT
Des ombres dans la nuit, mis en vente par Urban Comics début 2014, est un bon complément du diptyque culte Un Long Halloween/Amère Victoire mais n’est pas indispensable pour autant. Explications.

Batman Halloween(Les couvertures des deux tomes d’Halloween chez Semic
et celle de Catwoman à Rome chez Panini Comics)

NUITS D’HALLOWEEN

[Histoire(s)]

Peur (trois chapitres)
Batman court après l’Épouvantail durant le week-end d’Halloween. En parallèle, il tombe sous le charme d’une séduisante jeune femme. Cette dernière est trop mystérieuse pour le majordome Alfred qui suspecte quelque chose…

Folie (deux chapitres)
Le Chapelier Fou serait responsable de l’enlèvement de plusieurs fugueurs. Batman enquête en repensant au livre Alice au pays des merveilles que lui lisait sa mère enfant… L’affaire prend une nouvelle tournure lorsque Barbara Gordon est à son tour kidnappée pour jouer le rôle d’Alice dans la reconstitution malsaine que souhaite faire le Chapelier.

Fantômes (un chapitre mais au nombre total de pages quasiment équivalent à Folie)
Lors d’une réception mondaine, Le Pingouin débarque et tire sur Bruce Wayne. Batman s’occupe de le pourchasser… Plus tard, le milliardaire navigue entre cauchemars et réalités, où il croise Poison Ivy et le Joker tout en faisant un retour à… Paris !

 

[Critique]
Les dessins de Peur, les premières immersions de l’esthétique de Tim Sale dans l’univers du Chevalier Noir sont une réussite (et remontent à 1993) ! Colorisés par Gregory Wright et oscillant encore entre son style anguleux et ses jeux d’ombre parfaits avec une touche un peu plus réaliste, les planches sont un régal. En revanche l’histoire de Jeph Loeb, moyennement inspiré, est expéditive et un peu convenue. L’Épouvantail ne fait que réciter des comptines sans réellement dévoiler un aspect dangereux et Bruce Wayne se vautre dans les clichés d’une romance un peu trop facile (qui, rétroactivement, peut expliquer pourquoi il sera si sévère envers Selina/Catwoman par la suite, si on considère ce récit comme étant un préquel à Un Long Halloween et Amère Victoire). Quelques écarts dans la psyché de la peur du justicier sont savoureux mais l’ensemble peine toutefois à réellement convaincre.

Folie est plus abouti, meilleur. Les découpages singuliers et les successions de cases sont mieux travaillés, alternant des pleines pages, des enchaînements atypiques, du noir et blanc, du monochrome, diverses couleurs, etc. rendant donc l’ensemble très dynamique, couplé au récit bien rythmé. Un sans faute ! On peut même situer ce récit peu après les débuts de Batman (à l’instar du précédent) tant la partie Gordon/Barbara épouse bien l’héritage d’Année Un. Malheureusement Folie ne s’étale que sur une petite cinquantaine de pages. Bien trop peu pour explorer davantage le traumatisme de Bruce Wayne puis l’éventuelle de Barbara.

Fantômes apporte une introduction plus poussée à Un Long Halloween et surtout l’occasion de croquer trois autres ennemis emblématiques du Chevalier Noir : Le Pingouin, Poison Ivy et le Joker. Un délice graphique avant tout, un scénario correct mais là aussi trop court. On note aussi une sorte d’incohérence flagrante : Wayne se fait tirer dessus par le Pingouin et est censé être mort mais Batman apparaît quelques instants après… Comment le milliardaire a survécu ? Pourquoi personne n’a vu « son corps » bouger et disparaître ? Pourquoi personne n’évoque cette étrange histoire par la suite ? Ce n’est pas forcément très important mais vu la durée du récit et l’entrée en matière avec cette séquence, il est dommage de ne pas revenir dessus.

Les trois histoires non connectées entre elles forment un ensemble particulièrement appréciable ! On peut les intercaler aisément entre Année Un et Un Long Halloween, une aubaine pour s’insérer dans une chronologie toujours complexe du Chevalier Noir. Néanmoins, aucun des trois récits n’est foncièrement indispensable ou mémorable, on les aime surtout pour leur aspect graphique et pour l’introduction plus ou moins officielle dont ils font preuve du diptyque culte à venir.

Le court récit Nuit après nuit, à nouveau dessiné par Tim Sale mais avec cette fois Kelley Puckett au scénario, conclut l’ouvrage (il est proposé après Catwoman à Rome, cf. critique ci-dessous) — il est aussi dans Batman Black & White. Semic l’avait inclus également dans le premier tome de Halloween, accompagné de Quand Clark rencontre Bruce, de Sale et Loeb (absent, en revanche, de la version d’Urban Comics). Le premier est anecdotique là où le second est assez touchant malgré sa très courte durée (deux planches !) mais touche un point sensible efficacement « quand Clark rencontre Bruce » lorsque tous deux sont enfants.

CATWOMAN A ROME


(Nouvelle couverture d’Urban Comics qui a réédité le titre à part le 14 janvier 2022)

[Contexte — cf. Un Long Halloween et Amère Victoire pour plus de détails — attention aux révélations si vous ne les avez pas lus]
Dans Un Long Halloween, le tueur Holiday sévissait les jours de fête. Il fut identifié et emprisonné. Cette affaire eut plusieurs dénouements tragiques : le procureur Harvey Dent devint le terrible Double-Face, Carmine Falcone (le parrain intouchable de Gotham City) fut tué par Dent, sa fille Sofia se retrouva paralysée suite à une chute et un combat contre Catwoman.

Dans Amère Victoire, Selina Kyle se rend aux funérailles de Carmine Falcone. Parallèlement, son idylle avec Bruce Wayne vacille : ce dernier est froid et distant. Catwoman propose à Sofia Falcone de retrouver le corps de son père, mystérieusement disparu, contre un million de dollars. Son enquête la pousse à demander de l’aide au Sphinx, tétanisé de peur. La féline est ensuite assommée et sauvée in extremis par Batman. La relation ambigüe entre les deux prend fin et Selina/Catwoman disparaît ensuite (chapitre 5).

Elle réapparaît en fin de récit (chapitre 13 — qui aurait dû être inclus dans Des ombres dans la nuit selon le site de l’éditeur mais qui ne l’est finalement pas) où Batman, qui la suspecte d’être « la tueuse au pendu », l’interroge pour savoir pourquoi elle est proche de Sofia et où elle était passée depuis trois mois (elle quitte Gotham pour l’Italie peu après la Saint Valentin et revient en mai pour la Fête du Travail). Plus tard, on comprend qu’elle était en Italie pour enquêter sur ses origines : elle est persuadée d’être la fille de Carmine Falcone, donc la demi-sœur de Sofia et culpabilise d’avoir causé le handicap et la défiguration de celle-ci. C’est ce voyage de plusieurs semaines, où elle fut accompagné du Sphinx, qui est narré dans Catwoman à Rome.

[Histoire]
Selina Kyle envole pour Rome, accompagné du Sphinx qui — elle en est persuadée — pourra l’aider à résoudre le mystère de sa vie et ses origines. Pourtant, à peine arrivés, des signes rappelant la galerie d’ennemis de Gotham City surgissent…

[Critique]
Voilà un voyage en Italie doublement rafraîchissant. Graphiquement d’une part, grâce à ses teintes plus chaudes car ici la colorisation est assuré par Dave Stewart et non Gregory Wright (à l’œuvre sur Nuits d’Halloween et le diptyque culte). On y retrouve moins le style « à plat » conférant une ambiance sombre. La légèreté de l’ensemble est assurée par l’écriture d’autre part, avec quelques situations absurdes amusantes et des dialogues épicés agréables (le caractère de Selina lui forge une vraie personnalité intéressante).

L’objectif de Selina Kyle se devine aisément si l’on a lu Amère Victoire avant, il est donc conseillé de lire Catwoman à Rome entre Un Long Halloween et sa suite. Cela permet de mieux comprendre sa position en retrait le long de l’histoire d’Amère Victoire. Toutefois, même si l’ensemble est sympathique, on est loin d’atteindre la maestria des autres travaux du binôme artistique.

Quelques défauts sont en effet à mettre en avant : le scénario est un peu confus, le duo original (Catwoman et le Sphinx) a du mal à prendre, l’ennemie Cheetah dénote un peu par sa « fantaisie » dans un univers jusque là assez réaliste et tout va très vite (le récit s’étale sur six chapitres, chacun correspondant à une journée). Le traitement de la femme fatale est plutôt juste, même s’il y a un peu trop de poses sexistes/dénudées gratuites (accompagnées d’un humour redondant assez plombant, voire carrément beauf, sur les formes de la belle)…

L’absence du Chevalier Noir est nullement problématique, d’autant qu’il apparaît plusieurs fois sous formes de fantasme, tant l’obsession envers Batman par Catwoman est très présente. Curieusement, on comprend que Selina Kyle a beau sortir avec Bruce Wayne, elle ne réalise pas qu’il est le Dark Knight, qu’elle croise pourtant souvent sous son alias félin (surtout quand on lit les deux volumes annexes).

Néanmoins Catwoman à Rome est un spin-off intéressant (mais pas indispensable) à Un Long Halloween et surtout Amère Victoire, pour illuminer une zone d’ombre durant ce dernier. De là à débourser 35€ pour le lire, avec trois autres histoires one-shot sur la Fête des Morts, c’est peut-être un peu trop élevé… Une édition « à part » aurait été plus judicieuse pour scinder les deux segments (Nuits d’Halloween et Catwoman à Rome donc) qui n’ont pas de liens entre eux. L’ancienne version de Panini Comics était vendue à 13€, prix tout à fait correct. En revanche, et c’est une coutume chez cet éditeur, surtout quand il s’occupait de DC Comics, aucune contextualisation ! Ni en introduction ni dans les biographies des auteurs, il n’était absolument pas expliqué l’enjeu ni l’histoire parallèle, un comble.

[Conclusion de l’ensemble]
Des ombres dans la nuit est un très bon comic sur Batman puis Catwoman, indéniablement. Néanmoins il n’est pas aussi indispensable qu’on pourrait le croire (il est souvent qualifié de troisième tome incontournable après Un Long Halloween et Amère Victoire, il n’en est rien). L’ouvrage aurait gagné à être publié en deux tomes complètement distincts : un spécialement sur Halloween, un autre sur Catwoman. Le fait « d’imposer » les deux dans un ouvrage assez onéreux (même si séparés cela revenu à un prix similaire) est un peu dommage, d’autant qu’ils ne sont liés entre eux que par l’équipe artistique et non par la narration (on pourrait même les qualifier de Tome 0 puis de Tome 3 pour correspondre à l’ensemble des aventures conçues par Sale/Loeb — mais comme vu, aucun des deux n’est vraiment incontournable). La logique du marché est toutefois très compréhensible…

L’ensemble se connecte habilement aux origines retravaillées par Frank Miller dans Année Un et se situe donc assez rapidement dans la chronologie des titres à lire. Une galerie de couverture et de croquis ferment l’ouvrage.


[À propos]
Publié le chez Urban Comics  le 10 janvier 2014.
Précédemment publié chez Semic et Panini Comics.

Scénario : Jeph Loeb
Dessin : Tim Sale
Couleurs : Gregory Wright et Dave Stewart
Traduction : Alex Nikolavitch Racunica / Ed Tourriol / Makma (pour Semic)
Première publication originale en 1994, 1995 et 1996 dans Batman: Legends of the Dark Knight Halloween Specials

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Batman – Gotham by Gaslight

Composé de deux récits, l’éponyme Gotham by Gaslight (Appelez-moi Jack dans sa première édition française) et sa suite directe Le maître du futur, ce volume unique avait été publié sous le titre Gotham au XIXe siècle par Panini Comics en 2009 puisque son histoire se déroule durant cette période où le Chevalier Noir affronte… Jack l’Éventreur ! Une plongée alors inédite (le premier vrai elseworld du Chevalier Noir) signée par trois artistes dont l’emblématique Mike Mignola (Hellboy évidemment et un autre Batman : La Malédiction qui s’abattit sur Gotham) et rééditée par Urban Comics en juin 2018.

[Histoire]
Après cinq ans passés à Londres, Bruce Wayne rentre à Gotham City. Il reprend sa cape de justicier (au grand désarroi de son majordome Alfred) pour enquêter sur un meurtrier en série, Jack l’Éventreur, le même qui sévissait en Angleterre quand le milliardaire y séjournait.

Les victimes s’accumulent et le suspect principal est désigné et arrêté : Bruce Wayne ! Entre l’arme du crime retrouvée dans son manoir et les coïncidences étranges lors de son séjour à Londres au même moment que le célèbre tueur, tout porte à croire que Wayne est bien l’assassin.

[Critique]
La première histoire est assez « charmante » : outre la transposition dans le contexte victorien, l’enquête se lit parfaitement grâce à un rythme habilement dosé (pas de temps mort, dialogues ciselés et efficaces, réflexions internes des personnages intéressantes…). L’ensemble est donc palpitant mais un brin court et surtout, très pauvre en rebondissement. On devine aisément (et très rapidement) qui est le fameux Jack L’éventreur… C’est tout le problème du récit et donc de l’importance qu’on y accorde pour en juger sa qualité définitive. Tout dépend des éléments à prendre en compte dans son avis : les dessins, l’histoire, l’énigme, tout cela à fois ? C’est évidemment l’ensemble qui permet de dresser son jugement de valeur et force est de constater que la résolution de l’intrigue et l’identité du coupable forment une part importante dans Gotham by Gaslight.

Difficile d’arbitrer tant cette appréciation relève de la subjectivité ; pour l’auteur de ces lignes, on se trouve dans une curiosité à découvrir mais (très) loin d’être indispensable. Malgré tout, il faut contextualiser : en 1989, c’est la première fois que le concept d’un « elseworld » est à ce point poussé et ses héritiers peuvent l’en remercier. Redéfinir le Dark Knight dans un nouvel univers, sans se préoccuper de la continuité, imaginer une orientation novatrice et inédite pour avoir quasiment carte blanche à son imagination ! Une aubaine pour les artistes même si, dans le cas présent, ils se contenteront d’appliquer sagement le changement d’époque sans réellement s’aventurer dans une reconfiguration plus poussée des éléments iconiques du détective. Outre le fameux tueur en série, on croise dès le début Freud, sympathique mais bref (il aurait fallu d’autres apparitions de personnes historiques tout au long de l’ouvrage pour mieux l’apprécie). On aime néanmoins les traits de Magnola, son style anguleux si particulier et sa revisitation de quelques figures mythologieques Batmaniennes en passant du costume de l’homme chauve-souris au caméo du Joker par exemple. Résultat mitigé donc avec un concept fort, une ambiance plutôt sombre, un univers réussi (même s’il est peu exploité) et des dessins élégants mais une écriture (de Bryan Augustyn) certes soignée dans ses dialogues, hélas assez pauvre dans son intrigue globale…

La seconde histoire se déroule un an et demi après la seconde : Bruce est en couple avec une Julia (Madison) et n’agit plus vraiment sous son alias costumé. Une grande exposition va bientôt avoir lieu à Gotham et cristallise certains politiciens, peu adeptes de cet évènement organisé par le maire. Un nouvel antagoniste fait son apparition, le maître du futur, prêt à tout pour faire annuler la fête et travaillant dans l’ombre pour quelqu’un d’autre…

Ce deuxième récit (publié deux ans après le premier) est cette fois dessiné par Eduardo Barreto, aux traits plus précis et détaillés que Mignola, d’une superbe élégance, d’une tonalité plus vive aussi, tranchant radicalement avec son illustre prédécesseur — un des points forts de l’ouvrage pourtant. Malheureusement le scénario pêche à nouveau (toujours signé Augustyn), par son classicisme d’une part et son « méchant » un peu ridicule et inconnu d’autre part. Pourquoi ne pas avoir préféré une transposition tout en costume d’un Épouvantail, d’un Sphinx ou d’un Pingouin ? Cela aurait été nettement mieux ! De la même manière, l’idylle entre Bruce et Julia est sympathique mais pourquoi ne pas utiliser Selina (plus emblématique pour le fan et le néophyte) ? L’auteur a pioché dans des personnages beaucoup trop secondaires (entre autres Rupert Thorne et Julia Madison donc).

Gotham by Gaslight peine à convaincre dans son ensemble (1) : les planches sont plutôt belles (aussi bien celles de Mignola que de Barreto), la variation de l’univers agréable (avec une petite touche steampunk dans son second segment), l’originalité et le concept de départ stimulants mais, hélas, l’écriture des deux histoires souffrent de défauts majeurs. La première est prévisible au possible tout en étant très courte, la seconde met en avant trop de personnages différents et peu connus et/ou intéressants, pour une succession de scènes assez classiques. On le conseillerait plutôt en lecture d’un emprunt en médiathèque ou prêt entre amis plutôt qu’en achat.

La première édition contenait le DVD du film du même titre mais radicalement différent. Plusieurs figures classiques s’y mêlent : Strange, Poison Ivy, Leslie Thompkins, les enfants Dick, Jason et Tim et surtout Selina Kyle, au premier plan avec Bruce. Le coupable est complètement différent (à l’instar de l’adaptation vidéo de Batman Silence) mais n’est pas vraiment une alternative convaincante voire une hérésie… Techniquement moyen mais assez sombre et à l’ambiance atypique réussi. On le déconseille aussi.

(1) – Comme beaucoup d’œuvres (romans, films, bandes dessinées…), Gotham by Gaslight trouvait sans doute un meilleur écho à l’époque de sa publication initiale (il y a près de trente ans) et a « mal vieilli » (aparté subjectif : j’ai conscient d’être relativement « sévère » dans ma critique par rapport aux éloges multiples communs). Le lecteur actuel est habitué aux récits modernes, à certaines prises de risques et originalités qui ont succédé à ce titre. D’un point de vue quasiment sociologique voire « historique » il est indéniable que ce comic-book a apporté une certaine révolution et mérite, à ce titre, un coup d’œil. Malheureusement, il passe moyennement l’épreuve — extrêmement difficile — de la postérité. La transposition au XIXème siècle permet de conserver un récit « intemporel » dans sa lecture (on ne situe pas dans une période où la technologie pourrait être risible voire obsolète en étant lue de nos jours). Malgré ça, la pauvreté de l’intrigue et sa résolution abrupte peinent à obtenir un livre « culte ». Passé son concept sympa et ses dessins plutôt chouettes, il ne reste finalement pas grand chose à sauver de Gotham by Gaslight

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 22 juin 2018, avec le DVD de son adaptation animée pour le premier tirage.

Précédemment publié en 2009 par Panini Comics sous le titre Gotham au XIXe siècle.

Scénariste : Brian Augustyn
Dessin : Mike Mignola et Eduardo Barreto
Encrage : P. Craig Russell et Eduardo Barreto
Couleur : David Hornung et Steve Oliff
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Laurence Hingray & Christophe Semal

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