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Joker – Killer Smile

Volume unique réalisé par un tandem de choc (Jeff Lemire à l’écriture et Andrea Sorrentino aux dessins), Joker – Killer Smile s’ajoute à la collection du « prestigieux » DC Black Label (Harleen, Batman – Créature de la nuit, Batman – Damned, Batman – White Knight, Batman – Last Knight on Earth…). Critique de ce comic qui sort en France à l’occasion des 80 ans du célèbre Clown Prince du Crime (en septembre 2020).

[Résumé de l’éditeur]
Quand un psychiatre affilié au Joker tente de guérir le plus grand criminel de Gotham, c’est le début d’une descente aux Enfers pour celui qui était jusqu’ici un père de famille aimant et paisible. Mais cette spirale de dépression et d’hallucinations violentes ne cache-t-elle pas aussi un réel gouffre au sein même de sa psyché ?

[Histoire]
Le docteur Benjamin Arnell souhaite guérir le Joker. Pas établir un diagnostic ou connaître son passé mais le guérir de la folie… Le Clown du Crime se joue évidemment de son médecin, arguant la tâche impossible.

Arnell a deux semaines pour achever sa mission. Mais lui-même semble sujet à quelques confusions et une très grosse fatigue. Sa femme Anna et son fils Simon s’inquiètent pour lui…

[Critique]
Malgré ses magnifiques planches (on y reviendra), Killer Smile souffre de plusieurs défauts d’écriture évidents. L’un est « universel », au sens large donc (concernant tous types d’œuvre), avec un personnage principal générant peu d’empathie… Illustre inconnu dans la mythologie DC, son rôle (déjà tenue par Harleen Quinzel fut un temps) semble anecdotique dès le début, déjà vu et revu sous différents formats. Son évolution est prévisible à souhait même sans être un fin limier. On lit donc une histoire qui ne sort pas vraiment des sentiers battus malgré son prisme plus ou moins inédit (le point de vue d’un « docteur lambda »). Le Joker rend-t-il fou les gens qui l’approchent de près ? Vaste sujet qui est ici mal traité (avec un type peu intéressant au demeurant).

Autre problème : le « caractère » du Joker. Dans cette itération, on découvre un criminel froid, sérieux, posé, malin, volubile, intelligible, habile, etc. Cela fonctionne parfois très bien (tant à l’écran comme dans le long-métrage The Dark Knight (le logo de la trilogie de Nolan est d’ailleurs mis en avant) que dans des comics — vu le sujet on pense forcément à White Knight), parfois moins bien. C’est hélas le cas ici : difficile de « reconnaître » le Joker. Il pourrait être Double-Face, le Sphinx ou un tueur en série « quelconque » que ça ne changerait pas des masses l’histoire.

Ce filtre « réaliste » choisi (confirmé par Sorrentino en interview), conférant une certaine plausibilité au célèbre Clown — afin qu’on l’imagine dans « notre propre monde » — est maladroitement traité. Il est couplé avec des dessins qui jouent également cette carte (mais avec brio eux) grâce à des visages et des décors parfois proche de photographies. Anecdotiquement, cela permet d’avoir au détour de quelques cases un Killer Croc sous une apparence plus « humaine » (un Waylon Jones proche du film Suicide Squad d’une certaine façon).

C’est surtout cette partie graphique qui sauve un peu l’œuvre. Côté super-héros, Andrea Sorrentino avait déjà sublimé les aventures de Green Arrow dans l’excellent run de la période New 52 (disponible en deux tomes intégrales) qu’il signait conjointement avec Jeff Lemire (l’auteur était nettement plus inspiré pour l’archer d’émeraude que le Joker). Chez Marvel, on retrouvait aussi les compères sur Wolverine dans la très bonne série Old Man Logan période post Secret Wars. Des titres qu’on recommande chaudement en complément de Gideon Falls, création indépendante (disponible chez Urban Comics). Dans Killer Smile, Sorrentino propose un découpage hors-norme, épousant à merveille le texte pour tout ce qui est attrait aux confusions mentales du protagoniste, versant parfois dans l’horreur voire le gore. Dérangeant. Violent. C’est LE point fort de l’ouvrage. Et… l’unique.

Car malheureusement, comme on l’a vu, l’écriture dessert l’ensemble et propose une (més)aventure vite lue, vite oubliée. Lemire dit en préambule s’être inspiré de trois comics : Killing Joke, Joker et Dark Detective. Cela fait sens, on y trouve aisément des allusions, pas très fines par ailleurs. Mais si chacune de ces trois histoires fonctionnait intrinsèquement à degré divers (l’exploration de la folie et son influence dans la première, la veine über réaliste dans la deuxième et un pan comique imagé très connu (avec des poissons) dans la troisième), elles se vautrent complètement dans Killer Smile qui ne parvient pas à trouver l’équilibre idéal sur ces sujets ; sauf en terme de rythme, ça passe à peu près malgré malgré un conte pour enfant qui plombe par à coup sa narration (un style qui fonctionne rarement de toute façon, surtout quand il est redondant), complémenté à une émission jeunesse de télévision qui alourdit l’ensemble dans son épilogue.

La bande dessinée est relativement courte, tout tient en 133 pages : les trois chapitres principaux en une centaine de pages avec une conclusion risible puis un épilogue centré sur Bruce Wayne (Batman – The Smile Killer en VO), appelant à une « suite » visiblement… Quatre couvertures alternatives (rassemblées en une seule page, dommage) et une interview du binôme en introduction servent de bonus au livre, assez maigre donc mais l’éditeur n’est pas à blâmer car il y avait peu de matériel inédit.

En synthèse, malgré le faible prix (15,50€), on aurait tendance à déconseiller Killer Smile. Toutefois, pour les fans de Sorrentino et ses graphismes atypiques, difficile de ne pas jeter un œil conquis sur son travail. On rêve de le voir à l’œuvre sur une « vraie » enquête de Batman avec un scénario carrément plus soigné.

Un aparté à propos de « DC Black Label » (qui fera l’objet d’un article dédié prochainement). Faussement considéré comme une « valeur sûre », il s’agit initialement (comprendre aux États-Unis) d’un label visant un public adulte et dont le récit est détaché de la continuité officielle de l’univers DC Comics, dans notre cas de celle de Batman. Comme cité en ouverture de la critique, on trouve dans ce label quelques productions récentes comme Harleen, Batman – Créature de la nuit, Batman – Damned, Batman – White Knight, Batman – Last Knight on Earth… Format plus large, bel objet, lecture accessible, aucun doute sur la double portée pour les lecteurs : les fins connaisseurs y trouvent leurs comptes dans des récits plutôt singuliers et les néophytes peuvent découvrir aisément un récit sans se préoccuper du passif des personnages.

Cela ne rime pas toujours avec « qualité », comme pour Damned par exemple en 2019 ou encore Curse of the White Knight et ce Killer Smile en 2020, tous en demi-teinte sur plusieurs aspects, le dernier étant particulièrement raté comme on vient de le voir. En France, Urban Comics a réédité plusieurs de ses titres (sur Batman, Superman, Justice League…) dans cette collection Black Label. Pour l’homme chauve-souris, on trouve par exemple Année Un, The Dark Knight Returns, Joker… Cela est parfaitement compréhensible car ces histoires rentrent bien dans le concept de base et offrent un guide de lecture idéal pour les nouveaux venus. Toutefois, il ne s’agit pas de créations récentes et il est légitime de l’expliciter afin de ne pas créer de confusion (cf. les productions Black Label sur la page Wikipedia (US), comprenant uniquement des « nouveautés »).

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 18 septembre 2020.

Scénario : Jeff Lemire
Dessin (et couvertures) : Andrea Sorrentino
Couleur : Jordie Bellaire

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : Moscow Eye

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Batman – Créature de la nuit

Disponible en deux éditions, une couleur (19€) et une limitée en noir et blanc (29€), que valent les quatre chapitres de Batman – Créature de la nuit ? Attention il ne s’agit pas d’une aventure de l’homme chauve-souris mais d’un récit se déroulant « dans le monde réel » dans lequel le mythe du Chevalier Noir a une influence sur le protagoniste. Découverte de cette œuvre récente (débutée en 2018 et qui a mis deux ans à se terminer) signée Kurt Busiek au scénario (qui prolonge d’une certaine façon le travail qu’il avait déjà effectué sur l’excellent Superman – Identité Secrète) et John Paul Leon aux dessins et aux couleurs.

[Résumé de l’éditeur]
1968, Boston, dans le Massachusetts, le jeune Bruce Wainwright, homonyme du personnage de fiction « Bruce Wayne », voit ses parents brutalement abattus, comme un écho cruellement ironique au héros de bande dessinée Batman dont il est un avide lecteur. Désemparé, Bruce est désireux néanmoins de surmonter son trauma mais se voit poursuivi par une mystérieuse forme noire prenant vie. Un être d’ombre qui n’est pas loin de ressembler à… une chauve-souris humaine !

[Histoire]
En 1968, à Boston, Bruce Wainwright a huit ans et est fan de Batman, il surnomme d’ailleurs son oncle Alton Frederick « Alfred ». La nuit d’Halloween, les parents de Bruce se font tuer à leur domicile par des cambrioleurs. Le garçon s’en sort de justesse confiant à son témoignage au policier Gordon Hoover.

Le temps passe cruellement et les coupables ne sont toujours pas retrouvés. Bruce garde foi en la justice, grandit et souhaite « faire le bien ». Il peut compter sur l’aide de l’étrange créature mi-humaine mi-chauve-souris qu’il croise parfois dans la ville et qui s’en prend aux criminels.

[Critique]
Avant de rentrer dans les détails, il convient de dire que Créature de la nuit se découpe en quatre chapitres (« Je deviendrai… », Petit génie, Un croisé et Chevalier noir). Le premier, celui résumé doublement ci-dessus avec Bruce enfant, est le moins bon (mais obligatoire pour mieux saisir la suite, évidemment) et correspond donc à un quart de l’ouvrage. Ce sont les trois quarts restant qui méritent le détour puisqu’une ellipse temporelle est opérée. Ainsi, dès le deuxième épisode on trouve le protagoniste dans la fleur de l’âge : jeune homme brillant, intellectuellement et physiquement, aux grandes ressources monétaires, humble, bienveillant et motivé à changer à sa petite échelle le monde qui l’entoure. Il va par exemple aider une autre orpheline, nommée Robin (forcément). L’ombre de la chauve-souris géante plane toujours dans la ville, entre rencontres avec le jeune Bruce et complicité évidente entre les deux malgré un certain mutisme — voire identité secrète de Bruce ? On ne sait pas trop… C’est là tout l’autre fil narratif de la bande dessinée.

« Encore une chose qui ne se passe pas dans la vraie vie comme dans les comics. »

Le troisième chapitre se déroule à minima après 1989 (l’année n’est pas précisée) car il est fait mention du film Batman de Tim Burton, dont l’affiche trône fièrement dans le bureau de Bruce. Un long-métrage « absolument sinistre » selon Alfred quand il s’interroge sur « l’éternelle passion » de son neveu envers le Chevalier Noir. Les connexions à la mythologie de Dark Knight se trouvent également dans quelques planches ou cases de comics vintages que lit le héros ou qu’il s’imagine. Un frère jumeau mort-né est également évoqué, à l’instar de ce qu’on découvrait dans La Cour des Hiboux sans que cette piste ne soit plus jamais réellement explorée ailleurs, c’est donc le cas ici. Frère nommé Thomas (comme le « vrai père » de Bruce Wayne) et surnommé Tommy (comme Tommy Elliot, de Silence, ami d’enfance du milliardaire qui rêve de lui ressembler et fait même de la chirurgie esthétique pour). Un collègue de Bruce, nommé Eddie, est doué pour trouver des pistes s’il a des indices, est-ce un hommage à peine appuyé à Eddie Nygma ? Qu’on ne s’y trompe pas, ces allusions restent discrètes et éphémères, il ne faut pas s’attendre à en repérer à chaque planche (difficile de savoir si ça aurait rendu l’ensemble moins bon ou meilleur).

Deux narrateurs se succèdent alternativement au fil des planches : Bruce et Alfred (parfois rejoints par un troisième). Rappelant « presque » Année Un et son martèlement pensif entre Gordon et Wayne. L’évolution de Bruce est plutôt convenue (dans un premier temps), proche de son illustre aîné « de fiction » (beau garçon multipliant les conquêtes et réussite économique entre autres), on ignore en revanche s’il s’est imaginé une créature chauve-souris l’aidant lui et, surtout, aidant la ville ou bien… s’il s’agit de lui qui agirait sous un costume. A moins qu’il ne sombre dans la folie lentement mais sûrement ? Ou alors serait-ce l’équivalent d’un Man-Bat ?

Autre mystère : l’oncle Alfred. Il refuse de recevoir Bruce chez lui, ils ne se voient que dans des lieux publics, etc. On s’interroge très vite sur les véritables intentions du dernier chaînon familial de sang à l’apparence étrangement bienveillante. L’obsession pour Batman ne se corrèle étrangement pas à celle de ses ennemis (à l’exception de quelques cases sur la fin). Le Joker n’est donc pas mentionné, l’auteur avait pourtant quelques idées comme il l’expliquera dans sa préface. Une fois de plus, compliqué d’imaginer un résultat plus qualitatif avec ou sans une intervention plus solide du célèbre Clown ou d’un autre vilain emblématique.

C’est là tout le paradoxe de l’œuvre. C’est un bon comic-book, indéniablement (plus proche d’une bande dessinée « européenne » d’ailleurs (on en reparle plus loin)). Un drame à moitié polar avec quelques touches de surnaturelles. Une empathie aisée pour son protagoniste et les personnages secondaires qui gravitent autour de lui. Le « problème » est que ça n’a pas grand chose à voir avec une « vraie » aventure de Batman ; il ne faut donc pas s’attendre à en découvrir une. C’est peut-être ça qu’il faut anticiper/révéler avant d’acheter le livre (même si le résumé en quatrième de couverture le stipule aussi). Il est légitime de le préciser à nouveau afin de ne pas avoir de mauvaise surprise ou s’attendre à une immersion dans Gotham par exemple. Le suspense entretenu dès le début autour de l’aura mystérieuse de la chauve souris géante retombe un peu au fil de la progression avec une révélation malheureusement assez prévisible (surtout pour ceux habitués à ce genre de fiction), malgré quelques moments de confusion pas vraiment résolus mais plaisants quand même. L’exercice hors-norme reste quand même agréable (bien rythmé, bien écrit, bien dessiné).

Les fins connaisseurs des comics sur Batman ne pourront pas s’empêcher de penser au singulier Dark Night – Une histoire vraie, une plongée « dans notre monde » et surtout dans la vie de Paul Dini, scénariste du Caped Crusader et d’une agression dont il fut victime (d’où le titre). De la même façon, on se remémore C’est un oiseau, version similaire du présent comic mais sur l’homme d’acier au lieu de l’homme chauve-souris ou, bien sûr (et comme déjà cité) Superman – Identité Secrète, signé du même auteur Kurt Busiek et réédité le 4 septembre 2020 dans la collection DC Black Label à l’occasion de la sortie de Créature de la nuit (lui aussi sous ce même label), mis en vente le même jour.

Si le récit est « sombre » dès le début (le meurtre des parents), il prend une tournure « adulte » plus passionnante dès son chapitre suivant. Entre monde de l’entreprise, racisme américain « discret » des années 70’s… le tout servi par un dessin rappelant davantage la bande dessinée franco-belge ou les comics type polar, on sort clairement des habituels projets de l’industrie (ce qui était déjà évident en optant pour une histoire sur Batman sans Batman). On pense alors (pour la partie graphique) à la série culte Gotham Central par exemple, ancrant son récit dans une certaine ambiance froide, terne et réaliste. Le dessinateur et coloriste John Paul Leon a travaillé sur diverses séries, allant de RoboCop à Earth X (Marvel) en passant bien sûr par Batman. On a pu le voir à l’œuvre sur Terminal, deux chapitres publiés dans Detective Comics (période New 52) et Batman Saga qui sont justement compilés et proposés en noir et blanc et gratuitement chez vos libraires pour le Batman Day le 18 septembre prochain.

Créature de la nuit est donc un chouette drame urbain énigmatique à la touche graphique très travaillé, très agréable : on y trouve une certaine plausibilité élégante dans les morphologies, décors et visages. Plutôt touchant et palpitant, le livre est sans nul doute une réussite pour qui y cherche à la fois ce style de dessins et cette ambiance si particulière couplé à une narration rythmée et prenante. « Malheureusement » l’ensemble ne plonge pas le lecteur dans une « vraie » histoire de Batman et ce n’est pas ça qu’il faut espérer y trouver ici, on est davantage dans une sorte de bande dessinée indépendante prestigieuse, qui se sert du mythe du Chevalier Noir pour étoffer (brillamment) son récit. Avis aux amateurs donc…


[A propos]

Sortie le 4 septembre 2020 chez Urban Comics

Scénario : Kurt Busiek
Dessin et couleurs : John Paul Leon
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Moscow Eye

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Batman – Créature de la nuit (édition normale 19€)
Batman – Créature de la nuit (édition limitée noir et blanc 29€)

 

Batman – Curse of the White Knight

Après l’excellent — et désormais culte et incontournable Batman – White Knight — Sean Murphy propose une seconde salve dans son univers détaché de la chronologie « officielle » de Batman (à l’instar de The Dark Knight Returns de Frank Miller qui a conçu au fil des années d’autres volumes pour étoffer également sa propre mythologie, avec des suites et séries annexes).

Cette nouvelle incursion sort dans quatre formats : d’abord le 02 octobre 2020 en version classique en couleurs (22,50€), dans le même format mais avec une couverture alternative spécialement pour les enseignes Fnac (25€), en version limitée en noir et blanc (29,00€)  comme ce fut le cas pour son prédécesseur puis le 20 novembre 2020 en version luxueuse (dans la nouvelle collection Urban Limited) agrandie (36 x 24 cm), encore plus limitée et numérotée de 1 à 1500 avec dos toilé, marquage à chaud et signet (59€ tout de même) !

Que vaut la malédiction (curse en VO) du fameux chevalier blanc ? Critique.


[En préambule si vous n’avez pas le temps de relire White Knight ou sa critique]

Quelques rappels nécessaire et révélations importantes : Harley Quinn (le « vrai » chevalier blanc de Gotham, c’était elle) a secrètement mis au point une pilule guérissant le Joker. Ce dernier est effectivement devenu sain et souhaitait changer la ville de Gotham en bien, sous son alias civil Jack Napier, aux côtés de son ancienne muse (redevenue Harleen Quinzel). Auparavant, le Clown du Crime, trop obsédé par Batman, n’avait même pas compris que son acolyte féminine de toujours (Harley Quinn donc) était partie et qu’une autre  l’avait remplacée : Marian Drews (une de ses anciennes otages). Furieuse de la tournure des évènements (la guérison de son amant), Marian se mue en néo-Joker, véritable nouvelle menace pour la cité.

Dans l’ombre, Jack Napier manipule tous les ennemis du Chevalier Noir afin d’arriver à ses fins politiques. Derrière son apparence « respectable », l’homme est resté menteur et manipulateur mais, cette fois, dans un but plutôt noble. N’est-ce pas ce que fait également Batman (devenu trop dangereux pour tout le monde et sombrant dans une violence hors-norme) ? Napier connaît d’ailleurs la véritable identité du justicier et lui apprend aussi que Jason Todd n’est pas mort…

En parallèle, Victor Fries (alias M. Freeze) ressuscite enfin sa compagne Nora. Le passé de la famille Freeze est lié à celui des Wayne à l’époque des nazis. Une situation explicitée partiellement mais qui renferme encore quelques mystères. La lettre posthume d’Alfred (mort après s’être sacrifié une ultime fois pour son maître) évoque justement des choses secrètes cachées dans le manoir (à la toute fin de l’ouvrage, sans que celles-ci soient dévoilées). Le GCPD s’est doté d’une nouvelle équipe puissante grâce au GTO, Groupe Tactique Opérationnel, initiée par Napier. Celle-ci se compose d’agents d’élites mais aussi des vigilantes de Gotham, comme Nigthwing et Batgirl. Une forme hybride entre forces de l’ordre et justiciers, équipés de la technologie de Batman incluant ses véhicules. Jack Napier redevient le Joker et retourne en prison, épousant Harleen au passage et faisant ses aveux à la police. De son côté,  le Chevalier Noir finit par révéler son identité à Gordon, confessant dans la foulée sa détresse entre son plaisir à faire du mal aux criminels et son envie de restaurer la confiance en son égard.

[Résumé de l’éditeur]
Le fléau Jack Napier est de nouveau derrière les barreaux, mais la sérénité est loin d’être de retour à Gotham, et encore moins au Manoir Wayne, où Bruce peine à retrouver équilibre et sérénité. Son pire ennemi n’a pas seulement ébranlé ses convictions et sa raison d’être, il a également durablement saccagé l’image de Batman et sa légitimité aux yeux des habitants de sa ville. La disparition d’Alfred n’est pas sans séquelle non plus, bien qu’elle laisse derrière lui un héritage inattendu : le journal d’Edmond Wayne daté de 1685, premier de sa lignée à s’être installé à Gotham et adversaire d’un certain Lafayette Arkham, dont les ossements ont été récemment découvert dans la cellule du Joker.

[Histoire]
1685. Manoir d’Arkham. Lord Wayne tue Lafayette Arkham. Ce dernier énonce une malédiction avant de trépasser…

Aujourd’hui. Asile d’Arkham. Le Joker s’échappe, prêt à retrouver son statut de criminel le plus puissant de Gotham et bien décidé à faire oublier son « alter ego » Jack Napier.

Batman et Gordon enquêtent et découvrent de vieux ossements dans une ancienne cellule de l’établissement (où était le Joker à une époque). S’agirait-il des os de Lafayette « Laffy » Arkham, dont la légende raconte qu’il était… un vampire ?

De son côté Bruce Wayne découvre le journal intime de son ancêtre Edmond Wayne, daté de 1685 (dans la cachette qu’évoquait Alfred dans sa lettre posthume).

En parallèle, Nightwing refuse que Batman dévoile son identité aux citoyens de Gotham mais le Chevalier Noir estime que c’est une décision juste et importante, reconnaissant que l’Initiative Napier a fait beaucoup de bien à la ville tout en mettant le justicier face à ses propres erreurs (tout en le « détruisant » intérieurement).

Plus loin dans la cité ténébreuse, Jean-Paul Valley, ancien soldat de l’armée souffre d’hallucinations et apprend qu’il a un cancer. Le Joker, connaisseur des secrets des ancêtres de Wayne ravive la flamme de l’épée et du combat d’Azraël, en la personne de Jean-Paul Valley justement, descendant d’un ennemi des Wayne.

Dans la foulée, le Clown sabote l’annonce de Gordon pour les municipales de Gotham et révèle au monde entier que Batgirl est en réalité Barbara, la propre fille du policier.

[Critique]
Le pari était risqué et il n’est pas vraiment réussi… Après la pépite White Knight, difficile de faire mieux évidemment et le résultat est (très) mitigé. Azraël et l’ancêtre de Bruce Wayne se connectent moyennement à la solide mythologie instaurée par Sean Murphy mais, heureusement, de bons éléments sauvent le reste et l’enrichissent. Explications.

L’univers de Batman, d’une manière générale, se marie moyennement avec les histoires de malédiction (un prétexte ici, il n’y en a pas vraiment), de secte (idem) ou d’ancêtres liés aux Wayne (on a du mal à se passionner pour cette extension d’antan — pas assez proche du présent du héros pour être appréciable, on en reparle plus loin). Ces nouveaux sujets tranchent donc assez radicalement avec le volet précédent — davantage urbain, porté sur le juridique, la morale, le psychisme… — et connotent difficilement avec l’univers du Chevalier Noir (comme souvent donc), en particulier celui mis en place par le scénariste et dessinateur Sean Murphy.

Ainsi, l’Ordre de St. Dumas et Jean-Paul Valley ont toujours été des éléments (crées dans l’indigeste mais culte saga Knightfall) à double tranchant (comme sa lame). D’un côté une psychologie intéressante pour l’être humain (il est quasiment bipolaire, ce qui est hélas peu exploité dans cette itération contemporaine) ainsi qu’une force hors du commun couplée à une panoplie esthétique variée et parfois appréciable quand il endosse le costume, ou plutôt l’armure de Batman (en résulte de savoureuses scènes de combat — ici et déjà à l’époque dans Knightfall). D’un autre côté un passif pénible, un brin lourdingue et surtout un aspect religieux trop prononcé, peu plausible et avec un intérêt limité, in fine.

Heureusement, il n’y a pas « que ça » dans Curse of the White Knight. En complément des dessins toujours aussi sublimes (on y reviendra), l’écriture et certaines situations restent passionnantes car si singulières et hors des sentiers battus. On pense en premier lieu à la relation mi-amicale, mi-amoureuse entre Batman et Harleen Quinzel ainsi que l’évolution de cette dernière. Elle était l’un des points forts du tome précédent, son rôle continue d’être soigné (dommage d’avoir mis sur la touche la néo-Joker même si elle est mentionnée au détour de quelques cases).

Autre suivi appréciable : l’avancement du GTO. Outre l’approche militaire et policière, c’est à nouveau Barbara/Batgirl qui fait l’objet d’une certaine attention ainsi que Renée Montoya, fraîchement promue à la tête des équipes (et dont le costume aux tons pourpres rappellent un peu Huntress — la policière se muera-t-elle en cette justicière dans une suite éventuelle ?). Dick/Nightwing est toujours un peu en retrait mais la fin du livre lui offre un joli échange/hommage. L’on suit évidemment à nouveau le Joker et par bribe Jack Napier — sans aucun doute les passages les plus réussis de l’œuvre. L’équilibre entre cette longue liste de protagonistes (et d’autres) reste idéal et le rythme plutôt soutenu malgré des passages pénibles (voir un peu plus loin). Le texte est dense mais accessible.

Un peu comme dans le tome précédent, Sean Murphy bouscule quelques statu quo de façon inédite : Harleen Quinzel est enceinte, l’identité de Batman est révélée à beaucoup de personnes (dont certaines auxquelles on n’aurait pas songé), celle de Batgirl à la population entière, Gordon démissionne du GCPD, de nouvelles morts dont certaines très osées surprennent et choquent le lecteur, etc. D’autres états des lieux sont plus convenus mais toujours plaisants à découvrir, comme le manoir Wayne qui est brûlé — souvent vu en films mais pas tant que ça en comics ! — ou encore la croisade multiple entre Jean-Paul et le Joker. On note aussi le mystérieux personnage de Ruth, véritable clone d’Amanda Waller, et d’un prêtre, lui aussi énigmatique même s’il fait un peu sens après quelques révélations tardives.

On l’a un peu évoqué, ce qui plombe le récit tient sur deux axes. Le premier correspond à tous les flashbacks de l’ancêtre de Bruce (Edmond Wayne) et cet improbable héritage pour ses descendants (il aurait inondé une partie de Gotham City pour moduler la ville à sa convenance) corrélé à son ennemi de toujours Bakkar (dont Jean-Paul Valley serait, évidemment, le légitime rejeton). Difficile de s’attacher à ces nouveaux personnages ou d’y trouver un intérêt. Seule la conclusion de l’histoire offre une nouvelle perspective et permet de relancer (plutôt efficacement) la narration avec (encore) un statu quo original. Bullock semble être une voix de la raison : « Des histoires de propriétés ? De sectes ? Un vampire qui s’appelle Laffy ? Sans parler de rosbifs et d’un mystère englouti à la Scooby-Doo daté de plus de trois cent piges. En quoi ça va nous aider à choper Azraël ? »

Le second « problème » est lié au premier puisqu’il s’agit de Jean-Paul Valley/Azraël qui est un choix peu cohérent par rapport à White Knight comme on l’a vu car il colle mal au registre initialement mis en place. Bane aurait eu sa place légitime pour le remplacer (il apparaît d’ailleurs pour l’occasion puisque le titre propose une certaine relecture, toute proportion gardée évidemment, de Knightfall, notamment avec la modernisation d’Azraël et de certains de ses costumes). Néanmoins, la présence d’Azraël face, entre autres, à Batman offre des scènes d’action spectaculaires : on ne boude pas son plaisir devant les combats, courses-poursuite et explosions dont la bande dessinée est friande. C’est réalisé avec brio, c’est très intense et réussi !

Une fois de plus, Sean Murphy parsème son histoire de quelques hommages et allusions aux autres œuvres cultes sur Batman, comme le fameux « stylo qui disparaît » issu du film The Dark Knight, ou le logo du Chevalier Noir issu du premier long-métrage de Tim Burton qui orne le tee-shirt… du Joker ! On retrouve aussi son amour pour les Batmobiles avec l’une d’entre elles mise en avant, « ça a toujours été ma préférée » stipule le super-héros/le scénariste. L’auteur égratigne (à nouveau) gentiment tout ce qui a souvent été un peu risible dans la mythologie de Batman, comme Gordon qui n’a jamais reconnu sa fille dans le costume de Barbara « à cause d’un stupide masque en cuir » [autour de ses yeux].

Un peu d’humour au détour de quelques vannes ou punchlines qui manquait peut-être auparavant est le bienvenu. Quelques étrangetés subsistent, comme le matériel informatique utilisé (disquettes et gros écrans d’ordinateurs) qui laisse penser que le récit n’est peut-être pas si « moderne » que cela malgré (dans le tome précédent) l’utilisation de smartphones et de vidéos virales. Une erreur de l’auteur ou une volonté d’être semi-vintage ou plus ou moins intemporel ? Toujours dans les incohérences ou fourvoiements, Batgirl se remet étonnamment vite d’une blessure profonde et on reste surpris d’un certain mutisme planant lors de séquences spécifiques…

Après six chapitres, s’intercale un interlude dessiné par Klaus Janson (encreur de la saga The Dark Knight Returns, donc Murphy reconnaît bien volontiers l’inspiration pour son propre travail, évoquant en Janson une de ses idoles) et intitulé Von Freeze. Prévu initialement pour s’intégrer dans le premier volume (dans lequel Freeze, son passé commun avec les Wayne et des nazis étaient mis en avant), il trouve une place ici plus ou moins bancale ; cassant l’immersion et le rythme du récit principal (en plus de ne pas du tout être dans le même style graphique) et, surtout, y semblant peu connecté suite aux raisons qu’on vient d’évoquer.

Malgré tout, l’épisode est plutôt réussi et s’ancre habilement avec l’Histoire de notre monde et celle, toujours, de cette « nouvelle » mythologie du Chevalier Noir remaniée par Murphy. Seule la fin raccroche fébrilement les wagons avec Curse…. Pourquoi pas inclure ce chapitre spécial dans les prochaines rééditions de White Knight tant il semble davantage y être destiné ? La postface de Murphy, datée de novembre 2019, explique que la famille de Janson a elle-même vécu la fuite de l’Allemagne, à l’instar de ce qu’on lit dans la fiction.

En conclusion, difficile de s’extasier devant Curse of the White Knight qui passe après « l’excellence » (voire le chef-d’œuvre) qu’était son prédécesseur. Le comic demeure intéressant dans l’ensemble car Sean Murphy continue de réinventer l’univers de Batman à sa sauce avec une certaine audace mixée à de jolies évolutions mais malheureusement avec un traitement narratif fortement inégal. Un tiers de l’ouvrage aurait mérité une approche plus terre-à-terre et dans un style plus connecté à ce qui faisait la qualité de White Knight. Cet écart va perdre une partie de son lectorat et surtout « l’aura » qui gravitait autour de cette nouvelle série — sans pour autant rappeler le fossé (immense) entre The Dark Knight Returns en son temps, qui rebâtissait lui aussi la mythologie du Chevalier Noir, et sa première suite catastrophique The Dark Knight Strikes Again.

Curse of the White Knight reste pertinent par certains aspects et il serait dommage de passer à côté, ne serait-ce que pour sa qualité graphique exceptionnelle : traits anguleux et design des personnages toujours aussi inédits, découpage endiablé et efficace (aussi bien dans les scènes d’action que dans celles plus calmes), colorisation peu criarde et élégante (à nouveau assurée par Matt Hollingsworth), etc. Malgré tout, il y a de fortes (mal)chances d’être déçu tant certaines pistes ne sont pas exploitées (quid des autres ennemis ?) et certaines choisies sont nazes (cf. quelques paragraphes plus haut). Encore une fois, le titre se suffit à lui-même mais appelle, sans surprise, à une suite (la fin joue sur un habile teaser).

Pour vulgariser, le comic pourrait se diviser en trois parties : une sur la partie « historique » de Gotham/ancêtre de Bruce (qu’on a donc peu aimé — mais évidemment si ça vous attire foncez, on rêve de voir Sean Murphy sur une œuvre de pirate par contre, il dessine merveilleusement bien ce style), une sur la « seconde partie » de l’arc urbain/juridique/vigilante (la meilleure) et une rassemblant les scènes de combat et affrontements, physiques ou en véhicules, parfois très sanglants et brutaux voire gores (très appréciable). On reste donc sur un quota qualitatif au-dessus de la moyenne. Un second tome qui fera sans aucun doute moins date que son aîné, au résultat en demi-teinte mais qu’on conseille tout de même, pour prolonger la découverte d’un univers atypique et solide.

Comme souvent chez Urban, de nombreuses pages bonus ferment la bande dessinée. Galerie de couvertures alternatives, planches crayonnés (donc noires et blanches), carnet graphique… s’étalent sur une quarantaine de pages. La version noir et blanc ne les comporte pas en revanche. Cette dernière apporte une vision différente, plus « noire », un côté polar et graphique élégant mais qui ne rend pas honneur au travail d’Hollingsworth pour toutes les scènes de combat, surtout celles avec la lame enflammée d’Azraël ou des explosions — les tons orangées sont sublimes. Cela reste évidemment un bel objet en attendant de jeter un œil sur l’autre édition, encore plus limitée (1500 exemplaires) et agrandie.

[A propos]
Le premier chapitre (sur huit sans compter l’interlude sur Freeze) avait été distribué en novembre 2019 au Comic Con à Paris la conférence d’Urban Comics/François Hercouët puis en juillet 2020 pour le Free Comics Book Day (initialement prévu en mai 2020).

Publié chez Urban Comics le 02 octobre 2020.

Scénario & dessin : Sean Murphy (+ Klaus Janson)
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : MAKMA (Sarah Grassart, Gaël Legeard et Stephan Boschat)

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Quelques couvertures alternatives (cliquez pour agrandir).