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Batman – Trois Jokers (Three Jokers)

Annoncé (et attendu) depuis plus de quatre ans, le mystérieux titre Trois Jokers est enfin disponible en France depuis le 1er octobre 2021, soit un an après sa fin de publication aux États-Unis (Three Jokers en VO). Qu’est-ce que c’est que cette histoire de trois Jokers ? Où cela s’insère-t-il dans la mythologie de Batman ? Décryptage et critique d’une œuvre clivante, proposée dans cinq (!) éditions différentes chez nous.

[Résumé de l’éditeur]
Le secret du pire ennemi de Batman est enfin révélé : il n’existe pas un mais trois Jokers. Le Clown, le Comique, le Criminel : chacun à sa manière, ces malfaiteurs au sourire carnassier ont infligé à Batman et à ses alliés des blessures tant physiques que psychologiques. Au moment où l’on retrouve des cadavres rappelant la première affaire du Chevalier Noir contre sa nemesis, Batman, Batgirl et Red Hood mènent l’enquête pour découvrir lequel des Trois Jokers est l’original… ou s’il existe vraiment. Mais le temps est loin d’avoir guéri toutes les blessures et la confiance entre les trois justiciers est, elle, passablement entamée…

Les trois couvertures alternatives (édition limitée) incluant une carte du Joker différente chaque fois.
(Cliquez sur les images pour précommander ou sur les liens tout en bas de l’article.)

[Histoire]
Batman rentre dans sa Batcave, sérieusement blessé. Alfred le soigne et constate les nombreuses cicatrices qui parsèment le corps de son maître. Toutes causées par des affrontements avec les nombreux ennemis du Chevalier Noir. Mais la plupart d’entre elles proviennent d’une seule personne : le Joker. Ce dernier vient d’ailleurs de tuer les derniers membres d’une branche de la pègre dans Gotham…

Au même moment, en s’entraînant dans une salle de sport, Barbara Gordon entend à la télévision que le Joker a assassiné un célèbre acteur.

Enfin, peu après, en combattant des sbires du Joker, Red Hood apprend par la radio que le Joker serait dans l’usine Ace Chemical, donc « en totale contradiction avec les témoignages précédents ».

Pour James Gordon et Harvey Bullock, le Joker ne peut pas se trouver à ces trois endroits en même temps, « il est clair qu’il travaille avec deux imitateurs ».

Pourtant, trois Jokers semblent bien co-exister. Leur objectif ? Créer un « meilleur Joker » !

[Contextualisation]
Avant tout, il est primordial de contextualiser Trois Jokers (c’est très long – six paragraphes, si vous êtes familier de tout ça, passer directement au bloc critique). Si l’on peut bien entendu lire ce titre sans connaître tous les détails qui ont mené à sa création, il prend une autre dimension quand on est un lecteur assidu depuis des années. Précisons « juste » en amont qu’il fait référence à des éléments bien connus de la mythologie de Batman : Joe Chill est le tueur des parents de Bruce Wayne, Barbara Gordon a été blessée par le Joker, causant son handicap (dans Killing Joke – dont Trois Jokers se veut « en quelque sorte » (on insiste sur les guillemets) l’héritier) et Jason Todd/Robin a été tué par le Joker (Un deuil dans la famille) puis est revenu d’entre les morts en tant que Red Hood (L’énigme du Red Hood). Tout ceci fait (normalement) partie des bases archiconnues chez n’importe quel fan du Chevalier Noir, peu importe son degré de connaissance, ce sont vraiment des choses basiques, explorées en comics, jeux vidéo et animation (si vous ne les connaissez pas, il faut donc lire dans un premier temps les histoires corrélées à tout ça plutôt que s’attaquer à Trois Jokers, cela va sans dire).

Revenons au sujet principal. Retour en 2016. Geoff Johns scénarise, entre autres, la chouette série Justice League depuis la relance de tous les titres DC Comics en 2011 (la fameuse ère New52, alias Renaissance en France chez Urban Comics). Dans les derniers chapitres de cette passionnante Justice League, Geoff Johns, épaulé par Jason Fabok aux dessins (déjà à l’époque), conclut son run en apothéose avec La Guerre de Darkseid. Durant celle-ci, les super-héros deviennent des néo-Dieux. Batman profite des pouvoirs du Trône de Mobius afin d’accéder à la connaissance suprême. Il obtient la confirmation que Joe Chill est le meurtrier de ses parents et quand il demande l’identité du Joker, il apprend qu’il n’y a pas un mais… trois Jokers !

Une idée à la fois originale mais très clivante car chamboulant toute l’histoire du Chevalier Noir et son célèbre ennemi. Toutefois, il faut reconnaitre qu’il s’est effectivement dégagé trois tendances éditoriales autour du Clown du Crime ces dernières décennies qui correspondent plus ou moins à ce qu’annonce à ce moment-là le scénariste (un Joker un peu bouffon, un meurtrier anarchiste et un plus calculateur et méthodique). Bref, de sa première apparition en 1940 dans Batman #1 (disponible dans Joker Anthologie) aux nombreuses autres déjà citées.

Aparté : j’évoquais ces détails avec l’éditeur Yan Graf dans cet article sur le Clown du Crime publié en août 2016 et en tant qu’interviewé pour Le Parisien en octobre 2019 à l’occasion de la sortie du film Joker. Urban Comics en reparle évidemment en introduction dans Trois Jokers, un avant-propos intitulé Les trois visages de la folie. Il existerait donc trois Jokers et non un ! Cette surprenante révélation rencontre bien sûr son lot de détracteurs mais aussi de curieux séduits par cette audace. Dans les deux cas : les lecteurs sont impatients d’en apprendre davantage.

Problème : Geoff Johns est occupé par plein de sujets. Très occupé. Entre son implication chez Warner Bros dans la branche DC Films où il officie à la production et parfois l’écriture de l’univers partagé DC au cinéma (avec le succès et les polémiques que l’on connaît, notamment autour du fameux film Justice League de 2017), sa supervision des séries Titans, Doom Patrol et Stargirl (il co-créé carrément cette dernière car il est aussi le co-fondateur du personnage), son travail en tant qu’auteur sur la suite de Watchmen, l’ambitieux Doomsday Clock, et ses autres projets littéraires comme DC Universe : Rebirth, Shazam, ainsi que le troisième et dernier tome de Batman – Terre Un (publié cette année aux États-Unis, donc probablement en 2022 chez nous), Geoff Johns retarde énormément son Trois Jokers.

Évoqué mi-2016, il faut attendre pile quatre ans outre-Atlantique pour connaître la « suite » de ce qui était annoncé comme un grand chamboulement dans l’univers DC avec des ambiguïtés inquiétantes complémentées au retard du titre : une connexion possible avec Doomsday Clock (et donc Watchmen ?), une histoire indépendante mais que le lecteur peut quand même choisir d’intégrer dans la chronologie officielle du Chevalier Noir, etc. Entre temps, Jason Fabok signe quelques épisodes chez DC de divers super-héros : Batman (Le Badge), Swamp-Thing, Justice League vs. Suicide Squad, Superman… Quand le premier chapitre (sur trois) de Three Jokers est publié, c’est un immense succès commercial, auréolé d’une foule de couvertures alternatives. Mais quatre ans, c’est long dans le domaine des comics… Sans surprise, le titre a perdu de « son aura » depuis longtemps. Si les lecteurs sont tout de même au rendez-vous, une partie de la critique n’est pas tendre (à raison sur certains points). C’est ce que nous allons voir dans quelques instants.

[Critique]
Le premier chapitre (sur trois) annonce très rapidement la couleur : trois Jokers existent bien et le trio Batman/Batgirl/Red Hood l’apprend assez rapidement « comme si de rien était ». C’est le problème de cette introduction : normalement, le Chevalier Noir ne devrait pas être surpris par l’existence des trois Jokers car il était déjà au courant (cf. fin de série Justice League, explications qu’on vient de détailler). Bien sûr, cela permet d’embarquer un lecteur nouveau venu mais c’est un peu moyen… Il suffisait que Batgirl ou Red Hood lui demande s’il savait et que Batman reste silencieux et c’était largement suffisant ! Par ailleurs, aucun membre de la Bat-Famille ne semble très surpris par cette révélation, chacun l’accepte sans sourciller, comme si c’était banal, presque anecdotique dans leur carrière super-héroïque ! On a à nouveau droit au sempiternel flash-back de la mort des parents Wayne par Joe Chill (de prime abord c’est redondant mais ça a un intérêt par la suite) et beaucoup d’allusions à Killing Joke et Un deuil dans la famille, forcément – dont Trois Jokers est la suite spirituelle d’une certaine façon. Jason Fabok croque même quelques cases de ces deux comics cultes, tout en calquant le modèle du gaufrier tout au long des planches (neuf cases de la même taille en moyenne) – procédé qu’avait également repris Gary Frank dans Doomsday Clock, déjà scénarisé par Geoff Johns et colorisé par Brad Anderson, qui officie également (avec brio) sur Three Jokers.

Très vite, on comprend que les Jokers se dissocient ainsi : 1 – Le Criminel, le tout premier Joker, l’originel et la « tête pensante » qui dirige les deux autres, c’est-à-dire 2 – Le Comique, celui provenant de Killing Joke et visiblement repris dans le run de Scott Snyder et, enfin, 3 – Le Clown, celui qui a tué Jason Todd (provenant d’Un deuil dans la famille et, entre autres, des histoires avec ses fameux poissons qui rient, dans Dark Detective). Jason Fabok expliquait lui-même que Le Criminel est issu de l’Âge d’Or des comics, il correspond au tout premier Joker apparu dans Batman #1 en 1940, un génie du crime froid et méthodique (il sourit peu). Le Comique est directement repris de Killing Joke, « la version la plus inquiétante, celle du psychotique avec toujours un sourire glaçant sur le visage et certainement le plus dangereux des trois », puisé dans l’ère dite moderne des comics. Enfin, Le Clown est le Joker de l’Âge d’Argent des comics, soit des années 1956 à 1970, « le plus exubérant, à l’image des gags et autres clowneries présents dans les numéros d’époque ». Comme le remarquera d’ailleurs Jason Todd au cours de l’aventures, « ça fait une éternité que je ne l’ai pas vu jouer avec des poissons rieurs ou un jeu de cartes acérées ». « Ou une fleur qui lance de l’acide » lui répondra ledit Joker.

Ce premier épisode est probablement le moins intéressant. Il déçoit par rapport aux attentes (s’il y en avait) et va trop vite quand il faut soigner l’écriture et l’évolution de ses protagonistes ; paradoxalement, il s’attarde sur de nombreuses cases sans texte. Parfois ça fonctionne, c’est brillant d’une certaine retenue et donc émotion (les blessures de Batman en introduction), parfois ça tombe à l’eau et on aurait aimé que ces cases utilisées pour poser un décor soient plus pertinentes (le raton-laveur et le camion par exemple). Heureusement, dès le second chapitre, Geoff Johns prend enfin le temps de développer convenablement les relations entre Bruce, Jason et Barbara, conférant une humanité bienvenue qui contraste avec les dernières folies des Jokers, toujours plus violentes et sanglantes. Les trois Jokers perdent un peu en superbe au fur et à mesure qu’on les découvre (toutes proportions gardées bien sûr) mais ils restent, in fine, assez survolés… Une explication rationnelle quant à leur existence (comprendre : leur création) est fournie, plus ou moins satisfaisante selon son degré de crédulité et d’exigence. On apprécie par ailleurs la fin de chaque épisode, habile et surprenante, avec un retournement de situation inattendu, parfois désamorcé et même si l’effet tombe un peu à plat dans une lecture « à la suite » de l’entièreté de l’œuvre et non en lecture mensuelle, numéro après numéro.

La conclusion du récit prend une double tournure « humaniste », que nous sommes obligés de dévoiler un peu dans le cadre de cette critique (passez au paragraphe suivant si jamais). Batman se retrouve face à Joe Chill, candidat forcé à devenir le fameux « meilleur Joker » ! Chill sait qui est Batman et lui demande pardon. Depuis des années il est pris de remords, écrivait des lettres à Wayne qu’il n’a jamais envoyé. Les séquences autour de Chill et Bruce/Batman sont courtes mais balayent presque tout le reste tant on ressent une empathie extrême envers les deux. On en oublierait presque cette histoire de trois Jokers… La toute fin du titre, elle aussi emprunt d’un certain humanisme (encore), remet complètement en question l’essence même de Killing Joke, d’où le côté encore plus clivant de Trois Jokers. On ne la mentionnera pas ici mais c’est un aspect qu’on peut juger soit très… « beau », soit très « foutage de gueule ». L’auteur de ces lignes penche pour la première option, ne voyant dans Three Jokers qu’une histoire sortant des sentiers battus mais complètement « à part » dans la chronologie du Chevalier Noir, donc peu importe ce qu’il s’y déroule, il y a (a eu/aura) peu de véritables conséquences. La conclusion remet d’ailleurs les pendules à l’heure et permet un départ presque comme si « rien ne s’était passé » (sans surprise, un seul Joker survit et retourne à Arkham). Seul le destin de Jason Todd pourrait réellement changer mais il n’a pas eu sa propre série qui découlerait de ce qui lui est arrivé ici.

Difficile de savoir « quand » se déroule concrètement le récit (publié dans la collection DC Black Label) par rapport à la fin des New 52 et l’ère Rebirth. Plusieurs segments rentrent en contradiction avec ce qu’on a pu lire à côté dans d’autres titres (à commencer par la connaissance par Batman de la triple identité de sa nemesis et, même, de la question initiale posée sur le fameux trône de Mobius). On saura peut-être dans quelques années ce qui avait été initié en 2016 par Johns et DC Comics en fanfare et ce qu’il s’est déroulé jusqu’en 2020 pour aboutir à un récit pas forcément « sage » mais plus inoffensif qu’annoncé, se soldant par un statu quo somme toute très classique… Trois Jokers était censé être, au même titre que Doomsday Clock, un véritable chamboulement dans l’univers DC Comics. A l’arrivée, ni l’un ni l’autre n’ont révolutionné quoique ce soit (malgré leurs qualités intrinsèques). La fin de Three Jokers ouvre pourtant de nouvelles portes alléchantes, « je ne veux pas survendre la chose, mais nous avons une fin incroyable à cette histoire qui, si DC le souhaite, aura un énorme impact sur le reste [de l’univers DC] » soulignait Jason Fabok en interview. Il rappelait que Geoff Johns et lui avaient « planifié de raconter cette histoire dans la continuité [de DC], mais elle peut exister également par elle-même ». Difficile d’expliquer ce qu’il s’est passé. Peut-être que le succès de la vaste saga Batman Metal a modifié les plans de l’éditeur ? Couplé à l’accueil tiède de Doomsday Clock, au retard du projet pendant l’avancement de l’ère Rebirth et la connexion moins épique que prévue de tous ces évènements (Metal exclut) ? Pourtant, fin 2020, Johns confirmait tout de même avoir des idées de suite avec Fabok pour Trois Jokers.

En synthèse, Trois Jokers est une proposition audacieuse qui « trahit » à la fois la mythologie de Batman mais aussi un de ses titres les plus cultes et acclamés (Killing Joke). Soit ça passe, soit ça casse… Bien entendu, le lecteur vierge de toute attente, espoir ou du bagage culturel DC Comics des années précédentes a davantage de chance d’être séduit (mise à part la controverse légitime avec Killing Joke). Sous le prisme du fameux divertissement, la bande dessinée place la barre très haut entre ses dessins hyper soignés (Jason Fabok est en grande forme – on y reviendra) et ses dialogues ciselés et percutants, entre la trinité d’alliés fragilisée par les trois Jokers. Les cicatrices, physiques et psychologiques, les traumatismes, passés et présents, de Bruce, Jason et Barbara sont brillamment évoquées, couplées à cette idée d’aller de l’avant, de (se) pardonner… L’échange final entre un Joker et le Chevalier Noir est lui aussi très réussi. A sa modeste échelle, l’œuvre bouleverse – on insiste – principalement dans sa dernière ligne droite (les débuts sont au mieux maladroits, au pire paresseux et peu inspirés). Ce qu’il se déroule durant le premier tiers est fortement inégal ; malgré tout assez bien écrit pour qu’on veuille découvrir la suite, comptant aussi sur un rythme très efficace.

Néanmoins, impossible de ne pas songer à tout ce qui aurait pu découler de ce concept original et osé… Être plus ambigü sur la véracité ou non des fameux Jokers en premier lieu. Étirer son récit sur plusieurs centaines de pages plutôt que le restreindre à cent cinquante environ (Geoff Johns est plus doué sur les formats très longs). Ici, c’est trop court vu tout ce qu’il y avait à proposer (même si ça permet d’aller à l’essentiel, il y a un problème de développement dans les débuts comme déjà évoqué). Si Jason Todd est très impacté dans Trois Jokers à plusieurs niveaux, Barbara reste la boussole morale agréable mais manquant un brin de confrontations directes ou plus subtiles avec un ou plusieurs des Jokers. Bruce sort le grand jeu en fin d’ouvrage après une succession de scènes où il est plutôt en retrait voire étonnamment imperturbable. Johns réécrit également un brin l’histoire en inventant de nouvelles « dernières paroles » de Jason Todd (dans Un deuil dans la famille), répétées ici par le Joker qui l’avait tué jadis – rien de grave mais impossible de ne pas le remarquer.

L’auteur loupe aussi le coche d’une émotion plus soutenue, même s’il ne mentait pas en déclarant que la fiction « touche à un traumatisme profond de Bruce Wayne en le connectant au Joker d’une façon qui changera leur relation à jamais ». La déconstruction du mythe (du Joker) est rattrapée plus ou moins in extremis mais on a du mal à comprendre ce que Geoff Johns souhaite (souhaitait ?) faire de tout ça… « Nous tenions à raconter la meilleure histoire du Joker possible, déclarait en août 2020 le scénariste pour le site DC Comics (et traduit dans l’avant-propos du livre). Il y en a déjà tant qui sont devenues mythiques. Nous voulions qu’elle soit émouvante, surprenante et sérieuse : qu’elle montre l’effet qu’a le Joker sur les vies de ceux qu’il a blessés au cours des années. C’est une histoire de cicatrices, de traumatismes et de guérisons : de guérison effective et de guérison qui se passe mal. (…) Nous ne voulions pas seulement évoquer la relation entre le Joker et Bruce mais également celle avec Barbara (Gordon) et Jason (Todd). Pour moi, les plus grands affrontements qui ont eu lieu entre Batman et le Joker ont tous engendré d’énormes tragédies qui ont à leur tour causé des blessures profondes qui n’ont cessé de se rouvrir au gré du temps (…). Ce récit prend racine dans trois événements [et] montre comment ces trois personnages ont, chacun à sa manière, géré ces traumatismes. Certaines blessures, qu’elles soient physiques ou psychologiques, ne guérissent jamais, et cette histoire révèle comment le Joker en tire à chaque fois profit ».

Et pour ceux qui songeraient à une pirouette d’écriture façon multivers, l’auteur aborde sereinement le sujet : « Les Trois Jokers sont tout à fait réels : ce ne sont pas des échappés du multivers, de dimensions alternatives ou de quoi que ce soit s’en approchant. Le décor du récit est très réaliste, très concret. Bruce, Barbara et Jason se trouvent au centre de l’intrigue, à enquêter sur la raison d’être de ces trois Jokers. Qui sont-ils ? Que sont-ils ? Tout ceci est-il réel ? ». On peut effectivement saluer de ne pas avoir cédé à la facilité d’un monde alternatif pour justifier l’impensable. Parmi les quelques défauts, dommage de ne pas avoir mis davantage en avant Alfred et Gordon. En fonction de ses lectures de comics Batman, plus ou moins récentes, on peut aussi être dérouté par des idées communes survenues dans d’autres titres, comme par exemple le grand final au cinéma, rappelant forcément Joker War.

Côté graphisme, le duo gagnant Fabok/Anderson est sans nul doute un des points forts de l’œuvre, bénéficiant d’une homogénéité graphique évidente, d’un découpage efficace et de quelques idées bienvenues. Comme les scènes traumatiques du passé croquées en noir et blanc, silencieuses, avec uniquement des jets de sang colorisés ou encore, dans le présent, les visages effrayés ou apeurés de Barbara, ceux colériques ou perdus de Jason, celui, impassible (voire trop sage et inattendu), de Bruce/Batman… Encore une fois, le premier tiers du titre est le moins réussi (dans son scénario mais aussi dans sa partie graphique), heureusement, l’ensemble gagne en qualité au fil des épisodes. Batgirl porte un costume hyper moulant, mettant en valeur son fessier et sa poitrine opulente. Le lecteur y verra de belles courbes sympathiques ou un sexisme ambiant propre à ce genre de productions un peu lassant pour notre époque. Jason Fabok (qui encre ses propres traits) sait parfaitement poser « une ambiance » grâce à la colorisation complice de Brad Anderson. A ce sujet, le second chapitre est particulièrement macabre et réussi ! Les différents Jokers sont globalement identifiables aisément, un vrai régal pour les fans du Clown du Crime. On note aussi plusieurs références à d’anciens épisodes sur Batman, parfois très connus, parfois plus confidentiels (la cellule du Docteur Phosphorus par exemple).

En mettant de côté des attentes (légitimes), Trois Jokers reste une curiosité à découvrir qui fera probablement date dans l’histoire de Batman sans pour autant révolutionner quoique ce soit. Le titre rejoint les coups de cœur du site (malgré ses défauts mentionnés, on apprécie quand même beaucoup d’éléments qu’il fallait nuancer, aussi bien dans les dessins que dans l’écriture – rarement on aura eu autant d’échanges pertinents entre nos trois héros) et mérite sans nul doute d’être « obligatoirement » lu par les fans du Joker et du Chevalier Noir. Mais cette découverte a un prix (18€ minimum)… Rappelons qu’Urban Comics voit les choses en grand pour Trois Jokers, susceptible de toucher un très large public et de séduire les collectionneurs les plus fortunés.

En effet, en complément de l’édition classique (garnies des nombreuses couvertures alternatives en bonus en fin du livre), quatre éditions limitées sont en vente. Trois d’entre elles arborent en couvertures Batman, Batgirl et Red Hood (cf. haut de l’article et liens ci-dessous), accompagnés d’une carte à jouer montrant un des Jokers couplé au protagoniste de la couverture (photo ci-après). Soit, les mêmes cartes qui étaient offertes en V.O.. Enfin, Trois Jokers rejoint la collection Urban Limited le 3 décembre prochain avec une très belle édition agrandie et très limitée, de quoi en prendre plein la vue et profiter à fond de l’art de Jason Fabok et Brad Anderson (cf. image/lien ci-dessous).

[A propos]
Publié en France chez Urban Comics le 1er octobre 2021 (édition classique et variantes) et le 3 décembre (édition Urban Limited).

Scénario : Geoff Johns
Dessin, encrage et couvertures : Jason Fabok
Couleur : Brad Anderson

Traduction : Ed Tourriol (Makma)
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr :
Batman – Trois Jokers (édition classique – 18€)
Batman – Trois Jokers (édition variante limitée Batman + carte – 20€)
Batman – Trois Jokers (édition variante limitée Batgirl + carte – 20€)
Batman – Trois Jokers (édition variante limitée Red Hood + carte – 20€)
Batman – Trois Jokers (édition ultra limitée et tirage luxueux agrandit – 49€)






DC Univers Rebirth – Le Badge

Le Badge (The Button en VO) est un tome un peu particulier. Il rassemble les chapitres #21 et #22 des séries Batman et The Flash (sous l’ère Rebirth, second relaunch de DC Comics). Ces quatre épisodes font également suite à des éléments distillés dans plusieurs histoires publiées chez l’éditeur ces dernières décennies (principalement sur Le Bolide Écarlate, mais aussi des events de DC Comics, comme Flashpoint et DC Univers Rebirth, le tout planant dans l’ombre du gigantesque et culte Watchmen). Un très bon avant-propos éditorial récapitule tout cela avant de se lancer dans la lecture. Tour d’horizon.

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[Introduction]
Guide de lecture • « Le Mystère de DC Rebirth se dévoile »
Texte entièrement reproduit depuis l’édition librairie d’Urban Comics ©

1. Le Tapis Cosmique | Flash la légende – Tome 01
Barry Allen est l’homme le plus rapide du monde. Il est le catalyseur de l’Univers Renaissance : quand il a tenté de sauver sa mère des griffes de son ennemi, Néga-Flash, il a modifié à jamais le cours de l’Histoire.

2. Flashpoint | Flashpoint
En utilisant le tapis, Barry remonte le temps afin d’empêcher le meurtre de sa mère, Nora, par son pire ennemi, le professeur Zoom, aussi appelé Néga-Flash. Ce faisant, il modifie le cours des évènements et créé un présent au bord de l’Apocalypse. Aidé par Thomas Wayne, le Batman de cette dimension baptisée « Flashpoint » *, qui assassine Zoom, Flash parvient à rétablir la continuité des évènements… sans remarquer que certains éléments ont été modifiés.

* Outre l’histoire de Flash (et de cet important chamboulement) narré dans le tome éponyme, on peut découvrir l’histoire de ce Batman particulier et original dans l’excellent one-shot Cité Brisée et autres histoires… Elle est également disponible dans les deuxième numéro du magazine Flashpoint publié en 2012.

3. Le Retour de Kid Flash | DC Univers Rebirth [mini-critique]
Wally West qui fut le partenaire de Barry Allen, pendant des années sous le pseudonyme de Kid Flash, a disparu suite au Flashpoint. Le monde entier, y compris sa femme, Linda, et Flash, l’a oublié. Lors d’une mystérieuse tempête, Wally parvient à s’extirper de ces limbes et à contacter Barry qui, se souvenant de lui, réussit à le ramener à la réalité. Wally affirme qu’une entité a enlevé dix années aux héros de la Terre, effaçant des souvenirs, des relations ou même des individus.

4. Le Pétase de Mercure | Flash Rebirth – Tome 02
Après ces retrouvailles, Flash perçoit un nouveau mouvement dans la Force Véloce et a une vision d’un objet qu’il ne reconnaît pas mais qui le remplit d’espoir : un pétase de Mercure. Un casque qui appartenait des années auparavant à Jay Garrick, le Flash des années 1940.

Batman Button Badge Comedien

5. Le Badge | Watchmen
La nuit du retour de Wally West, Batman (Bruce Wayne), le plus grand détective du monde, remarque un étrange objet dans un recoin de sa batcave : un badge « smiley » jaune taché de sang. Il s’agit du badge du Comédien, un justicier radical vivant dans une dimension parallèle, dans les évènements ont été altérés par le Dr Manhattan, un être surpuissant capable de modifier la réalité à l’envi.

6. La lettre de Thomas Wayne | Flashpoint
Dans la réalité du Flashpoint, Bruce Wayne a été abattu enfant, son père est alors devenu Batman pour le venger. Avant que cette temporalité soit effacée, Thomas a laissé une lettre à Flash afin qu’elle soit remise à Bruce, une fois la réalité restaurée. Wally West a pointé du doigt cette lettre lors de son retour.

7. Le Masque de Méduse | Batman Rebirth – Tome 03 [critique]
Roger Hayden, le Psycho-Pirate, est un super-vilain dont le Masque de Méduse lui permet de manipuler les émotions de ses adversaires. Batman a ramené le Psycho-Pirate de l’île de Santa Prisca afin d’aider son amie, Claire Clover, alias Gotham Girl. Le Psycho-Pirate est également le seul personnage qui se souvient des dimensions parallèles datant d’avant la première Crise de l’Univers DC (Crisis on Infinite Earths).

8. Johnny Thunder et Saturn Girl | DC Univers Rebirth [mini-critique]
Deux personnages semblent connaître certains secrets de l’univers de DC Rebirth. Le premier est Johnny Thunder, un métahumain retraité, qui faisait partie de la Société de Justice, la plus grande équipe de héros durant la Seconde Guerre mondiale. Il en a effacé le souvenir afin de les protéger des investigations de la Commission des activités anti-américaines, dans les années 1950. Le second est Saturn Girl, une jeune télépathe issue du XXXIème siècle, qui fait partie de la Légion des Super-Héros, une équipe d’adolescents à super-pouvoirs. Elle est actuellement enfermée à l’asile d’Arkham, mais il semblerait qu’elle soit au courant des évènements à venir.

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Le récit est également disponible en kiosque le 6 avril 2018 dans les magazines Batman Rebirth #11
et Justice League Rebirth #11 (couvertures de gauche), pour 5,90€ chacun.
Les deux bénéficient d’une édition collector limitée avec une couverture en noir et blanc, au prix de 9,90€ le magazine (couvertures de droite).
Liens pour les acheter tout en bas de cette critique.
Le recueil en librairie coûte, quant à lui, 14,50€ et sera en vente le 13 avril 2018 (couverture du haut de cet article).

[Histoire]
À Arkham, Saturn Girl regarde un match de hockey et se rappelle qu’un joueur va mourir. Batman visualise le même match, sachant (à priori) également ce qu’il va se dérouler. Le Chevalier Noir lance le badge qu’il avait retrouvé dans la Bat-Cave à côté du Masque de Méduse et le fantôme de son père, costumé également en Dark Knight (le « Batman » de la version Flashpoint) lui apparaît sporadiquement.

En attendant l’aide de Flash pour résoudre ce mystère, Bruce se fait agresser par Eobard Thawne, le professeur Zoom, alias Néga-Flash. Ce dernier avait justement été tué par Thomas Wayne dans l’univers Flashpoint.

Batman et Flash vont devoir voyager dans le temps pour résoudre l’énigme du badge et la mort de quelqu’un…

Batman Nega Flash  Nega Flash Batman

[Critique]
Premier chapitre (Batman #21) écrit par Tom King hyper efficace : un excellent rythme, un combat d’anthologie, des dessins incroyablement beaux et stylés (par Jason Fabok, qui les encre également), un découpage dynamique (qui rend hommage à Watchmen par ses cases type gaufrier — neuf par planche — et l’omniprésence du célèbre jaune des Gardiens — Brad Anderson est à la colorisation), un coup de théâtre final, bref c’est un sans faute !

Deuxième chapitre (The Flash #21) avec une autre équipe artistique, notamment Joshua Williamson à l’écriture, Howard Porter pour les dessins et Hi-Fi pour les couleurs. En résulte un style graphique différent mais extrêmement soigné à sa manière, dont les mouvements colorés de Flahs sont un pur régal visuel. Après l’action et la violence, place à la réflexion et à l’enquête. Des dialogues interminables entre les deux justiciers ont lieu, sans qu’on comprenne clairement tous les enjeux, faute à un certain jargon plus ou moins scientifique. Rien de très grave cependant. La plupart des connexions à d’autres comics mentionnées en introduction sont abordées à nouveau ici (DC Univers Rebirth, Flashpoint, Cité Brisée et autres histoires…, Flash Rebirth – Tome 02, etc.).

De façon anecdotique, on apprend aussi que le sang sur le badge (celui du Comédien de Watchmen) n’est pas recensé dans l’univers actuel. L’ensemble de cette histoire, un chouilla plus centré sur Flash a un côté « psychédélique » grâce aux couleurs vives causées par le voyage dans le temps (ou les univers) de Batman et du Bolide Écarlate. Ce qui donne lieu à une rencontre surréaliste (et fantasmée depuis des années par les fidèles lecteurs fans de Flashpoint) : le Batman de Flashpoint, donc Thomas Wayne, face à « notre » Batman, donc Bruce Wayne !

Flash The Button

Troisième chapitre (Batman #22) replongeant dans l’univers Flashpoint avec un flash-back de Thomas Wayne qui s’était recueilli dans son manoir, attendant les soldats d’Aquaman et Wonder Woman (les deux étaient alors en guerre avant de s’allier). On nous explique qu’il ne s’agissait pas d’un univers alternatif mais d’une histoire alternative et que le lieu est le même. Un brin confus quand même pour le lecteur, qu’il soit connaisseur des œuvres précitées et de l’univers DC (il a tout intérêt à l’être) ou simple néophyte (qui risque d’être totalement largué).

En résulte malgré tout de très beaux moments entre Bruce et Thomas, quand le fils annonce au paternel qu’il est grand-père par exemple, c’est émouvant, le temps d’une case mémorable. La relation entre les deux pourrait faire l’objet d’une série à part, tant il y aurait à proposer avec ce duo original ! Le costume croqué à l’origine par Eduardo Risso est respecté et permet d’identifier aisément quel Chevalier Noir parle ou agit.

Bruce Thomas Wayne Batman

Quatrième chapitre (The Flash #21) flamboyant et coloré ! Avec ce ton pastel unique qui dénote clairement avec la série Batman mais qui passe tout de même très bien. Ce petit manque de cohérence graphique n’est pas très important car les deux sont originaux et soignés.

La conclusion nous (re)présente Jay Garrick, le tout premier Flash (publié pour la première fois en janvier 1940 !) et évidemment un autre personnage célèbre du monde de DC Comics (pas vraiment une surprise de le voir mais assez jouissif quand même).

Un épilogue de deux planches, sans texte, clôt une partie de l’ouvrage avec une élégance rare (à priori lié à l’autre évènement DC « Superman Reborn », disponible dans les magazines Justice League Rebirth #10, #11 et #12 (mars, avril et mai 2018) et dans DC Univers Rebirth : Superman, en vente dès le 29 juin 2018).

Flash Batman Button

La « suite », la confrontation des héros de Watchmen avec ceux de DC Comics est à découvrir dans la série Doomsday Clock, écrite par Geoff Johns et dessinée par Gary Frank. Elle est actuellement en publication et se déroule sur douze chapitres prévus de novembre 2017 à juillet 2019. Superman sera opposé au Dr. Manhattan. Urban Comics propose les six premières pages (en noir et blanc) en exclusivité (The Road to Doomsday Clock). Il s’agit donc de la suite « officielle » de Watchmen (spoiler : le journal de Rorschach a bien été publié par la presse, Adrien Veidt (Ozymandias) a donc été démasqué et est activement recherché).

Que vaut donc Le Badge une fois la lecture terminée ? L’impression de lire un récit « important » dans l’histoire du DC Comics. Une histoire un peu courte qui fait surtout office d’introduction (à Doomsday Clock). Sur les graphismes, il n’y a rien à dire, comme évoqué les deux styles (de Jason Fabok et de Joshua Williamson) se conjuguent à merveille malgré leurs flagrantes différences. Le travail de colorisation est à salué également tant il apporte un plus non négligeable. Le livre comporte de magnifique doubles pages qui sont, une fois de plus, un régal pour les yeux. Par ailleurs, huit superbes couvertures alternatives concluent le tome.

Sur le scénario, le plus gros défaut du titre est son accessibilité. Un novice total de l’univers de DC n’y comprendra pas grand chose (niveau connexions avec les autres personnages et œuvres) et ne saisira aucune référence. Même les fans les plus aguerris auront bien besoin du récapitulatif en début d’ouvrage pour tout bien avoir en tête. Idéalement donc, il faut à minina connaître Flashpoint mais aussi son extension sur Batman, sans oublier Watchmen. Cela fait « beaucoup » pour séduire un nouveau lectorat. Mais ce n’est pas le but ici. L’idée est de proposer un vaste chantier éditorial et une prise de risque énorme dans le paysage des comics. Et à ce niveau là, le pari est gagné haut la main. Le fan de Watchmen et de Batman ne pourra qu’être conquis ! Coup de cœur 2018.

Bruce Wayne Flash

[À propos]
Publié en France le 13 avril 2018 chez Urban Comics.

Scénario : Tom King (Batman #21-22), Joshua Williamson (The Flash #21-22), Geoff Johns (Doomsday Clock)
Dessin : Jason Fabok (Batman #21-22), Howard Porter (The Flash #21-22), Gary Franck (Doomsday Clock)
Couleur : Brad Anderson (Batman #21-22), Hi-Fi (The Flash #21-22)

Traduction : Alex Nikolavitch, Jérôme Wicky, Ed Tourriol
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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Batman Rebirth #11 : Batman / Flash – Le Badge (1/2)
Justice League Rebirth #11 : Batman / Flash – Le Badge (2/2)
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Batman Thomas Bruce Wayne

Guide de lecture minimaliste avant de découvrir Le Badge :
1. Watchmen
2. Flashpoint
3. Batman : Cité brisée et autres histoires…
ou version kiosque magazine en occasion : Flashpoint #2
4. DC Univers Rebirth (intégrale)
ou version kiosque magazine en occasion : DC Univers Rebirth #1

5. DC Univers Rebirth – Le Badge (13 avril 2018)
6. DC Univers Rebirth – Superman (29 juin 2018)
7. Doomsday Clock (premier tome au plus tôt fin 2018)

Batman Le Badge The Button Smile Smiley Watchmen

Dark Knight III – Tome 04

Dark Knight III (en quatre tome) est le troisième volet du « Dark Knight Universe de Frank Miller », débuté en 1986 avec The Dark Knight Returns et poursuivi avec The Dark Knight Strikes Again.
Page récapitulative | Critique de Dark Knight III – Tome 01 | Tome 02 | Tome 03

MàJ : suite à la publication en format intégrale de Dark Knight III en 2020, l’entièreté de la série a bénéficié d’une critique mise à jour sous un prisme de lecture « à la suite ». C’est à découvrir sur cet article.

 

batman-dark-knight-iii-tome-4  Dark Knight III - Tome 4

(La couverture de gauche est bien la couverture « définitive » choisie pour l’impression.
Celle de droite, dévoilée sur les sites de vente sur Internet, est soit la version alternative pour l’enseigne Cultura
— ce qui serait étrange car les trois précédentes étaient en couleur et non en noir et blanc —,
soit une première version de maquette qui a tout simplement été annulée.
)

Afin de mieux « savourer » la conclusion de Dark Knight III, il est évidemment conseillé de relire les trois premiers tomes juste avant. Toutefois, pour ceux n’ayant pas le temps de se replonger dedans, le résumé de l’éditeur  en introduction d’ouvrage est très bien écrit et récapitule brillamment tous les éléments passés.

DK3 Sup save Bat

[Histoire]
Durant la grande bataille face aux kryptoniens à Gotham, Batman a trouvé la mort. Superman emmène la dépouille de Bruce Wayne dans un puits de Lazare pour le ramener à la vie.

De son côté, Quar et son fils Baal (défiguré par Batgirl/Carrie Kelley) veulent se venger en tuant le fils de Superman, Jonathan, qu’il a eu avec Wonder Woman.

L’autre enfant du même couple, Lara, qui s’était rangée du côté des kryptoniens, va devoir choisir « son camp ».

DK3 Quar

[Critique]
Dernière salve de Dark Knight III, composé de trois chapitres (7 à 9), ce tome conclut efficacement, épiquement et même talentueusement ces « nouvelles aventures de Batman ». Les guillemets sont de mises car, comme c’était déjà le cas pour The Dark Knight Strikes Again (la première suite clairement ratée de The Dark Knight Returns), l’histoire concerne plutôt les membres de la Justice League (la Trinité surtout) que Batman en lui-même. L’omniprésence de Superman et Lara (sa fille), ainsi que les nombreux personnages secondaires (Wonder Woman, Atom, Flash, Green Lantern…) permettent de mettre en avant davantage « l’univers » consolidé de Frank Miller que son super-héros Gothamien (ou sa relève via Carrie Kelley). Est-ce problématique ? Non, c’est assez cohérent avec ce qu’institue Miller depuis son œuvre originelle d’il y a plus de trente ans.

Qu’il y a-t-il de bon et de moins bon dans ce quatrième tome alors ? Dans les mauvais points, il y a évidemment la « mort » de Bruce Wayne. Si le format de publication (par chapitre aux États-Unis et par volume en France) a permis de laisser planer le doute quelques temps (Batman est-il vraiment décédé ?), on est peu surpris de voir sa résurrection dès l’ouverture du livre. Une renaissance qui s’accompagne par un bain de jouvence, permettant aux scénaristes de « boucler la boucle » en concluant sur un nouveau départ un peu facile (Batman et Batwoman — qui était Batgirl et avant Robin — forment un duo « jeune » et prêt à en découdre), un peu « happy end » mais clairement nécessaire dans cette saga relativement cynique, noire et violente. La curieuse impression de lecture rapide passe « mieux » en (re)lisant toute la série en une fois, même si s’attarder sur plus d’éléments (la commissaire Yindel, Aquaman…) aurait été intéressant. Le grand méchant de DK3 était à la fois puissant et… ridicule. Ridicule par ses motivations, l’éternel mantra de vengeance et de règne dictatorial pour montrer sa puissance et sa force à un peuple (les Terriens). Toutefois, ce questionnement sur le divin revient régulièrement tout au long des neuf chapitres (et ses « appendices », voir ci-après) et cela pousse à la réflexion interne. Une bonne chose donc.

DK3 Batgirl Batman Superman

Les « appendices » (nom plus juste donné aux back-ups) sont cette fois centrés sur Hawkman et Hawkgirl mais surtout Green Lantern (pour la seconde fois) et le commissaire Yindel (face à des faux Joker et à Bruno, une femme nazie — sic) ; le dernier constitue surtout un bel épilogue. À l’inverse des précédents appendices, ceux de cet ouvrage sont graphiquement plus réussis, Miller retrouvant peu à peu de sa superbe. Le reste de l’ouvrage s’émancipe (à nouveau) de son style puisque Kubert est plus proche de sa patte personnelle que celle de son illustre maître. Une évolution flagrante lorsqu’on (re)lit tout d’une traite.

Scénaristiquement parlant (Azzarello travaillant avec Miller, sans qu’on sache clairement sous quelle forme), l’accent est mis sur Lara, avec brio, et Wonder Woman apparaît « enfin » comme elle se doit. Il n’y a pas grand chose à « reprocher » à cette conclusion, elle apparaît comme évidente, bien qu’un peu facile comme on le soulignait plus haut. Pas expéditive, plutôt épique, pas forcément surprenante mais pas non plus totalement prévisible, bref l’ensemble de ce Dark Knight III est — finalement — une bonne série de comics. « Finalement » car le début était relativement moyen (faute à une publication segmentée en de trop nombreux tomes, voir « l’analyse éditoriale » dans le dernier paragraphe de cet article).

DK3 Wonder Woman

► Conclusion générale

Presque deux ans après la publication du premier tome de Dark Knight III, les lecteurs français peuvent enfin découvrir sa conclusion en cette fin d’année 2017. Un achèvement qu’on ne peut que conseiller de découvrir après relecture des trois premiers livres. Mis bout à bout, en lecture continue, l’ensemble s’avère parfaitement cohérent et gagne à la fois en une certaine maturité et sagesse (dans son épilogue) mais aussi dans ses planches (principales comme appendices), plus soignées et travaillées qu’au début. MàJ 2019 : il est évidemment conseillé de se procurer désormais la version intégrale, moins onéreuse et plus digeste.

Malgré la canonicité évidente de ce troisième volet, sa modernité et son style graphique un chouilla différent, le rendent presque « indépendant » de The Dark Knight Returns. Une qualité puisque cela permet de séduire de nouveaux lecteurs, peu connaisseur des comics sur le Chevalier Noir. La patte Millerienne est toujours présente mais à « petite dose » concernant, par exemple, les encarts médiatiques ou les avis populistes (avec parfois l’abus de langage qui va avec — ce désagréable parlé SMS).

Trump Dark Knight

The Master Race (le titre original) est-il meilleur que Returns ? Assurément non mais il est largement supérieur à Strikes Again et à pléthore de comics « mainstream » qui sont souvent divertissants et agréables à lire mais qui ne cherchent pas forcément à avoir une petite patte « intello » qu’on retrouve ici, parfois maladroitement, parfois habilement. Rien d’extraordinaire bien sûr, et même « déjà vu » mais l’œil de Miller sur le monde actuel et son interrogation sur divers sujets (le divin, la force de police, etc.) est toujours plaisant, moins puissant qu’en 1986 par contre… C’est d’ailleurs un point dommageable : vu l’actuel état des lieux de notre société, ses avancées technologiques et sa situation géo-politique, ce DK3 paraît presque trop détaché d’enjeux importants (les fakes news par exemple). Mais il faut saluer les citations de… Donald Trump (voir illustration ci-dessus) ! Déjà croqué avant son élection dans les précédents tomes, une de ses apparitions ici prend (encore) un nouveau sens pour établir un parallèle glaçant avec notre propre monde.

La chute puis la renaissance, éternel cycle commun de l’industrie, est ici réussi. Fermant efficacement ce qui a été instauré il y a plus de trente ans et laissant des ouvertures possibles (mais pas nécessaires) pour une autre suite ou une exploration du DKU (Dark Knight Universe de Miller).

DK3 Batwoman

Côté éditorial — cela avait déjà été évoqué — Urban Comics a choisi de publier en quatre segments l’intégralité de DKIII. Soit un total de 57€ (chaque tome coûte 14€ sauf le dernier à 15€). L’ensemble est évidemment beaucoup trop cher par rapport à la quantité de chapitres (neuf et neuf back-ups/appendices). Mais quel choix possible pour l’éditeur français ? Attendre la fin pour publier l’intégrale ? C’était tentant mais « risquer » (de se mettre à dos quelques lecteurs, d’autres se tournant vers la VO). Publier en kiosque avant la librairie ? Bonne idée mais DKIII est l’un des rares comics sur Batman pouvant se vendre au public non-connaisseur du Chevalier Noir ou même des comics (sur la base de suite de The Dark Knight Returns et du nom de Miller). Ne reste plus qu’une solution : la division de volumes en librairie.

Urban a toujours maintenue que la version intégrale n’était pas prévue. Vu le nombre conséquent de couvertures alternatives non proposées en bonus et pour le côté pratique, il est presque évident que l’éditeur changera d’avis (c’est même sans doute acté depuis le début) et proposera l’intégrale dans quelques années (à l’instar de Top 10, Geoff Johns présente Green Lantern, Scalped, 100 Bullets, DMZ…). MàJ 2019 : c’est bien le cas, pour 35€ et les couvertures sont dans un recueil sublime mais limité (29€). L’idéal aurait été de publier deux tomes et non quatre. Pour ne pas prendre trop de retard sur la VO, proposer un rapport qualité-prix « équilibré » et pourquoi pas l’intégrale en même temps que le tome deux pour satisfaire tout le monde. Tout ceci n’est évidemment pas bien grave mais 57€ pour l’équivalent d’une publication intégrale à 28 voire 35€ maximum (edit : bingo !),  ça fait quand même un écart non négligeable pour les moins aisés. Ce quatrième tome est le plus riche des quatre en bonus, grâce à ses nombreuses planches encrées en noir et blanc en supplément et des couvertures couleur.

DKIII Batman Dead Batgirl

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 1 décembre 2017.
Titre original : The Dark Knight III – The Master Race #7-9 & Dark Knight Universe Presents : Strange Adventures #1 / Detective Comics #1 / Action Comics #1
Scénario : Frank Miller et Brian Azzarello
Dessin : Andy Kubert et Frank Miller (DKUP)
Encrage : Klaus Janson
Couleur : Brad Anderson et Alex Sinclair
Lettrage : Stephan Boschat — Studio Makma
Traduction : Jérôme Wicky
Première publication originale en 2016-2017.

DK3 Wonder Sup

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DK3 Cover Final